Des voies rapides multimodales pour décarboner et décongestionner le réseau routier francilien

Note rapide Mobilité, n° 1002

08 février 2024ContactÉlie Guitton, Dominique Riou, Florian Tedeschi

Pôles d’échanges, lignes d’autocars express, voies réservées au covoiturage, lignes de covoiturage… le réseau routier francilien recèle un important potentiel pour la transition vers des mobilités partagées et décarbonées.

Deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES) en Île-de-France, les transports sont responsables de 31 % des émissions dans la région1, dont la moitié sont dues à la voiture particulière. Son usage est facilité par le réseau routier francilien, vaste et dense, comprenant plus de 1 100 km de voies rapides. La décarbonation de la route représente donc un enjeu prioritaire pour la transition écologique des mobilités. Si l’aménagement du territoire peut permettre, à long terme, de réduire les distances parcourues, les solutions de décarbonation à court terme sont souvent centrées sur l’électrification des véhicules. Pourtant, il est essentiel de ne pas oublier les solutions basées sur la sobriété et les changements de comportements, comme le report modal vers les transports collectifs et le covoiturage. Rendre la route plus multimodale requiert de mettre en place de manière coordonnée quatre piliers : des lignes de cars express, des lignes de covoiturage, des pôles d’échanges multimodaux routiers (PEMR) et des voies réservées.

DES CARS EXPRESS POUR PROPOSER DU MASS TRANSIT ROUTIER

Les liaisons longue distance en cars express doivent être à destination des gares RER, Transilien ou du Grand Paris Express. Elles peuvent également relier des zones d’emploi non desservies par une gare. Les lignes de cars express ne font pas concurrence au transport ferré, mais sont bien complémentaires. Elles profitent des avantages de la route en limitant son impact environnemental et social. Elles renforcent la résilience du réseau de transport collectif en permettant des dessertes alternatives en cas de dysfonctionnement du réseau ferré. Elles s’adressent à des publics différents, qui ont une préférence pour le car express en raison, notamment, du peu d’arrêts intermédiaires ou de la montée en gamme des services d’autocars, proposant parfois du wifi, des tablettes rétractables pour travailler ou lire, etc. Les lignes de cars express doivent être pensées dans une logique de corridors le long des grands axes du réseau routier d’intérêt régional (RRIR), qui convergent vers le cœur d’agglomération et se ramifient au niveau de la Francilienne pour desservir différents pôles et centralités. Le but n’est pas d’entrer dans la zone dense mieux dotée en transports collectifs, mais de proposer des connexions performantes vers ces pôles, avec un soin particulier pour une intermodalité de qualité : des trajets courts entre les quais pour les voyageurs, une signalétique claire en gare et du stationnement vélo à proximité. Lorsque la destination de la ligne de cars express est une zone d’activité étendue, des services de vélo en libre-service ou un espace sécurisé pour récupérer un vélo personnel à l’arrivée du car permettent de démultiplier le nombre de voyageurs.

DES LIGNES DE COVOITURAGE POUR COMPLÉTER LE RÉSEAU DE CARS EXPRESS

Une ligne de covoiturage permet de réaliser des liaisons en covoiturage du quotidien comme une ligne de bus, avec une origine et une destination clairement identifiées et des arrêts matérialisés. La mise en relation entre conducteurs et passagers se fait sur une borne ou via une application mobile. L’intérêt est de proposer un service performant et fiable, et de cibler les liaisons pertinentes afin d’éviter de concurrencer les transports collectifs. La pratique du covoiturage peine à décoller pour de nombreuses raisons, et les incitations financières à destination des usagers (conducteurs et passagers) ne sont pas des politiques publiques suffisantes pour massifier son usage. Elles peuvent en outre coûter cher à la collectivité si elles sont accessibles à tous les trajets sans distinction d’origine et de destination. On observe qu’une part importante des bénéficiaires de ces incitations covoituraient déjà ou utilisaient auparavant les transports en commun. Il existe donc un effet d’aubaine, mais un impact limité sur les changements de comportement. En Auvergne-Rhône-Alpes, la ligne de covoiturage Lane, proposée par la start-up Ecov entre Lyon et Bourgoin-Jallieu, permet des temps d’attente de quatre minutes en heure de pointe, soit la fréquence d’une ligne de bus performante. L’itinéraire, sur 30 km, emprunte l’A43 et n’est pas réalisable en transports en commun. De telles lignes de covoiturage pourraient être intégrées au réseau de transport francilien. Une étude sur le potentiel de réalisation de lignes de covoiturage est en cours à L’Institut Paris Region, en partenariat avec le Département de l’Essonne. Île-de-France Mobilités (ÎDFM) va expérimenter trois lignes de covoiturage sur le plateau de Saclay dès septembre 2024.

