L’adoption de la voiture électrique entre dans une nouvelle phase

Note rapide Mobilité, n° 1006

27 mars 2024ContactDany Nguyen-Luong

En 2023, le marché français de l’automobile a connu une forte croissance, portée par la voiture tout électrique et l’hybride rechargeable, et ce, particulièrement en Île-de-France. La voiture électrique entre désormais dans la phase de l’adoption de masse. La baisse des prix à venir, l’élargissement de l’offre des constructeurs, l’autonomie croissante des batteries, le développement rapide des infrastructures de recharge publique et les obligations touchant les flottes d’entreprise, notamment, sont les moteurs du passage à la voiture électrique.

En 2023, soutenue par le bonus écologique de 5 000 euros (lire encadré plus bas) et les offres promotionnelles de fin d’année des constructeurs, la voiture électrique a fortement tiré le marché de l’automobile, avec 300 000 voitures 100 % électriques et 160 000 hybrides rechargeables vendues en France1. Ainsi, 26 % des ventes de voitures neuves sont des voitures électriques : 17 % de tout électriques (+47 % par rapport à 2022) et 9 % d’hybrides (+29 %). Ces hausses sont encore plus importantes en Île-de-France (+60 % et +41 % respectivement)2. Trois quarts des achats d’hybrides rechargeables sont faits par des professionnels, un quart par des particuliers. Quant aux voitures 100 % électriques, elles sont achetées à 42 % par des professionnels et à 58 % par des particuliers. 2023 est la première année où les ventes de voitures 100 % électriques (17 % des ventes) dépassent celles des voitures diesel (10 %). Les ventes de voitures essence restent néanmoins majoritaires (36 %), même si leur part diminue d’un point entre 2022 et 20233. Depuis dix ans, la baisse des ventes n’a jamais affecté le marché de la voiture électrique, contrairement à l’ensemble du marché automobile, qui a connu une baisse significative de 2019 à 2022 (-31 %). Sur cette période, la part des ventes de voitures tout électriques en France est passée de 2 à 17 %. Afin de mieux comprendre la perception des Franciliens de la voiture électrique, leurs intentions de passer à l’acte d’achat et leurs freins, le Collectif Mobilité4 a mené une enquête auprès de 2 700 Franciliens en juin 2023.

 

 

LE BONUS ÉCOLOGIQUE : UNE AIDE NÉCESSAIRE MAIS PAS SUFFISANTE

L’enquête montre que la perception de la voiture électrique dépend de l’âge, du niveau de revenu et du lieu de résidence. Les 18-24 ans sont clairement convaincus de la nécessité de la transition vers l’électrique, les autres tranches d’âge moins. Et plus on est âgé, moins on y croit. Les individus aux revenus modestes (CSP- et inactifs) y croient moins que les individus aux revenus élevés (CSP+) et restent encore attachés aux motorisations classiques (essence et diesel). De même, globalement, les habitants de grande couronne y sont moins sensibles que ceux de petite couronne et de Paris. Et plus on a un taux d’équipement élevé en voiture, moins on a envie de passer à l’électrique. Le bonus écologique est perçu comme une aide nécessaire mais pas suffisante pour les jeunes et les CSP-. Globalement, l’engouement pour la voiture électrique est sélectif, et la propension à aller vers l’électrique dépend de l’intensité d’usage de la voiture et du niveau de revenu. Le très haut niveau de ventes de voitures électriques fin 2023 (les ventes de novembre-décembre représentent près d’un quart des ventes de l’année) illustre aussi la puissance marketing des constructeurs automobiles (publicités, forces de vente en concessions…) quand il s’agit d’écouler des produits avant un changement de modèle, de tarif ou, en l’occurrence, de système d’aide à l’achat.

 

 

