Les nouvelles avenues métropolitaines de Barcelone

Analyse de deux projets pilotes : l'avenue Meridiana et la route régionale C-245

24 octobre 2023ContactPaul Lecroart

La transformation de la route régionale C-245 en un « axe civique intégré » P. Lecroart,  L’Institut Paris Region 

Barcelone est reconnue sur le plan international pour son savoir-faire en matière d’aménagement d’espaces publics urbains de qualité. Dans cette ville dense, la voirie est considérée comme un gisement stratégique à mobiliser pour donner la priorité aux modes de transport durables, répondre aux attentes sociales des citoyens et rafraîchir la ville. Cette approche se déploie aujourd’hui à l’échelle métropolitaine : elle intègre apaisement du trafic, intensification urbaine et renaturation de voies rapides et de grands axes aménagés à l’époque du « tout automobile ».

Le Plan directeur urbain métropolitain (PDUM) de Barcelone prévoit de réaménager dix grands axes en « avenues métropolitaines » servant d’épine dorsale au développement urbain et paysager de la région à l’horizon 2040. Ce plan a été adopté en mars 2023 par les 36 communes de l’aire métropolitaine de Barcelone (AMB [3,3 millions d’habitants, 636 km²]) à l’issue d’un long processus de réflexion et de participation.

Cette stratégie innovante et ambitieuse est préfigurée par la réalisation de deux projets pilotes :

  • Le réaménagement par la municipalité de l’avenue Meridiana, par endroits une quasi-autoroute urbaine, en un axe végétalisé de près de 8 km qui reconnecte les quartiers riverains et redistribue l’espace en faveur des modes alternatifs à la voiture.
  • La requalification par le gouvernement régional de Catalogne (Generalitat de Catalunya) et l’AMB des 13 km de la route régionale C-245 reliant cinq villes périurbaines situées à l’ouest de l’agglomération en un axe urbain offrant une priorité aux bus, piétons et vélos.

Le plan de la nouvelle stratégie des « axes verts »  Ville de Barcelone (gauche). Un îlot apaisé et végétalisé du programme Superilles / P. Lecroart, L'Institut Paris Region (droite).

Ces deux expériences pionnières montrent comment une région métropolitaine peut transformer de grands axes routiers conçus pour les seules automobiles en voies apaisées, partagées et végétalisées, supports d’un développement urbain équilibré.

L’ambition stratégique de Barcelone, à l’échelle municipale, métropolitaine, voire internationale, est de répondre conjointement aux enjeux de réduction du trafic motorisé et de ses nuisances (congestion, bruit, pollution de l’air), aux défis du changement climatique (réduction des émissions de GES, rafraîchissement de la ville) et aux exigences d’équité sociale et de qualité de vie dans les quartiers.

Chaque projet participe aux objectifs de régénération et d’intensification urbaines du Plan directeur urbain métropolitain 2040. La pertinence des choix techniques et la qualité de réalisation des projets sont particulièrement inspirantes pour l’Île-de-France et les autres métropoles européennes.

L’aire métropolitaine de Barcelone et les projets étudiés : Meridiana et C-245 / L’Institut Paris Region. 

From Roads to Streets : repenser l’infrastructure des métropoles européennes

Ce rapport sur les « nouvelles avenues métropolitaines » de Barcelone s’inscrit dans le cadre du groupe d’experts From Roads to Streets (des routes aux rues) de METREX, le réseau des régions métropolitaines européennes. Piloté par L'Institut Paris Region, ce groupe a été créé en 2020 comme une plateforme d’échange sur les enjeux et les conditions de la transformation de grandes infrastructures routières en lieux capables de conjuguer urbanisme de qualité, mobilité pour tous et restauration écologique.

Ce groupe travaille en collaboration avec d’autres réseaux européens pour aider à penser le futur des métropoles et de leurs infrastructures dans une société post-pétrole : le programme URBACT RiConnect qui porte sur l’intégration urbaine des réseaux de transport, le groupe de travail d’EUROCITIES Urban Regeneration in the City Fringe (ou régénération urbaine en périphérie de la ville) qui s’intéresse à la régénération urbaine des périphéries et le projet The Future Design of Streets (ou la conception future des rues) qui s’attache à concevoir la rue de demain.

