Quels usages et représentations des espaces extérieurs ?
Campus de l'université Paris-Est (Créteil) et campus de la cité Descartes (Champs-sur-Marne)
Dans le cadre d’un atelier de première année de master, un groupe d’étudiants de l’École d’urbanisme de Paris (EUP) a été mandaté par L’Institut Paris Region pour réaliser un diagnostic territorial des campus de l’université Paris-Est (UPEC) à Créteil et de la cité Descartes à Champs-sur-Marne.
Cette mission a pour objectif d’éclairer les politiques d’aménagement universitaire menées par l’État, les établissements et les collectivités locales, alors que la vie de campus s’est imposée comme un enjeu déterminant de l’attractivité académique à l’échelle européenne et internationale. Centré sur la question des usages et des usagers des espaces extérieurs, cet atelier a été réalisé d’octobre 2018 à janvier 2019. Il vise à caractériser non seulement les pratiques, mais aussi les représentations des espaces extérieurs en partant du postulat que les premiers sont influencés par les seconds. Il s’attache aussi à mettre en lumière les différences et les similitudes dans le fonctionnement des deux sites universitaires, ainsi qu’à confronter ce fonctionnement aux intentions initiales des deux projets de campus. Cette synthèse, rédigée par les étudiants de l’EUP, en présente les principaux résultats.
Deux sites contrastés, une approche comparative
Situé au sud-est de Paris, dans le département du Val-de-Marne, le site universitaire central de l’UPEC est implanté au cœur de la ville de Créteil, commune de première couronne intégrée à la Métropole du Grand Paris (MGP). Le périmètre de la cité Descartes se trouve en position de limite : entre les villes de Noisy-le-Grand et de Champs-sur-Marne, entre zone dense et couronne périurbaine, au sein d’un EPCI voué à intégrer la MGP à l’horizon 2024. Les deux secteurs bénéficieront d’une amélioration de leur accessibilité, suite à la construction du réseau du Grand Paris Express. Tous deux ont été aménagés dans une même logique de déconcentration d’établissements universitaires, en dehors de Paris intramuros. Toutefois, le campus de l’UPEC a été intégré au tissu urbain de la ville de Créteil, en réaction notamment aux événements de Mai 1968, survenus à l’université de Nanterre, tandis que la cité Descartes a été conçue de manière autonome par rapport à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Elle contribue toutefois à en renforcer la centralité.
Une approche qualitative
Afin d’analyser les pratiques des usagers dans les espaces extérieurs, l’observation a été largement mobilisée, en phase exploratoire comme dans l’étape de constitution du matériau d’analyse. Sur la base d’une sélection de lieux emblématiques en matière de fonctionnement et d’appropriation des campus, les étudiants ont observé un large panorama de pratiques et d'usagers, à des jours et des horaires diffrents. Toutefois, la saisonnalité hivernale de cette étude a été une limite à l'observation. Aussi, l'enquête a été complétée par des entretiens semi-directifs auprès d'usagers. Suite à une réorientation de la commande vers une prise en compte des représentations et de l'appropriation des espaces par les usagers, les entretiens ont occupé une place plus centrale dans notre protocole. L'échantillon a été différencié au regard des profils sociodémographiques et des types d'usagers : étudiants, étudiants habitant le campus, employés et habitants. Ce matériau a été enrichi par la réalisation de cartes mentales et de parcours commentés avec et par les enquêtés.
Des formes d'appropriation différenciées dans l'espace et le temps
La phase exploratoire de l’enquête a permis d’identifier quatorze sites emblématiques au sein des deux campus. Ceux-ci ont été analysés de manière approfondie en regard du degré d’appropriation des lieux. Ce critère combine les types d’usage, d’un côté, la représentation mentale que s’en font les usagers, de l’autre. Il se fonde sur quatre variables :
- l’intensité et la diversité des usages ;
- la nature et la valeur (positive, négative, neutre) des représentations.
