Qui va diriger les communes et intercommunalités franciliennes dans les mois à venir ?

Chronique du paysage politique francilien n° 4   Sommaire

15 avril 2020ContactIsabelle Zugetta, Léo Fauconnet

Si 80 % des communes franciliennes ont d’ores et déjà acté le renouvellement de leur conseil municipal, la suite du scrutin reste en suspens, avec son lot d’incertitudes, notamment pour les intercommunalités. Alors que la crise sanitaire, mais aussi économique et sociale, liée à l’épidémie de coronavirus, va s’inscrire dans la durée, qui va réellement être aux manettes du bloc communal, échelon de proximité déterminant pour les politiques publiques, dans les mois à venir ?

Du fait de l’impossibilité d’organiser le second tour de scrutin le 22 mars, mais également de convoquer normalement les conseils municipaux, le législateur a opté pour maintenir en exercice les assemblées délibérantes et les exécutifs qui étaient en fonction au titre de la mandature précédente. Ainsi, la loi du 23 mars 2020 dite « d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 » a confirmé que « l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires (...) élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise ». Mais, dans le même temps, elle dispose que même « dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'à l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour ». Autrement dit, quel qu’ait été le vote – élection dès le premier tour ou nécessité d’en organiser un second, maire sortant ne se représentant pas, réélu, en ballotage ou éliminé – partout, ce dernier reste aux manettes pour assurer la continuité du service public communal en ces temps troublés. Le raisonnement est le même pour les intercommunalités et leurs présidents.

Abstention des villes, abstention des champs

En plus de connaître une entrée en fonction différée, les futurs nouveaux maires voient déjà leur représentativité, sinon leur légitimité, discutée. En Île-de-France, comme dans le reste du pays, l’abstention a été massive. La participation, traditionnellement moins importante dans la région capitale qu’au niveau national (55,4 % en Île-de-France contre 63,5 % pour la France entière aux municipales de 2014) est ainsi devenue minoritaire en 2020 avec un peu moins de 40 % de votants rapportés aux inscrits. L’abstention a néanmoins connu une croissance moins marquée ici, avec 16 points de plus contre 19 à l’échelle du pays.

Cela s’explique par une abstention certes importante mais contenue dans le cœur métropolitain et notamment à Paris, où elle n’a cru que de 14 points entre les deux scrutins. De même en Seine-Saint-Denis, qui reste cependant la championne régionale avec un taux de plus de 65 %. C’est, à l’inverse, dans les départements de grande couronne, habituellement moins abstentionnistes, que le recul de la participation s’apparente le plus à la tendance nationale.

L’analyse des résultats à l’échelle communale le confirme. En ne retenant que les communes de plus de 1 000 habitants (où le mode de scrutin est proportionnel et la comparaison des données dans le temps plus aisé), on observe que la quasi-totalité des territoires où l’abstention a connu un différentiel de plus de 20 points à la hausse, entre les scrutins municipaux de 2014 et 2020, se situent en grande couronne. Les écarts de plus de 30 points se rencontrent presque exclusivement en-dehors de l’agglomération de Paris, dans les espaces périurbains et ruraux.

Communes et maires : le changement dans la continuité

Si le scrutin s’est tenu dans des conditions très particulières du point de vue de l’exercice démocratique, la clarté de l’expression citoyenne n’en apparaît pas moins forte. En effet, sur 1 268 communes franciliennes, 1 029 ont vu l’élection de l’intégralité de leurs conseillers municipaux dès le premier tour. Cela fait un peu plus de  80 % des municipalités qui ne nécessiteront pas l’organisation d’un second tour.
Malgré l’abstention, c’est en grande couronne que la majorité absolue a le plus souvent été atteinte le 15 mars. Dans 965 communes sur 1 144 (soit 84 %), la totalité des sièges ont été pourvus. Notre chronique précédente montrait que la périphérie régionale comptait 488 des 490 communes où les jeux étaient faits avant même le premier tour : soit ne se présentait qu’une liste (communes de + de 1 000 hab.), soit le nombre de candidats était identique au nombre de sièges à pourvoir (communes de – de 1 000 hab.). En petite couronne, en-dehors de Paris, un peu plus de la moitié des villes, 64 communes sur 123, se contenteront également d’un seul tour.

Mais ce que révèle la carte du premier tour des municipales en Île-de-France, c’est également la continuité incarnée par les premiers magistrats : 731 maires (c’est-à-dire près de 6 des édiles franciliens sur 10) de la précédente mandature semblent d’ores et déjà appelés à le rester. En effet, dans les communes de moins de 1 000 habitants où le premier tour a été conclusif, 359 maires sortants ont été réélus comme conseillers municipaux : ce sera aux assemblées communales de délibérer, mais une écrasante majorité de ces élus devraient se succéder à eux-mêmes. Dans les communes de plus de 1 000 habitants, 372 maires sortants étaient positionnés en tête d’une liste ayant obtenu plus de la majorité absolue dès le premier tour et exerceront donc assurément un nouveau mandat, après investiture par leurs conseils municipaux.