La plateforme From Roads to Streets s'appuie sur des ateliers et séminaires transnationaux : Lyon (octobre 2021), Bruxelles (mars 2022), Vilnius (juin 2022), Barcelone (juillet 2022), Amsterdam (octobre 2022), Prague (mai 2023) et Düsseldorf (octobre 2023). Les premiers résultats de ces travaux ont été présentés et discutés au Forum urbain mondial à Katowice (juin 2022) et à la conférence The Future Design of Streets à Porto (novembre 2022).

Les travaux ont donné lieu à la publication d’études sur les stratégies et projets de six villes ou métropoles partenaires, accessibles en langue anglaise sur le site internet de L’Institut Paris Region (en.institutparisregion.fr) :

Le Plan directeur urbain métropolitain 2040 de Barcelone, adopté en 2023, fait apparaître les futures centralités (en bleu) et avenues métropolitaines (en orange), parmi lesquelles la C-245, la C-33 Meridiana et la R-150 (cadres noirs) / PDUM, 2019, AMB.

Avenues métropolitaines : la stratégie innovante et ambitieuse de Barcelone

Comme ailleurs en Europe, les espaces urbains et naturels de la région de Barcelone ont été très fragmentés par la réalisation d’un dense réseau de voies rapides et d’autoroutes. Transformer une partie de ce réseau en « axes civiques intégrés », supports d’une intensification urbaine et paysagère, est l'un des axes forts du nouveau Plan directeur urbain métropolitain (PDUM).

Son objectif : faire en sorte que les routes principales redeviennent l'épine dorsale de développement futur de l'aire métropolitaine :

  • en réduisant la place et l'usage de l’automobile, source de bruit, de pollution et de congestion, pour redonner de l’espace aux mobilités durables (train, métro, tramways, bus express, vélo, marche, covoiturage…) ;
  • en favorisant la qualité de la vie urbaine pour offrir des quartiers plus mixtes, plus denses, plus apaisés, plus verts et mieux desservis par les transports en commun.

À l’échelle métropolitaine, cette stratégie témoigne d’une inflexion par rapport aux politiques régionales qui ont longtemps privilégié l'extension du réseau routier pour faciliter la circulation automobile et conduit à l’impasse actuelle.

La nouvelle politique consiste à rendre les rues plus confortables pour les habitants tout en garantissant une plus grande efficacité dans la gestion des déplacements, à créer un réseau cyclable métropolitain aussi performant que le réseau de transports en commun, et à végétaliser les quartiers pour les rafraîchir et favoriser la biodiversité.

En mettant en avant cette stratégie d'avenues et de rues métropolitaines intégrées dans son Plan directeur urbain métropolitain 2040, l'aire métropolitaine de Barcelone fait figure de pionnière. À l’horizon 2040, l’objectif est de transformer dix grands corridors routiers totalisant 250 km en avenues métropolitaines apaisées.

L’avenue Meridiana, un axe de près de 8 km en transformation section par section / Ville de Barcelone

La métamorphose de l’avenue Meridiana

La métamorphose de l'avenue Meridiana est particulièrement spectaculaire. Cette avenue de 7,7 km de long est la principale entrée Nord de Barcelone. Construite dans les années 1950, elle est muée à la fin des années 1960 en une quasi-autoroute de transit, comportant 12 files de circulation (2 x 6 voies) et formant une forte coupure urbaine. À la fin des années 1990, la ville réduit la chaussée de 12 à 8 files (2 x 4 voies), élargit et plante les trottoirs. Avec un trafic très important de l’ordre de 100 000 véhicules par jour, la Meridiana reste une barrière bruyante pour les 377 000 habitants qui vivent près de l'axe.

