Covid-19 : Les villes mobilisées dans la police du confinement

Chronique des confins n° 3

15 avril 2020ContactVirginie Malochet

Virginie Malochet est sociologue, spécialiste des questions de sécurité locale. Lauréate du Prix Le Monde de la recherche universitaire pour sa thèse de doctorat sur les policiers municipaux, elle a rejoint L’Institut Paris Region en 2009. Au sein de la mission Prévention Sécurité, elle travaille sur divers aspects de la pluralisation du policing en France. Ses dernières études renseignent sur l’implication des collectivités territoriales, des opérateurs de transport, des bailleurs sociaux ou encore des citoyens dans le champ de la sécurité quotidienne.

En France comme tant d’autres pays, la lutte contre la propagation du virus Covid-19 passe par un confinement des populations. Ce confinement, à travers les règles qui l’organisent, le régime de sanctions qui le sous-tend et les contrôles qu’il suppose, comporte une dimension coercitive. Il ouvre un champ d’action prioritaire pour le pouvoir central, les autorités préfectorales et les forces de l’ordre étatiques, mais aussi pour les collectivités territoriales, en particulier les maires et les services de police municipale. Focus sur le volet sécuritaire de la gestion de la crise sanitaire et sur la contribution des villes en ce domaine.

Un état d’urgence sanitaire qui justifie des restrictions de libertés

Pour limiter les effets de saturation du système de santé et permettre de sauver un maximum de vies, l’état d’urgence sanitaire impose des mesures de restriction drastique de la liberté individuelle d’aller et venir. Réclamées par la communauté médicale, justifiées par les circonstances exceptionnelles du moment, ces mesures sont globalement comprises et acceptées parce que temporaires et nécessaires face à la pandémie. Elles n’en soulèvent pas moins la question du juste équilibre, dans la durée, entre impératifs sanitaires, préservation des libertés fondamentales et contrôle des populations dans un État de droit1 – question que le développement du traçage numérique vient poser à nouveaux frais dans ce contexte si particulier2.

Instaurées par décret du 16 mars 2020, les règles de confinement ont été précisées et resserrées depuis. Elles n’autorisent les déplacements qu’à titre dérogatoire, et à condition d’être muni d’une attestation (pour motif professionnel, familial, médical, judiciaire, pour des achats de première nécessité ou des sorties brèves à proximité du domicile). Le non-respect de ces règles est passible de sanctions que la loi Covid-19 du 23 mars 2020 est venue renforcer : 135 euros d’amende à la première infraction ; 1 500 euros d’amende en cas de récidive dans les quinze jours ; jusqu’à six mois d’emprisonnement, 3 750 euros d’amende, plus une peine de travail d’intérêt général au-delà de trois infractions dans les trente jours.

En sus de ce dispositif national, en vertu d’un pouvoir de police spéciale défini par le Code de la santé publique, les préfets sont habilités à prendre des mesures plus restrictives lorsque les circonstances locales l’exigent. Plusieurs d’entre eux l’ont fait, notamment pour interdire l’accès aux parcs et aux plages, restreindre les plages horaires permises pour la pratique d’une activité physique individuelle, ou mettre en place un couvre-feu dans tout ou partie des communes de leur département. Par exemple à Mulhouse, où l’épidémie frappe si durement, le préfet du Haut-Rhin a édicté une interdiction de circuler entre 21 heures et 6 heures du matin ; fait notable, c’est la maire qui le lui avait demandé.

Des arrêtés municipaux limitatifs aux fondements contestés

À la différence des préfets, les maires ne disposent d’aucune compétence dans le cadre de cette police spéciale liée à l’état d’urgence sanitaire. Cela n’empêche cependant pas certains d’entre eux d’agir au nom de leur pouvoir de police administrative générale (en référence au Code général des collectivités territoriales, eu égard à la notion de péril grave et imminent). Ainsi, dans plusieurs dizaines de villes (de Nice à Arras, de Montpellier à Cholet en passant par Colombes, Asnières-sur-Seine ou Puteaux), des arrêtés municipaux ont été pris, dans une logique de durcissement des mesures nationales de confinement, le plus souvent pour instaurer un couvre-feu (ou encore, ces derniers jours, pour restreindre les créneaux horaires autorisés pour les activités sportives ou pour rendre obligatoire le port du masque dans l’espace public).

