À chaque politique publique, son « territoire » : l’exemple de la santé

01 septembre 2015Julien Galli

De la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 au récent rapport sur le « service territorial de santé » de mars 2014, la notion de « territoire » est au cœur des réflexions et des politiques de santé, posant les questions d’échelles, d’objectifs et de méthodologie des découpages.

Depuis leur création, les agences régionales de santé (ARS) animent la démocratie sanitaire dans les « territoires de santé », mettent en place des dispositifs pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé. Elles ont pour mission d’organiser l’accessibilité et la continuité de la réponse aux besoins de santé, qu’ils soient ambulatoires, hospitaliers ou médicosociaux. L’étendue de leurs champs de compétences implique des maillages territoriaux différents, du plus petit au plus grand, mais également des territoires de natures différentes :  territoires d’observation, de concertation, territoire opérationnel, stratégique ou de proximité.

La nécessaire articulation des échelles

Une des premières actions de chaque agence régionale a été de créer ses propres « territoires de santé ». En effet, la loi HPST prévoit que chaque agence « définit les territoires de santé pertinents pour les activités de santé publique, de soins, d’équipement des établissements de santé, de prise en charge et d’accompagnement médicosocial ainsi que pour l’accès aux soins de premiers recours » (art L. 1434-16 du CSP). En 2010, l’Île-de-France, comme la moitié des régions françaises, a fait le choix du département après l’examen [Coldefy, Lucas-Gabrielli, 2012]de plusieurs scenarii par les instances et les partenaires de l’ARS. En Île-de-France, la correspondance des territoires de santé avec les départements permet ainsi d’inscrire l’action de l’agence en cohérence avec celle des collectivités et de la plupart des acteurs intervenant dans ses champs de compétences, notamment le médicosocial.
En outre, dans une région où la géographie ne permet pas d’identifier de manière évidente des territoires infrarégionaux immédiatement reconnaissables par la population, l’échelon départemental est apparu comme un niveau adapté pour donner aux professionnels de santé et aux Franciliens de la visibilité sur des territoires de santé qui doivent jouer un rôle important dans le renforcement de la démocratie sanitaire régionale.

le choix d’un « territoire d’intervention »
plus fin que le territoire de santé
s’est rapidement imposé

Mais si le département permet en effet une résonance avec les politiques portées par les conseils généraux (PMI, handicap, gérontologie…) et une visibilité pour l’organisation de la démocratie sanitaire, rapidement les autres missions de l’agence ont nécessité de travailler à des échelles plus réduites. L’échelle du département couvre en effet de fortes inégalités de santé et d’accès aux soins. Les départements franciliens ne représentent pas des ensembles cohérents pour dessiner un profil sociodémographique et sanitaire de la population, ni les évolutions en matière de déplacements, de transport et d’aménagement du territoire.
Deux exemples illustrent parfaitement ce besoin de travailler à une échelle plus locale : les contrats locaux de santé (CLS) passés entre les ARS et les collectivités locales et la définition des territoires prioritaires en offre de soins de premier recours.

Le local comme « territoire contractuel d’intervention »

Dès le départ, le CLS a été conçu comme un contrat de « proximité » avec les collectivités territoriales et comme un outil de mise en œuvre de la politique de santé au niveau local.
Le CLS doit permettre de construire, sur un territoire, une démarche globale de santé publique. À cet effet, il est rapidement convenu que, sur les territoires urbains en difficulté, l’ARS devra travailler en étroite collaboration avec les communes et la politique de la ville au niveau des quartiers (ASV) et, sur les territoires ruraux, avec les intercommunalités afin de ne pas multiplier les contrats. Si l’échelon départemental et régional n’est pas exclu (le conseil régional ou les conseils départementaux peuvent intervenir), le choix d’un « territoire d’intervention » plus fin que le territoire de santé s’est rapidement imposé. Le portage politique pour développer des CLS, l’ambition d’un projet global de santé impliquant des déterminants tels que la scolarisation, le logement, l’urbanisation, le transport... ont été des facteurs déterminants dans les choix de l’agence.

