Réussir l’aménagement des quartiers de gare : vers une stratégie « TOD » pour l’Île-de-France ?

Note rapide Territoires-Mobilité, n° 1008

02 avril 2024ContactStéfan Bove, Benoît Cornut

La recherche d’une meilleure articulation ville-transport n’est pas nouvelle, mais les collectivités et acteurs de la fabrique urbaine rencontrent souvent des freins à sa mise en œuvre. Les quartiers de gare sont des lieux stratégiques à l’aune de la mise en service du Grand Paris Express, points de jonction entre programmation urbaine, espaces publics et planification des transports. Les bénéfices attendus en termes de cadre de vie sont particulièrement sensibles pour ceux qui y vivent ou en sont usagers. À la recherche de villes et de mobilités plus durables, certaines expériences à l’international d’intensification urbaine programmées autour des gares peuvent inspirer nos façons de transformer la ville.

De nombreuses villes dans le monde ont adopté une stratégie de Transit-Oriented Development (TOD), c’est-à-dire d’urbanisme orienté vers les transports collectifs. Avec leurs réussites et leurs échecs, elles permettent de questionner les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’un tel modèle de planification qui combine des enjeux multiples. Compte tenu de l’ampleur des mutations déjà engagées et restant à venir autour des stations du Grand Paris Express (GPE), quels enseignements peut-on tirer pour l’Île-de-France du rapport entre planification intégrée des transports, programmation urbaine et usages des sols ? En s’appuyant sur des expériences internationales, L’Institut Paris Region interroge les principes du modèle « TOD » et propose des éléments pour une stratégie adaptée à l’Île-de-France, particulièrement aux quartiers de gare du Grand Paris.

UN CONCEPT D’URBANISME DURABLE AUTOUR DES GARES

L’architecte-urbaniste Peter Calthorpe est à l’origine du modèle « TOD », au début des années 1990, inspiré d’expériences antérieures japonaises, européennes et sud-américaines, et des principes du New Urbanism1 et du Smart Growth2. Le TOD vise à développer un aménagement urbain dense et compact dans un rayon de 800 mètres (soit dix minutes à pied environ) autour des gares de transports en commun ferrés ou des stations de bus structurantes. Il combine un usage mixte du sol (logements, commerces, bureaux, espaces publics, etc.), un environnement favorable aux mobilités actives et une qualité globale de conception des espaces publics afin de renforcer le lien urbanisme-transport (voir schéma). Il tend à améliorer la qualité de vie des habitants (espaces publics, jardins, etc.), à renforcer l’activité économique autour de ces pôles (commerces et services), à limiter l’étalement urbain, à réduire la place de l’automobile en promouvant des mobilités plus durables ou encore à améliorer l’accessibilité aux services et aux emplois. Ce modèle théorique a vocation, néanmoins, à être adapté à chaque contexte local. L’aménagement d’un quartier « TOD » peut en effet s’insérer dans un tissu urbain déjà existant, ou être réalisé sur un délaissé urbain ou encore autour d’une ligne de transport en extension urbaine. Une hiérarchie des gares doit également s’opérer en proposant une planification à l’échelle régionale ou d’un corridor urbain, comme le Rosslyn-Ballston Corridor, dans la région de Washington. Si les mises en œuvre du TOD montrent souvent des réussites, elles peuvent néanmoins présenter des résultats mitigés. D’abord parce que les promoteurs ou aménageurs peuvent rechercher la rentabilité de leurs investissements sans forcément en respecter les principes. Le TOD est parfois devenu un label et un outil de marketing territorial qui vient légitimer un produit immobilier. Ensuite, parce qu’un projet de développement urbain peut connaître des problèmes de gouvernance, des aléas ou des effets de concurrence remettant en question la compacité des projets, la mixité des programmations, la qualité de l’accessibilité piétonne ou cyclable, ou encore l’identification d’une centralité autour d’une gare.

 

 

POURQUOI PENSER « TOD » EN ÎLE-DE-FRANCE ?