DES PEMR POUR ASSURER L’INTERFACE ENTRE LA VOIRIE LOCALE ET LA ROUTE MULTIMODALE

Un PEMR est un pôle permettant le rabattement des piétons, cyclistes, usagers du bus et automobilistes vers des cars express ou du covoiturage pour des trajets de longue distance (plus de 15 kilomètres). Ces déplacements sont aujourd’hui le plus souvent réalisés en voiture et sont donc les plus carbonés. 76 % des kilomètres parcourus en voiture en Île-de-France le sont entre la grande couronne et la petite couronne ou à l’intérieur de la grande couronne3. Les PEMR sont situés en amont du cœur d’agglomération, là où l’offre de transports collectifs est moins importante. Les emplacements stratégiques se trouvent à proximité des échangeurs et des gares de péage, de préférence là où il existe des parkings (de commerces de grande surface, par exemple) afin de mutualiser le stationnement et d’éviter l’artificialisation de sols. Les connexions avec les réseaux de bus locaux et les liaisons en modes actifs (marche et vélo) font l’objet d’une attention particulière. En plus d’optimiser les échanges entre les modes routiers, les PEMR accordent une importance particulière à l’information des voyageurs et proposent des services pour faciliter leurs parcours. Il peut s’agir de services pour les vélos (stationnement sécurisé, location, réparation, stations de vélos en libre-service…), de places de stationnement réservées aux covoitureurs, de dépose-minute ou de points de recharge de véhicules électriques. Des services complémentaires peuvent être proposés : connexion wifi, espace de coworking, casiers consignes, point relais pour le retrait de colis, distributeurs de produits frais, de boissons ou d’en-cas… Les PEMR revêtent des typologies très différentes et de nombreuses possibilités restent à imaginer. Ils peuvent ainsi prendre la forme d’une aire de covoiturage légèrement améliorée, d’une gare autoroutière comme celle de Briis-sous-Forges ou d’un pôle multimodal comme celui de Longvilliers, tous deux situés le long de l’autoroute A10, dans l’Essonne.

DES VOIES RÉSERVÉES POUR CONCURRENCER L’AUTOSOLISME

À l’arrivée en frange du cœur d’agglomération, des voies dédiées aux transports collectifs et au covoiturage peuvent permettre aux usagers des lignes de cars express et aux covoitureurs de gagner du temps en évitant la congestion. Deux catégories de voies réservées existent en France : celles réservées aux transports en commun (VRTC), et celles réservées au covoiturage et à certaines catégories de véhicules (VR2+). Les VRTC offrent aux bus et aux cars des gains de temps en cas de congestion et de régularité toute la journée, ce qui permet de mettre en place des liaisons efficaces et fréquentes. Elles sont majoritairement situées à droite de la chaussée, souvent à la place de la bande d’arrêt d’urgence. Les VR2+ permettent aux covoitureurs de gagner du temps en cas de congestion et peuvent, selon les configurations, accueillir bus et taxis. Sur autoroute, elles sont normalement situées sur la voie de gauche. Elles peuvent se cumuler avec la présence d’une VRTC, comme à Grenoble sur l’A48 ou à Lyon sur la route métropolitaine M64. Si les VR2+ sont réalisées par ajout de voies supplémentaires, comme à Madrid ou à Barcelone, la capacité de l’autoroute est augmentée, ce qui peut aboutir à une augmentation du trafic lui-même, contraire aux objectifs de Zéro émission nette (ZEN) et de réduction de la pollution. Une solution alternative est de transformer une voie existante en VR2+, toute la journée ou seulement aux heures de pointe, à travers un dispositif dynamique (panneaux à message variable au-dessus de la voie), comme à Lyon ou à Grenoble, ou via de simples panneaux signalant la VR2+ et ses horaires de fonctionnement, comme à Strasbourg sur la M35. Des VR2+ peuvent aussi être réalisées en entrée d’agglomération, comme sur la RD213 à Mérignac, dans la métropole bordelaise. En ce qui concerne les lignes de cars express, les voies réservées ne sont pas nécessaires partout : il suffit souvent de traiter les sections de voies rapides les plus congestionnées. Certaines lignes peuvent être lancées avant la réalisation de la voie dédiée.

