Mobilité solidaire : l'autonomie en ligne de mire

Note rapide Mobilité, n° 968

14 décembre 2022ContactÉlie Guitton

Grâce à sa palette de solutions, la mobilité solidaire accompagne les personnes éloignées du monde du travail, les personnes âgées dépendantes, isolées ou à mobilité réduite, les jeunes et les précaires. une démarche dont les crises actuelles soulignent la nécessité.

Prêt de véhicule, covoiturage solidaire, vélo-écoles… la mobilité solidaire englobe un vaste ensemble d’offres de services. Le transport d’utilité sociale permet ainsi à des associations de transporter des personnes bénéficiaires de prestations sociales ou habitant dans des zones rurales, par exemple, à destination d’un bourg ou d’un pôle d’échange multimodal dans une agglomération voisine. Le covoiturage solidaire propose à des bénévoles de réaliser ces déplacements sans forcément passer par une association. Des garages solidaires s’organisent pour permettre à tout un chacun de réparer soi-même sa voiture ou son vélo, et favoriser l’entraide. Ces structures proposent parfois du prêt de véhicule ou de la location à bas coût. Tout le monde n’étant pas forcément à l’aise avec la pratique du vélo en ville, les vélo-écoles proposent des cours pour se familiariser avec ce mode de déplacement, et encourager ainsi sa pratique. Enfin, des services de livraison solidaire peuvent aussi proposer à des personnes qui ne peuvent pas se déplacer de se faire livrer leurs courses ou leurs repas.

UN ACCÈS INÉGAL À LA MOBILITÉ

La crise sanitaire a constitué une situation inédite, en limitant drastiquement les déplacements. Elle a mis en évidence des inégalités face aux problématiques de mobilité : si le télétravail a permis à certains de continuer leur activité depuis leur domicile, les personnels soignants, caissières et chauffeurs-livreurs ont dû continuer à se déplacer, parfois au risque de leur santé. Par ailleurs, de nombreuses personnes se sont retrouvées isolées, privées de leurs liens sociaux et familiaux. Mais les difficultés de mobilité ne datent pas de la crise sanitaire : un Français sur cinq dit rencontrer des difficultés à se déplacer. Ces difficultés peuvent être liées à l’âge, à un handicap, à des soucis financiers, au manque d’alternatives à la voiture individuelle ou à l’absence de permis de conduire. L’éloignement géographique des lieux d’emploi et d’études est également un frein à la mobilité : 23 % des Français ont déjà refusé une offre d’emploi en raison de difficultés de mobilité, selon la même source. Les difficultés peuvent aussi être cognitives, comme la difficulté à se repérer dans l’espace, à déchiffrer un plan de transport collectif, ou le fait de ne pas être à l’aise avec les outils numériques qui nous guident dans nos déplacements. Le contexte actuel de crise énergétique, d’inflation et de hausse du prix du carburant renforce les risques de difficultés de mobilité chez les ménages les plus précaires.

UN BAROMÈTRE RÉVÉLANT LES « RISQUES MOBILITÉ » EN ÎLE-DE-FRANCE

Le deuxième Baromètre des mobilités du quotidien organisé par l’association Wimoov et la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) est paru en février 2022. Il montre que l’Île-de-France est en « situation favorable » en matière d’exposition de la population aux « risques mobilité », comparativement aux autres régions françaises. Cela est dû à une meilleure offre d’alternatives à la voiture individuelle qui limite la dépendance à l’automobile. Cependant, 23 % des Franciliens disent ne pas avoir la possibilité de choisir entre différents modes de transport, et 2,2 millions de Franciliens sont en situation de « risque mobilité ». 13 % déclarent même n’avoir accès à aucune solution de mobilité. 35 % des Franciliens ont été concernés par au moins un renoncement à un déplacement lors des cinq dernières années. Ce taux de renoncement est de neuf points plus élevé que la moyenne nationale, ce qui peut s’expliquer par des distances à parcourir plus longues, des dysfonctionnements dans les transports ou des déplacements plus complexes. Dans un contexte d’inflation et de crise énergétique, le manque d’alternatives et le poids des habitudes font aussi qu’un tiers des Franciliens déclarent que le doublement du prix du carburant ne changerait pas leur usage de la voiture, alors que 10 % des automobilistes ont des dépenses individuelles de carburant d’au moins 150 € par mois.
Le baromètre met aussi en évidence la méconnaissance de l’évolution des réglementations liées aux déplacements. En effet, si la voiture est le mode de déplacement principal de 48 % des Franciliens, les trois quarts d’entre eux ne savent pas ce qu’est une ZFE-m (zone à faibles émissions mobilité), alors même que 35 % des automobilistes possèdent une voiture ayant plus de dix ans, qui risque de ne plus pouvoir rouler à l’intérieur de l’autoroute A86, dans la petite couronne, dans les prochaines années.