Sur cette base, deux autres critères ont été mobilisés pour affiner les observations : le profil des usagers et la variabilité de l’appropriation dans le temps (au regard des temporalités quotidiennes, hebdomadaires et saisonnières). Ce travail a permis de caractériser précisément le fonctionnement de chacun des quatorze lieux. Ainsi, à la cité Descartes, le parvis commun au bâtiment Bienvenüe et à l’École des ponts est approprié par une faible diversité d’usagers, avec une forte variabilité dans le temps. Ce lieu peut être défini comme une centralité partielle, mais elle ne concerne pas le reste du campus. À l’inverse, la trame verte de Créteil est un lieu essentiellement destiné au passage, mais son appropriation est globalement partagée par l’ensemble des usagers du campus et varie peu selon les temporalités, notamment du fait d’une forte présence habitante au sein du campus. Sans inscrire ces lieux dans des catégories rigides, cette typologie nous a permis d’identifier les principaux éléments d’opposition et de similitude dans le fonctionnement des deux campus.
Deux campus pratiqués « par fragments »
À l’UPEC Créteil : le manque d’aménités des espaces extérieurs
À Créteil, malgré une trame piétonne large et lisible, l’appropriation des espaces extérieurs du campus est faible. Le site fonctionne autour d’une centralité appropriée, partagée et permanente : la dalle du campus centre. Cet espace est bien connecté à la partie est du site et aux bâtiments du mail des Mèches, tandis que l’accès au campus de droit, au nord, est beaucoup moins facile et agréable pour les piétons. Par ailleurs, les étudiants et autres usagers semblent se déplacer au sein du site plus par obligation que par « envie », faute d’activités et d’aménités proposées dans les espaces extérieurs. Ce sentiment de manque s’est accentué depuis 2015 avec l’application du plan Vigipirate sur le site, qui interdit aux acteurs, notamment le bureau des étudiants de l’UPEC, d’organiser des évènements festifs et/ou ludiques (fêtes, barbecues, activités sportives) dans les espaces extérieurs. Les usagers témoignent ainsi de pratiques largement polarisées autour de leurs bâtiments d’études (campus centre, mail des Mèches et campus de droit) proches d’espaces de restauration. Les services proposés dans ces lieux (diversité de l’offre commerciale, taille de la bibliothèque...) les conduisent tout de même à se déplacer de manière ponctuelle au sein du campus et à y pratiquer d’autres espaces extérieurs. La dalle apparaît comme un espace de rencontres et de rendez-vous (photo), support des interactions entre étudiants du campus. En dehors de ce lieu, le site semble fragmenté entre les différents bâtiments de l’université.
La cité Descartes : faible accessibilité piétonne et enclavement des espaces extérieurs
Si l’on peut dresser le même constat d’un campus approprié de manière très segmentée à la cité Descartes, l’explication semble toute autre : c’est la difficulté des connexions, notamment piétonnes, entre les espaces du campus, qui empêche une appropriation globale du site. Les piétons disposent ainsi de peu d’espace de circulation propre, tandis que la voiture apparaît comme un mode de circulation privilégié. Certains étudiants habitant le campus utilisent leur véhicule personnel pour se rendre de leur logement aux terrains de football ! Le campus semble aussi durablement divisé entre une partie nord qui accueille de nombreux bâtiments universitaires avec une architecture singulière et une partie sud où se concentre la majorité des entreprises. Par rapport à l’UPEC, l’appropriation des espaces extérieurs de la cité Descartes est moins partagée par les usagers du campus et semble plus influencée par les temporalités quotidiennes et hebdomadaires liées aux différentes activités professionnelles ayant lieu sur le site.