LE PRIX ET L’AUTONOMIE : CRITÈRES PRINCIPAUX À L’ACHAT D’UNE VOITURE ÉLECTRIQUE

Pour 65 % des répondants, les freins à l’achat d’une voiture électrique sont en premier lieu son prix, perçu en juin 2023 comme trop élevé par rapport à son équivalent thermique (malgré des frais d’usage plus modérés), et ensuite l’autonomie électrique, qui paraît encore insuffisante. En Île-de-France, en avril 2023, le taux d’équipement en voiture électrique est d’environ 45 pour 1 000 ménages à Paris ainsi qu’en petite couronne, et de 98 pour 1 000 en grande couronne5. La voiture électrique est perçue comme un véhicule doté d’atouts par les early adopters (acheteurs précurseurs). Les trois motivations principales de leur achat sont le caractère moins onéreux d’une recharge électrique par rapport à un plein de carburant, la réduction des émissions de CO2 et celle du bruit (soit le confort de conduite). Néanmoins, sur le critère « CO2 », lorsqu’on interroge l’ensemble du panel, seuls les jeunes de 18 à 24 ans pensent que la voiture électrique est une solution pour réduire les émissions de CO2. Les avis des autres tranches d’âge, quelle que soit la CSP, sont plus mitigés. De leur côté, les constructeurs poussent les ventes de ces voitures 100 % électriques parce qu’elles leur permettent d’atteindre leurs objectifs européens en matière de CO26 alors que, dans l’enquête, une majorité de répondants opteraient davantage pour l’hybride rechargeable, pensant qu’ils tireraient ainsi profit du meilleur des deux technologies, thermique et électrique. Cette attirance traduit une certaine indécision des répondants, en juin 2023, sur le choix de la motorisation pour ceux qui envisagent d’acheter une voiture à court terme.

 

 

UNE OFFRE ET UNE DEMANDE DE VOITURES ÉLECTRIQUES ABORDABLES

L’Union européenne a décidé d’interdire la vente de véhicules neufs à moteur thermique après 2035. Les constructeurs disposent ainsi de dix ans pour préparer la transition vers l’électrique, l’une des plus grandes mutations technologiques de leur histoire. Jusqu’à maintenant, la plupart des constructeurs privilégiaient plutôt la vente de voitures électriques dans les gammes berline et SUV, qui sont les plus chères (au moins 40 000 euros) et donc les plus rentables, mais qui offrent un choix limité, excluant les classes populaires du marché des voitures électriques. En janvier 2024, le prix moyen des dix voitures tout électriques les plus vendues en France est encore élevé : environ 34 500 euros hors bonus. En 2019, deux tiers des ventes de voitures électriques concernaient seulement trois modèles, contre dix en 2023 : l’offre a ainsi commencé à se diversifier. À partir de 2024, tous les constructeurs vont chercher encore davantage à populariser la voiture électrique, en proposant de nouveaux modèles à moins de 25 000 euros hors bonus, tels que la R5 de Renault, la ë-C3 de Citroën, la Panda de Fiat, la ID.2 de Volkswagen ou la Legend de Renault (annoncée pour 2026), sans parler des nombreux nouveaux modèles asiatiques arrivant en 2024 sur le marché européen, ce que redoutent tous les constructeurs européens. C’est aussi l’occasion, pour ces constructeurs, d’inverser la tendance du « toujours plus gros et plus lourd ». Il y a une attente des consommateurs pour de petites citadines électriques peu chères, qui pourrait être stimulée par cette offre nouvelle. Quant aux voitures professionnelles, la loi d’orientation des mobilités (LOM) et la loi Climat et résilience imposent aux entreprises de réserver, en 2024, 20 % de leur renouvellement de flotte automobile à des modèles à faibles émissions. Pour l’État et les établissements publics, ce taux est fixé à 50 %. Pour les collectivités territoriales, il est de 30 % et passera à 40 % en 2025. Enfin, au 1er janvier 2025, la zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) en Île-de-France verra l’interdiction d’accès au territoire de la Métropole du Grand Paris (MGP) aux véhicules Crit’Air 3 (diesels immatriculés pour la première fois avant 2011 ou essences immatriculés pour la première fois avant 2006), ce qui pourrait accélérer, chez un certain nombre de ménages et d’entreprises, le passage à l’électrique.

