De nouveaux outils pour accélérer les projets urbains intercommunaux

Chronique du logement n° 7

13 septembre 2018ContactAlexandra Cocquière

 

Construire des logements plus vite est l’un des principaux leitmotivs du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) qui sera très prochainement examiné en commission mixte paritaire. La mise en place de « projets publics partenariaux » et de « grandes opérations d’urbanisme »  devrait contribuer à cet objectif. En quoi consistent ces nouveaux outils et que peut-on en attendre ?

L'approche partenariale pour favoriser la réalisation de grands projets

Les premiers acteurs du projet partenarial d’aménagement (PPA) sont l’État, les intercommunalités et les collectivités locales à statut particulier1, ainsi que leurs communes membres. Peuvent en outre être signataires : les autres collectivités territoriales et établissements publics intéressés, ainsi que l’aménageur susceptible de réaliser les opérations prévues par le contrat.

Selon l’étude d’impact du projet de loi2, les opérations contractualisées ont vocation à être réalisées en renouvellement urbain, mais  l’objet du PPA est défini plus largement dans le texte puisqu’il est de « favoriser la réalisation d'une opération d'aménagement ». Si ce texte ne définit pas de critères, on peut imaginer toutefois que le dimensionnement ou la complexité de l'opération seront déterminants dans le recours au PPA. Ce dernier présente une grande souplesse et permet de réunir les acteurs concernés pour s'accorder sur la programmation et les moyens dédiés à l'opération.

Ce dispositif n’est pour autant pas nouveau et s’inscrit dans la lignée de nombreux précédents formalisés ou non par la loi. Le PPA est ainsi directement inspiré des contrats d’intérêt national qui se sont développés en Île-de-France pour accompagner des projets présentant un enjeu particulier, recoupant ou non un périmètre d’opération d’intérêt national (OIN)3. Quel est alors l’intérêt de créer ce nouvel outil ? Outre le fait que le PPA permet une cession amiable des terrains de l'État à la collectivité ou l’intercommunalité cocontractante ou à l’opérateur dédié, le PPA peut constituer le point de départ d'une « grande opération d’urbanisme ».

La grande opération d’urbanisme, un avatar de l'opération d’intérêt national version intercommunale ?

La « grande opération d’urbanisme » (GOU), telle que définie par le projet de loi, prend sa source dans l’opération d’intérêt national (OIN) dont elle constitue une alternative décentralisée. Il s’agit d’une vaste opération comparable à celles réalisées dans le cadre des OIN, s'inscrivant dans la durée (une ou plusieurs décennies) et mobilisant des financements importants. Elle a vocation à produire une offre de logements conséquente, accompagnée d’activités et de commerce, ainsi que les équipements nécessaires.

Une maîtrise intercommunale de l’opération de bout en bout

La GOU est dotée d’un arsenal juridique important à la faveur de l’intercommunalité, en vue de la réalisation du projet. Dans sa toute première version, le texte donnait de très larges prérogatives aux intercommunalités. Au final, elles sont davantage encadrées au bénéfice des communes. Aussi, par exemple, l’intercommunalité ne pourra délibérer pour qualifier un projet de GOU qu’après avis conforme des communes concernées.

Elle assure ainsi à l’intercommunalité une maîtrise du projet de son initiation à sa réalisation, notamment à travers la constitution de réserves foncières sur le long terme4, la définition de la programmation et les coûts prévisionnels des grands équipements publics, ainsi que le transfert de la compétence autorisations d’urbanisme à l’intercommunalité après avis conforme des communes concernées.

La question du transfert à l’échelon intercommunal de cette compétence – un des derniers prés carrés des communes en matière d’urbanisme – suscite toujours beaucoup de débat. Mais au-delà du sujet politiquement sensible, on peut s’interroger sur l’effet accélérateur de projet de ce transfert. Tout d’abord, il faut rappeler que la loi définit des échéances en matière d’instruction (voir illustration ci-dessous). Mais pour les respecter, l’articulation avec d’autres législations que l’urbanisme peut rendre la tâche complexe. Aussi, la question des moyens humains et techniques est-elle centrale ? Du reste, le permis de construire devant respecter les règles du PLU, la maîtrise de ces dernières est un gage d’efficacité de l’instruction et de sécurisation de l’autorisation délivrée. Or, l’auteur ou le maître d’œuvre du PLU5 n’est pas toujours l’intercommunalité. Ce n’est donc pas tant le niveau de décision administrative pour délivrer le permis de construire qui est décisif que les conditions de l’instruction de la demande. Peut-être serait-il plus pertinent de laisser aux collectivités et leur groupement l’opportunité d’aborder, au cas par cas, ce transfert de compétence ?