Une fragmentation des campus qui nuit à leur appropriation
Des enclaves permettant une forme d’appropriation paradoxale
Les deux campus sont donc marqués par le morcellement des espaces extérieurs, à l’origine de formes d’appropriation différenciées. En témoigne l’existence de véritables enclaves au sein des sites. En effet, lorsque les usagers ont accès à plusieurs services au sein des lieux qu’ils pratiquent (terrain de sports, services de restauration de qualité, espace public), ils développent une appropriation positive de ces espaces qu’ils qualifient de « cocons », de « villages », voire de « campus dans le campus ». Au contraire, lorsque les espaces pratiqués manquent de ces services, la situation est alors vécue comme une double peine pour les usagers et nuit à une appropriation positive de leur lieu d’étude ou de travail.
Des interactions limitées entre usagers
L’animation des campus, c’est-à-dire leur capacité à créer des interactions entre les usagers au sein des espaces extérieurs, est assez limitée. Le sentiment d’appartenance à un même établissement (ou à un même type de parcours universitaire, comme les écoles d’ingénieurs des Ponts et de l’ESIEE) reste particulièrement prégnant. Les interactions entre étudiants et habitants ou employés semblent quasiment inexistantes, faute d’espaces publics partagés ou d’activités communes. Ainsi, les espaces pratiqués par tous les usagers, tels que la trame commerciale à la cité Descartes ou la zone commerciale à la sortie du métro de Créteil, sont surtout des lieux de passage voués à la consommation. La plupart des usagers repartent ensuite vers leurs bâtiments pour manger. L’usage des espaces extérieurs comme lieu de restauration est toutefois largement déterminé par la temporalité saisonnière. Les différents usagers du campus entrent donc en contact surtout dans des situations de coprésence et de cohabitation.
Un morcellement qui empêche la construction d’une image mentale partagée des campus
Les représentations des usagers témoignent de la difficulté des deux espaces à « faire campus » au travers de l’espace public, c’est- à-dire à produire une vision partagée du site, de son fonctionnement et de ses lieux. Ainsi, malgré un travail de dénomination des lieux à partir de grands penseurs scientifiques (Copernic, Galillée, Einstein, etc.), la cité Descartes manque de centralités symboliques et ne suscite que des représentations parcellaires et inabouties. Les limites du campus sont souvent perçues de manière floue, la plupart des usagers concevant et organisant leurs activités en fonction des bâtiments qu’ils fréquentent et des trajets qui les relient. Ils ont donc des représentations incomplètes du site. En dehors de la dalle qui fait sens pour tous, la représentation mentale du site de Créteil est elle aussi incomplète et polarisée autour des bâtiments pratiqués et des axes de circulation empruntés. À des degrés différents, la capacité des deux sites à produire une image mentale du campus reste donc limitée.
À partir de notre enquête sur les deux campus, nous proposons des pistes d’action et points de vigilance pour améliorer l’appropriation des espaces exterieurs des campus, en renforcer l’attractivité et faire aboutir le projet initial porté par chaque site.
Des pistes d'action pour des projets de campus agréables
Travailler sur la structure et la composition urbaine :
- Améliorer la qualité et le maillage du mobilier urbain sur les deux campus
- Réorganiser et hiérarchiser le réseau viaire de la cité Descartes afin d’améliorer les connexions piétonnes entre les espaces du campus
- Structurer le stationnement des voitures pour prévenir les incivilités des automobilistes
Travailler sur la programmation :
- Faciliter la communication entre les écoles du campus, notamment pour les événements festifs
- Recréer des polarités commerciales à différents endroits stratégiques du campus de la cité Descartes
- Aménager des espaces d’activités extra-professionnelles accessibles aux différents usagers dans les espaces extérieurs
- Améliorer la qualité esthétique des espaces extérieurs de Créteil et casser la monochromie des espaces bétonnés
Étudiants EUP : Eva Bahuaud , Henri Gomez, Clara Gonzalez, Guillaume Guibourgé, Zoé Guitel, Ryan Ibrahim-Bacha, Ferdinand Point, Lilite Rossignol
Encadrants EUP : Aurélien Delpirou et Rachel Mullon
Commanditaire : L’Institut Paris Region, coordination atelier : Corinne de Berny et Lina Hawi, coordination publication : Brigitte Guigou
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