Bassins locaux d’emploi et de vie en Île-de-France

15 janvier 2015Pascale Rohaut

Compte tenu de la taille de la région Île-de-France, un fonctionnement polycentrique à plusieurs échelles est inévitable. Les politiques publiques doivent l’accompagner, notamment en organisant une offre de transport hiérarchisée.
Des « sous-bassins » d’emploi et de vie structurent, de fait, l’aire urbaine de Paris.

La notion de bassin de vie a pu paraître dépassée à l’heure du développement de la mobilité, qui permet aux habitants de déployer leurs activités dans des espaces toujours plus vastes, et potentiellement d’élargir ainsi leurs possibilités de développement personnel. Pour des raisons assez proches, la réalité de bassins locaux d’emploi en Île-de-France a été peu considérée. Bien sûr, l’influence régionale du grand pôle d’emploi parisien tend naturellement à les recouvrir de son poids, mais surtout la mobilité accrue des actifs devait permettre le développement d’un grand marché du travail jugé plus efficace. En effet, en élargissant les choix des entreprises et des actifs, notamment pour les couples composés de deux actifs, il optimise l’adéquation entre offre et demande d’emploi.
Ainsi, l’idée de ce grand marché du travail unifié par un système de transport toujours plus rapide s’est imposée, reléguant au second rang des préoccupations la recherche de proximité dans l’organisation de la région, tant la notion de territoires équilibrés paraissait passéiste ou, du moins, impossible...
Est-on allé trop loin dans cette recherche « d’accessibilité potentielle » aux bénéfices implicitement supposés sans limites ? Ce grand marché du travail et des bassins de vie éclatés sont-ils durables, compte tenu des déplacements qu’ils impliquent et de la capacité limitée des réseaux ? À quelles conditions et avec quel système de transport ?

De l’usage des échelles locales pour une région plus durable

Le desserrement de l’emploi et des équipements vers des pôles secondaires, au cours des dernières décennies du siècle passé, a permis d’envisager une autre structuration régionale plus soutenable. Une forme polycentrique, hiérarchisée ou non, serait théoriquement vertueuse, pourvu, néanmoins, qu’elle autorise un fonctionnement à plusieurs échelles, et notamment un fonctionnement local grâce à la présence d’emplois, de logements, de services, d’équipements de loisir directement accessibles dans les divers centres ; le bon fonctionnement de cette (ou ces) échelle(s) locale(s), celle de la proximité, préservant ainsi le fonctionnement régional. Dans cette hypothèse, la ville des courtes distances serait à nouveau bienvenue.

Le fonctionnement multiscalaire de l'aire urbaine de Paris

Les pratiques « effectives » des Franciliens permettent d’apporter quelques éclairages sur ces visions théoriques, et nécessairement simplificatrices ; ces comportements résultent, en effet, de multiples compromis articulant données personnelles complexes, marché du logement, localisation des emplois et des équipements de toute nature, et donc offres de transport, l’accessibilité réelle à ces aménités ne pouvant se résumer à un seul indicateur de temps d’accès physique, même s’il semble clairement limitant. La dissociation entre lieu de résidence et lieu de travail des actifs est-elle si fréquente que la dissociation entre espaces résidentiels et de travail serait devenue la forme dominante de l’agencement régional, conséquence d’une mobilité « généralisée », ou, au contraire, la superposition de bassins de vie et d’emploi est-elle observée, organisée par la présence d’activités, de commerces et d’équipements ?
Dans ce cas, cette organisation permet-elle de limiter la demande de transport, notamment à l’heure de pointe, qui dimensionne les infrastructures ?

LE DESSERREMENT DE L'EMPLOI ET DES
ÉQUIPEMENTS VERS DES PÔLES SECONDAIRES
A PERMIS D'ENVISAGER UNE AUTRE
STRUCTURATION RÉGIONALE PLUS SOUTENABLE

Plusieurs études, conduites à partir des pratiques effectives des Franciliens à la fin des années 1990, confirmaient le fonctionnement à plusieurs échelles de l’aire urbaine de Paris, mais, aussi, une structuration n’apparaissant pas optimale, en raison des grandes disparités entre l’est et l’ouest de la région, notamment d’accès à l’emploi.
En particulier, une étude de Géographie-cités, Mobilités et polarisations : vers des métropoles polycentriques [Berroir S. et al., 2004], décrit la répartition de l’emploi dans l’espace francilien en 1999. Cet emploi est alors concentré d’une part dans un ensemble de « pôles majeurs » formé des arrondissements parisiens augmentés des communes de l’ouest autour de La Défense1, et d’autre part dans des pôles secondaires composés d’une ou plusieurs communes.

L’existence de sous-bassins d’emplois franciliens…

Reprenant les conclusions de Géographie-cités, nous avons pu décrire les aires d’influence de ces deux niveaux de pôles. L’influence de l’ensemble formé par les pôles majeurs, mesurée par les déplacements pendulaires, est nettement régionale : on vient de loin pour travailler à Paris, où les emplois sont nombreux, d’autant plus que l’offre de transport est très radiale [Armand, Rohaut, 2005].
Cependant, les pôles secondaires, ayant un important recrutement de main-d’oeuvre dans un territoire qui leur est proche, structurent également des bassins d’emploi secondaires.

