Quel impact le Covid-19 a-t-il eu sur les départs de Franciliens vers d’autres régions ?

Note rapide Société-Habitat, n° 999

07 décembre 2023ContactAlexandre Floury, Philippe Louchart

D’abord empêchées par la crise sanitaire, les migrations au départ de l’Île-de-France vers le reste du pays ont sensiblement augmenté à la suite des premiers confinements, fin 2020 et en 2021. Les villes petites et moyennes ainsi que les espaces peu denses ont connu un regain d’attractivité. Mais, en 2022, les déménagements de Franciliens vers d’autres régions se sont progressivement érodés. Ils pourraient fortement baisser en 2023.

Un ménage francilien sur neuf environ a changé de domicile en 2017. Ces derniers déménagent très majoritairement à proximité de leur domicile antérieur : 27 % au sein de la même commune (ou du même arrondissement, pour Paris) et près de 60 % dans un rayon de trois communes autour de celle où ils résidaient. En 2018, selon le recensement de la population, les départs de l’Île-de-France ne concernaient qu’un seul ménage sur cinq parmi ceux changeant de domicile. Mais la pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé le rapport des Franciliens à leur environnement, les rendant plus sensibles à la qualité de leur logement et réveillant parfois des envies d’ailleurs. Le recensement de la population, traditionnellement utilisé pour appréhender les mobilités résidentielles, ne permet pas d’analyser l’impact de la pandémie sur les départs de l’Île-de-France, et plus particulièrement comment les confinements à répétition et le développement du télétravail ont influencé la destination de ces ménages. Parce qu’il s’appuie sur la moyenne de cinq enquêtes annuelles et que celle de 2021 a été annulée en raison de l’épidémie. Mais étant donné qu’une grande majorité des personnes qui quittent la région fait suivre son courrier, l’analyse au trimestre des données de réexpédition de La Poste représente une alternative intéressante pour appréhender l’évolution récente de ces migrations.

PREMIER SEMESTRE 2020 : MOINS DE DÉPARTS DE FRANCILIENS VERS LA PROVINCE

Au début de l’année 2020, l’épidémie de Covid-19 se propage en Europe et le confinement des populations est instauré pour tenter de l’endiguer. L’impact de cette première mesure sanitaire sur les mobilités résidentielles est immédiat. Au cours du premier semestre 2020, les déménagements de Franciliens vers le reste du pays chutent (-13 % par rapport aux premiers semestres 2018 et 2019). La baisse est plus prononcée en couronne et dans le pôle parisien (hors Paris, -15 %) qu’à Paris (-8 %), où beaucoup de ménages sont locataires, vivent sans enfants ou avec des enfants non scolarisés, et n’ont qu’un mois de préavis à donner pour quitter leur logement. Il est important de préciser que ces baisses, mesurées à partir des données de La Poste, sont probablement surestimées, puisqu’elles englobent avec elles une baisse tendancielle du recours aux contrats de réexpédition, liée, notamment, à la numérisation croissante des échanges. Néanmoins, l’ampleur de ces diminutions ne laisse pas de doute quant à l’impact de la crise sanitaire sur la baisse des départs de l’Île-de-France. Inversement, les augmentations mesurées à partir des données de La Poste sont probablement sous-estimées.

DEUXIÈME SEMESTRE 2020 ET ANNÉE 2021 : L’AUGMENTATION DES MIGRATIONS

Durant la seconde moitié de l’année 2020, les restrictions sanitaires s’assouplissent en partie et les mobilités sont facilitées. Au troisième trimestre, les départs augmentent et retrouvent pratiquement le niveau de la période pré-pandémie (2018-2019), voire le dépassent à Paris (+6 %). Cette évolution s’affirme au quatrième trimestre. Les migrations franciliennes augmentent de près d’un quart par rapport aux mêmes trimestres avant la crise sanitaire. Pour les seuls départs de Paris, elles progressent de près d’un tiers. Les difficultés rencontrées lors du confinement par les jeunes et par les familles avec enfants, en particulier celles vivant dans des logements petits et sans espace extérieur, ont contribué à cette hausse des départs de l’Île-de-France1. L’augmentation des départs d’Île-de-France, amorcée fin 2020, se poursuit tout au long de l’année 2021, qui, bien que marquée par la pandémie, ne connaît pas des niveaux de restrictions aussi importants et longs qu’au début de la pandémie. Les départs progressent de 17 % par rapport à 2018 et 2019. Contrairement à l’année précédente, l’évolution des migrations est similaire pour Paris et son pôle (respectivement +18 % et +17 % – lire Définitions), et proche pour la couronne francilienne (+14 % – lire Définitions). Toutefois, la dynamique des départs des ménages parisiens reste plus soutenue au premier semestre 2021 que celle du pôle parisien ou de la couronne francilienne. Au second semestre, la tendance s’inverse. Cette forte augmentation des migrations franciliennes au sortir des premières restrictions sanitaires correspond, en grande partie, au rattrapage de celles empêchées durant la première partie de l’année 2020, mais pas seulement. Sur la période 2020-2021, les migrations ont en effet progressé de 8 % par rapport à la période 2018-2019. La pandémie a fait naître chez de nombreux ménages franciliens des envies de se mettre au vert, même s’ils sont loin de les avoir tous concrétisées.