DES AIDES FINANCIÈRES À SIMPLIFIER

Les 18-24 ans, les 25-34 ans et les CSP- déclarent, dans l’enquête, que le bonus écologique aura un impact sur leur décision d’achat. Le décret de février 2024 maintient son niveau pour les ménages les moins aisés et le réduit de 1 000 euros pour la moitié des ménages aux revenus les plus élevés (lire encadré). À l’aide d’État peut s’ajouter une aide de la Région Île-de-France de 2 250 à 9 000 euros en fonction du revenu. Les deux aides peuvent se cumuler, mais le total est plafonné à 80 % du prix d’achat du véhicule pour les bas revenus, et à 50 % pour les autres. La MGP accorde aussi des aides aux particuliers, ainsi que la Ville de Paris, aux entreprises. La prime à la conversion, quant à elle, diminue de 1 000 euros, mais peut atteindre 4 000 euros pour l’acquisition d’une voiture tout électrique neuve (l’hybride rechargeable n’est pas éligible) en échange de la mise au rebut d’une voiture Crit’Air 3 ou plus, à destination des personnes morales et des personnes physiques, sous conditions de revenus. Son montant est majoré de 1 000 euros pour les particuliers résidant ou travaillant dans une ZFE-m et les professionnels situés au sein d’une telle zone. La prime à la conversion pour l’acquisition d’une voiture particulière Crit’Air 1 neuve est supprimée depuis février 2024. Notons qu’en Allemagne, les bonus à l’achat de voitures électriques ont été supprimés brutalement fin décembre 2023, ce qui pourrait pousser les constructeurs à réduire les prix en Allemagne, puis dans toute l’Europe. Le bonus en France est désormais éligible seulement aux modèles produits en Europe. Ainsi, la voiture électrique la plus vendue en 2023, la Dacia Spring, ne bénéficie plus du bonus, car elle est produite en Chine, de même que la Tesla Model 3 – mais pas la Tesla Model Y, fabriquée en Allemagne. Les constructeurs chinois devraient probablement baisser leurs tarifs, mais dans une proportion limitée, car leurs prix sont déjà bas par rapport aux voitures européennes du même segment. Certains, comme BYD et MG Motor, ont déjà anticipé ces obstacles douaniers en annonçant leur intention de créer des usines d’assemblage en Europe. Par ailleurs, ils devraient étoffer leurs réseaux de distribution pour rassurer leurs clients. Début 2024, l’État a lancé le « leasing social », un nouveau dispositif incitatif, permettant la location (pour au moins trois ans) d’une voiture électrique à « 100 euros par mois » (en réalité à partir de 40 euros par mois, pour la moins chère, et jusqu’à 150 euros), sans apport initial. Réservée aux ménages les plus modestes (revenu fiscal de référence par part inférieur à 15 400 euros), elle comporte une condition d’attribution : il faut rouler au moins 8 000 km par an ou résider à plus de 15 km de son lieu de travail. Cette mesure a connu un tel succès en ce début d’année (50 000 commandes validées en un mois et demi, contre 20 000 attendues sur toute l’année) qu’elle a dû être suspendue en février par le Gouvernement. Elle devrait reprendre début 2025.

 

 

OCCASION ET RÉTROFIT : DEUX NOUVEAUX MARCHÉS

Deux nouveaux leviers pourraient accélérer l’électrification du parc automobile. Le premier est celui de la voiture d’occasion électrique, qui est actuellement un micromarché, comme en témoignent les 4 635 voitures électriques proposées début janvier 2024 sur Autoscout24, l’un des principaux sites de vente de voitures d’occasion, soit 3 % des quelque 150 000 annonces proposées. Encore marginale, l’offre devrait se développer fortement d’ici deux ans, avec le marché en pleine croissance des véhicules électriques professionnels, voués à devenir des voitures de seconde main pour les particuliers. Cette évolution pourrait être retardée par le fait que les premiers modèles d’occasion affichent des prix élevés pour des performances dégradées (perte variable de la capacité de la batterie). Mais une fois l’offre élargie et les prix réajustés, le marché de l’occasion devrait trouver sa clientèle. Un autre marché, plus incertain, est celui du rétrofit, qui consiste à électrifier sa voiture essence ou diesel. Légale depuis 2020, la technique de rétrofit est mature depuis plusieurs années mais a du mal à percer. Les obstacles sont le coût de la conversion, entre 15 000 et 20 000 euros7, soit le prix d’une voiture électrique neuve, bonus compris, et le cadre légal très strict, qui impose des démarches administratives compliquées. Là encore, les aides financières manquent parfois de visibilité. L’État peut apporter une aide allant jusqu’à 6 000 euros, selon les revenus, et, dans son décret du 13 février, la prime au rétrofit est étendue aux voitures transformées en hybrides rechargeables. La Région Île-de-France aide également les Franciliens, sans conditions de ressources, en ajoutant 3 000 euros. Le cumul des aides publiques ne doit pas dépasser 50 % du coût total de réalisation. La création d’un guichet unique serait opportune afin d’aider l’acheteur potentiel à s’y retrouver. Pour devenir attractif, il faudrait que le coût de la conversion diminue significativement. Cela signifie industrialiser le processus, ce que certaines start-up ont commencé à faire et que certains constructeurs automobiles ont annoncé, à l’instar de Renault, avec son projet Refactory, à Flins. Ce marché recèle probablement un potentiel compte tenu du parc important de véhicules Crit’Air 3 et 2, qui pourraient être rétrofités avec la mise en place progressive des ZFE-m.

