Faire la ville par appels à projets

Bilan et perspectives

16 février 2023ContactAlienor Heil-Selimanovski

Les APUI, une facette de l’urbanisme négocié

Il y a neuf ans était lancé le médiatique Réinventer Paris, trois sessions plus tard et autant pour Inventons la Métropole, après les premières livraisons d’opérations mais aussi les nombreux abandons, L'Institut Paris Region revient sur cet outil de la fabrique urbaine qu'est l'Appel à Projets Urbains Innovants (APUI), pour montrer les réussites rendues possibles par cette démarche, ses limites, et la manière dont elle pourrait évoluer par la suite.

Les APUI marquent en effet une évolution des rapports public-privé, à l’heure de l’urbanisme négocié et de la diminution de la taille des opérations d’aménagement, souvent sur des terrains déjà urbanisés, dans un contexte de mise en œuvre du ZAN. 

Ils ont permis, à un moment charnière, de changer la façon de travailler des promoteurs, qui ont intégré en amont des concepteurs, des gestionnaires et des usagers et qui ont recherché de nouvelles façons de faire l’immobilier : la recherche d’innovation a poussé à des évolutions techniques, organisationnelles et programmatiques. Ils ont permis aux collectivités de porter une ambition pour des sites à vocation principalement privée. 
L’objet des APUI franciliens se précise à chaque édition en fonction des résultats et des échecs des précédentes éditions. Leur évolution pourrait se poursuivre, en s’appuyant sur les retours d’expérience d‘autres APUI non franciliens, afin que ce dispositif trouve toute sa place dans le panel des outils de l’urbanisme négocié.

Une pratique d’aménageur au service des collectivités pour encadrer la production immobilière 

La méthode, qui provient de la pratique des aménageurs, consiste, pour sélectionner le meilleur projet pour un terrain à céder, d’une part à organiser une consultation d’opérateurs, qui se retrouvent en concurrence, et d’autre part à établir des critères de sélection portant sur la qualité des projets et sur l’innovation qu’elle soit programmatique, technique, organisationnelle...

Cette méthode s’est pour la première fois largement diffusée au sein des collectivités, hors opérations d’aménagement, avec les APUI. Les APUI offrent un cadre pour demander aux opérateurs privés de produire des opérations exemplaires, même pour des opérations immobilières de droit privé. 

Par rapport à la pratique des aménageurs, qui cèdent un lot après l’autre, les APUI ont aussi pour particularité de proposer plusieurs sites de manière simultanés, ce qui crée un petit événement médiatique. Cette forme de grands appels à projets multisites a pu desservir certains projets lors des premières éditions, en raison d’une certaine surenchère des opérateurs immobiliers et d’une trop forte exposition médiatique. 

Depuis la deuxième édition d’Inventons la Métropole en 2019 (dernier APUI en date analysé ici), des consultations portant sur un seul site, parfois hors opération d’aménagement, ont repris les codes des APUI et le principe de laisser l’opérateur privé s’associer à une équipe pluridisciplinaire pour inventer un projet constructif exemplaire, proposer un programme et un montage innovants et faire vivre un lieu. En revanche, la notion d’innovation évolue et ne concerne plus la technologie mais la qualité constructive bas carbone et les nouveaux montages pour une mixité de programmes et d’acteurs.

Les troisième éditions de Réinventer Paris et d’Inventons la Métropole se déroulent actuellement, avec des calendriers échelonnés. Même si la forme de ces appels à projets évolue, c’est toute la méthode de négociation avec le privé, le support aux collectivités porteuses de site pour faire advenir des projets exemplaires qui est poursuivie. À Paris et sur certains sites métropolitains, la troisième édition s’engage dans l’accompagnement des acteurs privés, pour que même les opérations relevant entièrement d’acteurs privés puissent bénéficier d’un accompagnement. Dans ce cadre, les aménageurs publics ont toujours un rôle à jouer auprès des collectivités, toujours comme concédant sur les opérations d’aménagement, mais aussi comme conseil ou comme porteur de projet. 

Un bilan inégal des six appels à projets urbains innovants franciliens

6 éditions et déclinaisons de deux consultations phares pour 133 sites en Île de France

Près de 3,5 millions de m² SDP projetés au sein des six APUI franciliens analysés - dont plus de 2 millions de m² SDP uniquement pour IMGP 1. Cela représente environ 5% du volume total de création de surfaces nouvelles dans la Métropole du Grand Paris.
Début 2023, près de 400 000 m² SDP sur 34 sites sont livrés ou en chantier, soit environ 11% du total de m² SDP initialement projetés et plus d’1 million de m² SDP, soit environ 30% du total, ne seront pas réalisés car situés dans des projets abandonnés, répartis sur 45 sites. Restent 54 sites qui totalisent environ 2 millions de m² SDP, soit environ 60% du total, toujours à l’étude ou au stade du permis de construire.
Un bilan chiffré détaillé par édition est présenté dans le corps de l’étude.