PAS D’EXODE URBAIN, MALGRÉ UN REGAIN D’ATTRACTIVITÉ POUR LES ESPACES RURAUX ET PEU DENSES

Au cours de la période 2020-2021, correspondant à la pandémie, les espaces ruraux sont les territoires ayant connu les dynamiques les plus fortes. Les arrivées y ont progressé de 17 % par rapport à la période pré-pandémie (voire de 21 % dans les espaces ruraux dits « de villégiature »2) et de près d’un quart pour les seuls ménages en provenance de Paris. L’idée d’une fuite massive des « citadins » vers les campagnes est néanmoins un mythe, puisqu’elle concerne moins d’un déménagement hors de la région sur dix. S’agissant des aires d’attraction des villes, la hausse des arrivées est d’autant plus forte qu’elles sont peu peuplées. Les départs vers les aires de moins de 50 000 habitants progressent de 12 %, et d’environ 9 % vers celles comptant 50 000 à 700 000 habitants. Quant aux très grandes aires, destinations privilégiées par près d’un ménage francilien sur quatre quittant la région, les arrivées augmentent seulement dans celles de Rennes, Marseille, Grenoble, Montpellier et Lille. Les dynamiques observées pendant cette période confortent celles qui existaient avant la pandémie. Les arrivées se renforcent pour une large partie des aires d’attraction des villes petites et moyennes situées dans un quart nord-ouest de la France, ainsi que sur une partie du littoral atlantique et méditerranéen. Cette dynamique s’étend à d’autres territoires de ces zones et en touche également d’autres, principalement localisés dans la moitié sud de la France. Bien que plus dynamiques, les installations de Franciliens dans les petites et moyennes aires d’attraction des villes demeurent moins importantes en volume que celles dans les grandes aires, plus attractives car mieux dotées en matière d’emploi, d’offres de formation, de services… Aussi, la structure bouge peu. La part de Franciliens déménageant dans les aires de moins de 50 000 habitants passe de 15 % avant la pandémie à 16 % en 2021.

 

 

LA MAISON INDIVIDUELLE AVEC JARDIN : UNE ASPIRATION RENFORCÉE PAR LA PANDÉMIE

Au sein des aires d’attraction des villes (hors aire de Paris), les arrivées dans les couronnes ont progressé deux fois plus (+10 %) que celles dans les pôles (+5 %). Cette tendance exprime les préférences d’une partie des Franciliens quittant la région, qui privilégient les espaces les plus résidentiels. L’aspiration à vivre dans une maison individuelle avec jardin n’est pas nouvelle, mais elle s’est confirmée, voire exacerbée, durant la pandémie. Malgré l’attractivité renforcée du périurbain, durant la période « pandémie », les ménages franciliens déménagent davantage dans les pôles (53 %) que dans les couronnes, ce qui a à peine baissé par rapport à avant la pandémie (54 %). La proximité des aménités qu’offrent les pôles demeure un argument de poids pour une large partie de ces ménages, d’autant qu’ils y trouvent davantage de maisons individuelles qu’en Île-de-France : 35 % des logements dans les pôles sont des maisons, contre 15 % dans le pôle parisien, selon le recensement de la population de 2018.