Né de la loi sur le Grand Paris en 2010, le réseau des 68 gares du GPE dessine des enjeux d’aménagement importants, tant à l’échelle métropolitaine que locale : amélioration du cadre de vie, émergence de nouvelles centralités et volonté de rééquilibrage territorial, et augmentation significative de l’accessibilité aux emplois, équipements, commerces et services. Dans la planification régionale, les quartiers de gare sont au cœur de la stratégie d’intensification urbaine : densification et polarisation accrue autour des gares dans le Schéma directeur régional d’Île-de- France (SDRIF) et futur SDRIF-E (environnemental), et volonté de créer une ville plus favorable aux modes actifs dans les plans de mobilité. Pour autant, la planification seule ne suffit pas. Le couple ville-mobilité se reconfigure et le marché privé, par son dynamisme, entre en concurrence avec l’action publique en jouant un rôle significatif dans les effets de polarisation et de dispersion spatiale. D’autant que le volume important de constructions privées génère une densification qui pèse de plus en plus sur le financement des équipements publics ou le dimensionnement des réseaux. C’est déjà le cas autour des gares de la ligne 15 sud, par exemple à Vitry-Centre ou Issy-RER, où les constructions dans le diffus privé3 ont été très importantes. En Île-de-France, l’environnement autour des gares s’inscrit dans des héritages parfois complexes à faire évoluer et où les processus d’aménagement peuvent différer fortement. Dans certains quartiers, des dynamiques de projets préexistaient, avec un accompagnement public à la production de logements (Les Ardoines, Villejuif Gustave- Roussy ou Saint-Denis-Pleyel), d’autres quartiers ne présentent que peu de projets publics (Châtillon- Montrouge ou Arcueil-Cachan), et d’autres encore cumulent marché privé dynamique et opérations publiques (Bry-Villiers-Champigny ou Champigny- Centre). Si l’on peut déjà prendre la mesure de la densification engagée dans les quartiers de gare du GPE, celle-ci n’est pas maîtrisée partout dans une logique de cohérence d’ensemble. Les quartiers de gare du GPE donnent l’opportunité de questionner le modèle « TOD ». Il présente de nombreux atouts pour améliorer la qualité de vie, l’attractivité et la cohérence de ces territoires. Il interroge aussi les mécanismes de financement de l’infrastructure par la captation des plus-values foncières et immobilières générées dans le cadre du développement urbain à proximité des gares.

 

 

ASSOCIER DENSIFICATION ET CADRE DE VIE

L’approche « TOD » ne doit pas être perçue comme un projet exclusivement immobilier, et guidé par la densité. Bien que le seuil minimum de densité se situe aux alentours de 40 logements à l’hectare, il peut correspondre à des formes urbaines très différentes, comme des petits immeubles collectifs discontinus ou des maisons mitoyennes de deux ou trois étages. La notion de densification urbaine doit s’intégrer dans un projet d’ensemble qui ambitionne d’offrir un cadre de vie plus désirable aux populations résidentes. C’est le cas, par exemple, de Curitiba, au Brésil, qui a su pendant longtemps être un modèle alliant densification et cadre de vie, mais qui a été rattrapé récemment par une démographie galopante (lire exemple). En Île-de-France, l’arrivée d’une infrastructure telle que le GPE, qui se greffe sur un réseau existant et au sein de tissus urbains déjà largement habités, interroge : comment améliorer la qualité de vie des habitants alors même que la densité humaine va augmenter dans les quartiers de gare par l’ampleur des volumes construits ? D’abord en procurant des espaces verts de proximité en nombre suffisant et en reliant les grands parcs urbains par des continuités aménagées. Ensuite en plaçant une mixité de fonctions urbaines à distance de marche, et en favorisant la qualité, le dimensionnement et le maillage des espaces publics à la fois pour les mobilités piétonnes et cyclables, mais aussi pour l’animation globale du quartier (commerces, services et équipements). Ces éléments sont essentiels, en complément d’une offre de transports en commun structurante et suffisamment cadencée pour accroître son usage. Mais cela nécessite une coordination des acteurs, dont les intérêts sont parfois divergents.

 

Curitiba : une approche « TOD » intégrée à la planification, devenue obsolète. Curitiba a longtemps représenté l’un des modèles les plus durables au monde en matière de coordination urbanisme-transport, avec la mise en œuvre d’un réseau de Bus Rapid Transit (BRT)* accessible et très fréquenté, combiné à une urbanisation de forte densité et à usage mixte le long des principaux couloirs de transports en commun, tout en créant une très grande superficie d’espaces verts (2 100 ha, équivalant à 52 m² d’espaces verts par habitant, soit cinq fois plus que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé). Si ce modèle a su répondre, dans un premier temps, à la forte croissance démographique, la hausse de population continue (+13 % environ entre 2010 et 2016) a eu pour conséquences de saturer le réseau de surface pourtant bien maillé et d’encourager les extensions urbaines difficiles à intégrer à la stratégie urbaine de la ville.

