Finances locales 2024 : regard francilien sur les dernières lois

Chronique de la fiscalité locale n° 12   Sommaire

08 février 2024ContactValentin Sauques

La fin de l’année 2023 a été marquée par la promulgation de la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et la loi de finances publiques 2024. À la différence des précédents exercices, cette dernière ne modifie pas substantiellement la structure des ressources des collectivités et de leurs groupements. La loi de programmation ne porte pas, par ailleurs, en son sein de règles contraignantes. Pour autant, certaines dispositions de ces deux lois méritent une attention particulière de la part des acteurs publics franciliens.

La loi de programmation : vers une limitation non contrainte des dépenses locales

La loi de programmation des finances publiques a pour objectif de fixer les trajectoires des dépenses pour l’ensemble des administrations (État, Sécurité sociale et administrations locales) sur la période 2024-2027. L’objectif est de ramener le déficit public en dessous des 3 % du PIB, selon les critères de Maastricht. Pour ce qui concerne les collectivités locales et leurs groupements, l’effort de maîtrise porte sur une évolution des dépenses de fonctionnement inférieure de 0,5 point par rapport à l’inflation. Cet objectif n’est, à ce stade, pas juridiquement contraignant. Les collectivités et leurs groupements seront toutefois tenus à l’occasion du débat d’orientation budgétaire, et pour l’ensemble de leurs budgets, d’indiquer leur objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement (article 17). Le suivi s’opérera dans le cadre d’un Haut Conseil des finances publiques locales. Celui-ci aura la charge de « l'examen des initiatives visant au respect de ces objectifs en particulier la proposition de revues de dépenses dans le champ des administrations publiques locales ».

L’Institut Paris Region a effectué une analyse rétrospective 2016-2022 des dépenses franciliennes, toutes catégories confondues (hors syndicats), pour identifier dans quelle mesure les évolutions observées étaient, a posteriori, conformes à cet objectif. Si ce travail comporte quelques limites (impossibilité de raisonner à champ de compétences strictement constant), il montre que cet objectif a été globalement atteint sur quatre des sept derniers exercices en comptabilisant l’ensemble des dépenses franciliennes, toutes administrations locales confondues (hors syndicats).

Toutefois, trois des quatre années concernées correspondent à une période de fortes contraintes sur les ressources locales : prélèvement auprès des collectivités au titre de la contribution au redressement des finances publiques, réduction de la dotation globale de fonctionnement, contractualisation entre l’État et certaines grosses collectivités visant à un engagement contraignant de réduction des dépenses (contrat dit de « Cahors »). En outre, le bloc communal n’a plus connu d’évolution des dépenses conformes à l’hypothèse de la loi de programmation depuis 2018. La partition pour l’exécutif s’avère complexe : il s’agit de fixer un cap de maîtrise des dépenses de fonctionnement sans grever par ailleurs l’investissement des administrations locales, qui représente près de 70 % de l’investissement public.

Le volet fiscal de la loi de finances 2024 : deux indicateurs à la loupe

Du côté des ressources fiscales, l’attention se porte en particulier sur les perspectives d’évolution des deux principales recettes des collectivités et de leurs groupements : la taxe foncière sur les propriétés bâties ainsi que les taxes additionnelles (taxe d’enlèvement des ordures ménagères, notamment) et la TVA. La taxe foncière, qui constitue la principale ressource des communes, pèse de surcroît significativement dans le budget des intercommunalités. La taxe sur la valeur ajoutée constitue aujourd'hui la première source de revenus de la Région et des départements et sert de variable d’ajustement pour financer les dernières réformes fiscales engagées depuis le premier quinquennat Macron : suppression de la DGF des régions (2018), de la taxe d’habitation (2021) et, enfin, de la CVAE (2021 pour la Région et 2023 pour le bloc communal et les départements). L’évolution des recettes fiscales des collectivités franciliennes sera donc fortement corrélée à la variation de ces deux taxes.

Pour ce qui concerne la taxe foncière, le taux d’actualisation des valeurs locatives cadastrales a été fixé à 3,9 % dans la loi de finances publiques, équivalent au taux d’inflation annuel observé en novembre 2023. Ce taux constitue la trajectoire d’évolution des taxes assises sur le foncier bâti pour le bloc communal, indépendamment des éventuels ajustements sur les taux opérés par les différents exécutifs locaux pour 2024. Il s’inscrit à un niveau nettement plus bas que celui observé un an plus tôt (+7,1 % en 2023).

