Alban Delume, codirigeant de l'association «Le Village»

25 juillet 2019ContactCarine Camors

Designer artisan d’art, Alban développe son entreprise DMDartdesign de supports beaux-arts depuis trois ans. Au plus proche des artistes et des galeries d’art, c’est en toute logique qu’il a installé son atelier sur le site du Village. Et d’ailleurs, cette communauté d’entrepreneurs a été un véritable tremplin pour son activité. Aujourd’hui, son enjeu est de préserver la pluridisciplinarité et le mixe générationnel de l’identité de ce lieu. Il souhaite aussi permettre à cette communauté de se développer en les ancrant davantage dans le tissu territorial. 

Pouvez-vous nous raconter votre parcours. Quand et comment a commencé l’aventure du lieu ?

Lorsque j’ai créé mon entreprise en 2016 de matériel beaux-arts sur-mesure pour artistes, j’ai rapidement été confronté au problème de la disponibilité de locaux d’activités. Au cours du « Maker Faire » en avril 2016, à la Porte de Versailles, j’ai assisté par hasard à une conférence de Yann Gozlan qui présentait son incubateur Creative Valley : un nouveau lieu à Ivry-sur-Seine dénommé Nucléus spécialisé dans les activités à la convergence de l’art et du numérique. L’idée a germé pendant l’été… et à la rentrée, je le rencontrais. L’entente a été immédiate et je me suis installé dans ce tiers lieu atypique où artistes et start-up du numérique cohabitaient déjà. Cet écosystème a été très rapidement profitable à mon entreprise : d’une part, j’y ai trouvé des clients et, d’autre part, des compétences diverses se diffusaient et qui m’ont fait évoluer.

L’émulation créatrice se ressent au jour le jour, le lieu est vibrant et énergisant : il y a toujours quelqu’un en train de travailler ou de présenter sa production. Une ambiance familiale anime ce lieu et est propice à mon sens à la pérennité de la communauté.

Pouvez-vous nous décrire la façon dont le projet a émergé ?

Au printemps 2018, nous avons appris que l’établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) ne renouvellerait pas son bail avec l’association Creative Valley. Ce constat ferme et définitif pose la question de notre légitimité à occuper les locaux. L’association Le Village est donc née dans ce contexte d’urgence où il fallait réagir vite. En effet, les quelques mois accordés pour évacuer le lieu étaient dérisoires par rapport à l’ampleur de nos activités, aux affaires en cours ou au volume de matériel à déménager… Et surtout, l’amour pour ce lieu au charme fou et l’affinité et la cohésion de ses occupants ont fait que, bon gré mal gré, nous avons décidé de reprendre la gestion de ce lieu. Nous avons créé l’association qui régit notre communauté et récolté des soutiens dans le milieu culturel d’Ivry et des communes alentour. Actuellement, nous nous rapprochons directement de l’EPFIF pour solliciter un bail ou une convention d’occupation. Notre nouvelle mission est de tout faire pour ne pas être considérés comme des squatteurs et prouver aux pouvoirs publics que ces hommes et ces femmes qui viennent travailler ici méritent leur place de manière légitime. L’intérêt de cette action dépasse notre seule communauté, car l’attractivité de ce lieu profite pleinement au territoire : journées portes ouvertes, formation, emploi, échanges auprès de fournisseurs et clients locaux, recettes fiscales…

Quel regard portez-vous sur le développement des espaces de travail partagés pour les artistes sur votre territoire ? Observez-vous un intérêt grandissant pour ce type d'espace?

J’ai malheureusement constaté le caractère éphémère et fragile pour ce type d’espace. L’endroit que nous occupons était sur le point de fermer et ne perdurera pas !  C’est aussi le cas de l’espace de coworking du Quai d’Ivry Deskeo qui a dû fermer ses portes. Les modes de travail ont changé, d’où l’intérêt des travailleurs pour le télétravail qui s’accentue et le coworking qui se généralise et concerne de plus en plus de salariés. Les free-lances et les auto-entrepreneurs seront de plus en plus nombreux, d’où la problématique d’accès à ces zones de travail, qui soulève un vrai sujet. Si cet accès est trop onéreux, trop rare ou trop instable, cela conduit à une précarité pour tous ces travailleurs qui n’est pas acceptable.

En effet, ces nouvelles formes de travail (micro entreprises, ubérisation dans tous les secteurs) qui responsabilisent davantage que le classique salariat, s’accompagnent souvent d’une certaine forme de précarité : les protections sociales y sont moindres et les régimes de prévoyance et de retraite complémentaire sont très souvent inexistants. Alors ajouter à cela la précarité du lieu, vous imaginez !