DES COMPÉTENCES À CONCENTRER, UN PARTAGE DE LA ROUTE À SIMPLIFIER

En Île-de-France, comme dans le reste de la France, la compétence « voirie » est partagée entre l’État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). ÎDFM est autorité organisatrice de la mobilité (AOM) et exploite, à ce titre, des réseaux de bus sur l’ensemble de ces différents réseaux routiers et autoroutiers. ÎDFM est aussi compétente en matière de covoiturage et d’autopartage. La plupart des AOM des grandes métropoles mondiales disposent de la compétence « voirie ». Dans un benchmark de L’Institut Paris Region comparant l’Île-de-France avec sept métropoles (Strasbourg, Bruxelles, Istanbul, Sydney, Buenos Aires, Londres et Singapour), il apparaît que toutes les AOM étudiées sont aussi gestionnaires de voirie, malgré des différences importantes de gouvernance (prégnance plus ou moins forte de l’État, notamment). La compétence « voirie » facilite le déploiement des transports en commun routiers, en particulier pour la création de sites propres. D’autres compétences permettent l’homogénéisation des mobilités routières, comme le stationnement, le péage, les taxis ou la Zone à faibles émissions (ZFE), importants leviers de régulation de la circulation. Il est utile que l’AOM puisse également mettre en place la diminution des vitesses autorisées pour réduire la pollution atmosphérique, le bruit, l’accidentalité et la congestion. Au-delà de la répartition des compétences, le morcellement caractéristique de l’Île-de-France en 1 267 communes (contre seulement 33 à Londres, par exemple) complexifie la mise en cohérence des différentes politiques de mobilité.

 

 

LA ROUTE MULTIMODALE, UNE ÉVOLUTION EN COURS EN ÎLE-DE-FRANCE

L’évolution de la route vers plus de multimodalité est un processus en cours en Île-de-France. En 2014, la Direction interdépartementale des routes d’Île-de-France (Dirif) et ÎDFM ont mené une étude identifiant onze « axes express multimodaux », et un Schéma directeur des voies réservées (SDVR) a été élaboré afin de réaliser des aménagements de voies réservées jusqu’en 2020. Un nouveau SDVR 2023-2030 intégrant VRTC et VR2+ sur de nouveaux axes est en cours de finalisation. Dans cette même logique, le plan régional « Route de demain » de 2022 prévoit plusieurs dispositifs en faveur de la route multimodale. Une étude de L’Institut Paris Region réalisée pour la Région Île-de-France en 2022 a permis d’identifier 35 sites potentiels pour des PEMR, dont huit « d’intérêt fort ». Les projets de PEMR peuvent être financés par la Région à hauteur de 50 %, de même que les aires de covoiturage et les voies réservées. En avril 2023, François Durovray, président (LR) du Conseil départemental de l’Essonne, a rédigé un rapport pour ÎDFM sur le développement des lignes de cars express en Île-de-France. Ce rapport propose la création de 40 à 50 lignes de cars express, connectées à des PEMR et empruntant des voies réservées sur autoroute. Ce « quatrième réseau » de transports en commun (après le métro, le RER et les bus) doit permettre des liaisons depuis la grande couronne vers la zone dense, le RER et le Grand Paris Express (GPE). Une première phase de déploiement et de renforcement de lignes commencera après les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024, et une deuxième phase après 2026, à la suite à la mise en service du GPE. Les JOP constitueront un événement déclencheur de l’évolution du fonctionnement du réseau autoroutier francilien, avec la mise en service de voies réservées pour les délégations olympiques, les athlètes et les médias. Certaines voies réservées subsisteront aux JOP sur les autoroutes A1 et A13 (et peut-être sur le Boulevard périphérique) afin de favoriser la circulation des transports collectifs et d’encourager le covoiturage. Développer la multimodalité de la route sera un long processus fait de multiples interventions menées par une diversité d’acteurs. Ce processus est à mener en parallèle des actions actuelles d’amélioration des conditions de circulation du quotidien, comme l’augmentation de l’offre de transport collectif ferré et le développement de la pratique des modes actifs. La route multimodale a néanmoins un potentiel très important pour résoudre de nombreuses problématiques régionales : la desserte des zones peu denses, l’accessibilité des zones d’emploi, les difficultés sociales des personnes n’ayant pas accès à la voiture ou subissant l’augmentation du prix du carburant, la décarbonation des mobilités ou encore la décongestion des axes routiers les plus saturés. Cette mutation est à saisir pour préparer l’avenir des mobilités franciliennes.■