* Le BRT se rapproche du bus à haut niveau de services (BHNS) en France.

 

RÉGULER LA PLACE DE L’AUTOMOBILE DANS LES QUARTIERS DE GARE

Lorsque l’automobile garde une place prédominante dans les quartiers de gare, on ne constate pas de nette amélioration du report modal, et le modèle « TOD » peut dévier vers un « TAD » (pour Transit- Adjacent Development), c’est-à-dire un aménagement adjacent au transport collectif4. C’est le cas des quartiers de gare de Mont-Saint-Hilaire et de Sainte-Thérèse, dans le Grand Montréal, et des stations Hayward et Fremont, près de San Francisco, dépourvus de commerces et services de proximité, et où l’environnement bâti est largement organisé autour de grands espaces de stationnement automobile. L’un des prérequis à la réussite de l’aménagement d’un quartier de gare de type « TOD » est donc de mieux partager les usages de la voirie entre les différents modes de transport et de limiter la place de la voiture en généralisant le stationnement payant autour des gares, en réservant les parkings-relais aux non-résidents, en réduisant le stationnement de surface, en favorisant largement l’usage de la marche (continuité pédestre et rues piétonnes), et en développant l’intermodalité avec le bus et le vélo. C’est une stratégie que l’on retrouve à Singapour, où les liens entre usage du sol et planification des transports sont particulièrement forts (lire exemple). La gestion fine de la demande des flux passagers par des mesures incitatives, de même que le contrôle du trafic routier avec un système de péage urbain en temps réel régulent l’usage des véhicules au profit des transports publics. En Île-de-France, si les comités de pôle, mis en place à l’initiative d’Île-de-France Mobilités et de la Société des Grands Projets (SGP), gèrent la cohérence des projets de mobilité dans un périmètre de 300 mètres aux abords des gares, une échelle élargie incluant le niveau communal, voire intercommunal, permettrait d’assurer un rabattement efficace et une plus grande cohérence dans les continuités cyclables et pédestres.

 

Singapour : une coordination étroite entre autorités de planification et opérateurs de transport. Le schéma directeur de Singapour développe le concept de Constellation Plan, où les polarités sont reliées au centre-ville par l’extension du réseau de mass transit. Les nouvelles constructions situées à proximité des stations sont autorisées à réaliser des opérations plus denses afin de maximiser l’utilisation des terrains et d’encourager la création de lieux de travail à proximité du réseau de transport. Si le lien urbanisme-transport structure le document de planification, c’est la force de la coordination de la gouvernance locale qui a permis le développement de nouvelles centralités résidentielles au-delà du centre-ville, par exemple à Paya Lebar, terminus de la East-West Line. Ces développements ont fait l’objet d’une attention particulière pour maintenir des logements abordables et aménager des espaces verts qualitatifs autour des nœuds de transport à forte densité résidentielle. L’autorité de renouvellement urbain s’appuie sur une stratégie de développement à long terme, et l’autorité des transports terrestres (LTA) supervise la construction et la modernisation du réseau, tout en fournissant un cadre pour stimuler l’utilisation et la fiabilité des transports.

 

ORGANISER UNE GOUVERNANCE INTÉGRÉE PAR DES OUTILS DE COORDINATION

Ce qui ressort particulièrement dans les mises en œuvre des TOD à travers le monde est le rôle central de la gouvernance locale, associant les acteurs des transports, les promoteurs ou les aménageurs, voire les habitants eux-mêmes qui entrent dans le processus de négociation sur l’aménagement du quartier. Or l’organisation administrative francilienne, composée d’un système d’acteurs complexe dans les quartiers de gare, limite cette coordination. Au-delà des liens unissant l’autorité des transports à ses partenaires dans les comités de pôle pour l’organisation des fonctions « transport » et « intermodalité », on compte d’une part, les collectivités locales, ainsi qu’une diversité d’aménageurs, d’établissements publics et d’opérateurs fonciers et, d’autre part, des promoteurs qui agissent dans les secteurs diffus non maîtrisés par la puissance publique. Cette multiplicité d’acteurs de la fabrique de la ville rend l’action peu lisible et crée des contraintes pour l’atteinte des objectifs de construction ou pour la qualité d’aménagement d’ensemble. L’État a lancé en 2021 le comité « Vitalisation des quartiers de gare » afin de mettre en commun les dynamiques ou les freins rencontrés dans la mise en œuvre des projets portés par les collectivités territoriales. Néanmoins, il manque actuellement un acteur transversal assurant la cohérence de l’aménagement urbain autour des gares par une coordination des projets à l’échelle d’une ligne ou d’un corridor. L’exemple des contrats d’axe à Grenoble et Toulouse, puis les chartes aménagement-transport en Île-de-France, expérimentées sur la ligne 11 du métro et le tramway T9, ont montré tout l’intérêt de penser à l’échelle d’un corridor urbain la relation entre le développement des quartiers et l’infrastructure de transport, y compris sur plusieurs périmètres administratifs, en réunissant l’ensemble des acteurs autour de la table. Cependant, les réussites contrastées de ces dispositifs montrent la nécessité d’un niveau élevé de coordination en amont et en aval d’un projet, qui reste dépendant des opportunités foncières et tributaire du temps long.