Je sais que les pouvoirs publics prennent ce sujet très à cœur et je suis de nature optimiste. Les initiatives citoyennes locales, qui se construisent ici, répondent à des enjeux à la fois culturels, sociaux et économiques. On ne pourrait rêver mieux comme locataires !
Recentrons-nous sur Le Village. Ici, ce qui permet de créer une identité forte pour ce lieu est la créativité artistique. Plus de la moitié des quarante Villageois sont des artistes. Leur problème majeur, c’est de trouver un atelier pour créer et produire. Contrairement à beaucoup de free-lances ou indépendants, ils ont un métier qui nécessite de trouver un atelier. Travailler de chez soi n’est pas la solution, c’est un leurre ! Et dans beaucoup de cas les matériaux et outils utilisés exigent de vastes espaces. Or, le coût du mètre carré en région parisienne pour les jeunes artistes qui sortent des beaux-arts est un obstacle difficile à surmonter. Au-delà de ce critère de coût, il y a assurément un problème de rareté et très souvent de stabilité.

La majorité des ateliers d’artistes en Île-de-France sont sur des baux précaires. C’est sans surprise notre cas et nous nous efforçons de légitimer et pérenniser les ateliers du Village via la signature d’une convention d’occupation temporaire justement pour faire face à ces menaces.

L’espace du Cube qui accueille des résidences artistiques à court et moyen termes est une réponse qui a d’ores et déjà séduit beaucoup d’artistes. Ensuite il faudra consolider le modèle économique...

Après quatre années d’activité, quels enseignements pouvez-vous dresser ? 

Sur les quatre années, trois se sont déroulées sous l’égide de Creative Valley et une sous le fanion Le Village. L’enseignement principal que je cite souvent est la nécessaire implication des pouvoirs publics. Sans leur soutien ou leur accompagnement, les tiers lieux seraient tous des squats sauvages. Aussi, je crois que la gestion des tiers lieux diffère beaucoup en fonction de leur typologie : coworking, fablab, bureaux partagés et incubateurs, mais aussi de leur taille. En effet, une communauté homogène de dix personnes ne se gère pas comme une communauté hétérogène de soixante. Malgré la jeunesse de notre structure nous sommes déjà confrontés à des arbitrages quant au devenir du lieu et le management doit se professionnaliser au risque de retomber dans une organisation qui n’est pas assez structurée et trouve vite ses limites.

Quels liens le lieu entretient-il avec son territoire ?

Les représentants du Village ont très vite noué des relations avec l’EPFIF puis avec la municipalité d’Ivry qui a récupéré la gestion du lieu. Par ailleurs, plusieurs artistes étaient déjà en relation avec les acteurs locaux : service culturel de la Mairie, service de l’urbanisme, territoire EPT 12 (établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre), office du tourisme du Val-de-Marne… Actuellement, nous continuons à nous organiser avec les équipes municipales : Jeanne Zerner, notre contact, œuvre auprès du premier adjoint en charge de l’urbanisme, Romain Marchand, pour mettre en place une convention d’occupation temporaire tant attendue… L’association est bien ancrée dans le quartier du Petit-Ivry comme l’attestent nos échanges avec le foyer pour personnes âgées Ambroise Croizat, la galerie municipale Fernand Léger, d’autres associations culturelles comme Le Nez Rouge, les écoles qui viennent faire des ateliers ou trouver un stage dans certaines structures, les fournisseurs des uns ou le domicile des autres etc.
Il faudrait que ce lieu puisse recevoir du public, en particulier les Ivryens, tout en poursuivant nos activités de promotion et diffusion de notre contenu culturel afin d’attirer des citoyens et leur faire bénéficier de nos services (coworking, résidences artistiques, etc.). J’insiste sur ce double flux grâce à la pluralité des profils et des motivations des Villageois.

Comment les pouvoirs publics (région, département, communes) peuvent-ils vous accompagner ?

Les pouvoirs publics peuvent aider les structures comme la nôtre de plusieurs manières : leur soutien est un prérequis nécessaire qui doit se concrétiser en actes politiques forts : convention d’occupation, subventions, visites ou réunions d’informations publiques, etc. Les attentes sont multiples. À notre niveau, nous prétendons toujours nouer un partenariat avec la Mairie et pourquoi pas avec l’EPFIF s’ils veulent revenir dans le jeu… Mais la convention d’occupation n’est pas une fin en soi.

D’autres formes d’engagement entre porteurs de projets et collectivités existent : pour aller plus loin dans la responsabilisation de chacun, co-construire des projets sur une échelle plus large, la création d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif nous paraît être un excellent vecteur pour s’ancrer plus durablement dans le territoire avec sa population tout en préservant notre ADN et notre diversité…

C’est aujourd’hui bien sûr une vision à long terme mais nous espérons qu’elle nous mènera de l’avant !

Si c’était à refaire, que feriez-vous ou ne referiez-vous pas ? 

J’irais plus vite ! En effet nous avons passé trop de temps à rédiger et à faire voter notre Règlement Intérieur. Notre énergie aurait pu être investie sur l’aménagement du site (marquage au sol, isolation des lieux, etc.), la mise en place de partenariats ou la recherche de subventions, etc. Enfin, je crois que, comme dans l’entrepreneuriat en général, il faut se faire accompagner très vite : des experts existent dans tous les domaines et leur cœur de métier est justement d’accompagner les jeunes structures hybrides. Aujourd’hui encore, nous nouons des relations qui nous aident à grandir...

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