Quand celle-ci pourra-t-elle avoir lieu ? La loi du 23 mars contient les dispositions suivantes :

« Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. »

En attendant, les maires sortants (qui seront donc aussi, le plus souvent, les futurs édiles) concentrent les pouvoirs. Aux termes de l’ordonnance du 1er avril 2020 « visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l'épidémie de Covid-19 », les maires exercent, par défaut, la quasi-totalité des délégations pour lesquelles le code général des collectivités territoriales prévoit, d’ordinaire, une délibération expresse préalable du conseil municipal. Pour autant, l’assemblée communale conserve le pouvoir de modifier ces délégations. Elle est informée des décisions prises par le maire, qui transmet également ces informations aux élus du 15 mars 2020 en attente du démarrage de leur mandat. Les modalités de réunion du conseil sont assouplies : l’obligation de convocation trimestrielle est temporairement suspendue, même si 1/5 des conseillers municipaux peut exiger que l’organe délibérant soit tout de même réuni (le cas échéant en visio ou audio conférence), le quorum est réduit de 50 % à 1/3 des élus et chacun d’eux peut être porteur de deux pouvoirs au lieu d’un.

Les communes semblent donc en ordre de marche en attendant, selon les cas, que leurs nouveaux élus entrent en fonction ou que les élections soient achevées.

Dans les intercommunalités, le spectre d’une période transitoire qui s’éternise

Mais qu’en sera-t-il de la suite du scrutin ?
La loi du 23 mars 2020 s’est appuyée sur l’hypothèse principale d’un second tour avant l’été :

« Lorsque (…) un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour, initialement fixé au 22 mars 2020, est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'impérative protection de la population face à l'épidémie de covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard (…).
Au plus tard le 23 mai 2020, est remis au Parlement un rapport du Gouvernement fondé sur une analyse du comité de scientifiques se prononçant sur l'état de l'épidémie de covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant. »

Mais, si l’objectif de juin ne peut être tenu, c’est l’ensemble des opérations électorales, premier et second tour, qui devra être recommencé ultérieurement, dans l’ensemble des communes (et arrondissements parisiens) où le scrutin du 15 mars n’a pas été conclusif. Notons, tout de même, que dans les communes de moins de 1 000 habitants où une partie des candidats a obtenu individuellement la majorité absolue dès le 15 mars, l’élection de ceux-ci devrait être entérinée et le « nouveau » premier tour ne concerner que les sièges encore à pourvoir. Avec 16 secteurs électoraux parisiens (tous sauf le 7e arrondissement) où le premier tour n’a pas été conclusif, auxquels s’ajoutent 59 communes en petite couronne et 179 en grande couronne, c’est tout de même un peu plus de 50 % de la population francilienne qui réside dans des communes où l’élection devra être recommencée. Quelque 3 719 034 inscrits sur les listes électorales sont encore appelés à se déplacer aux urnes.

C’est, en réalité, du point de vue de la « face cachée » intercommunale de cette élection que l’on peut nourrir le plus d’interrogations. Même si les EPCI bénéficient de dispositions transitoires analogues aux communes pour leur gouvernance des mois à venir, celle-ci s’annonce pour le moins « baroque » dans la majorité des cas.
En effet, deux intercommunalités franciliennes seulement – la communauté de communes Gally Mauldre (78) et la communauté d’agglomération du Pays de Meaux (77) (cf. carte ci-dessus) – ont vu les élections être conclusives dans la totalité de leurs communes-membres dès le premier tour et connaissent ainsi l’identité de tous leurs futurs conseillers communautaires. Les « anciennes » équipes y assurent actuellement la transition en période de confinement et les nouvelles pourront entrer en fonction (et désigner les exécutifs renouvelés) dans un délai de trois semaines après celle des municipalités, c’est-à-dire au plus tard au tout début de l’été.
À l’échelle de l’Île-de-France, ce sont 2 088 conseillers communautaires qui ont été désignés dès le premier tour. Ce chiffre est à rapprocher du total des 2 896 élus intercommunaux que comptait la région lors de la mandature précédente. Au niveau de la métropole du Grand Paris (MGP), 73 conseillers métropolitains ont déjà été élus par les électeurs sur un total de 208. Ils devraient tous entrer en fonction également fin juin ou début juillet. Mais, en attendant que le second tour ait lieu dans les communes où cela est nécessaire, ils « cohabiteront » dans les assemblées intercommunales avec les élus de ces communes issus de la mandature précédente. Durant cette seconde période transitoire, la MGP, les 11 établissements publics territoriaux de petite couronne et 49 des 51 EPCI de grande couronne seront gouvernés par des élus aux légitimités démocratiques temporellement distinctes : pour partie des élus du « 15 mars », pour partie des « anciens » élus et, en tout état de cause, par les exécutifs, présidents et vice-présidents, actuellement aux commandes.

Une fois de plus, la lisibilité et la représentativité de l’échelon intercommunal apparaissent comme les victimes collatérales de décisions institutionnelles hâtives. Espérons, alors que certains évoquent une poursuite des opérations électorales renvoyée au printemps 2021 (au nom d’un couplage avec les scrutins départementaux et régionaux), que cette période transitoire sera réduite au stricte nécessaire. Ou que le temps sera mis à profit pour, enfin, une réforme au service de la simplification de l’organisation intercommunale en Île-de-France !

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