UN PANEL VARIÉ DE SERVICES DANS LA RÉGION

Dans tous les départements franciliens, des services de mobilité solidaire très variés sont proposés aux personnes ayant des difficultés à se déplacer. Des vélos pour l’hosto est une initiative née durant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, au printemps 2020. Des personnes ne se déplaçant plus ont proposé de prêter leur vélo à des personnels soignants pour se rendre sur leur lieu de travail. Cette démarche solidaire a permis à ces soignants de se déplacer vers leur lieu de travail en horaires décalés tout en limitant les risques de contamination. Plus de 1 300 personnes ont rejoint cette initiative. Mobilhub est un garage solidaire situé à La Courneuve. Il permet de former aux métiers de la mécanique des personnes en insertion professionnelle. Le garage propose des réparations à prix abordables, notamment aux personnes éloignées de l’emploi et suivies par Pôle emploi, les centres communaux d’action sociale (CCAS), le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et d’autres organismes sociaux. Mobilhub met également en place des ateliers de réparation de vélos et du conseil en mobilité. La structure a créé le MobiLab, un laboratoire de l’innovation en mobilité tourné vers la réduction des inégalités pour incuber des projets innovants, inclusifs et participatifs. Plus de 500 personnes bénéficient des services de Mobilhub chaque année.
La Roue libre 77 est une plateforme de mobilité dédiée aux publics en insertion, située à Combs-la-Ville. Proposée par l’association Adsea 77 et soutenue par le conseil départemental de Seine-et-Marne, elle propose de l’accompagnement à la mobilité ainsi qu’une auto-école solidaire dans une démarche de parcours d’entrée dans l’emploi pour les 16-25 ans. La Roue libre 77 a accompagné 530 personnes dans leur mobilité.
À Pontault-Combault, dans le cadre de la démarche « Territoire zéro chômeur de longue durée », l’association La Boîte à emplois propose un service de taxis solidaires pour les habitants ayant des difficultés à se déplacer. L’activité se développe, l’association est sollicitée pour établir des conventions avec des associations et des commerçants, et elle cherche de nouveaux conducteurs pour rejoindre les deux premiers bénévoles. Depuis 2021, c’est la commune qui a pris le portage du projet. La création d’une entreprise à but d’emploi permettra aux bénévoles de devenir employés.
À Sucy-en-Brie, Vélofcourses propose un service municipal de livraison de courses à vélo. Ce service gratuit est mis en œuvre par l’association Val de Brie Emmaüs en partenariat avec les commerçants de la ville, et financé par la commune. Mille livraisons ont déjà été effectuées. Vélofcourses a reçu le soutien du conseil départemental du Val-de-Marne et de l’Ademe, agence de la transition écologique, et permis le recrutement de trois livreurs en insertion et de trois étudiants. L’expérimentation, qui a duré un an, a été renouvelée. Aujourd’hui, l’association souhaite proposer ce service à d’autres communes du Val-de-Marne.
Emmaüs Synergie a créé une auto-école sociale à Villiers-sur-Marne en 2019. Financée majoritairement par le conseil départemental du Val-de-Marne et l’État, elle emploie un enseignant et un chargé d’insertion, et permet à une trentaine de personnes par an de s’inscrire à un dispositif de formation au permis B pour un prix modeste. Les apprenants, en majorité des femmes, sont orientés par des organismes prescripteurs (conseil départemental, services jeunesse des communes alentour, missions locales, protection judiciaire de la jeunesse, etc.) et sont majoritairement issus des « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV). En s’inscrivant, ils signent un contrat d’engagement de 12 mois pour bénéficier d’un suivi socioprofessionnel en parallèle de leur apprentissage et participer à une formation aux premiers secours.
Le réseau À vélo sans âge propose à des bénévoles d’emmener, pour une promenade, des personnes âgées résidant dans des maisons de retraite à bord de vélos de type « rickshaw ». Cette initiative originaire de Copenhague vise notamment à créer du lien social intergénérationnel. Le réseau est désormais mondial et regroupe 140 bénévoles en Île-de-France, répartis dans cinq antennes : Antony, Boulogne-Billancourt, Paris (12e arrondissement), Les Ulis et Saint-Quentin-en-Yvelines. Cinq cents bénéficiaires ont pu bénéficier des services de l’association.