De la nécessité d’adapter le maillage territorial au type de politique à mettre en place

La définition des territoires prioritaires en offre de soins de premier recours est un second exemple de la nécessité d’adapter le maillage territorial au type de politique à mettre en place. Les territoires de premiers recours voient leur utilisation première, mais non exclusive, dans le cadre du volet ambulatoire du schéma régional d’organisation des soins (Sros) avec les objectifs suivants :

  • permettre de définir les besoins d’implantation des médecins généralistes, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, pharmacies, pôles de santé, maisons et centres de santé ;
  • permettre d’identifier les zones déficitaires en offre de premier recours et les zones surdotées (zones de mise en œuvre des mesures destinées à favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé) ;
  • permettre une adéquation entre la répartition territoriale de l’offre ambulatoire et les besoins des populations ;
  • permettre la mobilisation des acteurs de la zone autour de projets d’organisation de la réponse à un besoin de santé.

Pour ce type de travaux, il est essentiel d’analyser l’offre de premier recours à une échelle pertinente : qui ne gomme pas les difficultés en termes d’accès aux soins primaires par un maillage trop large et qui n’identifie pas des zones trop restreintes, sur lesquelles l’offre est instable, tend à disparaître et finalement ne permet pas une action « viable » dans le temps. L’objectif assigné est simple : allouer des moyens (aides à l’installation…) dans des territoires prioritaires dans lesquels il faut favoriser l’installation et le maintien de professionnels de santé. Il a des impacts directs sur la méthodologie mise en œuvre et a fortiori sur le zonage obtenu : effet de seuil puisque les moyens à allouer sont contraints, effet de « choix » puisque, selon l’objectif initial, le zonage obtenu ne sera pas le même.

Le premier zonage publié par l’ARS en 2012 recense, sur des critères de présence et d’activité médicale, près de 50 territoires déficitaires et fragiles : l’essentiel de ces territoires se situe en zones rurales – territoires en périphérie de la région présentant des densités de population faibles – ou dans les zones urbaines défavorisées sur le plan économique et social. À défaut d’un découpage préexistant, ce premier zonage de l’offre ambulatoire par l’ARS Île-de-France s’est réalisé à l’échelle administrative du pseudo-canton Insee. Cette échelle est utilisée dans de nombreux travaux – régionaux ou nationaux – d’observation de la démographie médicale et de la situation sanitaire (étude Fnors). C’est également le maillage des outils d’installation développés antérieurement comme C@rtosanté.

Mais l’on constate dans le temps les limites d’un tel zonage, puisqu’à la fois les populations, les besoins et l’offre (dans le territoire même ou dans son voisinage) évoluent d’année en année.

Les limites du découpage fondé sur l’observation des flux de consommation de soins

Construire des territoires à partir de l’analyse des flux de consommation de soins (disponibles grâce aux bases de données de l’Assurance-maladie) est une méthode de zonage très « centrée sur l’offre de soins ». Elle part de l’offre existante et présuppose que son implantation est « correcte ». Cette méthode a donc tendance à légitimer l’offre actuelle sans la remettre en question.

il est essentiel d’analyser
l’offre de premier recours
à une échelle pertinente

Néanmoins, elle traduit assez précisément les « territoires de recours » des habitants, en mettant en avant les notions de présence et d’accessibilité des offres, de distances d’accès. D’autre part, cette méthode de zonage s’appuie généralement sur l’analyse des flux principaux de consommation et masque la dispersion géographique des recours.

À la recherche d’une approche globale du local et du quotidien

Aujourd’hui, les pouvoirs publics et les réflexions en cours sur le service territorial de santé au public – qui intégreront la future loi santé – visent la définition de territoires dans lesquels les acteurs proposeront une approche plus globale de la prise en charge et de l’accompagnement de la personne, au-delà de la seule offre sanitaire. En effet, la santé n’est pas seulement une question d’accès aux soins, mais renvoie également à l’éducation, au cadre de vie, aux conditions de logement et de travail, à l’accès à un ensemble de services de la vie courante… Cette approche globale permet ainsi une plus grande cohérence entre la politique de santé portée par l’ARS et les autres politiques publiques (emploi, éducation, logement, transports, aménagement…). Les solutions mises en œuvre par les pouvoirs publics pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins se tournent donc largement vers des actions territorialisées destinées à intervenir dans les territoires les plus fragiles, à tout point de vue. Plus généralement, l’approche territoriale de l’ARS cherche à identifier les « territoires de vie », ensembles de territoires communaux juxtaposés au sein desquels les habitants effectuent une grande partie de leurs recours aux soins (de premier recours), mais également de leur vie sociale ou de leur vie économique. Des solutions fondées sur la définition de territoires au regard des flux de consommation (sanitaire et autres) sont aujourd’hui à l’étude au sein de l’agence.

Julien Galli est responsable du Sros ambulatoire et des relations avec les professionnels de santé à l'ARS île-de-France.

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