TÉLÉTRAVAIL ET TRAIN : QUITTER L’ÎLE-DE-FRANCE TOUT EN Y TRAVAILLANT

Certains Franciliens ont aussi fait le choix de quitter l’Île-de-France tout en y conservant leur emploi. La part d’actifs franciliens pratiquant le télétravail est passée de 20 % en 2020 à 43 % en 20223. L’évolution de ce mode de travail hybride a pu favoriser ce type de mobilité. Les territoires proches de l’Île-de-France constituent des destinations attractives pour ces personnes devenues Franciliennes « à temps partiel ». Ainsi, au dernier trimestre 2020, les départs vers la couronne de l’aire d’attraction de Paris située hors Île-de-France augmentent de 27 % par rapport aux derniers trimestres 2018 et 2019. Cette destination représente 7 % des mobilités extra-franciliennes. Assez spécifique à ce trimestre, cette forte dynamique s’estompe au cours de l’année 2021. Finalement, sur la période 2020-2021, les départs vers cette destination augmentent de 6 %. Grâce au réseau ferré, d’autres Franciliens ont pu s’éloigner davantage tout en maintenant un lien avec l’Île-de-France, en devenant des « navetteurs ». Les arrivées dans les pôles situés à moins de deux heures en train de Paris ont augmenté de 8 % par rapport à la période pré-pandémie (et de 5 % en moyenne tous pôles confondus). Les plus fortes augmentations se concentrent majoritairement dans un large pourtour de la région francilienne, notamment au nord-ouest. Parmi les pôles pour lesquels les dynamiques d’arrivées de Franciliens ont été les plus importantes, on retrouve les petits et moyens, comme Épernay, La Ferté-Bernard, Arras, Vendôme, Blois ou Châtellerault, et de plus grands, comme Orléans, Tours, Poitiers ou, dans une moindre mesure, Rennes. Ces tendances observées ne disent rien néanmoins du dynamisme socioéconomique de ces territoires, dont certains perdent des habitants.

2022 : L’ÉROSION DES DÉPARTS DE L’ÎLE-DE-FRANCE VERS LA PROVINCE

L’augmentation soutenue des départs de Franciliens à la fin de l’année 2020, puis en 2021, semble s’éroder dès le début 2022. Sur l’ensemble de l’année 2022, les départs sont encore supérieurs de 5 % par rapport à 2018 et 2019, mais les dynamiques s’estompent progressivement, pour atteindre, au dernier trimestre 2022, des niveaux moindres que ceux observés durant la période pré-pandémie (-1 %). Ce sont les migrations au départ de Paris qui diminuent le plus intensément et le plus précocement. Les départs du pôle parisien baissent eux aussi par rapport à 2021, mais restent, au quatrième trimestre, encore légèrement supérieurs à ceux d’avant la pandémie. Loin d’un désamour durable pour l’Île-de-France, ces résultats indiquent que les départs de la région ne devraient pas, plus tard, se maintenir au niveau élevé de 2021. Les évolutions observées en 2022 suggèrent en effet que le surplus de départs de 2021 correspondait en grande partie à la concrétisation, accélérée par la pandémie, de projets de migration de familles qui auraient certainement quitté l’Île-de-France à plus long terme.

DES DYNAMIQUES TOUJOURS FORTES DANS LES ESPACES PEU DENSES ET LE PÉRIURBAIN

En 2022, la baisse des départs de Franciliens s’observe dans tous les types de territoire. Toutefois, cette inflexion reste moins prononcée vers les espaces peu denses, où l’augmentation des installations par rapport à 2018 et 2019 s’est maintenue à des niveaux relativement élevés. Les départs vers les espaces ruraux (9 % du total des flux en 2022) dépassent toujours de 14 % ceux constatés avant la pandémie. Dans les aires d’attraction des villes, les dynamiques bénéficient davantage aux plus petites. En 2022, les arrivées de Franciliens dans les aires de 50 000 habitants ou moins demeurent supérieures de 9 % à celles observées en 2018 et 2019, tandis que celles concernant les aires de 700 000 habitants et plus sont inférieures de 4 %. Le périurbain conserve sa bonne dynamique, avec une augmentation de 8 % des arrivées dans les couronnes (hors aire de Paris), contre 1 % seulement dans les pôles.

2023 : VERS UNE FORTE BAISSE DE LA MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE ?

