L'accompagnateur, un nouvel acteur dans la conception participative de l'habitat

Habiter autrement n° 8

13 décembre 2018ContactLucile Mettetal, Olivier Mandon, Lisa Laurence

Entretien avec Gaëtan Brisepierre

Gaëtan Brisepierre est sociologue indépendant, spécialisé dans les questions d'énergie, d'environnement et d'habitat. Ses publications visent notamment la sociologie de l’énergie, l’accompagnement des changements de comportement et la conception participative des logements.

La participation des habitants à la conception de leur habitat est-elle récente ?

L’habitat connaît des évolutions techniques constantes et la question des usages est un enjeu pour l’ensemble des acteurs. Historiquement, les usagers sont peu associés au processus de production, même si la participation des habitants à la conception de l’habitat a près de cinquante ans. En effet, elle trouve ses origines dans le mouvement de « l’habitat participatif autogéré » des années 70, puis s’illustre à travers le courant de « l’architecture innovante » des années 80, mais il faut attendre la fin des années 2000 avec l’apparition des projets d’éco-quartiers, pour que les interrogations sur l’intégration des usagers à la conception soit à nouveau d’actualité. Il ne s’agît plus de se limiter aux démarches militantes mais d’entrevoir la conception participative comme une innovation sociale. Comment produire un habitat de qualité qui répond aux besoins des habitants ?

Comment la participation des habitants peut-elle aujourd’hui s’illustrer ?

L’implication des habitants est différente selon qu’il s’agisse d’une construction neuve, avec un groupe à constituer, ou d’une rénovation, avec un groupe préexistant. Dans la construction neuve, les habitants ont des revenus variés mais un capital culturel élevé et une forte sensibilité au sujet de la participation. Mais dès le départ se présente le défi de construction du groupe et de gestion de ses dynamiques. La participation des habitants intervient tout au long du projet et selon plusieurs étapes : le montage de l’opération, le diagnostic, la conception de l’immeuble, la conception des appartements, le financement, et dans une moindre mesure le chantier. Il s’agit de remettre de l’humain au cœur du bâtiment durable. Ce sont des compétences et des démarches qui restent aujourd’hui expérimentales et marginales.

Quelle est la relation des habitants avec les professionnels ?

La population française entretient un rapport très fort à son lieu de vie, il reflète son identité. Renouveler le rapport constructeur-habitant peut permettre d’innover mais aussi de rééquilibrer les relations : le maître d’ouvrage devient ainsi plus légitime, ses choix sont appuyés par les habitants.

Différentes catégories de professionnels participent à ces opérations en affichant une vision éthique de l’habitat et une préoccupation pour sa qualité. Ils prônent la diversité et dénoncent une tendance à l’uniformisation et à la production de logements standardisés. Il s’agit : d’architectes ayant des postures réflexives sur leurs activités professionnelles ; d’accompagnateurs de divers horizons (conseil, urbanisme, bâtiment, animation, etc.) ; de maîtres d’ouvrage du monde HLM (notamment les coopératives d’HLM ou des bailleurs sociaux innovants).

Pour les projets d’habitat collectif, un nouvel acteur peut jouer le rôle de tiers comme « accompagnateur », en position de médiation avec les habitants. Cette nouvelle fonction émerge et pourrait pénétrer l’univers du bâtiment traditionnel. Certains militent pour un nouveau métier, d’autres pour un renouvellement des postures professionnelles. Qu’il s’agisse d’un architecte médiateur, d’un assistant à maitrise d’usage, ou d’un ingénieur accompagnateur, l’objectif est de faciliter les relations et la compréhension entre habitants et constructeurs, de travailler dans un contexte marchand et institutionnel tout en permettant l’implication des usagers.

Quels sont les effets de la conception participative dans le logement neuf ?

Impliquer les habitants dans le processus de création d’une opération d’habitat produit des effets sur les choix constructifs. La forme des immeubles s’en trouve modifiée : par une mixité sociale et une densité plus marquées, ce qui entraîne des marges de manœuvre budgétaires ; par des circulations par coursives, ce qui permet la conception d’appartements traversants ; ou encore par des façades moins uniformes répondant aux attentes des habitants. Les habitants tendent à personnaliser leurs appartements en intégrant l’adaptabilité et la réversibilité des logements, par exemple grâce à des cloisons mobiles. Les espaces partagés seront pensés comme lieux de vie, propices aux projets collectifs. L’acculturation des habitants en matière de choix énergétiques et environnementaux permet de prendre la mesure des contraintes réglementaires et budgétaires et aide les professionnels à mieux appréhender les usages. La participation va permettre des choix techniques plus proches de leurs attentes et de leurs besoins et donc de minimiser le décalage entre l’habitat performant et l’habité, et de réduire la défiance des habitants vis-à-vis des technologies.

Enfin, les conventions sociales, comme le règlement de copropriété, sont adaptées aux usages des habitants, et notamment à l’utilisation des espaces partagés.

Quelles sont les perspectives de développement de la démarche participative des habitants ?

Les opérations participatives impliquant des habitants se révèlent être plurielles et à analyser selon chaque contexte. L’assistance à maitrise d’usage facilite un accompagnement des projets et les professionnels pouvant la mettre en œuvre sont divers. C’est un renouvellement profond du processus de production, des postures professionnelles des acteurs du logement, et du lien entre ces acteurs et les habitants.

La conception participative trouvera un large déploiement selon l’évolution des règlementations et leur financement comme, par exemple, l’ouverture de réservation de terrain par les collectivités à des initiatives professionnelles et pas seulement à des groupes militants, ou la valorisation des efforts de conception participative et des projets déjà réalisés. La demande sera stimulée par la diffusion des expériences et les témoignages d’acteurs et d’habitants, et en facilitant leurs mises en relation. La reconnaissance et la professionnalisation de la fonction d’accompagnateur et de l’assistance à maitrise d’usage devraient mobiliser des financements adaptés, notamment en direction des bailleurs sociaux.

Pour en savoir plus

Gaëtan Brisepierre, La conception participative dans l’habitat collectif, Leroy Merlin source, Ademe, janvier 2018 - 156 p.

Gaëtan Brisepierre, L’accompagnement des habitants, une évidence à déconstruire, Leroy Merlin source, Ademe, 2015.

Face à face entre la designeuse Matali Crasset et le sociologue Gaëtan Brisepierre

L’impensé des usages par Gaëtan Brisepierre, Catherine Grandclément et Vincent Renauld

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