 

 

L’IMPORTANCE DE LA CONCERTATION ET DE L’IMPLICATION DE TOUTES LES PARTIES PRENANTES

Aux États-Unis et, plus largement, dans le monde anglo-saxon, les TOD montrent, dans de nombreux cas, une implication réelle des associations locales d’habitants et de commerçants (local communities)dans la mise en œuvre des projets. Elles sont consultées afin d’infléchir le projet en faveur de la qualité de vie et d’en faire des quartiers animés ou, a contrario, s’opposer à des projets, notamment lorsque la densification tend à créer des nuisances potentielles ou un processus de gentrification. Les habitants peuvent aussi être consultés pour statuer par vote sur les augmentations de taxes foncières nécessaires au financement des nouveaux aménagements publics locaux. Un exemple emblématique de TOD reposant sur l’initiative locale est le quartier de Fruitvale Village, à Oakland, près de San Francisco (lire exemple). En Île-de-France, si la concertation se développe du fait de la demande sociale ou des obligations réglementaires, son efficacité au service de l’action publique reste souvent à démontrer pour que l’ensemble des parties prenantes y trouvent leur intérêt. Au Royaume-Uni, l’article 106 de la loi sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire de 1990 permet également aux autorités locales compétentes en matière d’aménagement d’entrer en négociation avec un promoteur immobilier sur des compensations qu’il devra réaliser ou financer en contrepartie des futurs impacts de son projet sur le territoire. Ce dernier peut ainsi être tenu de conclure un accord s’il veut disposer d’un permis de construire. Ces accords prévoient souvent une compensation financière aux autorités locales pour la construction d’infrastructures (route, école, centre de soins, etc.). Ils peuvent également comporter des dispositions pour la réalisation de logements sociaux.

 

Oakland : le rôle du conseil de quartier (Unity Council) dans le secteur « TOD » de Fruitvale Village. Au début des années 1990, la population locale du quartier hispanique de Fruitvale s’est opposée à la construction d’un grand parking-relais près de la gare, que souhaitait construire l’autorité des transports de San Francisco (BART). Les associations locales se sont regroupées autour d’un conseil de quartier pour défendre un projet bénéficiant aux résidents autour de la station de transport ferré. La première phase du projet, achevée en 2004, a permis la réalisation d’espaces publics piétons, de commerces, de logements abordables, d’un centre pour personnes âgées, d’une clinique médicale, d’une bibliothèque, d’une école maternelle et d’un établissement d’enseignement secondaire. Une deuxième phase, toujours en concertation avec le conseil de quartier, a démarré en 2010, avec la réalisation de nouveaux îlots à usage mixte. Bien que de taille modeste, Fruitvale Village est un exemple réussi – et souvent cité – de quartier « TOD », reposant sur l’initiative locale forte et mettant la justice sociale au cœur du projet.

 