LA MOBILITÉ SOLIDAIRE, UN ÉCOSYSTÈME

La mobilité solidaire a commencé à se structurer, avec notamment la création du Laboratoire de la mobilité inclusive en 2013. Celui-ci organise chaque année les rencontres de la mobilité solidaire et a lancé, en 2021, le site Internet « Tous Mobiles ! », qui propose aux territoires des ressources pour les accompagner dans la mise en œuvre d’une politique de mobilité solidaire. L’entreprise Ecov a également lancé une plateforme de découverte et d’échanges autour du transport solidaire. Elle a organisé les premières assises du transport solidaire en février 2020, à Nantes.
En 2016, le Laboratoire de la mobilité inclusive et l’École d’urbanisme de Paris se sont associés pour créer le diplôme inter-universitaire de « conseiller mobilité insertion », avec pour ambition de favoriser la montée en compétences – et surtout en reconnaissance – des professionnels qui interviennent chaque jour pour la mobilité des publics les plus fragiles. Cette structuration ne se place pas qu’au niveau des institutions, mais s’opère aussi au niveau des citoyens, souvent au coeur des projets de mobilité solidaire. Leur connaissance fine des territoires est nécessaire à la mise en oeuvre de dispositifs adaptés aux problématiques locales. L’idée est de mettre en place une mobilité par tous et pour tous.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, MOBILITÉ