Le projet Meridiana : reconnecter et végétaliser

En 2015, le département d'écologie urbaine de la ville de Barcelone, en charge de la planification et des infrastructures, lance un processus participatif ouvert pour amorcer la transformation future de la Meridiana. Un plan de réaménagement complet est décidé afin :

  • d'augmenter les traversées et le confort des piétons pour activer les usages sociaux,
  • de supprimer un tiers des files de circulation au profit de voies cyclables et d’espaces végétalisés,
  • de réduire la largeur des files de circulation restantes à 2,60 m pour créer une rambla centrale de 6 à 10 m de large selon les sections, avec deux ou plusieurs nouvelles rangées d'arbres.

Depuis 2019, ce programme est mis en œuvre par la municipalité en quatre grandes étapes depuis le centre de Barcelone vers la périphérie où la Meridiana devient une voie rapide. Une courte section a été livrée en 2019, la majeure partie de la section 2 (1,7 km) devrait être livrée en 2023, soit trois ans après le début du projet en raison de Covid. La section 3 (2,4 km) devrait être mise en service d’ici à 2025. La capacité de la ville à faire participer les citoyens au projet, puis à décider et à livrer le projet rapidement est remarquable.

La ville de Barcelone a innové en alimentant le processus participatif par de nouvelles approches, telles qu'une cartographie/diagnostic axée sur le vécu des piétons et des cyclistes. Les ateliers participatifs utilisent des visualisations de scénarios en 3D pour chaque section de l'avenue associées à des analyses coûts/avantages.

Il est trop tôt pour avoir une vision d’ensemble des coûts du réaménagement de l’avenue. La ville de Barcelone estime le montant des trois premières sections à aménager à environ 80 millions d'euros pour 5,3 kilomètres après achèvement (vers 2025). Cela représenterait un peu plus de 15 millions d'euros par kilomètre, un investissement majeur pour la ville, même si une part était financée par l’Union européenne au titre des fonds New Generation.

Impacts

Le trafic routier sur la Meridiana a diminué de 13 % entre 2015 et 2019, avant le lancement du projet. Selon les chiffres de la ville, les tronçons achevés auraient déjà permis de réduire la circulation de 17 000 véhicules par jour. L'objectif est d’aller plus loin pour réduire la mobilité privée de 21 % sur l’axe : l'impact à long terme de la transformation sur le transfert modal vers des modes alternatifs reste à confirmer.

La suppression de plus de deux files de circulation et la réduction de la largeur des files restantes de 3,05 m à 2,60 m ont déjà permis de gagner environ 10 hectares d’espaces publics qui seront revégétalisés. Un nouvel axe cyclable rapide a été aménagé au centre de la voie le long de la nouvelle rambla.

Le projet démultiplie les connexions piétonnes entre les quartiers, ce qui améliore la sécurité routière et facilite l’accès aux stations de transports en commun, aux écoles, aux stades et aux commerces : sur les deux sections aménagées ou en cours, le nombre de traversées passera de 36 à 55, soit une traversée tous les 80 m au sud et une tous les 130 m au nord de Barcelone (contre 1 traversée tous les 300 m aujourd’hui).

L’avenue Meridiana dans les années 1960 (haut) et en 2022 au même endroit : la voie a été transformée par la création d’une rambla plantée. Le nombre de files de circulation générale a été divisé par six (de 12 à 2 files) / Ville de Barcelone

L'avenue Méridiana avant aménagement en 2015 avec ses huit files de circulation (bas, à gauche). L'avenue réaménagée avec une large promenade plantée au centre, une piste cyclable, deux voies bus/taxis et deux files de circulation (bas, à droite) / P. Lecroart L'Institut Paris Region

Données sur l’impact de la transformation de l’avenue Meridiana pour la section 2 (haut) et la section 3 (bas) en termes de réduction des files de circulation, d’augmentation du nombre de traversées piétonnes et de l’offre en espaces verts / Ville de Barcelone, L’Institut Paris Region

Bilan : une avenue verte

Le réaménagement de l’avenue Meridiana n’est pas encore terminé, mais le bilan est à ce stade très positif : la voie routière qui formait une forte coupure urbaine est progressivement en train de devenir un axe vert attractif qui recoud les quartiers. L’ampleur du projet, ses ambitions, la qualité de conception et de réalisation des aménagements sont comparativement remarquables. Ce résultat est lié à la qualité des études préalables, du débat public et de l’implication des citoyens. L’expérience des équipes de maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage est aussi essentielle. Le processus de décision a été facilité par le statut municipal de la voie, même si la municipalité doit négocier avec les conseils de quartiers et les associations locales.

