L'insertion urbaine des centres commerciaux franciliens

07 juin 2023ContactAudrey Gauthier, Louis Comte

À l’heure des crises climatiques, sanitaires et environnementales, et des objectifs du Zéro Artificialisation Nette (ZAN), du Zéro Emission Nette (ZEN) et du circulaire, le modèle d'urbanisme commercial hérité des années soixante, fortement consommateur d'espace et émetteur de CO2 est questionné. Fréquemment accusés d’être peu urbains, ces centres commerciaux font l’objet de nombreuses critiques : une artificialisation des sols trop importante, une trop grande place accordée à la voiture, des entrées de ville déplaisantes, une concurrence avec les centres-villes…

Ces dernières années, la tendance est à l’intégration des centres commerciaux dans les centres-villes, souvent en combinant les commerces avec des logements, des bureaux, des équipements et des espaces publics. Ces centres commerciaux sont également plus accessibles en transports en commun. Les centres commerciaux font leur apparition en France dans les années 1960 et ont connu une croissance rapide jusqu'à la fin des années 1990. Pendant cette même période, en Île-de-France, des centres commerciaux construits en lien avec le développement de l’automobile voient le jour. Ces derniers sont alors implantés en dehors des centres-villes, dans des zones à faible densité de population, et sont peu accessibles en transports en commun. L’Île-de-France compte aujourd’hui 227 centres commerciaux de plus de 5 000 m². La future production commerciale pourrait dorénavant se partager entre les extensions et restructurations des grands centres commerciaux existants et la réalisation d’opérations plus mixtes, dans les tissus urbains. Les sujets des modes de déplacements, de la qualité architecturale, de la localisation et de la mixité des programmes sont au centre des débats.

 

Carte des centres commerciaux en Île-de-France / L'Institut Paris Region, 2023

Les centres commerciaux franciliens, des réalités urbaines variées

Le centre commercial peut se définir comme un ensemble architectural, réalisé en siteF propre par un nombre restreint d’acteurs et géré par un exploitant unique. Il est construit selon un plan d’ensemble répondant à des règles commerciales précises, avec une surface de vente, de logistique et des services communs comme des parkings. La notion de centre commercial englobe cependant des réalités urbaines très variées.
Si les centres commerciaux implantés en entrée de ville et conçus pour la voiture sont une réalité, il existe également des centres commerciaux insérés dans le tissu urbain. Ces derniers peuvent avoir des effets bénéfiques sur la ville. L’historique d’implantation de ces centres commerciaux montre une évolution de leur morphologie depuis les années 1960. Ces évolutions successives ont permis de passer du centre commercial du grand ensemble accompagnant la construction des logements, aux programmes mixtes de cœur de ville d’aujourd’hui.
Ces projets en cœur de ville proposent la réalisation d’un quartier mixte mêlant logements, activités, commerces et équipements autours d’espaces à usages publics, à l’image d’une rue de centre-ville classique. Ces opérations ont pour objectifs de (re)créer une centralité, participer à la vie urbaine, redynamiser un secteur en déshérence. Ces centres commerciaux d’un nouveau type conservent toutefois la gestion commerciale classique d’un centre commercial, avec un gestionnaire unique.
L’étude propose une analyse urbaine de la situation actuelle des 227 centres commerciaux franciliens de plus de 5 000 m². Six critères ont permis de noter leur insertion urbaine : proximité aux logements, stationnement raisonné, mixité programmatique, système de déplacement piéton, accès en transport en commun lourd, rez-de-chaussée actif et ouvert sur l’extérieur.
Cette analyse montre un état des lieux contrasté des centres commerciaux franciliens. Si 66 centres commerciaux ont une insertion exemplaire et 77 centres ont une insertion perfectible, 84 centres commerciaux sont non-insérés ; cette dernière catégorie connaitra le plus de difficultés à muter et à s’intégrer dans le tissu urbain à l’avenir.

