Sport et espaces publics, une relation à fort potentiel
Extrait du cahier BOUGER ! Le sport rythme la ville
Sport et espaces publics entretiennent depuis longtemps une forte relation, aujourd’hui renouvelée. L’engouement pour la pratique sportive dans l’espace urbain entraîne une intensification des usages et contribue à la création d’une ville plus attractive et inclusive. L’enjeu de l’aménagement de l’espace public pour favoriser la pratique sportive s’en trouve modifié : d’objet technique, il devient politique.
Le lien qui relie espaces publics et sport semble évident. Il suffit d’observer la manière dont les enfants filent sur leur trottinette, jouent au ballon ou sautent des murets se trouvant sur leur chemin… Ils révèlent ainsi, hors des aires de jeux leur étant réservées – et encore bien trop souvent tristement stéréotypées – le potentiel de l’espace public banal pour pratiquer une activité physique gratuite et à portée de main.
L’espace public, nouveau terrain de sport ?
L’espace public est cet espace commun qui s’étend dès lors que l’on quitte un lieu privé. Rues, places, parcs, il est composé de tous les espaces libres d’accès, ouverts à tous, gratuits et gérés par la puissance publique. Il accueille un nombre important d’activités ludo-sportives : aires de jeux, courses à pied, danses de rue, sports de glisse, jeux de balle, etc. Il peut s’agir de sports se pratiquant seul ou en groupe, régulièrement ou exceptionnellement, auto-organisés ou non. Cette pratique se distingue par son caractère libre, spontané et gratuit : l’espace public peut être utilisé par tous et à tout moment, tant que l’ordre public est respecté.
L’activité sportive dans l’espace public fait aujourd’hui l’objet d’un réel engouement : 60 % des pratiquants disent la privilégier1. Cette tendance peut s’expliquer notamment par une appétence croissante pour la pratique autonome. Celle-ci correspond, d’une part, au besoin contemporain d’immédiateté et de flexibilité horaire, et d’autre part au désir de pratiquer en extérieur, si possible au plus près d’espaces de nature. Les parcs urbains envahis par les joggeurs, à l’instar de Central Park à New York ou du Tiergarten à Berlin, témoignent de ce « besoin de nature » très spécifique aux sociétés urbanisées. Il s’ensuit une intensification de l’usage des espaces publics – et des conflits d’usage. Ceux-ci sont d’autant plus difficiles à réguler que la pratique est spontanée, évolutive dans le temps et l’espace, et qu’elle prend place dans des espaces qui ne lui sont pas forcément dédiés, comme des espaces libres, ou dont l’usage est détourné (le mobilier urbain dans le parkour, par exemple). Mais surtout, elle prend place dans un espace complexe : l’espace public, par son aménagement, garantit les usages indispensables à la vie urbaine (mobilité, accessibilité, rencontre, etc.) et incarne une certaine conception de l’urbanité et du (bien) vivre-ensemble. Il s’agit donc là d’un espace support de normes et de valeurs que les pratiques sportives, en créant de nouvelles spatialités, vont venir bousculer. Le type d’occupation de l’espace public, la concurrence faite aux autres usages, les nuisances occasionnées, le type d’activités et de personnes pratiquant, mais aussi – voire peut être surtout – les représentations socio-spatiales associées aux pratiques sportives, selon qu’elles sont en accord ou non avec la conception de l’urbanité défendue, détermineront le degré d’acceptation de la part des autres usagers et des autorités.
La pratique prend place dans un espace complexe : l’espace public
Un nouvel enjeu de politiques urbaines
La pratique sportive doit-elle – et peut-elle – donc devenir un objet spécifique de l’aménagement de l’espace public ? Elle se révèle par essence difficilement maîtrisable : comme elle est le plus souvent auto-organisée, et qu’elle dépend de la capacité imaginative quasi illimitée de chacun, il est impossible de prévoir toutes les formes qu’elle pourra prendre. La solution se trouve ainsi moins dans la programmation (ou la répression) des pratiques que dans leur accompagnement, en privilégiant le cas par cas adapté à chaque territoire. En cela, elle ne diffère pas des autres usages de l’espace public et pose le même défi à la puissance publique aménageuse, à savoir trouver le bon équilibre entre la maîtrise de l’espace (attendue pour garantir l’ordre public) et sa non-maîtrise (essentielle pour voir s’épanouir une diversité d’usages garante d’une vie sociale riche et d’un espace public de qualité). Le nouvel enjeu pour l’aménagement de l’espace public favorable à la pratique sportive réside aujourd’hui dans l’intention qui le sous-tend.
Il ne s’agit plus seulement de satisfaire une attente sociale accrue, mais bien plutôt d’apporter des réponses à certains défis majeurs qui se posent aux villes.