Malgré des aspirations à quitter l’Île-de-France toujours fortes en 2023 (lire l'encadré), tout porte à penser que l’évolution de la conjoncture immobilière va se traduire par une forte baisse de la mobilité résidentielle cette année. Depuis le troisième trimestre 2022, les taux d’intérêt moyens à 20 ans ont doublé, passant de 2 % à 4,2 % en un an4. Concrètement, à mensualité et taux d’effort constants, un trentenaire gagnant 3 000 euros par mois a vu en un an sa capacité d’emprunt sur 20 ans baisser de 17 %, passant de 205 000 à 170 000 euros. Or si les marchés immobiliers ont amorcé une correction de 2,2 % sur un an en Île-de-France (3,5 % à Paris), celle-ci reste trop faible pour préserver le pouvoir d’achat immobilier des Franciliens. En revanche, elle contribue à réduire l’offre de logements à la vente, nombreux étant les propriétaires à différer leur projet pour bénéficier de meilleurs prix.

En ce qui concerne uniquement le marché de l’accession, la baisse du nombre de ventes témoigne du net ralentissement du marché (-17 % en Île-de-France, contre -15 % ailleurs en France entre août 2022 et août 2023). Au-delà de l’accession, c’est l’offre globale de logements disponibles pour s’installer qui se réduit : logements mis en vente par les propriétaires occupants, logements locatifs libérés par leur ancien locataire nouvellement propriétaire, etc. Les mobilités du centre vers la périphérie de l’Île-de-France, traduisant habituellement le parcours résidentiel des Franciliens, apparaissent ainsi en forte baisse dès 2022 : -20 % au dernier trimestre pour les départs de Paris vers le reste de la région et -15 % pour ceux du pôle parisien (hors Paris) vers la couronne par rapport à la période pré-pandémie, selon les données de La Poste. Les tensions observées à la rentrée 2023 sur le marché locatif privé témoignent de ces conséquences en chaîne, dont les premières victimes sont les jeunes qui cherchent leur premier logement.■

1. François Michelot, « Le confinement : qui l’a mal vécu, et pourquoi ? », Note rapide n° 867, L’Institut Paris Region, octobre 2020.
2. Définis ici comme les communes dont la part de résidences secondaires est supérieure à 20 %.
3. Le Baromètre des Franciliens, édition 2023, L’Institut Paris Region, octobre 2023.
4. Historique des taux immobiliers, Empruntis.

QUELLES MOBILITÉS REPRÉSENTENT LES CONTRATS DE RÉEXPÉDITION DE LA POSTE ?

Si le service de réexpédition du courrier est utilisé par un nombre important de ménages changeant de domicile, certaines catégories de population (étudiants et jeunes actifs) sont moins susceptibles d’y recourir. Or l’Île-de-France, en particulier l’agglomération parisienne, attire bon nombre de jeunes venus poursuivre leurs études ou commencer leur vie professionnelle. En 2018, 63 % des ménages originaires de province et s’installant en Île-de-France avaient moins de 30 ans, selon l’Insee : deux fois plus que ceux quittant la région pour s’installer en province (31 %).

La comparaison des données de La Poste en 2018 (un contrat correspond à la mobilité d’un ménage) et du recensement de la population la même année semble confirmer la moins bonne représentativité de cette source de données pour les jeunes ménages. S’agissant des migrations de la province vers l’Île-de-France, l’écart entre les deux sources est de 45 %. Dans le sens inverse, c’est deux fois moins (23 %).

Les mobilités au sein de l’Île-de-France suivent globalement ce schéma. Les ménages se déplaçant de la périphérie vers le centre de la région sont plus jeunes que ceux, aux profils plus hétérogènes, allant du centre vers la périphérie. Les données de La Poste sous-estiment ainsi beaucoup plus les mobilités centripètes (de la périphérie vers le centre) que les mobilités centrifuges, qui semblent être relativement bien représentées par cette source de données.

En considérant ces éléments, cette note s’est avant tout concentrée sur les migrations de Franciliens vers le reste du pays. La comparaison du recensement de la population et des données de La Poste semble toutefois indiquer une légère sous-représentativité des migrations franciliennes vers les très grandes aires urbaines et une légère sur-représentativité des migrations vers les espaces moins denses, qui amplifie sensiblement l’attrait pour ces territoires.

DÉFINITIONS

L’aire d’attraction d’une ville définit l’étendue de son influence sur les communes environnantes. Une aire est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué d’un pôle de population et d’emploi, et d’une couronne qui regroupe les communes dont au moins 15 % des actifs travaillent dans le pôle.
Source : Insee

La couronne, ou « espace périurbain », est l’espace situé en périphérie d’une agglomération et dont une part importante des habitants travaille dans cette agglomération.

Voir aussi

Le Baromètre des Franciliens, édition 2023

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Mobilité résidentielle

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