Élargir l'espace de vie : un facteur d’insertion

09 février 2015François Piazzoni

Apprendre à se mouvoir de façon autonome, à utiliser le système de transport et les lieux ressources du territoire constitue une étape primordiale dans la démarche d’insertion sociale et professionnelle.

Si l’accessibilité et la diversité de l’offre de transport sont des facteurs déterminants pour profiter pleinement du territoire dans lequel vivent les habitants, ces critères sont parfois insuffisants pour garantir l’accès aux équipements et services qui le composent. Pour bénéficier de ces derniers, il faut déjà en connaître l’existence, le contenu et le fonctionnement. Or, pour une partie de la population, ces trois dimensions restent à développer.

L’apprentissage de la mobilité : une étape de la démarche d’insertion

Créée en 1981, Faire, association francilienne pour la « formation et l’aide à la réinsertion », est un organisme dont l’action consiste à accompagner, dans leurs démarches d’insertion sociale et professionnelle, des publics jeunes et adultes, français ou étrangers, orientés vers nous par les missions locales. Cet accompagnement se fait au travers de divers parcours de formations visant l’acquisition de différents savoirs. En effet, trouver un emploi, une formation qualifiante, un hébergement, ou encore une réponse adaptée à un problème de santé nécessite la mobilisation simultanée de plusieurs compétences : savoir lire, écrire, compter, calculer, mais aussi savoir utiliser les technologies de l’information et de la communication pour correspondre, trouver une information… S’insérer socialement et professionnellement nécessite encore la connaissance et le respect de règles et de codes, la capacité de s’intégrer dans des groupes divers et celle d’être en mesure de coopérer et d’échanger avec les autres. Notre approche s’appuie donc sur l’acquisition et le développement de compétences clés1. La capacité de se déplacer de façon autonome et d’identifier et utiliser les lieux ressources présents sur son territoire est une compétence primordiale dans une démarche d’insertion. C’est face à ces constats que l’association Faire a créé un module de formation destiné à développer les capacités de déplacement et de repérage dans l’espace (« mobicité »).

Se connecter au territoire, un enjeu essentiel

Ce qui caractérise, entre autres, le public présent dans notre structure, c’est l’exigüité de son aire de mobilité. Par méconnaissance des possibilités offertes par le territoire, ils n’en exploitent qu’une partie infime, réduisant de fait les solutions qui pourraient se présenter à eux. On peut habiter un territoire bien desservi, bien équipé, avec des emplois et ne pas bénéficier pour autant des potentialités qu’il recèle. La pauvreté est un des principaux freins. Ainsi, par exemple, la Région Île-de-France a mis en place, dans le cadre d’un dispositif plus large, la gratuité d’accès aux transports pour tous les jeunes de 16 à 26 ans en difficulté d’insertion, inscrits dans le dispositif « Avenir jeunes ». Cependant, la Région finance également notre démarche, car la pauvreté n’est pas le seul obstacle. Cette gratuité n’aura, de fait, que très peu d’effets si un travail d’accompagnement dans la prise de repères, dans la découverte de lieux inconnus ou qui paraissent inaccessibles n’est pas réalisé. Habitant à dix minutes de Paris, la majorité des personnes présentes dans notre structure n’y mettent jamais les pieds ou uniquement dans le quartier immédiatement desservi par le moyen de transport au départ de leur ville. En outre, la distance n’est pas le seul facteur discriminant. Notre public peut parfois habiter à proximité d’une médiathèque, d’une piscine, d’un gymnase et pourtant ne jamais « s’autoriser » à y entrer. Les freins culturels, notamment, peuvent être nombreux.

ÉLARGIR SON AIRE DE MOBILITÉ, C’EST ACCROÎTRE SON AIRE
RELATIONNELLE, COMMUNICATIONNELLE, CULTURELLE...

Le sentiment d’exclusion que peuvent ressentir ces publics, notamment les jeunes, conduit parfois à des actes d’incivilité et montre que le parcours d’insertion passe aussi par le tissage de liens avec les différentes composantes de l’espace dans lequel ils vivent. Pour être citoyen, habitant de la cité, il faut que les différentes fonctions offertes par sa ville, son département, sa région soient accessibles.

Multiplier les repères et les espaces physiquement et symboliquement accessibles

Lors du premier et du dernier jour de la formation « mobicité », consacré à l’accueil et à la présentation du programme, le public évalue, à partir d’une grille préétablie, sa capacité d’utiliser les transports. La première « note » se situe généralement autour de 3/10, montrant bien que les personnes sont conscientes de leurs lacunes, ont le sentiment d’être « comprimées ». En fin de formation, on observe bien souvent une progression de leur appréciation de deux à trois points.
Tout au long du module de formation, de nombreuses visites sont organisées dans divers lieux de la capitale. Nous souhaitons les emmener là où ils ne vont pas et ne seraient certainement jamais allés : musées du Quai Branly, du Louvre, de l’immigration, Palais de la découverte, cité des sciences et de l’industrie de la Villette, mais aussi Château de Versailles... L’objet de ces visites à dominante culturelle et scientifique consiste donc à se déplacer en divers points de la capitale, à accompagner les personnes dans l’utilisation de transports variés. Elle permet de prendre de nouveaux repères et de se rendre compte des dimensions de l’espace. De constater que Paris n’est pas un territoire immense, sans limites, mais que l’on peut le traverser à pied de part en part. Le choix d’édifices culturels prestigieux vise à montrer que ce qui leur paraît le plus éloigné peut leur être accessible. La dynamique créée et les compétences développées durant le module pourront être reprises par la suite par d’autres formateurs et transférées pour l’identification et l’utilisation de lieux en lien direct avec les problématiques les plus courantes rencontrées par ce public (formation, emploi, logement, santé…).
Les effets de cette action sont souvent très constructifs. Une stagiaire raconte qu’à l’issue de ce module, elle prit l’initiative de se rendre seule chez ses cousins habitant Créteil. Jusqu’alors, elle ne pouvait y aller qu’accompagnée de son mari ou d’un de ses enfants. Habitant Bagneux, le trajet était jugé beaucoup trop long et trop compliqué pour elle. Elle nous avoua sa grande satisfaction de pouvoir désormais se déplacer sans l’aide de personne pour visiter sa famille et formula les autres possibilités qui s’offraient dorénavant à elle.
Une autre nous expliqua comment, depuis la visite de groupe organisée à la bibliothèque, elle y emmène maintenant ses enfants tous les mercredis.

Accroître ses capacités de mobilité, c’est multiplier ses chances d’insertion

Notre action consiste bien à donner aux personnes les clés d’accès à la ville et à élargir leurs territoires de vie. Au travers de ces multiples sorties, les personnes sont confrontées à la nouveauté, la multitude, la différence. Élargir son aire de mobilité, c’est accroître son aire relationnelle, communicationnelle, culturelle… C’est multiplier considérablement les chances de trouver des réponses adaptées aux difficultés rencontrées.


François Piazzoni est le directeur du pôle formation de l'association Faire.

1. Les compétences clés sont celles nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnel, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi. Elles sont fixées dans un cadre de référence européen (recommandation 2006/962/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie – Journal officiel L. 394 du 30.12.2006).

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