L’espace rural et les bassins de vie de l’Insee

13 janvier 2015David Levy

En 2002, le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) a confié à l’Insee le pilotage d’un groupe de travail interministériel pour qualifier l’espace rural et sa structuration. L’Insee a ainsi construit un zonage en « bassins de vie », qui peut se lire comme des aires de proximité aux équipements et services.

En 2004, le bassin de vie d’un bourg ou d’une petite ville a été construit, à partir de l’inventaire communal1 et des flux domicile-travail, comme « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à l’emploi et aux services les plus courants ».

Le bassin de vie : plus petit territoire d’accès aux équipements et services

En 2012, l’inventaire communal n’existe plus. Il a été remplacé par la base permanente des équipements (BPE), très riche mais qui ne comporte plus d’indications sur les flux. Pour ne pas s’apparenter à des bassins d’emplois, et pour plus d’homogénéité entre actifs occupés et non actifs, la référence à l’emploi a également disparu.
Le nouveau zonage en bassins de vie correspond, aujourd’hui, au « plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements courants (ou services) ». C’est une partition de la France métropolitaine en territoires proches où la population peut accomplir la majorité des actes de la vie courante.
Chaque bassin est construit autour d’un pôle qui regroupe la plus grande part des équipements ou services de la vie courante. La méthode consiste en la détermination de pôles de services, autour desquels se dessineront les bassins de vie qui constituent, ainsi, la zone d’influence « théorique » de leur pôle.

L’usage privilégié de la proximité comme première hypothèse

La source disponible concernant l’accès aux équipements est la base permanente des équipements (BPE) qui regroupe différentes bases de données administratives dans les domaines des services – marchands ou non – des commerces, de la santé et de l’action sociale, de l’enseignement, du sport-loisir et du tourisme. Environ 1,95 million d’équipements sont ainsi répertoriés sur la France entière.
Tous les ans, avec la nouvelle version de la BPE, sont calculées trois gammes d’équipements (proximité, intermédiaire, supérieure) par une méthode de nuées dynamiques en fonction de la coprésence de ces équipements sur un même territoire communal et de la fréquence de leur présence sur le territoire national :

  • la gamme de proximité regroupe les équipements les plus fréquents, tels que les commerces de proximité (boulangerie), les médecins généralistes, les écoles maternelles ;
  • la gamme intermédiaire regroupe les services administratifs, collèges, supermarchés ;
  • enfin, la gamme supérieure regroupe les lycées, hôpitaux et cinémas.

UNE BASE DE FLUX « D'ACCESSIBILITÉ
THÉORIQUE » EST RECONSTITUÉE
EN POSANT QUE TOUS
LES HABITANTS S'ÉQUIPENT DANS
LA COMMUNE LA PLUS PROCHE

On détermine, pour chaque équipement non présent dans une commune, la commune la plus proche proposant cet équipement. Une base de flux « d’accessibilité théorique » aux équipements est ainsi reconstituée en posant que tous les habitants d’une commune s’équipent dans la commune la plus proche. En l’absence de données réelles sur les flux, cette approximation est nécessaire, même si l’on sait qu’elle ne correspond pas aux pratiques dans certaines portions du territoire où plusieurs pôles peuvent être suffisamment proches pour permettre aux habitants d’avoir le choix entre l’usage de la polarité la plus proche ou d’autres, un peu plus lointaines.

Les unités urbaines posées comme insécables

La maille choisie est la commune ou l’unité urbaine (UU)2 : il a été décidé de conserver les unités urbaines insécables. En effet, on peut considérer que l’unité urbaine forme une entité territoriale pouvant proposer un ensemble d’équipements à la population. Ainsi, la plus petite maille du territoire est l’unité urbaine pour les communes urbaines et la commune pour celles hors UU. Une très grande partie de l’Île-de- France est, de ce fait, agrégée dans un très large « bassin de vie » centré autour de Paris. Un des projets de l’Insee étant d’ailleurs de poursuivre l’exercice dans l’objectif d’identifier des bassins de vie infracommunaux ou infra-UU.

Première étape : détermination des « pôles »

Pour la détermination des pôles, un premier arbitrage méthodologique a dû être effectué : le panier d’équipements à partir duquel les pôles seront constitués est celui de la gamme intermédiaire, telle que défini en 2010. Celleci contient 31 équipements différents. Prendre en compte les équipements de proximité (soit les plus fréquemment répandus sur le territoire) aurait conduit à avoir quasiment autant de pôles que de communes. Au contraire, prendre en compte les équipements supérieurs aurait conduit à des bassins de vie bien trop étendus.