Les APUI n’accélèrent pas la fabrique urbaine ; ils ne sont pas une réponse adaptée à tous types de projets

Le lancement d’un APUI a pu engager ou débloquer des projets, parfois sur des sites compliqués, mais il n’a pas permis d’en accélérer la réalisation. Au contraire, le fait d’avoir une image précise du projet très en amont a pu faire oublier toutes les étapes nécessaires à la mise au point d’un projet, surtout d’échelle urbaine ou intermédiaire. De façon générale, le temps long et incertain de la fabrique urbaine semble avoir été oublié dans les intentions des premiers APUI.
Des sites de toutes tailles ont été proposés lors des six premières éditions :

  • des sites d’échelle urbaine, qui comprend des projets urbains grands à très grands dépassant les 100 000 m² SDP (uniquement lors d’IMGP 1)  ;
  • des sites d’échelle immobilière, qui est celle du bâtiment de taille ordinaire jusqu’à 3 000 m² et moyenne jusqu’à 10 000 m² ;
  • des sites d’échelle intermédiaire, qui comporte les très grands bâtiments, les petits ensembles immobiliers et les macro-lots de 10 000 à 40 000 m² et les petits projets urbains  jusqu’à 100 000 m². Cette dernière catégorie de site se trouve majoritairement dans le diffus, hors opération d’aménagement.

La taille des projets n’est pas en soi un facteur de réussite ou d’abandon, mais elle a un impact sur la rapidité de mise en œuvre du projet et donc sur la compatibilité du projet avec le tempo des APUI. Les projets qui ont été rapidement abandonnés ou qui ont connu du retard se situent :

  • Sur les sites sur lesquels aucune étude préalable n’avait été menée, des invariants ou des orientations n’avaient pas été définis. Les opérateurs ont fait des propositions qui ont pu déclencher l’opposition des riverains et/ou des élus et faire abandonner les projets.
  • Sur les sites trop grands. La définition très poussée des projets remis lors de la consultation et le niveau d‘engagement demandé aux opérateurs s’est avérée peu compatible avec le temps long de l’aménagement et sa mise au point itérative. 
  • Sur les sites d’échelle intermédiaire sur lesquels la mise au point des projets, qui nécessite des études techniques et des procédures réglementaires, peut induire des ajustements importants, notamment lors du dialogue avec l’autorité environnementale. De plus, ils peuvent faire l’objet de négociations et d’arbitrages difficiles sur la participation des opérateurs aux équipements publics. C’est un processus itératif que les aménageurs connaissent bien, mais les sites d’échelle intermédiaire sont presque toujours situés hors opérations d’aménagement. Ces mises au point, trop lourdes pour la phase d’exclusivité de négociation de la promesse de vente, parfois peu anticipées pour les collectivités peu familières de ces allers et retours, ont retardé ou fait abandonner des projets.  En revanche, sur les quelques sites où l’ambition des acteurs public et privés étaient partagée, et où un travail préalable avait été mené par la collectivité, les APUI ont offert un cadre fructueux aux négociations et à la mise au point des projets.
  • Si le tempo serré des APUI semble mieux adapté aux projets d’échelle immobilière et est bien adapté à une fiscalité déjà définie en amont de la consultation, les sites complexes, dont le bâti est à rénover et les sites voués à accueillir une programmation très mixte, sont soumis aux mêmes difficultés que les sites d’échelle intermédiaire : ils ont pu connaître d’importants retards ou des abandons pour des raisons de mise au point technique. Mais pour cette échelle aussi, les APUI semblent offrir un cadre intéressant à des projets qui nécessitent une mobilisation multi-acteurs.

La réussite des projets issus des APUI et leur exemplarité dépend toujours de l’implication et du savoir-faire des collectivités

Le fait, pour les collectivités, de lancer un appel à destination du privé, notamment pour redistribuer le partage du risque et la charge financière des projet, ne sous-entend pas que les collectivités peuvent se dessaisir du sujet, bien au contraire. L’implication des collectivités (échelon communal ou intercommunal) tout au long du projet et de sa réalisation reste donc un facteur essentiel de réussite de ces appels à projet. Les APUI peuvent être un cadre pour que la collectivité puisse partager son ambition sur des sites à vocation principalement privée.

Les facteurs de réussite des APUI sont : le niveau d‘expertise et d’outillage de la collectivité, son implication dans le suivi du projet et dans la négociation avec le privé, la préparation du projet en amont : son inscription dans les documents de planification, la mise au point de pré-études et l’exploration de la faisabilité techniques, l’ouverture d’un dialogue avec les élus, les opérateurs et la société civile et la qualité du dialogue entre porteurs de site multiples.

À Paris, les services techniques sont structurés et expérimentés en conséquence tous les projets réalisés sont conformes aux ambitions initiales. Les projets abandonnés sont peu nombreux et concernent à la fois des projets d’échelle intermédiaire sur des sites qui avaient trop peu été étudiés au préalable et des sites sur lesquels les négociations ont abouti à sortir du cadre de la consultation, mais pour lesquels l’APUI a tout de même permis d’enclencher un projet. Paris se sert également du cadre d’Inventons la Métropole, avec moins de succès, comme d’un support de dialogue avec ses voisines sur des sites à la gouvernance partagée.

