Identités périurbaines : l’Ouest francilien

10 février 2015Lucille Mettetal

Les habitants de l’Ouest francilien semblent affranchis de tout découpage géographique. L’observation de leurs déplacements quotidiens et l’analyse de leur discours sur la centralité révèlent la difficulté à définir des bassins de vie. Entre polarités fonctionnelles et centralités affectives, ils évoluent en effet au gré des opportunités d’achats, de services, d’équipements et de loisirs offertes par le territoire.

S’ils restent soumis à des contraintes liées à l’utilisation de l’automobile, les habitants du périurbain de l’Ouest francilien1 expriment aussi une liberté de choix quant à leurs déplacements. Ils se veulent « acteurs » de leurs mobilités et le caractère hybride des espaces périurbains apparaît davantage comme un « champ des possibles ».

Une diversification des figures de la mobilité

Les lieux fréquentés montrent une complexification des mobilités, des pratiques et des perceptions : un fonctionnement sophistiqué, moins formaté, moins radioconcentrique, en d’autres termes, plutôt hybride. En effet, l’analyse des déplacements témoigne d’une mobilité « éparse », au gré des opportunités et des ressources du territoire, d’un lien distendu à Paris, et d’appréhensions variées de la centralité.
Les habitants du secteur situé entre Maule et Guerville sont sans doute assez emblématiques de la variété des comportements de mobilité quotidienne dans le périurbain de l’Ouest francilien. La relative proximité de l’agglomération et la présence de centralités locales leur offrent un choix finalement assez généreux, leur permettant de « picorer » entre polarités fonctionnelles, centres-ville historiques et microcentralités auxquelles ils sont attachés pour des raisons tout aussi symboliques que pratiques. À la palette de l’offre s’ajoute celle des histoires personnelles de ménages aux origines variées et dont le profil s’est diversifié.

LES HABITANTS DU PÉRIURBAIN DE L’OUEST FRANCILIEN
SE VEULENT « ACTEURS » DE LEURS MOBILITÉS

Le diagnostic territorial a laissé apparaître une séparation du territoire d’étude en deux bassins de vie : il distingue la commune de Maule des autres communes du plateau, fortement polarisées par Mantes. Mais l’enquête réalisée auprès des habitants montre à quel point la notion de bassin de vie est difficile à appréhender dans cet Ouest francilien aux polarités multiformes. Des habitants dont les déplacements répondent à des logiques personnelles et illustrent un désir d’affranchissement.

Maule : une centralité sentimentale et nostalgique

Si la ville de Maule offre des équipements, des commerces et des services qui captent les déplacements de ses habitants, elle symbolise aussi une centralité « villageoise » dans sa forme et son ambiance. « Même si je travaille à Paris, pour moi, le centre de ma vie, c’est vraiment Maule. Ça fait centre-ville, on ne peut pas y aller sans rencontrer quelqu’un. » Les enquêtés y retrouvent les aménités recherchées dans la définition qu’ils se font du « centre » : « des rencontres », « un marché », « une place », « des restaurants », etc.
Centralité locale et traditionnelle, Maule semble conserver son attractivité de bourg historique. Les discours des habitants témoignent en effet d’un attachement à une forme presque nostalgique du centre, valorisé par sa petite taille. Une microéchelle propice aux interactions et qui permet d’oublier un temps sa voiture. Maule concentre un certain nombre de fonctions et les ingrédients d’une centralité à taille humaine, qui font sens dans la mobilité des enquêtés.
Ils sont d’ailleurs peu nombreux à se rendre dans les autres pôles de services du territoire : « Aller à Mantes ? Pour quoi faire ? On a tout à Maule. En plus, je n’aime pas, c’est trop grand (…), ça fait trop ville. Moi, je suis attaché au petit centre des villages, comme à Maule, Épône ou Crespières. » Les grands pôles de services tels que Mantes ou Les Muraux sont évités, ou fréquentés de façon ponctuelle et dans un but précis, comme aller au cinéma ou se rendre dans un magasin spécifique.
Les communes du plateau sont peu fréquentées par les habitants de Maule, exception faite des visites à la famille et aux amis, et à la Ferme du Logis, une des premières expériences françaises de cueillette à la ferme, très largement citée par les enquêtés : « À part la Ferme du Logis, à Jumeauville, je connais assez mal les communes du plateau. Je n’ai pas vraiment de raison de m’y rendre, donc je n’en prends pas le temps.»