Le cadre juridique donnant lieu à différentes interprétations, la question de la légalité se pose pour ces arrêtés municipaux dont plusieurs ont déjà été contestés, suspendus par le juge administratif (à Saint-Ouen ou Sceaux) ou retirés à la demande de la préfecture (à Aubervilliers ou Valenton, pour ne citer que quelques exemples franciliens). Le cas médiatisé de Sanary-sur-Mer est probablement le plus éloquent : compte tenu de la requête en justice de la préfecture du Var, le maire a consenti à annuler les arrêtés qu’il avait pris pour interdire à ses administrés de se déplacer à plus de 10 mètres de leur domicile et d’effectuer tout achat à l’unité (sortir pour une seule baguette de pain).

Si exceptionnelles soient les circonstances, les mesures privatives de libertés doivent rester proportionnées. Or, les règles de confinement établies au niveau national sont déjà relativement strictes, et leur non-respect est d’ailleurs bien plus sévèrement puni que les infractions aux dispositions municipales (135 euros d’amende dans le premier cas, 38 euros dans le second). D’un point de vue opérationnel, les arrêtés municipaux de type couvre-feu n’ont donc pas forcément de réelle plus-value. Leur portée est davantage symbolique. Ils permettent aux maires de marquer les esprits, de réaffirmer la nécessité du confinement et de donner une visibilité à l’action municipale dans la gestion de crise.

Du côté de l’État, le pouvoir exécutif a cependant procédé à quelques recadrages, ces derniers jours, pour éviter les surenchères locales. Auditionné le 9 avril par la mission parlementaire d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de Covid-19, le ministre de l’Intérieur a appelé les maires à retirer les arrêtés imposant le port du masque, considérant que de telles mesures sont juridiquement contestables et potentiellement contre-productives si elles laissent à penser qu’il est possible de sortir sans risque dès lors que l’on porte un masque. Dans son allocution aux Français du 13 avril annonçant la prolongation des règles de confinement pour quatre semaines supplémentaires, le Président de la République a plus largement demandé aux élus locaux « d’aider à ce que ces règles soient les mêmes partout sur notre sol », précisant que « des couvre-feux ont été décidés là où c’était utile mais [qu’]il ne faut pas rajouter des interdits dans la journée ». Dont acte.

Un dispositif sécuritaire qui mobilise les forces de l’ordre

Dans son versant coercitif, le dispositif de confinement requiert le concours de la force publique. Directement mis à contribution, les services de police et de gendarmerie font partie de ces métiers qui continuent d’intervenir au quotidien, dans les rues, au contact du public. Considérées comme essentielles, leurs missions sont bien sûr impactées par le contexte. S’ils sont moins accaparés par la délinquance de voie publique, le trafic automobile, les problèmes de stationnement et autres désordres tenant à l’animation urbaine ordinaire, ils sont en revanche confrontés à des phénomènes en recrudescence du fait de la crise sanitaire et du confinement (violences intrafamiliales, risques cyber accrus, vu l’usage renforcé du numérique, arnaques ciblées).

En outre et surtout, les forces de l’ordre doivent faire appliquer les mesures de confinement. Ce n’est pas sans poser quelques difficultés, à la fois parce que le flou des textes laisse une grande marge d’interprétation qui ouvre la porte aux excès de zèle policiers3, et parce qu’il y a des résistances à se plier aux restrictions de déplacement imposées, en particulier dans certains quartiers populaires des grandes villes et des banlieues défavorisées – c’est du moins ce que d’aucuns déplorent. Aussi faut-il insister sur les inégalités sociales et les fractures territoriales que ces difficultés recouvrent. Comme nombre d’observateurs4  et d’acteurs de terrain5 ne cessent de le souligner, la crise sanitaire actuelle révèle et cristallise des différences de conditions de vie qui pèsent sur l’expérience du confinement. Et génèrent parfois des tensions avec les forces de l’ordre.