Déroger pour accélérer la réalisation du projet

Dans le cadre d’une GOU, deux outils visent à surmonter les éventuels obstacles réglementaires.
Tout d’abord, la procédure intégrée pourra être utilisée dans le cadre d’une GOU pour simplifier et accélérer l’adaptation des documents d’urbanisme et documents supérieurs dans l’hypothèse où ces derniers ne permettraient pas de réaliser l’opération6.

Par ailleurs, le « permis d’innover » permettra de déroger à l’application des règles opposables au projet à condition de démontrer que le résultat visé par ces dernières peut être obtenu par d’autres moyens. Ce dispositif d’expérimentation prévu initialement pour les OIN7 est ainsi étendu aux GOU. L’ouverture du champ des possibles est intéressante, notamment dans des sites contraints, mais le « permis d’innover » ne conviendra pas à tous types de projets, si l’objectif est d’en accélérer la réalisation. En effet, chercher des alternatives à l'application de certaines règles introduit de nouvelles étapes dans le cadre de la demande de permis de construire, dont la production d’une étude d’impact dédiée. Par ailleurs, dans le cadre d’un projet contesté, il est fort probable que ces dérogations soient de nouveaux objets de recours. Au regard de ce risque contentieux, il est difficile de dire si le dispositif séduira toujours acteurs et opérateurs…

Avec ces nouveaux dispositifs, la promesse d’accélérer et de faciliter la construction de logements est-elle tenue ? Il s’agit moins d’une formule clefs en mains pour faire surgir un projet d’envergure que d’un panel d’outils facilitateurs dans lesquels collectivités et aménageurs puiseront selon le contexte de l’opération. Au-delà des aspects juridiques, la qualification d’une GOU revêt également un aspect « labellisant » car elle met en exergue les enjeux d’un territoire, à travers le partenariat formalisé entre l’État et les collectivités, et l’appui éventuel des établissements publics d’aménagement nationaux. Quant au degré d’investissement financier de l’État, il est difficile à estimer a priori, puisque qu’il variera en fonction de l'intérêt stratégique des opérations décidées8. Mais dans une région Île-de-France qui concentre d’ores-et-déjà le plus de dispositifs contractuels dédiés aux projets d’envergure et d’opérations d’intérêt national, on peut s’interroger sur le caractère significatif de la plus-value de ces nouveaux outils.


Alexandra Cocquière

Docteur en droit public, son domaine d’expertise porte sur la planification, l’environnement et le droit des collectivités territoriales. Elle a récemment publié une étude sur le <link nos-travaux publications financement-des-equipements-publics.html>financement des équipements publics. Elle contribue par ailleurs à diverses publications du Moniteur, dont l’ouvrage permanent Droit de l’aménagement.


[1] Le projet de loi vise précisément : les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les établissements publics territoriaux, la Ville de Paris et la métropole de Lyon.
[2] Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, Étude d’impact, avril 2018, p. 31.
[3] J. Denormandie : « Nous nous sommes inspirés de Vitry pour le PPA », Le Journal du Grand Paris, 11 avril 2018.
[4] Si l’acte créant la GOU le prévoit, celle-ci vaut, en partie ou en totalité, zone d’aménagement différé pour une durée de dix ans renouvelable une fois.
[5] Une intercommunalité peut réaliser un PLU parce qu’elle détient la compétence, mais elle peut par ailleurs réaliser un PLU pour le compte d’une commune dans le cadre par exemple d’une mutualisation des services.
[6] Il s’agit d’une déclinaison de la procédure intégrée pour le logement et de la procédure intégrée pour l’immobilier d’entreprise.
[7] Loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine du 7 juillet 2016, n° 2016-925, article 88 II.
[8] À titre de comparaison, l'État consacre aujourd'hui 30M€ par an aux opérations menées par les 15 EPA et EPFA en activité (source : étude d’impact, p. 29).

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