MIEUX CAPTER LES PLUS-VALUES PAR UNE FISCALITÉ SPÉCIFIQUE

En Île-de-France, le modèle de financement de la construction du GPE repose sur des taxes affectées5, permettant de pourvoir au remboursement des emprunts contractés. Une loi sur la taxation de la plus-value aux abords des gares au profit du financement de la SGP avait été votée dans le cadre de la loi de 2010 sur le Grand Paris, mais elle a été abrogée sans être appliquée6. Si actuellement il n’existe pas de taxation spécifique dans les quartiers de gare, on trouve de nombreux exemples de financement du TOD à l’international utilisant le levier de la taxation pour capter de la plus-value. On peut évoquer, notamment, le Tax Increment Financing (financement par l’accroissement des taxes), largement utilisé aux États-Unis depuis les années 1950. Le principe est d’assurer une partie du financement d’un projet urbain en affectant les recettes additionnelles futures de la taxe foncière (sans changement de taux) dans un secteur défini. Cela revient, pour les municipalités, à geler durant une durée déterminée le montant de leurs ressources et à flécher les recettes supplémentaires de la taxe vers un projet local. On trouve également le Benefit-Assessment Financing (financement par taxation de la plus-value), qui correspond à une surtaxe à la taxe foncière établie dans un secteur défini et durant une période donnée en échange de la mise en place d‘un nouveau service urbain. Elle est souvent utilisée pour le financement de stations ou de lignes de métro et pour les aménagements publics dans les quartiers « TOD ». C’est le cas, par exemple, de la ligne de métro Red Line, à Los Angeles, et de la station NoMa du Metrorail de Washington. On trouve également des taxes sur les nouvelles constructions (Impact Fees). Le Royaume- Uni, par exemple, a mis en œuvre la Community Infrastructure Levy (CIL), permettant aux autorités locales de collecter des fonds auprès des promoteurs immobiliers qui entreprennent de nouveaux projets de construction afin de financer des infrastructures nécessaires au développement urbain. Dans le cas de Crossrail (Elizabeth line), une CIL spécifique, s’appliquant à toute nouvelle construction dans le Grand Londres, a été créée pour contribuer au financement du projet. En France, plusieurs mécanismes de taxation sur la propriété, les transactions immobilières et les nouvelles constructions existent déjà (taxes foncières, droits de mutation à titre onéreux et taxe d’aménagement). Des taxes additionnelles ou de nouvelles taxes pourraient être envisagées. Néanmoins, les effets potentiels sur le marché immobilier restent sujets à débat lorsque ces taxes concernent un périmètre réduit : cela pourrait, notamment, engendrer une incertitude et une rigidification du marché immobilier, voire amener un risque inflationniste. Une taxation avec un périmètre élargi paraît plus pertinente en termes de recettes espérées et d’effets limités sur le marché immobilier7. De même, privilégier une taxation fléchée vers un financement spécifique, comme ce qui est souvent mis en œuvre dans les pays anglo-saxons, offre la possibilité d’une meilleure compréhension et acceptation de la part de la population locale concernée.

MIEUX VALORISER LES TERRAINS DISPONIBLES

Du côté de l’aménagement, l’une des solutions utilisées actuellement par la SGP repose sur le principe de co-promotion (Joint Development8) via sa filiale dédiée, SGP immobilier. Disposant de réserves foncières conséquentes (environ 1 million de m² de surface de plancher constructible), la SGP devrait être co-promoteur d’une centaine de projets immobiliers et urbains, avec pour objectif d’assurer une meilleure maîtrise des objectifs environnementaux et sociaux, d’optimiser la coordination technique entre la gare et le projet immobilier, mais aussi de récupérer une part de la manne financière produite. À l’étranger, on trouve, notamment, des mécanismes de mise aux enchères de droits à construire (Development Rights Auction) permettant de capter une partie des plus-values générées par les promoteurs. À Copenhague, par exemple, la construction des lignes de métro 1 et 2 a été remboursée en partie par la mise en vente de terrains à des promoteurs privés. Ces terrains, initialement détenus par l’État et la Ville, devenus attractifs avec l’arrivée du métro, ont permis de développer en parallèle le nouveau quartier « TOD » d’Ørestad. À Hong Kong, l’opérateur de transport ferré (Mass Transit Railway) met en vente des terrains à construire, récupérés initialement à prix avantageux auprès du Gouvernement (lire exemple). Au Brésil, certaines municipalités ont recours aux certificats de construction supplémentaire potentielle (CEPAC). Il s’agit là aussi d’un système de mise aux enchères de droits à construire permettant la densification et la revitalisation de certains quartiers (lire exemple). Une meilleure régulation des conditions d’obtention des droits à construire sur le marché privé pour plus de cohérence des projets, ainsi qu’une meilleure captation des plus-values générées par les promoteurs demeure un sujet important à aborder pour les quartiers de gare franciliens.