Les perspectives d’évolution de la TVA pour les collectivités inscrites dans la loi de finances 2024 s’établissent à 4,5 % (source : Évaluation des voies et moyens, annexe au projet de loi de finances pour 2024). À la différence du taux d’actualisation des bases foncières, cette estimation ne présente toutefois pas de certitude : en fonction des encaissements de TVA par l’État en cours d'année, ces évolutions pourront faire l’objet d’un ajustement à la hausse ou à la baisse en fin d’année. La répartition territoriale de la dynamique de la TVA liée à la suppression de la CVAE s’opérera pour les EPCI à travers le fonds national d'attractivité économique des territoires (FNAET) sur les mêmes critères que l’ancienne CVAE, à savoir les bases foncières soumises à la cotisation foncière des entreprises (deux tiers) et les effectifs (un tiers). Au-delà de ces deux recettes fiscales, la loi de finances comporte différentes dispositions fiscales plus techniques parmi lesquelles : 

  • Différentes exonérations sur la taxe foncière dont notamment une portant sur celle, pendant quinze ans, des logements sociaux de plus de 40 ans bénéficiant de « travaux de rénovation lourde » en vue de l’atteinte d’un niveau de performance énergétique (durée d’exonération prorogeable à vingt-cinq ans, si la demande d’agrément est formulée entre le 1er janvier 2024 et le 31 décembre 2026).
  • La possibilité de déroger à la règle d’ajustement des taux pour la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS). En effet, il existe une règle pour articuler les taux des impôts locaux entre eux : les taux de certaines taxes (THRS, cotisation foncière des entreprises (CFE), taxe foncière sur les propriétés non bâties) ne peuvent schématiquement pas augmenter ou baisser dans des proportions plus importantes que pour la taxe foncière. La LF2024 introduit plus de souplesse pour les communes et les EPCI dont les taux sont inférieurs de 75 % par rapport au taux moyen du département (commune) ou du taux national (EPCI). Si on se fie aux dernières données fiscales disponibles (2022), cela concernerait en Île-de-France plus de 300 communes qui pourront augmenter le taux de leur THRS (dans la limite de 5 % du taux moyen des départements) sans avoir à augmenter simultanément le taux de la taxe foncière dans les mêmes proportions. Cette mesure, non inscrite dans le projet de loi de finances initial mais figurant dans la version soumise au 49.3 à la suite d'un amendement de députés du Groupe Horizons, vise à donner une marge de manœuvre fiscale aux exécutifs locaux dans un contexte « d’attrition » des résidences principales.
  • La perte pour plus de 500 communes franciliennes de la taxe d’habitation sur les logements vacants, dont le produit est dorénavant affecté au budget de l’État. Les communes concernées seront remboursées directement par l’État sur la base du produit observé en 2023.
  • La compensation partielle pendant cinq ans pour les communes et EPCI de pertes importantes de bases fiscales provenant des entreprises. Cela concerne notamment le cas des unités industrielles qui auraient fermé et dont les impacts fiscaux sur les budgets communaux et intercommunaux sont importants.

Les dotations de l'État, en hausse pour les communes

La loi de finances définit les montants alloués par l’État au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et d’autres dotations. Pour 2024, la DGF augmentera pour la deuxième année consécutive (+320 M€). Cette dynamique concerne en premier lieu les deux principales composantes péréquatrices de la DGF versée aux communes, à savoir :

  • la dotation de solidarité rurale (DSR, +150 M€,),
  • la dotation de solidarité urbaine (DSU, +140 M€).

À l’échelle de l’Île-de-France, L’Institut Paris Region estime que la hausse de la DSU devrait permettre d’accroître les ressources des communes concernées d’environ 30 à 40 M€ en 2024, soit environ 700 M€ à l’échelle régionale. Les effets de la hausse de la DSR devraient en revanche être beaucoup plus mesurés, compte tenu du fait que cette dotation pèse peu dans notre région : moins de 2 % du produit de cette dotation est en effet fléché vers les communes franciliennes (entre 2 et 3 % des recettes de fonctionnement pour la moitié des communes éligibles).

Les hausses des dotations de péréquation verticales sont financées cette année sur le budget de l’État, contrairement aux arbitrages gouvernementaux décidés avant 2023, faits à enveloppe constante. Cela devrait permettre d’enrayer une baisse de la DGF vers les communes franciliennes, observée depuis plusieurs années. À l’inverse, pour ce qui est de la dotation forfaitaire qui, elle, évolue en fonction de la population communale, et donc pour financer l’augmentation « naturelle » de cette dotation (croissance de la population), l’exécutif a réintroduit cette année le mécanisme de l’écrêtement (après l’avoir suspendu en 2023) qui vise à appliquer des réductions de DGF communale. Les communes franciliennes ont subi largement cet effet depuis plusieurs années, au point que plus de 80 d’entre elles ne perçoivent plus de DGF. Il est toutefois encore trop tôt pour savoir si de nouvelles communes de la région vont être concernées par ce phénomène.

Le niveau de dotation versée aux intercommunalités (DI) dans la loi de finances affiche elle aussi une hausse « nominale » : +90 M€ par rapport à 2023 à l’échelle nationale. Toutefois, seul un tiers de cette augmentation sera financé par l’État, le reste étant compensé par une baisse de la dotation de compensation (DCPS), une ancienne dotation versée historiquement aux EPCI pour compenser la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle. Or, compte tenu du fait que la dotation d’intercommunalité en Île-de-France pèse peu au regard de la DCPS (respectivement 240,6 M€ et 1 406 M€ en 2023), la hausse relative de la DI (+5 %) ne devrait pas être compensée par la baisse de la DCPS que les EPCI subiront par ailleurs (au moins 1,3 %, soit -18 M€). Cette baisse tendancielle de la DCPS pèse particulièrement pour la Métropole du Grand Paris, plus grand bénéficiaire avec plus d’un milliard d’euros perçus en 2023. La MGP subit en effet cette baisse, estimée à au moins 13 M€ par l’Institut en 2024, sans la répercuter par ailleurs dans les attributions de compensation qu’elle reverse à ses communes adhérentes.