 

Photo 1 : allée Joséphine Baker, nouveau centre commercial des Franciades à Massy (91). Photo 2 : rue des Lumières, galerie commerçante du centre commercial communal Grand Angle à Montreuil (93). Photo 3 : entrée du mail piéton du Cœur de Ville encore en travaux à Bezons (95) / Louis Comte, L'Institut Paris Region

Une mutation de l’existant pas toujours facile

Afin de répondre aux enjeux contemporains, notamment de sobriété foncière et énergétique, les centres commerciaux doivent se renouveler.
Des centres commerciaux en déshérence ont pu être remplacés par d’autres plus vertueux, ouverts et insérés dans un quartier mixte. C’est le cas du centre commercial « Grand Angle », en face de la mairie de Montreuil (93), qui a remplacé le « Terminal 93 » ou encore le centre commercial « Bobigny 2 » (93) qui a été démoli pour laisser la place au projet « Bobigny Cœur de ville », actuellement en construction. Dans ces deux cas, les pouvoirs publics sont à l’initiative de la mutation de zones stratégiques, à proximité de transports en communs déjà installés. Ils ont beaucoup investi pour faire muter ces espaces.
Les centres commerciaux les moins urbains, les plus isolés, les plus monofonctionnels, situés en dehors d’un secteur stratégique, posent quant à eux de nombreuses questions quant à leurs capacités d’évolution en l’absence d’investissements massifs de la part des pouvoirs publics.
La transformation des centres commerciaux vers des formes plus mixtes et plus urbaines, à l’initiative unique des acteurs privés, n’est pas fréquente, la question financière restant prépondérante pour eux.
Pour muter, un centre commercial semble devoir remplir deux conditions préalables :

  • qu’il ne soit plus suffisamment rentable,
  • qu’il soit situé dans un secteur stratégique, avec notamment la présence d’infrastructures de transports et d’une bonne desserte métropolitaine.

 

La mixité programmatique, présente dès le début de la construction des centres commerciaux, doit être encouragée dans la conception des futurs centres commerciaux.

 

L'investissement du Grand Paris express pourrait agir en faveur de la transformation des emprises commerciales./ L'Institut Paris Region

 

Les nouvelles opérations en cœur de ville, des effets positifs, mais des opérations qui ne sont pas exemptes de critiques

De nouveaux modèles de centres commerciaux, sans nappes de parkings aériens et proposant dans un programme mixte mêlant commerces, logements, bureaux ou encore équipements émergent depuis une dizaine d’années. Ces nouveaux centres commerciaux sont plus intégrés à la ville.
Ils rebattent les cartes de l’urbanisme commercial classique en proposant une offre commerciale à ciel ouvert, prenant la forme de rues composées de commerces en rez-de-chaussée, avec des logements ou encore des bureaux construits au-dessus. Des équipements sont également intégrés à ces opérations. Les parkings disparaissent de la surface et sont parfois mutualisés. Des centres commerciaux récents, comme « la Place du Grand Ouest » à Massy ou encore l’opération « Cœur de ville » à Bezons, en sont des exemples. Ils sont d’ailleurs classés dans l’étude comme centres commerciaux à insertion exemplaire.
Ces projets sont toujours à l’initiative des pouvoirs publics, sur des lieux stratégiques pour les villes. La proximité de transports en commun lourds facilite ces opérations. Ils offrent une mixité et une intensité urbaine qui se traduisent par la création de nouvelles centralités pour les villes hôtes. Ces opérations offrent par ailleurs de nombreux avantages pour les communes : un unique interlocuteur pour les commerces, des rez-de-chaussée animés, moins de vacance commerciale, pas de commerces indésirables et peu qualitatifs…
Ces opérations ne sont cependant pas exemptes de critiques et posent des questions majeures, en termes de choix de programmation commerciale ainsi que de statut et de gestion des espaces à usage public. Ces opérations sont également des projets de production de logements. Ces derniers ne répondent pas forcément à des besoins locaux et peuvent induire des changements sociologiques dans la ville.
La cohérence de l’action publique, une vision stratégique territoriale à long terme avec de bons outils de gouvernance ainsi que la nécessité d’une bonne négociation avec les opérateurs commerciaux sont fondamentales pour que ces opérations se réalisent dans l’intérêt des villes qui les accueillent.

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Commerce et consommation

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