Des polices municipales impliquées sur le terrain

Sur ce front sécuritaire, les services de l’État tiennent le premier rôle. Mais à leurs côtés, les polices territoriales sont elles aussi pleinement sollicitées. La loi du 23 mars 2020 habilite les agents de police municipale, les gardes champêtres et les agents de la Ville de Paris en charge de la sécurité à constater et verbaliser les infractions aux mesures de confinement. Elle leur donne un titre à intervenir qui ne les contraint pas pour autant à la répression systématique – en pratique, leur action peut s’inscrire dans une approche principalement préventive, tout dépend des orientations municipales – mais en tout cas, ils sont eux aussi chargés de veiller au respect du dispositif de confinement.

Tout comme les policiers nationaux et les gendarmes, les policiers municipaux interviennent donc en première ligne sur le terrain, ce qui les expose au virus et interroge leurs conditions de travail. Dans ce contexte pandémique, le débat sur leurs moyens de protection se déplace de l’épineuse question de l’armement vers la nécessaire dotation en masques et gel hydroalcoolique, et la capacité d’intégrer les gestes barrières aux modes opératoires.

Dans la gestion sécuritaire de la crise sanitaire, par-delà les arrêtés restrictifs pris à l’initiative de certains maires, c’est d’abord à travers l’implication des services locaux de police que l’engagement des villes se manifeste. Tout comme les agents de surveillance privés en poste dans les commerces alimentaires et autres rares espaces encore ouverts au public, les policiers municipaux s’imposent comme des maillons incontournables dans la chaîne de sécurité. Face à cette crise sans précédent, l’État central réaffirme une autorité régalienne que personne ne lui conteste, mais il montre aussi les signes d’une plus grande dépendance vis-à-vis de ces autres acteurs sur lesquels la gestion concrète du dispositif de confinement repose en partie. Cet exercice partagé de la fonction policière confirme l’établissement d’un système de coproduction de la sécurité dont les mécanismes de gouvernance et les enjeux d’articulation mériteront d’être mis à plat une fois la crise passée. Il invite à souligner le rôle important des pouvoirs locaux dans la gestion de la pandémie, le pan sécuritaire ici mis en avant ne constituant qu’un aspect de la mobilisation globale de l’ensemble des collectivités territoriales, chacune selon ses compétences, pour faire face à la propagation du virus et maintenir les services publics essentiels à la vie collective.

 1. Voir notamment les interventions de Serge Slama (« État d’urgence "loi de 1955" versus état d’urgence sanitaire, une contamination des libertés par la logique d’exception ? ») et de Véronique Champeil-Desplat (« D’un état d’urgence à l’autre : La rhétorique de la (justification) de l’exception ») à l’occasion du colloque virtuel « Droit et coronavirus » des 30 et 31 mars 2020, ainsi que l’article de Vincent Sizaire publié le 02 avril 2020 sur le site The Conversation (« L’état d’urgence sanitaire menace-t-il les libertés fondamentales ? »).
2. Camille Gosselin, « Les données personnelles au cœur de la lutte contre l’épidémie », Chronique des confins n° 2, L'Institut Paris Region
3. Christian Mouhanna, « Les policiers, pris dans les paradoxes des politiques publiques », The Conversation, 08 avril 2020.
4. Voir notamment la tribune de François Dubet dans Le Monde du 25 mars 2020 (« Coronavirus : le confinement accroît la violence des "petites inégalités" »), l’interview de Marie Duru-Bellat dans Le Monde du 01 avril 2020 (« Cette crise met en évidence les conditions de vie très inégales des Français »), ou le point de vue de Louis Maurin publié sur le site de l’Observatoire des inégalités (« Ce que le coronavirus fait aux inégalités »).
5. Voir le communiqué de Profession Banlieue du 02 avril 2020 ou la tribune de Stéphane Troussel publiée dans sur Enlarge Your Paris le 05 avril 2020.

 

 

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