Les communs urbains et territoriaux comme vecteurs alternatifs de développement local

11 octobre 2019ContactÉcole d'urbanisme de Paris

Dans le cadre d'un atelier de master 2, un groupe d'étudiants de l'École d'urbanisme de Paris (EUP) a été mandaté par L'Institut Paris Region pour faire une étude sur les communs urbains et territoriaux comme vecteurs alternatifs de développement local. Dans un contexte marqué par l’émergence de nouveaux modes d’organisation fondés sur la coopération, par une forte injonction à la participation citoyenne et par le développement de l’urbanisme transitoire, la notion de « communs urbains » est de plus en plus mobilisée dans divers champs (académique, économique, médiatique, militant, politique, urbain, etc.). Elle permet de « repenser les catégories de propriété et d’usage », de « questionner la méthode d’élaboration des politiques publiques et des projets urbains » et d’« aller vers plus de co-construction locale ». Cette synthèse, rédigée par les étudiants de l'EUP, présente les principaux résultats de cet atelier.

Mieux comprendre la notion de communs urbains et territoriaux

Dans cet atelier, les pratiques de mise en commun ont été définies comme des pratiques autogouvernées, sur un mode horizontal, qui visent à rendre ou à réserver à l’usage commun une ou plusieurs ressources sous tension. Elles impliquent systématiquement la création d’autres ressources ou d’autres processus, dont l’empowerment des habitants. Elles interrogent un ensemble de dysfonctionnements (politiques, économiques, sociaux, urbains, environnementaux, etc.) et proposent des alternatives. C’est pourquoi cette notion est particulièrement opérante pour repenser la production des villes et des territoires. Pour mieux comprendre et qualifier cette notion, nous avons réalisé une typologie des communs urbains en Europe et identifié des leviers côté État et collectivités locales afin de favoriser leur développement. Durant cet atelier, nous nous sommes attachés à répondre aux questions suivantes : Que génèrent les communs ? Quelles ressources préservent, transforment et créent les pratiques de mise en commun ? Comment identifier l’utilité sociale de ces alternatives? Comment les communs redéfinissent-ils les cadres d’action économique, environnementale, législative, publique et urbaine sur lesquels nos sociétés occidentales contemporaines sont fondées ? Quels rapports entretiennent-ils avec les institutions publiques ? Quelles conditions peuvent être mises en place par les municipalités et l’État pour garantir l’autonomie des communs vis-à-vis des mécanismes de marchandisation et de privatisation des ressources ?

Une démarche qualitative fondée sur une confrontation entre des cas européens

Pour répondre à ces interrogations, nous avons choisi d’étudier des démarches menées dans cinq villes ou territoires européens : Berlin, Bologne, Gand, Lille et Madrid. Le choix s’est appuyé  sur des sources académiques, institutionnelles et militantes. Notre intérêt pour des villes européennes s’explique par trois raisons. D’abord, les pratiques de commoning ont pour réputation d’y être plus développées : en réalité, il s’est avéré qu’elles y sont simplement davantage désignées comme telles, voire labellisées. Deuxièmement, se confronter à ces contextes territoriaux, politiques et économiques différents nous obligeait à procéder à un décentrement du regard, utile pour mieux comprendre les conditions d’émergence des communs en France. Enfin, dans les cas où les municipalités ont développé une politique proactive à l’égard de leur développement (Gand et Bologne), nous rendre sur le terrain permettait d’observer les démarches sur site, d’échanger avec les acteurs, d’identifier les points forts et les insuffisances afin de proposer des pistes d’action pour la France.

Une typologie du champ des communs

Nous avons dans un premier temps collecté des données sur les structures rencontrées à travers des entretiens formels et informels, des observations in situ (parfois à plusieurs reprises dans les mêmes lieux), des photographies, des schémas des usages et temporalités... Par la suite, nous avons analysé les données récoltées en nous appuyant sur une grille d’analyse, structurée autour de six grands axes (caractéristiques géographiques, caractéristiques juridiques, organisation interne, rapport au public, financement, rapport à l’institution) et fondée sur nos recherches documentaires et empiriques. Cette grille nous a permis d’élaborer la typologie et de procéder à une première classification. Nous avons cherché à saisir les points de convergence, de divergence et de regroupement possibles entre les structures étudiées, en dissociant autant que possible les discours des pratiques effectives et en prêtant notamment une grande attention au contexte institutionnel et urbain dans lequel elles s’inscrivent.

Pour construire notre typologie, nous avons classé les structures selon deux critères :

  • le degré d’accessibilité à la ressource préservée,
  • le degré d’inclusivité de leur mode de gouvernance.

Ces critères permettent de rendre compte du degré de cohérence entre l’idéal démocratique poursuivi (partage libre des ressources) par les commoners et les formes institutionnelles qu’ils mettent en place pour le réaliser (mode de gouvernance). Lorsque la structure met en œuvre les conditions pour que la ressource soit le plus accessible possible et pour que les personnes qui en bénéficient aient les moyens d’intervenir systématiquement dans les décisions concernant sa gestion, nous l’avons qualifiée de « régime du commun ». Les structures y appartenant défendent le droit de toutes et tous à accéder à des ressources sous tension. Leur action repose sur les principes suivants : droit d’accès aux ressources et caractère inappropriable des ressources, autonomie dans la prise de décision et l’action, démarche d’écologie sociale.

Aussi, les structures répondent toutes a minima à trois critères :

  • accès gratuit à la ressource (ou majoritairement gratuit) et non discriminant,
  • ressource mutualisée,
  • prise de décision sur un mode horizontal et incluant.