Les plateformes de mobilité sont des structures proposant un accompagnement dans leur mobilité aux personnes précaires, en insertion ou à mobilité réduite, ainsi qu’aux jeunes, aux séniors et aux habitants des QPV. Elles proposent du conseil personnalisé après avoir réalisé un « bilan de compétence mobilité ».
Les objectifs des plateformes de mobilité sont, d’une part, la promotion d’une mobilité quotidienne accessible à tous et, d’autre part, l’accompagnement des publics vers une mobilité autonome et durable.
Né du covoiturage organisé à l’Université de Nanterre lors des grandes grèves des transports de 1995, l’expérimentation Voiture & Co est repérée par l’État, puis se structure en association, qui se développe au niveau national. Devenue Wimoov, la plateforme est maintenant implantée à Meaux ainsi qu’à Bussy-Saint-Georges (77), Évry-Courcouronnes, Brunoy (91), Pantin (93), Garges-Lès-Gonesse (95), Créteil (94), Plaisir (78), Vanves (92), Paris (75) et bientôt Tremblay-en-France (93). Il existe aussi des lieux de permanence à Ivry-sur-Seine, Arcueil (94), et aux Mureaux (78). Regroupant une équipe de 40 personnes en Île-de-France, dont 25 conseillers en mobilité, Wimoov s’adresse aux publics en insertion, aux seniors et aux jeunes, et fait de la sensibilisation à la mobilité durable et responsable ainsi qu’à la sécurité routière.
Les organismes prescripteurs, que sont Pôle emploi, les départements, les missions locales et les CCAS orientent les personnes en difficulté de mobilité vers Wimoov, qui identifie leurs problématiques et leur apporte un accompagnement personnalisé. Cela concerne entre 3 500 et 5 000 personnes par an en Île-de-France. Les conseillers en mobilité leur font passer un test pour identifier leurs freins à la mobilité, qui peuvent être psychosociaux, matériels ou financiers. Un profil de mobilité est alors établi, avec une évaluation des besoins de la personne. Une feuille de route pour son accompagnement est définie, pour une période qui dure une centaine de jours. La personne va être orientée vers des structures pédagogiques qui vont, par exemple, l’aider à mieux connaître son territoire de vie, à lire un plan de transports en commun, à utiliser les outils numériques, à faire du vélo ou à apprendre le Code de la route. Les personnes sont aussi orientées vers les aides financières auxquelles elles peuvent prétendre, comme les aides au permis de conduire, à l’achat d’un vélo, ou le microcrédit pour l’achat d’un véhicule. 42 % de personnes suivies par Wimoov trouvent un CDD, un CDI, un emploi en intérim ou une formation professionnelle à la suite de leur accompagnement. Wimoov observe aussi une augmentation des personnes accompagnées utilisant les transports en commun et la marche, et une diminution de l’usage de la voiture.
Aujourd’hui, Wimoov souhaite continuer à se développer et à se faire connaître, mais aussi à transmettre ses compétences auprès des acteurs du champ de l’emploi et de l’insertion. L’objectif serait de les aider à identifier les freins à la mobilité inclusive au sein de leurs publics (notamment via le « test mobilité »), de leur apporter des premiers éléments de réponses et de les orienter vers les plateformes de mobilité pour des accompagnements individuels.

Les autres plateformes de mobilité en Île-de-France sont Mobilhub à La Courneuve (93), Aiguillages au Plessis-Bouchard (95), Essonne Mobilités à Étampes (91) et La Roue libre 77 à Combs-la-Ville (77). Ces deux dernières font partie du réseau national Mob’In, qui fédère les acteurs territoriaux de la mobilité inclusive.

CONCILIER TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET INSERTION SOCIALE

Dans une société de plus en plus ségréguée, les inégalités en matière d’accès à la mobilité sont en hausse. La crise économique et énergétique en cours, succédant à la crise sanitaire, renforce encore ce phénomène. Après plus de 20 ans d’expérimentations, la loi d’orientation des mobilités (LOM) a entériné le fait que la mobilité solidaire était une solution à ces problématiques. Il appartient désormais aux collectivités territoriales et aux autorités organisatrices de la mobilité d’accompagner les habitants dans leur mobilité de façon plus inclusive. Elles peuvent bien sûr organiser des services de mobilité solidaire, mais aussi contribuer à des services organisés par une autre collectivité ou une autre structure, communiquer sur les services existants, offrir un service de conseil et d’accompagnement à la mobilité destiné aux personnes vulnérables ou mettre en place le versement d’aides individuelles à la mobilité à caractère social. On peut aussi se demander si les publics précaires bénéficiant des services de mobilité solidaire ne rejoignent pas un ensemble de population plus vaste résidant en zones peu denses et ne disposant pas d’alternatives à la voiture pour se déplacer. La frontière entre taxis, transport à la demande (TAD), transport d’utilité sociale ou covoiturage solidaire est parfois mince, et ces services répondent en partie aux mêmes besoins. Lorsqu’il existe un objectif de création de lien social, la distinction entre volontaires et bénéficiaires s’efface peu à peu, et les notions de communauté, d’entraide et de convivialité gagnent en importance. Une approche plus systémique décloisonnant les champs de la mobilité et de l’insertion, et mobilisant les autres compétences des collectivités (urbanisme, aménagement, formation, action sociale, développement économique…) serait nécessaire pour concilier solidarité, transition écologique et insertion sociale.■

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Mobilité et transports | Modes actifs | Déplacements | Transports publics