…au sein desquels se réalisent souvent les autres déplacements

L’Enquête globale transport (EGT, voir encadré), en 2001 comme en 20102, indique que ces bassins d’emploi secondaires sont aussi des bassins de vie. En effet, selon cette enquête, les résidents de ces bassins secondaires effectuent une part importante de leurs déplacements – hors motif domicile-travail – sans sortir du périmètre de ces bassins. Cette part est très majoritaire pour les bassins de grande couronne (supérieure à 70 %), plus faible à proximité du périphérique, mais quand même supérieure à 60 % autour de Créteil ou Saint-Denis. Enfin, ce résultat est apparu cohérent avec la structure de l’emploi dans les pôles, car la plupart concentrent à la fois des emplois de production et de service aux ménages, et sont donc des centres secondaires qui structurent bien leur territoire. En 2010, les résidents des bassins d’emploi secondaires travaillent plus souvent dans leur bassin d’emploi que dans les pôles majeurs et les flux domicile-travail entre pôles et sous-bassins sont plus nombreux entre voisins.
De plus, les déplacements liés aux lieux d’étude ou à la garde d’enfants et aux achats sont fréquents. Ils représentent ensemble plus du quart des déplacements, et sont le plus souvent très locaux, comme les équipements correspondants. Au contraire, la longueur des déplacements domicile-travail varie fortement selon les territoires. Elle est, notamment, liée au taux d’emploi du sous-bassin ou de l’environnement proche (ses voisins), un taux d’emploi local faible implique de longs déplacements pendulaires.
Ainsi, les études empiriques soulignent combien l’accès réel aux aménités est lié à la localisation respective des emplois, des services, et des habitants, et pas seulement à la mobilité et à la vitesse. L’objectif de taux d’emploi relativement équilibrés par grands territoires est donc pertinent (voir encadré).
Rappelons que, si le département de la Seine-et- Marne est le département du Bassin parisien qui présente le plus faible taux d’emploi (0,66), c’est aussi celui où les résidents parcourent les plus longues distances pour aller travailler [Cariou, Rohaut, 2012].

Organiser polarités et desserte de proximité, un enjeu de performance

Les pratiques effectives des Franciliens privilégient la proximité et un fonctionnement local au sein de sous-bassins de vie et d’emploi qui se superposent, ce qui évite d’engorger davantage le niveau régional. Favoriser ce fonctionnement local est un objectif pertinent : sa déclinaison – côté aménagement – est le renforcement des centres secondaires pour qu’ils offrent directement accès aux logements, équipements et emplois ; sa déclinaison – côté mobilité – est l’organisation d’une offre de transport hiérarchisée, correspondant aux différentes échelles et, notamment, interne aux sous-bassins. La performance du système en dépend.
Le fonctionnement de la région vu au travers des déplacements indique un fonctionnement à plusieurs échelles correspondant bien à la définition du polycentrisme comme un système composé de plusieurs centres, même si Paris et son extension restent dominants. Compte tenu de la taille de la région, ce polycentrisme est inévitable, la trop grande concentration produisant congestion et compétition pour l’occupation de l’espace, et finalement le renchérissement du foncier et la spécialisation des fonctions. Or, les échanges recherchés dans la centralité et l’urbanité nécessitent densité et diversité. La mobilité contrainte comme variable d’ajustement atteint ses limites, les politiques publiques comme la production de logements accessibles et le maintien d’activités à faible valeur ajoutée sur un foncier cher ne peuvent, à elles seules, recréer cette diversité.

Pascale Rohaut est directrice d'etudes à la DRIEA, service de la connaissance, des études et de la prospective (SCEP).

1. Levallois-Perret, Rueil-Malmaison, Suresnes, Puteaux, Nanterre, Courbevoie, Neuilly-sur-Seine.
2. L’étude citée fondée sur l’EGT 2001 a été actualisée avec l’EGT 2010.

Définition du taux d'emploi

Le taux d’emploi compare offre et demande d’emploi, c’est le rapport entre le nombre d’emplois et le nombre d’actifs présents sur un territoire. Les études empiriques montrent qu’un taux d’emploi faible entraîne de longs déplacements pour se rendre au travail pour une part importante des habitants, un taux d’emploi élevé génère de longs déplacements pour les actifs qui viennent de loin occuper les emplois. C’est un indicateur pertinent pour mesurer les (dés)équilibres habitat-emploi, mais il doit être examiné à différentes échelles.

Présentation de l'EGT

L’Enquête globale transport (EGT) est une enquête ménages-déplacements (EMD) sur les pratiques de mobilité des Franciliens, réalisée environ tous les dix ans (1976, 1983, 1991, 2001, 2010). Cette enquête de grande ampleur recueille un nombre important d’informations sur les caractéristiques des ménages enquêtés, sur la mobilité individuelle la veille de l’enquête, sur les modes de transport utilisés, sur les motifs ainsi que sur le temps consacré aux déplacements. En 2010, des entretiens ont été conduits auprès de 18 000 ménages, soit 43 000 personnes, pour un total de 143 000 déplacements recensés, ce qui fait de l’EGT la principale source de connaissance des déplacements des Franciliens.
La méthode d’enquête utilisée est celle des EMD du Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu). L’ensemble des déplacements des Franciliens âgés de 5 ans et plus sont recensés, déplacements dont au moins l’une des extrémités (origine ou destination) se situe en Île-de-France. L’enquête a été effectuée hors vacances scolaires, entre octobre et mai, sur deux années (2009-2010 et 2010-2011). Elle a été pilotée par le Stif (Syndicat des transports d’Île-de-France) et la DRIEA-IF (Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France).

Voir les fiches de l'EGT 2010

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