1. Après le bâtiment, responsable de 47 % des émissions de GES (source : Airparif 2022).
2. L’Atelier des mobilités (D&A Devillers&Associés), le Collectif Holos (Richez_Associés), New deal pour les voies du Grand Paris (Seura Architectes) et Shared utility networks – SUN (Rogers Stirk Harbour & Partners).
3. Source : Enquête globale transport-EGT H2020, ÎDFM – Observatoire de la mobilité en Île-de-France – DRIEAT d’Île-de-France.
4. Élie Guitton, Voies réservées sur autoroutes et voies rapides urbaines. Benchmark comparatif entre cas espagnols, anglais et français, L’Institut Paris Region, février 2022.
5. Loi 3DS relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

LES ROUTES DU FUTUR DU GRAND PARIS

En 2018, le Forum métropolitain du Grand Paris lançait la consultation internationale « Les Routes du futur du Grand Paris », point de départ d’une réflexion sur l’évolution du réseau routier francilien, avec l’appui technique de L’Institut Paris Region. Quatre équipes2 pluridisciplinaires constituées d’architectes, d’urbanistes, d’ingénieurs, ainsi que d’experts en mobilité ou en analyse de trafic ont imaginé ce qu’il pourrait devenir à l’horizon 2050, en améliorant son fonctionnement et en réduisant les nuisances associées. Si leurs propositions, formulées en 2019, diffèrent, leur diagnostic est unanime : les grandes routes et autoroutes sont congestionnées et mal utilisées, encombrées de véhicules occupant beaucoup d’espace mais transportant énormément de sièges inoccupés. Les limites de vitesse autorisées sont globalement élevées et non homogènes, ce qui nuit à la fluidité du trafic, à la capacité d’écoulement des axes, ainsi qu’à la sécurité des usagers. De plus, elles génèrent de nombreuses externalités négatives : pollution atmosphérique, émissions de GES, bruit, stress, accidents, coupures urbaines… Pourtant, ce réseau routier dispose de nombreux atouts, et les quatre équipes convergent sur une vision d’un réseau routier optimisé, apaisé et faisant partie intégrante du réseau de transports en commun.

Le projet de l’Atelier des mobilités consiste à créer le réseau de transports en commun routier NOÉ : 1 000 km de voies réservées aux véhicules au nombre d’occupants élevé (transports collectifs et partagés, tant publics que privés), aménagées sur toutes les autoroutes et voies structurantes.

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VERS DES ROUTES RÉGIONALES ?

La loi 3DS de 20225 permet de transférer des portions de routes nationales et d’autoroutes non concédées à des départements et des métropoles, ou de les confier, à titre expérimental, aux régions pour une durée de huit ans. En Île-de-France, la RN4 et la RN36 ont ainsi été déclassées au profit du département de Seine-et-Marne, mais la loi ne prévoyait pas la possibilité d’un transfert à ÎDFM.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Mobilité et transports | Déplacements | Équipements et infrastructures | Transports publics