Ailleurs dans la Métropole, l’implication dans le portage des projets par les collectivités explique pour beaucoup le succès ou les échecs des projets : les suites des changements de gouvernance intervenus lors des élections de 2020 qui ont vu certains projets réorientés, abandonnés, ou plus du tout portés par les nouvelles équipes municipales ou intercommunales. Les riverains ont aussi régulièrement fait entendre leur voix, à Paris et dans la Métropole, pour infléchir les projets ou les faire abandonner.

Grâce à leur organisation supra locale, un atout des APUI métropolitains est de proposer un cadre facilitateur au dialogue entre porteurs de sites multiples, au dialogue entre pairs et au dialogue public-privé. Grâce au support technique, juridique, organisationnel et parfois financier proposé par l’organisateur, les APUI peuvent également apporter en plus aux collectivités une expertise particulière en matière de montage d’opération et de négociation. 

Ce besoin d’animation, de coordination et d’outillage doit être souligné et renforcé car il est un facteur clé de la réussite des projet : cela favorise une montée locale en compétence en outillant mieux les collectivités dans leur négociation avec le privé, notamment dans la phase de mise au point des projets qui suit la désignation des lauréats ;  cela installe une culture commune en incluant les acteurs privés, en créant un espace d’échange entre pairs plus vivant, en prévoyant l’organisation de temps de partage et de retours sur expérience et en constituant un thésaurus étoffé de échanges et des réalisations.

Une trop grande latitude laissée au privé sur la question foncière et en matière de programmation

Les premières éditions des APUI ont été décevantes sur les questions foncières. D’une part, elles visaient surtout à céder le foncier détenu par le public aux opérateur privés et, même si les offres choisies n’étaient pas les mieux disantes, ils ont donné lieu à des renchérissements importants des prix du foncier. 

Elles ont offert de trop rares alternatives à la cession foncière, même si celle-ci a permis le sauvetage de certains sites. Sur 133 sites issus des 6 APUI franciliens, on dénombre seulement 12 baux longs, dont 11 à Paris, et une dizaine d’autres types de transfert de droit, tous proposés par la Ville de Paris lors de réinventer la Seine et Réinventer Paris 2. Les baux longs concernent des sites occupés par des bâtiments à valeur patrimoniale et accueilleront des équipements d’intérêt public ou un projet à fort impact social, un type d’hébergement spécifique ; ou un foncier complexe qui nécessite une division en volume. 

Enfin, elles ont surtout concerné les secteurs les plus attractifs et dynamiques de la métropole.
Pourtant il serait possible d’utiliser l’effet vitrine des APUI pour valoriser d’autres formes de mise à disposition du foncier public, au lieu de le céder ; et que les prix du foncier soient fixés au préalable en accord entre les partenaires porteurs de site, pour éviter un renchérissements du foncier local. Aussi, le choix des sites et des objectifs des consultations pourrait orienter les APUI vers un appui plus marqué aux territoires moins convoités, moins outillés. 

Les premières éditions des APUI ont ouvert de nouveaux champs programmatiques mais donnent aussi l’impression d’une trop grande liberté laissée au privé, sans visibilité sur le devenir de ces nouveaux programmes.

L’innovation programmatique demandée lors des APUI s’est traduite par une mixité importante au sein des propositions, à l’échelle d’un même bâtiment. Cela est un point partagé avec les APUI non franciliens, dont l’enjeu a souvent été d’outiller les collectivités pour réussir un montage immobilier et juridique complexe. Cela pose cependant la question de la gestion des opérations mixtes à l’échelle immobilière, sur laquelle il est trop tôt pour porter un regard rétrospectif. Cela souligne aussi le rôle d’expertise en appui au collectivités qui peut être apporté à travers un dispositif comme l’APUI. 
L’innovation programmatique a surtout généré une programmation soumise à un certain opportunisme de marché qui ne peut pas toujours assurer qu’elle réponde à un besoin effectif de la population et qu’elle trouve un ancrage local. Cette programmation ne s’insère dans aucune planification stratégique. Que proposent les collectivités pour répondre à ces besoins qui ne semble être comblés que par une offre privée ? Quel risque de saturation ? 

Les thématiques d’innovation sociale, de concertation et d’usages transitoires sont quasiment absents des six éditions étudiées, surtout hors de Paris, avec quelques exceptions qui présentent de forts points d’intérêt. Elles sont aussi peu mises en œuvre lorsqu’elles avaient été annoncées. 

De futurs APUI ?

Une nouvelle génération d’APUI pourrait émerger, pour des réalisations au service des usagers, des citoyens et des besoins locaux. Elle permettait de :

  • faire des APUI la traduction opérationnelle d’une politique d’aménagement stratégique ; 
  • poursuivre l’accompagnement de la fabrique immobilière et mieux rendre visible les territoires dans leur diversité ; 
  • favoriser une montée locale en compétence et installer une culture commune en incluant les acteurs privés ;
  • garantir l’intérêt général et articuler l’action publique avec la puissance du privé.

 

Les appels à projets urbains innovants en Île-de-France

 

Des tailles et des typologies de projets très divers

 

 

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Aménagement et territoires | Aménagement

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