Mantes : pôle d’attractivité pour les habitants du plateau

Les mobilités des enquêtés résidant dans les communes du plateau présentent des structures plus complexes. En effet, mise à part Guerville, qui présente un cas particulier, les communes de Jumeauville, Arnouville-lès-Mantes, Boinville-en-Mantois et Breuil-Bois-Robert ne disposent pas de commerces de proximité, et sont beaucoup moins équipées. Dès lors, leurs habitants sont obligés de quitter leur commune de résidence pour « aller en ville ». Dans ce cas, il semble que les mobilités d’achats et de loisirs soient canalisées par Mantes et, dans une moindre mesure, par Guerville pour les achats les plus simples (pain, pharmacie, tabac, banque).
Pour certains enquêtés, c’est bien Mantes qui fait office de centralité. De par leur histoire personnelle : « Mon centre-ville, c’est Mantes, d’un point de vue fonctionnel, mais aussi parce que c’est là que je suis née. J’y ai des attaches amicales et familiales.» Ou par nécessité : « Même si je n’aime pas Mantes, je pense que c’est vraiment mon centre-ville, c’est le plus pratique pour moi. »
La commune de Guerville, en revanche, bien qu’elle soit dotée d’un certain nombre de commerces et d’équipements, est peu citée comme le « centre-ville », même par les personnes qui y résident. Cela tient certainement à la structure de son tissu urbain, épars et constitué de hameaux désolidarisés les uns des autres.

Ainsi, pour les enquêtés, la notion de « centre-ville » est associée à des critères tels que « la rencontre », « l’échange », ou « la variété ». Guerville apparaît comme une polarité locale, qui n’est assortie d’aucune attache psychologique. « J’habite à Guerville, donc je vais faire mes courses à Guerville, mais on ne peut pas vraiment dire qu’il y a un centre vivant à Guerville. »
Ainsi, pour les habitants du plateau, qui résident dans de petites communes peu équipées, mais proches de l’agglomération, un autre espace de vie se dessine : plus diffus, tout en restant polarisé par Mantes.

Jumeauville : des centralités plurielles et personnelles

L’étude des « lieux fréquentés » par les habitants de Jumeauville, la commune du plateau la plus proche de Maule, montre des mobilités plus floues, plus diffuses, et davantage liées aux parcours personnels, qui semblent échapper à toute logique géographique commune.
Ainsi, l’un des enquêtés associe son centre-ville à son lieu de travail, Saint-Quentin-en-Yvelines : « C’est à Saint-Quentin que je suis toute la journée, donc c’est là-bas que je placerais mon centre-ville. » Un autre enquêté cite Maule comme l’endroit où il se rend quand il va « en ville ». Mais la plupart éprouvent quelque difficulté à définir ce qu’ils considèrent comme leur centre-ville : « On a des endroits où l’on va pour faire les courses, comme à Épône ou à Flins. Si j’ai besoin d’aller au restaurant, je vais à Maule, si je veux aller au cinéma, je vais à Mantes, mais sinon on préfère la campagne. »
D’autre part, les habitants expriment un attachement très fort à la commune, tout en confessant qu’elle ne peut pas remplir la fonction d’un centre-ville : « Avec mes enfants, on fait beaucoup d’activités à Jumeauville. En fait, le lieu que je fréquente le plus, c’est la salle polyvalente de Jumeauville. Et tout ce qu’on peut faire à pied, on le fait. »

