Une réforme au milieu du gué

Chronique du Grand Paris n° 5

19 octobre 2017ContactTanguy Le Goff

Près de deux ans après son lancement, qu’a changé la réforme territoriale en Île-de-France ? Une récente étude sur la mise en œuvre de cette réforme, réalisée par L'Institut Paris Region en collaboration avec l’Apur pour le compte du Forum métropolitain du Grand Paris, apporte de précieux éclairages.

L’intercommunalité : la nouvelle maille intermédiaire de l’espace régional

Une chose est sûre, avec la réforme territoriale, la maille intercommunale sort renforcée en Île-de-France. L’espace régional est quadrillé par 64 intercommunalités (en comptant les EPT et sans la MGP), au lieu de 113 en 2010, 64 intercommunalités qui, par leur taille XXL - en moyenne 20 communes et 153 000 habitants, par les compétences renforcées dont elles disposent, sont ou (seront) en mesure de porter des politiques structurantes aussi bien dans le domaine de l’aménagement de l’espace, du développement économique ou encore de l’habitat. Ce nouveau paysage intercommunal ne signifie pas pour autant une même capacité politique d’action de ces structures, une même montée en puissance. Selon l’histoire intercommunale du territoire, selon l’espace de la région (MGP, pourtour de la MGP ou territoires périurbains et ruraux), la construction des intercommunalités se situe à des stades différents.

Les intercommunalités de grande couronne, majoritairement plus anciennes et issues de fusion de groupements préexistants, sont indiscutablement plus avancées que les EPT situés au sein de la MGP où, parfois tout est à construire… dans l’incertitude ! Faute d’une perspective claire sur leur devenir, sur le maintien à leur niveau d’une part de la fiscalité économique qui leur assurerait une véritable autonomie financière, les EPT n’investissent qu’a minima leurs compétences. Ils respectent le cadre légal mais ne développent pas de véritables politiques publiques. Il est vrai que pour que ces structures intercommunales puissent jouer pleinement leur rôle, pour financer les services publics qui leur reviennent aussi bien dans le champ du développement économique que de l’habitat, il leur faut des moyens financiers. Or, l’une des « originalités » est que ce grand remembrement institutionnel s’est opéré sans incitations financières. Pire, il s’est fait avec des fortes réductions des concours financiers de l’État. La dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes franciliennes a ainsi diminué de 56 % depuis 2012 conduisant à des hausses des taux d’impôts locaux (taxe d’habitation) et à une contraction de l’investissement pour le bloc communal.

Une inégale prise en main des compétences intercommunales

La construction de l’intercommunalité est également contrastée selon les champs d’action publique. Prenons deux exemples, deux politiques publiques : le développement économique et l’aménagement. La prise en main de la compétence développement économique est effective. Pour preuve, 87 % des intercommunalités de notre panel assurent déjà la gestion des zones d’activité économique (ZAE) et 83 % se sont résolument engagées dans une politique de promotion du tourisme en créant un office de tourisme intercommunal. Les communes demeurent toutefois très attachées à l’animation des politiques locales du commerce qu’elles ont, pour la moitié d’entre elles, conservée.
Dans le champ de l’aménagement de l’espace, les politiques intercommunales sont nettement moins structurées. À peine plus d’un tiers des EPCI ont défini leur intérêt communautaire en ce domaine et le flou est particulièrement de mise pour les EPT encore dans l’incertitude sur ce qui relèvera du niveau métropolitain et territorial. Autre révélateur : le PLU.I. Seules 22 % des intercommunalités interrogées l’ont engagé et le pourcentage est encore plus faible au sein de la MGP où les EPT se contentent de jouer un rôle de simple « chambre d’enregistrement » des PLU. Le transfert est réel mais vidé de substance. Les maires entendent garder la main sur la gestion de la destination des sols et, plus largement, sur les outils - PLU et OPH - à partir desquels ils assurent la fabrique de leur ville et de son peuplement. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à adopter des stratégies de résistance à l’intercommunalisation de ces outils. Plutôt que de transférer leur OPH, certains préfèrent ainsi créer leur propre EPL en matière d’habitat ou vendre leur patrimoine à une Entreprise sociale pour l’habitat (ESH).  Bref, sur ces questions, cela coince encore, particulièrement au sein des EPT exception faite des trois anciens EPCI (Est Ensemble, GPSO, Plaine Commune).