D’autres structures, que nous avons étudiées dans cet atelier, répondent à ces critères selon des modalités plus ou moins éloignées du commun tel que nous l’entendons. Selon nous, elles gravitent, à des degrés variés, autour des pratiques de commoning. La typologie entend également donner des éléments d’analyse (non figés) des rapports qu’entretient l’ensemble des acteurs publics et privés (associations, fondations, institutions publiques) sur le développement des dynamiques de mise en commun. Il peut s’agir, entre autres, de s’inspirer de leurs caractéristiques (idéelles, organisationnelles, etc.), d’aspirer à jouer un rôle de facilitateur ou de s’y opposer plus ou moins explicitement.

Trois régimes du commun

Ces structures s’inscrivent dans les trois régimes de fonctionnement suivants, classés par ordre de proximité avec le « régime du commun » : 

  • Régime de la redistribution. Ces structures rejettent le principe de monopolisation des ressources pour les mettre à disposition des autres, mais elles dissocient l’échelon bénéficiaire de la ressource et l’échelon prenant les décisions relatives à sa gestion : l’accès à la ressource est ouvert et la décision est prise sur un mode horizontal et fermé.
  • Régime de la mutualisation et de l’exclusivité. Il s’agit de structures non lucratives qui monopolisent les ressources qu’elles gèrent. Les biens y sont mutualisés, mais seulement à l’intérieur d’un groupe fermé d’accès. L’accès à la ressource est limité parce qu’occasionnellement payant et les décisions sont prises sur un mode horizontal mais fermé.
  • Régime de la rente. Il s’agit de structures à vocation lucrative, qui utilisent le vocable du commun dans le but de créer une plus-value marchande et qui fonctionnent sur le principe de la monopolisation. L’accès aux ressources est limité et les décisions sont prises sur un mode hiérarchique et fermé.

Nous avons également cherché à identifier ce que créent ces pratiques : qu’apportent-elles à la ville et à la société ? Quelles sont les externalités positives générées au bénéfice de l’institution concernée (État, collectivités territoriales), c’est-à-dire les avantages que l’institution retire de l’activité créée par les communs, sans contrepartie monétaire ? En fonction de ce contexte, nous proposons des pistes d’action visant à favoriser le développement des communs au cas par cas, et préfigurant une boîte à outils.

Une boîte à outils pour une politique du commun

Bien que classer un commun ne soit pas chose aisée, cette typologie permet d’établir de grandes catégories et de comparer les différents modes d’organisation et de gestion des structures. Ce classement nous a permis d’élaborer une boîte à  outils à visée opérationnelle. Elle s’adresse, tout comme la typologie, aux institutions qui souhaitent favoriser l’émergence et l’existence des communs, mais aussi aux futurs activateurs de communs urbains qui souhaitent mettre en place un nouveau système pour les développer. Afin d’élaborer des propositions à l’adresse des institutions publiques (État, collectivités territoriales), nous avons cherché à articuler :

  • les besoins ou les manques exprimés par les commoners rencontrés,
  • l’état actuel des relations entre l’institution et les commoners rencontrés,
  • les politiques en place et outils existants facilitant le développement des communs,
  • les possibilités d’évolution de ces politiques et de ces outils ainsi que les ruptures de positionnements idéels et d’engagements pratiques que ces évolutions impliquent.

Cette boîte à outils a pour objectif de fournir des éléments permettant la reconductibilité des pratiques de mise en commun, de l’échelle locale à l’échelle nationale. Elle articule des outils et des méthodes en cours de conception ou déjà expérimentés à de grandes tendances d’action. La portée de ces instruments dépend en effet des perspectives, des engagements et des choix politiques dont il en est fait usage. Ces leviers et moyens d’action institutionnels proposent de garantir la mise en œuvre effective :

  • de la notion d’utilité sociale,
  • du droit d’usage,
  • de l’implication des habitants dans l’élaboration des politiques publiques, au-delà des mécanismes actuels de démocratie locale.

Nos principaux résultats

Au terme de notre travail, nous retenons l'idée que les communs urbains sont le fruit d'une démarche qui émerge du territoire, venue d'habitants qui veulent s'engager collectivement. Elle implique systématiquement l'autodétermination et l'empowerment des citoyens, ainsi que la création d'une palette de ressources.

Ces ressources peuvent être de nature diverses : culture, patrimoine, environnement, habitat, etc. Toutes les structures que nous avons qualifiées de communs ont pour fonction de la préserver et de la transformer en impliquant les personnes concernées dans les décisions concernant sa gestion. L’émergence de ces organisations est portée par des habitants qui souhaitent mettre en œuvre des formes novatrices d’organisation proposant une alternative au fonctionnement de marché. Prendre en compte l’émergence des communs dans les politiques publiques implique de repenser le fonctionnement actuel des institutions sur plusieurs aspects. Effectivement, le rôle des collectivités territoriales se transforme pour encourager la collaboration avec les différents individus et groupes du territoire, se positionnant comme promoteurs ou facilitateurs d'expériences d'administration partagées avec les citoyens. À partir de ce contexte, on peut identifier plusieurs enjeux majeurs pour leur développement et pour la diffusion des principes qu’ils promulguent. Il s'agit principalement de :

  • reconnaître l’utilité sociale de toutes les pratiques de mise en commun,
  • faire d’emblée confiance aux habitants dans leur capacité à s’auto-organiser.

Les communs mettent à jour la nécessité d’une nouvelle institution des pouvoirs dans la société, fondée sur le principe de l’autogouvernement.

Étudiants : Barbara Baldi, Flore Benoit, Julie Couvert-Laurent, Chloé Garguillo, Özgun Gürsürer, Louise Miliar, Cléo Schwindenhammer
Encadrants : Florine Ballif (EUP), François-Laurent Touzain (Agence 360)
Commanditaire : L’Institut Paris Region, coordination atelier : Cécile Diguet,
Coordination publication : Brigitte Guigou

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