La Louve, un premier supermarché coopératif et participatif à Paris

Interview

14 février 2017Catherine Puiseux

Catherine Puiseux est coopératrice impliquée depuis 2013

Changer le système alimentaire, c’est possible : La Louve relève ce défi avec l’implantation parisienne d’un magasin d’un genre nouveau, inspiré d’une initiative new-yorkaise. Doté de produits de qualité, à prix réduits, en majorité bio, locaux ou artisanaux, tout le monde peut y faire ses courses à condition d’être coopérateur et de participer au fonctionnement du magasin.

Qu'est-ce-que La Louve ?

La Louve est un supermarché coopératif et participatif, installé dans le quartier Amiraux-Simplon, dans le 18e arrondissement de Paris. Le principe coopératif se traduit par le réinvestissement des éventuels bénéfices au service du collectif, et par une voix donnée à chaque membre lors de l’assemblée générale. Sur l’aspect participatif, les coopérateurs contribuent au fonctionnement du magasin, trois heures toutes les quatre semaines, aux côtés d’une petite équipe de salariés. Seuls ses membres peuvent acheter dans le magasin. L’objectif est de rendre accessible à tous des produits de qualité à des coûts moindres, de créer des échanges et de la solidarité. 3 300 membres sont coopérateurs et les demandes affluent en masse. Le nombre de participants est inhérent au projet : il permet de baisser les prix grâce aux volumes d’achats. Nous espérons à terme proposer des produits 30 à 40 % moins chers qu’ailleurs.

Comment s'est monté le projet ?

Brian et Tom, les deux cofondateurs américains, vivaient en France depuis de nombreuses années quand ils ont découvert Park Slope Food Coop à Brooklyn. Sur ce modèle, ils créèrent l’association Les Amis de La Louve en 2011, puis mirent en place un groupement d’achats en charge des relations avec les producteurs et prirent contact avec la mairie de Paris et celle du 18e. Ce qui m’a marquée, c’est l’immense plaisir à travailler avec des gens aux compétences diverses : architecture, droit, comptabilité, communication, informatique, business plan, recrutement des membres, organisation de conférences, animation... Une vision partagée de l’objectif nous réunissait. La création d’une structure juridique pour porter l’activité commerciale, un appel de fonds via un financement participatif (campagne KissKissBankBank), le recrutement de 900 membres pour disposer d’un minimum de fonds propres, une enquête de proximité sur les souhaits alimentaires des habitants de l’arrondissement et la rédaction du business plan furent 5 étapes clés. Tout juste installés rue des Poissonniers, nous sommes encore en mode « test », le référencement des produits et les procédures de travail restant à ajuster. Six salariés, tous anciens bénévoles, ont progressivement été embauchés depuis mars 2015 dont un emploi-tremplin grâce à l’aide de la Région. Nous espérons pouvoir embaucher davantage. À New York, il y a un salarié pour 250 coopérateurs, ici le ratio est de 1 pour 500.

De quels soutiens avez-vous bénéficié ?

La mairie de Paris et celle du 18e ont, dès le départ, témoigné d’un vif intérêt pour le projet, en résonance avec la politique de la ville dédiée à la dynamisation des quartiers des portes de Paris. Les responsables de l’Économie sociale et solidaire de ces deux mairies, nous ont aidés à présenter le projet à Paris Habitat, à Paris initiative entreprise et au programme d’investissements d’avenir, piloté par le Commissariat général à l’investissement. Ces structures sont devenues partenaires, bailleurs et financeurs de La Louve. La mairie nous a mis en relation avec les équipes de développement local du 18e et des associations. Ce soutien institutionnel s’est aussi concrétisé par l’aide de la couveuse Épicéas (portée par l'association Projet19), qui a accompagné l’association dans la construction du business plan. Un comité de pilotage externe a été mis en place avec tous ces partenaires. Paris Habitat a proposé à La Louve de signer un bail de neuf ans pour notre magasin dans un
immeuble d’habitat social en construction. Ces aides essentielles sont une caractéristique française dont la coopérative de Park Slope n’a jamais pu bénéficier.

La Louve revisite le concept de supermarché. Comment ça fonctionne concrètement ?

La Louve est vraiment un supermarché : 1 450 m² répartis sur deux niveaux, dont 500 m² dédiés à la vente. On y trouvera à terme 5 à 7 000 références de produits, alimentaires ou non. Aujourd’hui, environ la moitié des 3 300 coopérateurs habitent le 18e, les autres viennent des arrondissements limitrophes ou de plus loin à Paris, en banlieue, ou même en province. Le recrutement de membres habitant le quartier est impératif pour pérenniser le fonctionnement et éviter un phénomène de gentrification. Travailler avec les autres commerces et services proches du magasin est également essentiel afin de créer une véritable dynamique sociale et économique. Pour attirer des personnes très différentes, nous devons proposer une offre large correspondant à des critères alimentaires divers : qualité gustative, empreinte environnementale, conditions sociales de production, prix… et aussi disponibilité des produits, encombrement. L'offre évoluera par le retour d'expériences, la compétence grandissante des salariés-acheteurs et les propositions des membres. Le choix sera aussi dicté par les achats : la coopérative doit rapidement trouver son équilibre économique, car la promesse est celle d'un système autonome, non dépendant de subventions ou d'autres apports externes. La marge ajoutée par La Louve sur le prix d'achat est de 20 %, quel que soit le produit.

Quels sont vos projets pour demain ? D'autres Louve sont-elles amenées à se développer ?

La phase projet est terminée, mais celle à venir requiert encore beaucoup d'efforts et d'imagination. Il nous faut réussir à assurer petit à petit un fonctionnement fluide avec une offre de bons produits en nombre croissant. Ensuite, nous pourrons développer des activités multiples : cours de cuisine, comité handicap et accessibilité... La Louve est un formidable vivier de projets, qui pourront se multiplier une fois la phase du lancement terminée. Nous n'avons pas le recul de Park Slope Food Coop mais nous restons prudents et confiants ! De nombreux projets de magasins coopératifs et participatifs sont en train de naître à Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Nantes, Rennes, Lille. Nous soutenons ces initiatives, mais elles doivent être portées localement.

Propos recueillis par Laure de Biasi et Corinne Ropital

Sur le même sujet

Food Coop est un documentaire réalisé par Tom Boothe, co-fondateur de la coopérative La Louve. Sorti en salle le 2 novembre 2017, le film raconte l’histoire d’un supermarché géré par une coopérative dans lequel chacun des adhérents travaille bénévolement 2 h 45 par mois en échange de pouvoir y faire leurs courses moins cher, et acheter bio.

En savoir plus

Bande annonce

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Économie | Commerce et consommation | Tiers-lieux | Environnement urbain et rural | Agriculture et alimentation