Il convient de noter que cet écrêtement de la DCPS concernera à partir de cette année tous les EPCI, y compris ceux sous le régime de la fiscalité additionnelle (quatre communautés de communes en Île-de-France) qui étaient historiquement exclus de ce mécanisme. Pour les structures concernées, cette dotation sera dorénavant versée aux EPCI en substitution aux communes, et ces dernières percevront alors une attribution de compensation, mécanisme financier qui ne pouvait jusqu’alors concerner les EPCI en fiscalité additionnelle. Certaines communes rurales franciliennes pourraient par ailleurs bénéficier d’une nouvelle dotation : la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales qui se substitue à la dotation biodiversité. Les montants qui y sont alloués au niveau national augmentent fortement (100 M€ contre 41,6 M€ pour l’ancienne dotation biodiversité). Dans la région, ce sont ainsi au moins 203 communes bénéficiaires (1 M€ en 2023) de l’ancienne dotation qui seront concernées. Au-delà de ces dotations, l’exécutif a prévu de renforcer le Fonds Vert (2,5 Mds€) dont une partie (250 M€) sera allouée à la mise en œuvre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET).

Le financement d'Île-de-France Mobilités et de la MGP : des dispositions particulières

Face à la hausse importante des besoins financiers pour assurer l’exploitation des transports en commun franciliens, estimés à une hausse de 800 M€ dès 2024, l’exécutif régional et le gouvernement ont conclu un accord pour abonder le budget d’Île-de-France Mobilités dont les traductions législatives et fiscales ont été inscrites dans la loi de finances. Elles portent en premier lieu sur la hausse de 0,25 point du taux du Versement Mobilités s’appliquant sur Paris et les trois départements de la Petite Couronne (3,2 % contre 2,95 % auparavant). Quelque 400 M€ supplémentaires sont ainsi attendus pour IDFM en 2024. Après la promulgation de la loi de finances, cette disposition a été entérinée le conseil d'administration d’Île de France Mobilités fin décembre 2023.
Une contribution supplémentaire a également été prévue pour instituer une taxe additionnelle de 200 % aux taxes de séjours mises en place par les communes ou EPCI de la région. En 2022, cette taxe de séjour avait rapporté environ 160 M€ pour le bloc communal, dont 112 pour la seule Ville de Paris. Ces mesures avaient été étudiées par L’Institut Paris Region à la demande du Conseil Régional (consulter le rapport).

Par ailleurs, la loi de finances comporte une fois encore des dispositions spécifiques pour la Métropole du Grand Paris. Dans sa version définitive, la loi NOTRe prévoyait jusqu’en 2021 un partage transitoire de l’impôt économique entre les EPT et la MGP (la CFE pour les premiers et la ville de Paris, la CVAE pour la seconde remplacée depuis par une fraction de TVA) avant une centralisation à l’échelle de la métropole. Toutefois, face à l’incapacité de lever un impôt dynamique en dehors de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et dans un contexte où ils continuent de financer des services publics de proximité, les EPT ont obtenu de maintenir provisoirement la perception de la CFE au prix d’un partage de sa dynamique avec la MGP. Pour 2024, ce partage est maintenu avec, cette fois-ci, une répartition paritaire (50 % de l’évolution gardée par les EPT et Paris contre un tiers en 2023). Le projet de loi de finances présenté au Conseil constitutionnel présentait par ailleurs une disposition spécifique aux EPT : la possibilité dévolue aux EPT et leurs communes adhérentes de recourir à des fonds de concours, des transferts financiers spécifiques visant au financement de l’exploitation ou de l’investissement d’équipements. Cet article, considéré comme un « cavalier », a par la suite été censuré par les « Sages » et ne figure plus au Journal Officiel.

Vers une meilleure comptabilisation des budgets verts

Enfin, la loi de finances introduit des innovations comptables notables pour les collectivités locales (hors communes de moins de 3 500 habitants) et leurs groupements : l’obligation d’annexer au compte administratif ou compte financier unique de 2024 un état intitulé « Impact du budget pour la transition écologique » ainsi que la possibilité d’identifier pour ces mêmes structures les « engagements » financiers concourant à la transition écologique » ou « dette verte ». À ce stade, les modalités pratiques de présentation de ces états devront être précisées cette année.

Ces dispositions s’inscrivent dans un double contexte favorable. Tout d’abord, les collectivités partagent dorénavant un référentiel comptable unique, la M57, permettant d’harmoniser les pratiques et présentations comptables (hors budgets exercés dans le cadre d’un service public industriel et commercial) quel que soit le type de collectivité. Enfin, les injonctions – y compris gouvernementales – sont de plus en plus fortes pour isoler et considérer à part la « dette verte » et prendre en compte le mur d’investissement auxquelles les collectivités font face pour la transition écologique.

 

Valentin Sauques

 

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