Le besoin réaffirmé d’une institution métropolitaine

Outre l’achèvement de la carte intercommunale, le fait marquant de la réforme territoriale en Île-de-France a été la création, au 1er janvier 2016, d’une institution de gouvernement pour le Grand Paris, tout au moins, pour un Grand Paris, celui de la zone dense. En moins de deux ans, la MGP a fait preuve d’un activisme certain. Elle participe à la gouvernance de nombreuses structures (associations, syndicats), a ébauché des cadres de coopération avec les territoires qui la composent et ceux situés au-delà même de ses frontières institutionnelles (voir la chronique n° 4 « Vers des métropoles affranchies ? »), a lancé des appels à projet comme Inventons la Métropole du Grand Paris. La MGP a également engagé de nombreux chantiers (SCOT métropolitain, PCAEM) mais, pour l’instant, là où on l’attend, sur les grands champs de compétence qui lui sont dévolus (développement économique, aménagement de l’espace, habitat), elle n’a pas réellement commencé à produire son action. Au-delà du temps nécessaire à la définition de l’intérêt métropolitain, à la rédaction des documents de planification, qui conditionnent la plupart de ses compétences opérationnelles, la MGP doit composer avec une contrainte : elle n’a pas les moyens d’agir à hauteur de ses ambitions. Son budget demeure indigent au regard des objectifs qui lui sont fixés. En investissement, elle ne dispose que de 37 M€ en 2017 (contre 70,2 M€ en 2016), il ne s’élève donc qu’à 5 €/hab., contre près de 210 €/hab., dans les EPCI franciliens en 2015. Plus grave encore, sa soutenabilité financière - comme celle des EPT - pose question. En cas de baisse conjointe de ses dotations et du produit de la CVAE, la MGP serait contrainte de diminuer les attributions de compensation qu’elle verse aux communes rompant avec le principe de neutralité budgétaire sur lequel repose son complexe système financier.

De surcroît, les avis des élus demeurent critiques sur la complexité de son montage tant sur le plan de son architecture institutionnelle - qui crée un bloc communal à trois niveaux (MGP, EPT et communes) - que sur son mécano financier (une tuyauterie faisant monter et redescendre les flux financiers d’un échelon à l’autre). L’ensemble des élus s’accordent pourtant sur un point : il y a besoin d’une institution assurant un pilotage politique des enjeux métropolitains, aussi bien dans le domaine de l’habitat, de l’aménagement de l’espace que des transports, jouant un rôle de portage et d’intégration des projets collectifs. Bref, il y a besoin de construire un acteur collectif métropolitain que n’incarne qu’imparfaitement, pour l’instant, la récente Métropole du Grand Paris. Il faut donc réformer la réforme territoriale, mais comment ? Sur ce point, les positions des élus divergent et les scénarios sont nombreux, du simple renforcement des moyens de la MGP à la fusion avec la Région en passant par une coopération souple de projet à l’échelle de l’agglomération. Quels qu’ils soient, la réponse institutionnelle et le périmètre retenus seront des révélateurs de ce que le gouvernement et le Parlement entendent faire de cette métropole, du rôle qui lui sera assigné.

Méthodologie de l’étude

L’étude repose sur une enquête comprenant deux volets complémentaires :

  • Un volet quantitatif  : un questionnaire a été envoyé aux directeurs généraux des services des EPT, EPCI et communes d’Île-de-France structuré autour des 5 thématiques suivantes : répartition des compétences, ressources humaines, intégration financière, gouvernance, plus-values et difficultés de la réforme (questions ouvertes). L’enquête a également permis de recueillir la vision prospective sur le devenir de l’architecture institutionnelle francilienne.
  • Un volet qualitatif : des entretiens avec des élus abordant les mêmes thématiques.

Au final, l’étude s’appuie sur l’analyse de 40 entretiens (dont 35 élus) et de 108 questionnaires, complétée par d’autres données publiques ou produites par les agences d’urbanisme.

L’étude repose sur une enquête comprenant deux volets complémentaires :

  • Un volet quantitatif  : un questionnaire a été envoyé aux Directeurs Généraux des Services des EPT, EPCI et communes d’Ile-de-France structuré autour des 5 thématiques suivantes : répartition des compétences, ressources humaines, intégration financière, gouvernance, plus-values et difficultés de la réforme (questions ouvertes). L’enquête a également permis de recueillir la vision prospective sur le devenir de l’architecture institutionnelle francilienne.
  • Un volet qualitatif : des entretiens avec des élus abordant les mêmes thématiques.

Au final, l’étude s’appuie sur l’analyse de 40 entretiens (dont 35 élus) et de 108 questionnaires, complétée par d’autres données publiques ou produites par les agences d’urbanisme.

Tanguy Le Goff

Politiste, docteur en science politique, son expertise porte sur les transformations des systèmes politico-administratifs locaux, la prospective institutionnelle et la gouvernance territoriale. Auteur notamment d'une étude sur le rôle des départements de grande couronne en matière d’aménagement, il a aussi contribué au Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation.

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