L’ÉLECTRIFICATION DU PARC : UN MOUVEMENT INÉLUCTABLE

Il y avait, en juin 2023, deux raisons principales à l’indécision au passage à l’électrique. D’abord une raison économique : beaucoup de ménages pouvaient hésiter à effectuer un achat lourd alors que le pouvoir d’achat était en berne. Le prix à l’achat apparaissait trop élevé et le budget « voiture » annuel non compensé par les économies de coûts d’entretien et de consommation énergétique. Ensuite un manque de visibilité sur la possibilité de recharge publique : l’enquête révèle que, pour quasiment tous les répondants, trouver une borne près de chez soi est perçu comme difficile. Et pourtant, l’objectif national de créer 100 000 bornes a été atteint en mai 2023, avec quelques mois de retard seulement. Au 1er janvier 2024, la France comptait 118 009 points de recharge ouverts au public, dont 20 570 en Île-de-France, soit un bond de 44 % en un an (+31 % en Île-de-France8). L’électrification de la voiture est l’un des leviers principaux de la décarbonation des transports, sans parler des enjeux industriels et de souveraineté. Malgré le poids croissant des SUV électriques, très demandés, et malgré le bilan CO2 moins favorable lorsqu’il intègre l’ensemble du cycle de vie du véhicule, l’électrique reste avantageux par rapport au thermique. Le mouvement d’électrification est inéluctable et s’inscrit dans un environnement à évolution rapide. Dans les dix prochaines années, les batteries pourraient connaître encore de fortes évolutions, voire des disruptions, avec, par exemple, la technologie de la batterie solide, qui promet des performances inégalées en termes d’autonomie, de légèreté, de sécurité et de coût. L’offre peut compter sur des économies d’échelle substantielles : tous les constructeurs investissent massivement dans l’électrique (23 milliards d’euros pour Renault, 50 milliards pour Stellantis, 70 milliards pour Toyota, 122 milliards pour Volkswagen, etc.). La tendance à la croissance est donc lourde et irréversible, même si elle connaîtra des ralentissements à certaines périodes pour des raisons conjoncturelles. De 26 % en 2023, la part des ventes de voitures électriques neuves (tout électrique et hybride rechargeable) devrait atteindre 50 % en 2027, selon nos estimations. Les freins (incertitude sur l’autonomie, incertitude sur la possibilité de recharge sur voirie) ont bien diminué ces dernières années. Les années à venir s’annoncent donc porteuses pour la voiture électrique : l’effet « offre » devrait progressivement monter en puissance, l’effet « cliquet » des bonus écologiques s’estomper et les barrières psychologiques à l’achat s’atténuer, avec la baisse des prix, l’augmentation de l’autonomie des batteries et le déploiement plus visible des infrastructures de recharge.■

L’enquête « Passage à la voiture électrique et nouveaux usages automobiles » a été menée par un groupe de travail du Collectif Mobilité rassemblant Communauto, EP Tender, IFP Énergies nouvelles, Inov360, L’Institut Paris Region, la Région Île-de-France, Stations-e, la Ville de Paris et Virtuo.

1. Plateforme automobile (PFA).
2. Avere-France.
3. Le reste des ventes neuves correspond pour 24 % aux « full hybride » et « mild hybride » (moins de 5 km d’autonomie électrique, donc éligibles à aucune aide), et pour 4 % au biogaz.
4. Collectif rassemblant une quarantaine d’organisations (collectivités, grands groupes, start-up, opérateurs de transports, centres de recherche, etc.), dont L’Institut Paris Region, et disposant d’un panel de résidents représentatif de la population francilienne pour réaliser des enquêtes « mobilité ».
5. Enquête Mobilité par GNSS, 2023.
6. « Ajustement à l’objectif 55 » décidé en mars 2023 par l’Union européenne : réduction des émissions de CO2 de 55 % pour les voitures neuves et de 50 % pour les camionnettes neuves entre 2030 et 2034 par rapport aux niveaux de 2021, puis interdiction des ventes de véhicules thermiques à partir de 2035.
7. Renault.
8. Gireve.

BONUS ÉCOLOGIQUE

Le bonus écologique est une aide du Gouvernement à l’achat, qui favorise les véhicules neufs ou d’occasion avec une empreinte carbone peu élevée. Cette aide est conditionnée au score écologique du véhicule et au revenu fiscal du demandeur. Le véhicule électrique peut être une voiture, une camionnette ou un deux-roues. Le prix d’achat des voitures électriques éligibles ne doit pas excéder 47 000 € et la voiture doit peser moins de 2,4 tonnes. Le décret du 12 février 2024 modifie les modalités du bonus écologique, faisant notamment passer de 5 000 à 4 000 € le montant maximal pour les ménages des cinq plus hauts déciles de revenus, et le supprimant pour les personnes morales (il était de 4 000 €) ainsi que pour les voitures électriques d’occasion, mais pas pour les camionnettes. Néanmoins, le « super-bonus » de 7 000 € est maintenu pour les ménages aux faibles revenus (revenu fiscal de référence par part inférieur à 15 400 €). Les modèles hybrides rechargeables ne bénéficient plus d’aucun bonus depuis début 2023 pour les personnes morales (il était de 1 000 € auparavant).

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