Les impacts sur la sécurité routière, la vitesse du trafic, le bruit, la pollution atmosphérique, le rafraîchissement climatique et la biodiversité devront être évalués précisément. Il en va de même pour les impacts sur les usages, le commerce et l’économie locale qui semblent déjà positifs. Reste qu’un trop grand succès pourrait conduire à une gentrification non souhaitée.

Le projet aurait pu aller encore plus loin : même si les besoins des piétons et vélos ont pu être mesurés (62 000 piétons et cyclistes par jour sur seulement cinq carrefours) et pris en compte dans le projet, les modèles de trafic routier continuent à jouer un rôle déterminant pour décider du nombre de files de circulation générale. Dans une perspective à quinze, vingt ans, alors que les températures estivales dépasseront couramment 40 °C à Barcelone, supprimer une file supplémentaire par sens pour la circulation générale aurait permis d’élargir la rambla centrale au profit des circulations douces, de la végétation et du sol vivant.

Sur le plan technique, le plus difficile reste encore à réaliser : la section 4 au nord de la ville, là où la Meridiana devient une voie rapide (C-33), se raccorde à deux autres voies rapides (C-17 et C-58) et s'élargit pour atteindre 20 files de circulation. Ce tronçon impliquera des coûts élevés de remodelage de bretelles et de remise à plat de voies en remblai ou viaduc.

Après trois décennies de construction d'autoroutes et d'expansion des banlieues, et une décennie de tentatives de réduire l’autosolisme en investissant dans des voies dédiées aux bus et aux véhicules à fort taux d’occupation (HOV/VAO) , les autorités publiques de Catalogne sont confrontées à l'énorme défi de réintégrer ces infrastructures dans leur environnement. Cela signifie trouver des outils pour réduire le volume du trafic pendulaire au-delà de la zone à faibles émissions (Zona Baja Emisiones [ZBE]) récemment mise en place.

Visualisation des avenues métropolitaines, des rues métropolitaines et des allées métropolitaines / Plan directeur urbain métropolitain, dessins Felipe Ibarz

La transformation de la route régionale C-245

La route historique C-245 régionale catalane est la colonne vertébrale de l'urbanisation du delta inférieur du Llobregat, dans la périphérie sud-ouest de Barcelone. Cette voie d’origine romaine relie Barcelone à cinq villes de l’aire métropolitaine qui forment un ensemble de 350 000 habitants : Cornellà de Llobregat, Sant Boi, Viladecans, Castelldefels et Gavà.

La rapide croissance urbaine des années 1950-1975 des villes situées le long de la route a conduit dans les années 1990 à la construction d'une autoroute parallèle (C-32) soulageant la C-245 de son trafic de transit. L’autoroute a encouragé l'expansion d’un corridor industriel et commercial au sud de la C-245.

Jusqu'en 2020, la route C-245 supporte un trafic de 22 000 véhicules et de 14 000 passagers bus au quotidien. Elle a été conçue pour la circulation automobile, ne dispose pas toujours de trottoirs, ni d’aménagements cyclables ; les traversées piétonnes sont rares et dangereuses. En dehors des zones urbaines limitées à 50 km/h, la vitesse autorisée est de 90 km/h. Ponctuellement, entre Sant Boi et Cornellà, la C-245 devient une voie rapide. La largeur de la voie varie beaucoup selon les tronçons : les sections courantes de 50 m large ont quatre files de circulation (2 x 2 voies), plus deux larges voies latérales. Le territoire traversé par la C-245 est mal desservi par les transports, ce qui renforce l’effet de coupure urbaine et de ségrégation sociale.