La qualité de vie et l’attractivité territoriale
Avec la consolidation de la société de loisirs et du bien-être, la qualité de vie prend une importance considérable dans le choix d’implantation des personnes et des entreprises. La possibilité de faire du sport dans un espace public agréable peut devenir un facteur discriminant pour les villes ainsi que l’organisation d’événements sportifs.
La santé
Une étude menée depuis 25 ans dans 195 pays2 a révélé qu’en 2015, 30 % de la population mondiale souffrait de surpoids et que le nombre d’obèses, partout en augmentation, avait plus que doublé dans 73 pays, entraînant une augmentation des maladies cardio-vasculaires et du diabète. Ces pathologies, responsables de respectivement 17,7 millions et 1,6 million de morts prématurées par an dans le monde3, représentent en France un coût de prise en charge de respectivement 16,1 milliards d’euros en 20164 et 6,6 milliards d’euros en 20145. Développer la pratique d’une activité physique dans l’espace public permet de toucher un public plus large, de favoriser une pratique autonome et de minimiser les coûts, dans un contexte de finances publiques contractées. Strasbourg, pionnière en matière de sport-santé, a permis de prescrire du sport pour soigner certaines maladies chroniques, et a conduit un programme ambitieux d’aménagement de l’espace public, les « Vita-boucles », pour rendre possible et accessible à tous la pratique sportive, prescrite ou non.
L’inclusion sociale
Le processus d’urbanisation croissante favorise un phénomène d’isolement et de fragmentation socio-spatiale menaçant à terme la cohésion du territoire. Capable « d’ordonner les rapports sociaux et [d’] ouvrir un espace partageable6 », l’espace public joue un rôle essentiel pour (re)- créer le ferment du (bien) vivre-ensemble et favoriser l’inclusion sociale. Toutefois, à cet effet, mettre à disposition un espace public, même bien aménagé, ne suffit pas. Il faut réussir à donner une raison d’y être, notamment pour les plus exclus. L’activité physique le permet, en offrant quelque chose à y faire. Elle permet aussi de rapprocher des groupes sociaux se tournant le dos en leur faisant partager une pratique commune qui transcende les différences culturelles et sociales. Elle peut également créer des liens entre des territoires en contribuant, par le mouvement, à faire franchir les frontières intangibles les séparant et à initier un brassage social. C’est le sens du programme bewegende stad (la ville en mouvement), mis en œuvre par Amsterdam depuis 2016 : par le biais de projets d’aménagement d’espaces publics adaptés aux besoins de chaque territoire, la ville cherche tout à la fois à donner à tous la possibilité de pratiquer une activité physique et à faciliter le processus d’appropriation de l’espace public par les plus exclus7. Considérée sous cet angle, la pratique sportive devient un véritable objet des politiques urbaines. Toutefois, pour actualiser le potentiel que représente le lien entre espaces publics et sport, il convient de prendre en considération les deux points suivants : il faut d’abord passer de la conception d’un objet purement technique (un espace sportif) à celle d’un objet politique (un espace inclusif producteur de santé) exigeant de conjuguer différentes expertises. Ensuite, il faut tenir compte du fait que toute pratique sportive engage le corps – qui est objet de représentations sociales normées très fortes, notamment quand il est exposé dans l’espace public : quel corps sportif est, en effet, considéré comme légitime dans l’espace public urbain ? Pour atteindre le public concerné par les enjeux de santé et d’inclusion sociale, un aménagement spatial ne suffit pas. Un accompagnement social doit également être mis en œuvre.
Réconcilier la forme et le sens
La volonté de répondre à des enjeux sociétaux par l’aménagement de l’espace public témoigne d’un renouvellement heureux de la pensée de l’espace public, qui n’est plus réduit à n’être que le négatif de l’espace bâti ou le support de diverses fonctions. Cette ambition demande toutefois à être traduite dans le projet d’aménagement, pour ne pas rester une simple lettre d’intention, dont l’utilité s’arrêterait à la mise en œuvre d’une bonne stratégie de communication. C’est certainement là que réside le défi le plus important de l’aménagement de l’espace public : réconcilier la forme et le sens, et renouer ainsi avec sa fonction première, celle d’incarner un projet de société.
Chloë Voisin-Bormuth, directrice des études et de la recherche, La Fabrique de la Cité
1. Enquête FIFAS/BVA/ANDES, 2016.
2. « Health Effects of Overweight and Obesity in 195 Countries over 25 Years », The GBD 2015 Obesity Collaborators, New England Journal of Medicine, 6 juillet 2017, numéro 377, pages 13-27.
3. Source : Organisation mondiale de la santé, 17 mai 2017.
4. Cour des comptes, Rapport public annuel 2018, février 2018.
5. Chiffres assurance maladie (SSniiram).
6. M.-C. Maillet, « Vivre en ville et être ensemble », Empan, numéro 28, 1997, pages 9-15.
7. L. Henriquez, N. Sena, C. Voisin-Bormuth, H. Wright, Le futur des espaces publics - Activité physique, La Fabrique de la Cité/AMS, 2018.
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