« Rendre la Seine et la Marne à la baignade »

Interview de Claire Grisez, directrice adjointe, Direction régionale et interdépartementale de l’environnement

11 août 2020

Comment est née la mobilisation pour rendre la baignade possible dans la Seine et la Marne ?
Claire Grisez :
Les Jeux Olympiques et Paralympiques ont remis sur le devant de la scène le sujet de la baignabilité de la Seine et de la Marne, avec un « portage politique » et des échéances qui poussent à dépasser les difficultés. Avec la question centrale de l’héritage dès le dossier de candidature aux Jeux de 2024, l’objectif a très vite été de développer les possibilités de baignade, au-delà de cet événement, et plus largement qu’à un ou deux endroits. La volonté partagée des acteurs publics impliqués dans la gestion et la surveillance de la qualité de l’eau sur l’agglomération parisienne est de rendre la baignade possible pendant les mois d’été à l’horizon 2022 pour la Marne et 2024-2025 pour la Seine. Pour cela, un comité de pilotage a été constitué, avec un plan d’actions pour la reconquête de la qualité de l’eau en Marne et Seine. Il rassemble notamment l’État, les Conseils départementaux des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, la Ville de Paris, les établissements publics territoriaux (EPT), la Métropole du Grand Paris, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), VNF et Ports de Paris. Un protocole d’engagement est en cours de signature par les 26 partenaires. Une étape essentielle fut d’identifier les sites potentiels de baignade pérenne pour vérifier la faisabilité technique des projets et identifier les zones « à traiter » aux alentour. Plusieurs communes ont manifesté leur intérêt pour avoir un site de baignade sur leur territoire, 23 sites ont été retenus en octobre 2018.

Ceci est-il réalisable au regard de la qualité actuelle de l’eau ?
C. G.
La qualité de l’eau de la Seine et de la Marne s’est beaucoup améliorée sur les dernières décennies. Elle est acceptable au regard des critères environnementaux et des directives européennes encadrant la politique de l’eau. Mais elle n’est pas suffisante pour se baigner de manière pérenne, car il faut également prendre en compte des paramètres bactériologiques (présence de Escherichia coli et d’entérocoques intestinaux). Les seuils à respecter et les durées d’analyse de l’eau sont plus contraignants pour des sites de baignades permanents1 que lorsque la baignade est ponctuelle. Par ailleurs, la qualité de l’eau n’est pas homogène sur l’année ou selon les zones du cours d’eau. Ainsi, en cas, de fortes pluies, la qualité du cours d’eau se détériore car des eaux usées sont mélangées aux eaux de pluie et se déversent dans le milieu naturel, le système d’assainissement unitaire n’étant pas dimensionné pour traiter de tels volumes d’eau.

Quelles sont les principales actions à mettre en place ?
C. G.
L’objectif est d’améliorer la qualité bactériologique de l’eau. Pour cela, il faut éviter le rejet d’eaux usées dans le milieu naturel sans traitement. Les principales actions à mener sont :

  • renforcer le traitement des eaux usées dans les stations d’épuration (traitements complémentaires de la charge bactériologique pour deux stations d’épuration2),
  • améliorer la collecte des eaux usées, en créant les réseaux de collecte manquants et en traitant les mauvais branchements au réseau d’assainissement. Ce problème est plus complexe à traiter car très diffus, impliquant à la fois des acteurs publics et des acteurs privés, entreprises ou particuliers. Certains bassins versants ont été identifiés comme prioritaires au regard de la qualité de l’eau. Il faudrait ainsi multiplier par sept le rythme actuel de diagnostic et de mise en conformité, ce qui nécessite la mobilisation de tous les acteurs, notamment locaux,
  • supprimer les rejets des bateaux, notamment en créant à Paris des équipements sur les quais permettant aux bateaux de se raccorder aux réseaux de collecte (raccordement devenu obligatoire à Paris avec la Loi relative à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 du 26 mars 2018),
  • mieux gérer les eaux pluviales et limiter les rejets dans le milieu naturel, ce qui implique des interventions pour augmenter la capacité des déversoirs et des bassins d’orages, mais surtout traiter le problème à la source, en évitant que l’eau de pluie n’entre dans les réseaux. Il s’agit donc de désimperméabiliser et végétaliser les sols de nos villes. L’objectif est de permettre une absorption directe des eaux de pluie sur 600 hectares supplémentaires à l’horizon 2022-2023.

Il est également nécessaire que les documents d’urbanisme intègrent mieux ces enjeux. Ainsi, rendre la Seine et la Marne à la baignade renvoie à l’amélioration de la performance du système d’assainissement de l’agglomération parisienne dans son ensemble. Les premières estimations financières du plan d’actions sont de 1,2 à 1,4 milliard d’euros pour rendre la baignade possible. Plus de 80 % de ces sommes seront consacrées aux actions indispensables à une gestion correcte de l’assainissement de l’agglomération. Le sport fait rêver, et c’est par son biais que nous avons engagé une dynamique collective visant à traiter des obligations en termes d’assainissement. 

Propos recueillis par Lina Hawi, architecte urbaniste, Laure Thévenot, socio-économiste, L'Institut Paris Region

 

1. Directive européenne relative à la gestion de la qualité des eaux de baignades du 15/02/2006.
2. Seine Valenton et Marne Aval (Noisy-le-Grand).