Ensuite, un seuil de présence a dû être choisi : pour être pôle, une unité urbaine ou une commune devra posséder au moins 50 % des équipements de la gamme, soit 16 parmi les 313. Cependant, considérer 50 % du tout peut amener à avoir des pôles avec beaucoup de commerces et peu ou pas d’équipements de santé (ou inversement). Nous avons donc pris le parti de considérer ces équipements par sous-ensembles (services aux particuliers, commerces, santé, enseignement, sports et loisirs). Une commune (ou unité urbaine) sera donc pôle de services si elle contient au moins 50 % des équipements dans chacun des sous-ensembles. La seule exception sera l’enseignement car il ne présente qu’un équipement (collège) et donc mesurer la présence (ou l’absence) d’un collège nous a paru trop restrictif.
Par cette méthode, nous constituons 1 666 pôles de services en France, et donc autant de bassins de vie.

Deuxième étape : agrégation des communes à ces pôles

Pour calculer la zone d’influence de chaque pôle, il aurait été nécessaire d’avoir des flux associant la population aux équipements. En l’absence de flux réels de fréquentation de l’ensemble des équipements, il a été choisi de se baser sur des flux « théoriques » d’accessibilité. Ainsi, on suppose que la population s’équipe au plus près du domicile, c’est-à-dire au plus rapide en temps de trajet (heures creuses) pour les bassins métropolitains et au plus près en termes de kilomètres pour les bassins ultra-marins.
De plus, pour quantifier ces flux, il a été choisi d’y affecter l’ensemble de la population de la commune.
Concernant les équipements retenus pour constituer cette base de flux, l’option choisie est de conserver la gamme intermédiaire (comme pour les pôles) à laquelle vient s’ajouter la gamme de proximité afin de ne pas scinder les bassins de proximité à travers plusieurs bassins de vie. Nous avons donc une base de flux et un ensemble de pôles. Une méthode d’agrégation itérative des communes au pôle le plus proche (méthode Anabel4) a ensuite été utilisée afin de construire un zonage correspondant aux bassins de vie 2010.
Ainsi, cette méthodologie a permis d’identifier sur l’ensemble du territoire rural des bassins de proximité potentielle pouvant offrir aux habitants les équipements et services courants ou, dit autrement, des aires d’influences potentielles des pôles de service. Ils ne préjugent en rien des pratiques effectives. Par commodité, on peut appeler ce zonage « découpage en bassins de vie », malgré le caractère inapproprié de cette appellation dans les zones urbaines, et ce d’autant plus qu’elles sont grandes, comme c’est le cas pour l’Île-de-France.

Il est clair que la totalité de l’unité urbaine de Paris, ou de celle de Lyon, n’appartient pas en réalité à un seul bassin de vie. Ailleurs, malgré l’absence des données de flux, la confrontation du zonage obtenu avec les acteurs locaux montre que cette appellation est assez conforme à la réalité et à la perception des personnes qui connaissent les bassins considérés.

David Levy est chef du pôle Analyse territoriale à l'Insee.

1. L’inventaire communal est une enquête, dont la dernière a été réalisée en mars 1998, auprès de toutes les mairies de France, Dom compris, sauf pour les villes de plus de 30 000 habitants et pour les départements de Paris (75), des Hauts-de-Seine (92), de Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94). Il consiste en un inventaire des équipements commerciaux et services à la population existant sur le territoire de la commune (avec un système d’affectation théorique pour les communes les plus grosses). Outre l’inventaire de l’offre, l’inventaire communal présente l’intérêt, pour les communes de moins de 10 000 habitants, de renseigner, pour les équipements et services non présents sur le territoire communal, le lieu où les habitants se rendent principalement pour avoir recours à cet équipement.
2. Une unité urbaine, ou agglomération, est un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (sans rupture de 200 mètres) et comptant au moins 2 000 habitants.
3. Par souci de cohérence avec les réalités de terrain, une phase de validation régionale a ensuite été mise en oeuvre, conduisant à la création de quelques nouveaux pôles, correspondant à des communes ou UU ne comportant que 15 ou 16 équipements intermédiaires au lieu des 17 requis, mais qui sont vécus sur le terrain comme de véritables pôles de services.
4. Algorithme permettant de traiter tous types de données bilocalisées afin de construire des zonages homogènes avec des taux stables le plus élevés possibles.