Le projet d’aménagement de la route régionale C-245 à l’ouest de Barcelone avec la voie de bus et les nouvelles centralités. Source : Aire métropolitaine de Barcelone. Carte : L’Institut Paris Region

Le projet de MetroBus express M8 le long de la C-245 (à gauche en rouge) et la voie cyclable Bicivia 7 (à droite en orange) / AMB

Le projet C-245 : mobilité et intégration urbaines

Les premières réflexions sur l’évolution de la C-245 remontent à 2005. Après la crise de 2008, un projet d'extension du tramway T1 le long de l’axe est abandonné pour raisons financières. À partir de 2014, l'AMB lance de nouvelles études qui débouchent en 2017 sur un projet d’ensemble portant sur les 13 km de la C-245 dans l'intention de créer un site propre bus comme colonne vertébrale d'un futur « axe civique ». En parallèle, l'AMB prépare le Plan vélo métropolitain (Bicivia) et le Plan directeur urbain métropolitain (PDUM) qui identifient la transformation de la C-245 comme un projet d'intérêt métropolitain. En novembre 2019, un accord est conclu entre les gouvernements régional, métropolitain et municipaux pour la réalisation du projet d’aménagement autour d’un programme d’action bus/vélo.

Le projet C-245 se définit d’abord autour de ces deux priorités :

  • mieux relier les villes situées le long de l’axe avec un bus métropolitain à haut niveau de service (rapide, fréquent, confortable), bien connecté aux pôles de transport existants (métro, tramway ou réseau de trains express régionaux) ;
  • créer une voie cyclable métropolitaine structurante continue (Bicivia 7) entre Casteldefels et Barcelone (2,4 m de large).

Progressivement, le projet s’élargit pour intégrer d’autres dimensions :

  • améliorer l’urbanité et le partage de l’espace en faveur des piétons : reconnecter les deux rives de la voie en créant des traversées piétonnes tous les 80 à 100 m, élargir et planter les trottoirs, favoriser les fonctions sociales ;
  • apaiser la voie en réduisant les vitesses (30 km/h en ville et 50 km/h hors zone urbaine), en diminuant le nombre de files (2 x 1 pour le bus et 2 x 1 voie pour la circulation générale) et leur largeur (2,80 m) ;
  • unifier et qualifier le paysage de la voie (matériaux, plantations, éclairage, mobilier urbain) et structurer l’axe autour de trois places urbaines (ronds-points traversants).

Le projet se concentre sur l’aménagement de la route régionale elle-même (hors contre-allées) et n’inclut pas la transformation urbaine des quartiers riverains, qui est du ressort des projets communaux, encadrés par le Plan directeur urbain métropolitain. L'initiative de la transformation de la C-245 a été prise par la métropole (AMB) qui assure également une mission de coordination des cinq municipalités, mais le projet est piloté par le département territoire et durabilité de la région.

La réalisation du projet est découpée en cinq lots opérationnels différents, un pour chacune des cinq municipalités concernées. Cette formule inhabituelle a exigé une coordination et un contrôle stricts de la part du maître d’ouvrage (la région), de l’ensemblier (la métropole) en lien étroit avec la maîtrise d’œuvre. En cours d’aménagement depuis 2021, l’essentiel du projet devrait être achevé fin 2023. La propriété et la gestion de la route seront transférées aux municipalités une fois les travaux terminés.

Le coût de l’aménagement est estimé à 39 millions d'euros pour 13 km, dont 4 millions d'euros pour les expropriations nécessaires à l'élargissement de la voie. La Generalitat de Catalogne contribue à hauteur de 10 millions d'euros, le reste est financé par les cinq municipalités, aidées par un prêt sur dix ans de l’AMB. L'Union européenne contribue à hauteur de 9,6 millions d'euros dans le cadre du Plan de relance post-Covid (Fonds de développement régional). Le matériel roulant du Métrobus 8 (5,7 millions d'euros) est financé à 100 % par la métropole.

Impact : un changement de donne

Même s’il est encore tôt pour évaluer la transformation de la route régionale C-245 en un « axe civique » (la nouvelle avenue et le bus express ne sont pas totalement livrés), l’ambition, le pilotage et la qualité du projet sont remarquables et permettent de tirer des premières leçons.

D’abord la dimension et l’unité du projet : une opération unique de requalification d’un axe de 13 kilomètres de long, à cheval sur cinq communes périurbaines, est inédite. Le triple pilotage régional, métropolitain et municipal du projet est parvenu à concilier unité de conception et prise en compte d’enjeux locaux. La participation du public a joué un rôle clé dans l'acceptation générale de l'intervention par la population.