 

Hong Kong : le modèle « Rail + Property ». MTR, l’opérateur du réseau ferré à Hong Kong, utilise le modèle « Rail + Property » pour financer la construction et l’exploitation des lignes de métro. Dans un premier temps, MTR achète à prix préférentiel des terrains à construire auprès du gouvernement, puis les met aux enchères à un prix premium incluant l’effet de l’arrivée du métro dans la zone. MTR capte également une partie de la plus-value résultant de la vente des droits à construire en récupérant une part des bénéfices des promoteurs privés générés par les immeubles vendus ou loués (locaux commerciaux, de bureaux ou logements). MTR récupère aussi tous les immeubles qui n’ont pas été vendus ou loués dans les temps impartis au contrat et en obtient la propriété. Il est donc libre de vendre ou de louer ces immeubles lui-même. En parallèle, MTR est également propriétaire des stations sur son réseau, et de centres commerciaux dont il a la gestion et tire des revenus.

 

Brésil : les certificats de construction supplémentaire potentielle (CEPAC). Depuis 2001, les municipalités brésiliennes ont la possibilité de modifier le Code de l’urbanisme afin de créer et de mettre aux enchères des droits à construire (CEPAC) auprès des promoteurs. L’idée est de collecter des fonds privés pour financer des investissements publics nécessaires à la revitalisation de certains quartiers, souvent défavorisés. La mise en place de CEPAC requiert l’existence au préalable d’un Plan d’urbanisme et la création d’une « Opération urbaine conjointe ». Cette entité, coordonnée par la municipalité, regroupe les parties prenantes de la zone des CEPAC (habitants, et acteurs publics et privés). Elle vise à apporter des modifications urbaines structurelles, et des améliorations sociales et environnementales au quartier. Des modifications peuvent, notamment, être apportées à l’usage du sol et aux normes de construction. Les infrastructures de transport peuvent également être intégrées dans ces opérations. À noter : les ressources financières obtenues via la vente de CEPAC sont exclusivement utilisées pour l’Opération urbaine conjointe.

 

UN ACTEUR TRANSVERSAL POUR GARANTIR LA COHÉRENCE DES PROJETS URBAINS

Les contextes sociopolitiques locaux et de gouvernance territoriale jouent un rôle décisif dans la mise en œuvre des modèles « TOD ». Pour réussir, l’aménagement des quartiers de gare doit d’abord combiner les différents ingrédients du modèle en lien avec la réglementation en matière d’usage des sols. D’autres facteurs organisationnels sont à prendre en compte, comme les synergies qui se construisent entre aménageurs (autorités de planification et des transports) et avec l’ensemble des parties prenantes, dont les habitants d’un quartier existant ou futur. Le rôle d’entraînement significatif que peut jouer un acteur transversal pour enclencher une dynamique urbaine, l’animation et la qualité de vie du quartier pourrait transcender les approches cloisonnées par une gouvernance complexe ou la multitude des normes. Encore faut-il que le contenu du projet urbain soit bien défini et partagé entre l’ensemble des acteurs qui souhaitent le développer. En Île-de-France, au-delà du rôle central qu’exerce la SGP, qui assure la construction du métro et la réalisation d’une part minoritaire de projets immobiliers dans les quartiers de gare, un ensemblier des projets urbains à l’échelle de corridors ou de lignes pourrait davantage porter la coordination, la mise en œuvre et la vision globale de l’aménagement orienté vers les transports collectifs.■

1. Mouvement nord-américain fondé par Peter Calthorpe pour limiter l’étalement urbain et favoriser la densité, la qualité des espaces publics et la marche.
2. Le Smart Growth tire son origine des théories de la gestion de l’urbanisation des années 1960 et a évolué vers sa forme actuelle dans la foulée du paradigme du développement durable, à la fin des années 1980.
3. Le diffus : espace urbain situé sur des petites parcelles, généralement inférieures à 5 000 m² et qui ne font pas l’objet de projet d’ensemble maîtrisé par le secteur public.
4. Concept développé par John Luciano Renne, dans lequel l’aménagement urbain laisse une place prédominante à l’automobile.
5. On trouve comme taxes affectées au GPE la taxe additionnelle à la taxe de séjour, la taxe sur les bureaux assujettie aux entreprises, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) et la taxe spéciale d’équipement.
6. Cette taxe forfaitaire devait porter sur le produit de la valorisation des terrains nus et immeubles bâtis dans un périmètre allant jusqu’à 1 200 mètres de l’entrée des gares de voyageurs.
7. Voir, par exemple, « Valorisation foncière et financement des infrastructures de transport », Note rapide n° 477, L’Institut Paris Region, 2009.
8. Accord de coopération entre un organisme public et des promoteurs/propriétaires privés pour construire des projets de développement à usage mixte, généralement à grande échelle, sur un terrain détenu par l’organisme public.

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