SI LES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS DE MOBILITÉ SONT VARIÉS,
LE SENTIMENT D’APPARTENANCE À LA COMMUNE DE RÉSIDENCE EST PARTAGÉ

Conscient de la difficulté à définir le bassin de vie de ses administrés, le conseil municipal de Jumeauville a souhaité les interroger sur leurs déplacements quotidiens, au moment du choix de l’intercommunalité. Une décision difficile, puisque les résultats de l’enquête ont montré qu’ils sont partagés entre deux « bassins de vie », institutionnalisés par les intercommunalités de la communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines (Camy) et de Gally-Mauldre. Ainsi, d’autres logiques que celles des comportements de mobilités quotidiennes ont guidé le conseil municipal dans le choix de l’intercommunalité. S’ils ont tendance à « butiner », la recherche de la proximité est une constante : non seulement elle permet d’éviter de prendre la voiture, mais elle répond également à un besoin d’ancrage et d’appropriation de son lieu de vie. Par ailleurs, si les comportements individuels de mobilité sont variés, le sentiment d’appartenance à la commune de résidence est partagé, et semble répondre à un besoin d’identité collective.

Conscient de la difficulté à définir le bassin de vie de ses administrés, le conseil municipal de Jumeauville a souhaité les interroger sur leurs déplacements quotidiens, au moment du choix de l’intercommunalité. Une décision difficile, puisque les résultats de l’enquête ont montré qu’ils sont partagés entre deux « bassins de vie », institutionnalisés par les intercommunalités de la communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines (Camy) et de Gally-Mauldre. Ainsi, d’autres logiques que celles des comportements de mobilités quotidiennes ont guidé le conseil municipal dans le choix de l’intercommunalité.
S’ils ont tendance à « butiner », la recherche de la proximité est une constante : non seulement elle permet d’éviter de prendre la voiture, mais elle répond également à un besoin d’ancrage et d’appropriation de son lieu de vie. Par ailleurs, si les comportements individuels de mobilité sont variés, le sentiment d’appartenance à la commune de résidence est partagé, et semble répondre à un besoin d’identité collective.

Une identité territoriale qui se construit aussi par opposition

Quelle que soit leur commune de résidence, les enquêtés expriment un rejet généralisé des espaces situés au nord de la Seine. Les motifs de ce rejet s’exposent principalement de deux manières. La première concerne l’inaccessibilité de certains espaces, qui pousse les habitants à mettre en place des stratégies d’éviction : « Traverser la Seine, c’est l’enfer ! C’est embouteillé et mal fichu. Je préfère aller plus loin si j’ai besoin de quelque chose que galérer à aller là-bas. » La seconde, plus marquée, consiste à percevoir la Seine comme une « frontière » entre des espaces « abîmés » par l’urbanisation et un paysage préservé : « Franchement, de l’autre côté de la Seine, on n’aime pas… pour nous, ce n’est pas la même identité. Là-bas, il y a plein d’usines et aucun espace vert. C’est vraiment moche. » Ces communes urbanisées cristallisent une partie des craintes quant à l’évolution du territoire. Les discours révèlent un attachement global à un cadre de vie qui, désormais, offre des figures valorisantes d’ancrage pour les populations périurbaines. Celles-ci ont conscience des aménités de leur cadre de vie et poussent les élus à mettre en place des mesures de protection. « À Maule, on ne veut surtout pas une évolution comme celle des communes qui bordent la Seine. Le maire s’en est fait le garant, grâce à la volonté des habitants. » Cette valorisation du cadre de vie et la liberté de choix exprimées par les habitants de l’Ouest francilien, dans leur expérience du territoire, dessine un mode de vie périurbain de plus en plus assumé, et des espaces vécus dont les contours sont difficiles à discerner.

Lucile Mettetal est géographe-urbaniste, chargée d'études à l'IAU îdF.

1. Interrogés dans le cadre d’une recherche menée pour le compte du Puca – Plan d’urbanisme construction architecture [C. Aragau et alii, 2014].

Cette page est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires | Périurbain