Le rôle de l'AMB en tant qu'initiateur et coordinateur de l'ensemble du projet a été très significatif, tandis que le gouvernement régional en a assuré le pilotage opérationnel. Initialement, la Generalitat avait une approche exclusive de la mobilité et l'AMB une approche plus intégrée. Les deux acteurs ont été des forces motrices pour aligner les positions des cinq maires et de l’agence de transports (TMB).

Le levier du projet a été l’aménagement d’une voie dédiée à la nouvelle ligne de bus express M8. Mais le débat a singulièrement élargi la portée du projet en y intégrant d’autres enjeux : apaisement et réduction du trafic automobile, diminution des émissions de CO2, amélioration de la qualité de l’air, transfert modal vers les modes alternatifs, création d’une voie cyclable structurante, amélioration de la sécurité et du confort des piétons, qualification du paysage et végétalisation, intégration sociale et urbaine, etc.

Le projet a été renommé en 2019 pour souligner son évolution : d’une « opération bus » à une stratégie d’intégration urbaine par la mutation d'une route en une « avenue civique métropolitaine ». Ceci souligne l’intérêt d'aborder dès le départ l’aménagement d’un site propre bus comme un projet unitaire et multipartenarial de transformation d’un axe. Cette approche pourrait éviter les écueils ou lenteurs rencontrés ailleurs, y compris en Île-de-France avec certains projets Tzen.

L'équipe de maîtrise d’œuvre urbaine a consolidé les ambitions du projet tout au long du processus. La conception globale de l'axe a permis de créer une identité commune pour l'avenue malgré les disparités initiales du profil de la voie. La cohésion entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre s’est traduite par une qualité de réalisation inhabituelle en France, en dépit de quelques erreurs de conception.

Pour l'AMB, le rapport coût/bénéfice de l'ensemble du projet est excellent. Un aménagement complet de façade à façade aurait offert plus de cohérence à l’aménagement de l’espace public et permis de mobiliser les contre-allées latérales pour la circulation générale, mais il aurait coûté plus cher.

La route C-245 à 2 x 2 voies avant aménagement (en haut) et après en 2022 (en bas) avec 2 x 1 voie de bus et plantations / P. Lecroart, L’Institut Paris Region

Bilan : de la route périurbaine à l’avenue urbaine

Les premiers effets du projet commencent à se faire sentir avec la diminution des temps de parcours des bus, une augmentation de la fréquentation, une réduction du trafic automobile et une tendance à l’augmentation des trajets à vélo sur l’axe (environ 1 500 par jour en 2023). Les caractéristiques de la nouvelle avenue témoignent d’un changement dans l’ordre des priorités d’occupation de l’espace public : la voiture n’est plus la reine, même si elle garde une place importante ; la vitesse du trafic a diminué, les nuisances aussi ; le confort des traversées piétonnes et de l’accès aux arrêts de bus s’est beaucoup amélioré. Les nouvelles plantations apportent de la fraîcheur et favorisent des usages de séjour. Certaines options pourraient être discutées : le maintien d’un profil à 2 x 2 voies, dont deux pour les bus, là où un profil à 2 x 1 voie avec priorité bus en approche des feux aurait sans doute été préférable ; le choix de conserver les ronds-points existants de conception routière ; le gabarit étroit et sinueux de la piste cyclable. Le renforcement du statut de voie rapide de la C-245 dans sa traversée du parc agricole du delta du fleuve Llobregat conforte la coupure urbaine entre l’agglomération de Barcelone et sa périphérie. Ces contradictions soulignent la difficulté à faire converger les intérêts de nombreux acteurs et de mener un grand projet sur le temps long (dix-huit ans depuis les premières réflexions). Au-delà de l’amélioration significative des conditions de mobilité et du cadre de vie, la réussite du projet à moyen et long termes pourra se mesurer à sa capacité à entraîner la régénération urbaine des cinq villes concernées.

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires | Aménagement | Mobilité et transports | Déplacements | Équipements et infrastructures