Ce que le confinement nous apprend sur la nature (et sur nous-mêmes...)
Chronique des confins n° 4
Grégoire Loïs est naturaliste à l'Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France (ARB îdF) et directeur adjoint de Vigie-Nature au Muséum national d'histoire naturelle. Passionné de nature depuis l'enfance, il a aussi travaillé pour l'Agence européenne pour l'environnement et est l'auteur de Ce que les oiseaux ont à nous dire paru chez Fayard en 2019.
De l’émerveillement à l’action, le confinement offre une occasion unique de transformer une redécouverte en nouveau rapport durable à la nature et aider à enrayer la crise de la biodiversité. Et nous faire prendre conscience de notre appartenance à la communauté du vivant.
L’émerveillement général devant le retour de la biodiversité est l’un des effets secondaires les plus inattendus de la crise du Covid-19. Depuis le début du confinement, il alimente quantité d’articles et de reportages dans les médias, sans parler des fils de discussions effrénées sur les réseaux sociaux et les messageries entre collègues. Au point de pousser parfois à l’emballement. L’image de ce couple de cygnes tuberculés flânant dans les canaux de Venise et celle de deux grands dauphins roulant sur eux-mêmes le long des quais du port de Cagliari en Sardaigne ont fait le tour du monde. Et pourtant, le mardi 24 mars, le National Geographic reprend dans un article ces deux exemples pour les démentir et mettre en garde concernant des « fake news » sur le retour de la vie sauvage.
Une (re)-découverte pour les citadins
De quoi cet engouement est-il le nom ? À la faveur du confinement, notre rapport à la nature change. Ces longues journées, débarrassées des temps de transport et des interactions sociales, favorisent la contemplation. Or, dehors, c’est le printemps, autant dire la cohue et l’effervescence à tenter de se reproduire sous forme de graines, de larves, d’œufs… Un spectacle permanent ! En temps normal, il est difficile d’y prêter attention. C’est l’affaire des naturalistes. À contrario, en ce moment, il est difficile d’y échapper, ne serait-ce que parce que dans ces espaces physiques et sonores presque intégralement débarrassés de tout signe d’activité humaine, le moindre mouvement et le moindre son, la moindre odeur non artificielle même, prennent de l’importance, et offrent l’occasion de porter son attention sur des phénomènes finalement réguliers, reproduits chaque année.
Cette situation sans précédent entraîne un resserrement des liens qui nous unissent au sauvage, particulièrement distendus dans nos sociétés. D'où cette effervescence dans l’émission et la circulation d’informations sur le retour de la nature, à laquelle se mêlent quelques fantasmes mais aussi beaucoup de vérités. Il reste à souhaiter que cette quasi-(re)découverte du vivant qui frappe les citadins prenne un caractère durable, afin que les enjeux de conservation montent de quelques crans dans les priorités collectives.
Un impact réel sur la nature
À ce nouveau regard porté sur un printemps pas comme les autres s’ajoute la réponse de la nature elle-même à cette libération des espaces. Dans une cour d’école, en temps de non-confinement, les mésanges, les merles, les moineaux et autres espèces d’oiseaux adaptent leur rythme d'activités quotidiennes à celui des récréations et des jours de fermeture. Il suffit d’habiter près d’une école et de s’intéresser aux oiseaux pour s’en apercevoir. Mais surtout, il suffit d’avoir échangé avec un enseignant ayant mis en place un des observatoires de sciences participatives consacrés à l’observation des oiseaux tels que BirdLab ou Oiseaux des jardins pour constater que cette adaptation des oiseaux à un environnement contraint périodiquement est généralisée à tous les établissements scolaires. Le confinement crée toutes les conditions pour que s’exprime cette plasticité du vivant qui le conduit à, très rapidement, occuper des espaces laissés libres. Dans le cas présent, le silence et la tranquillité des avenues, des parcs, des routes et autoroutes résultant de l’arrêt presque total de nos activités laisse une place habituellement indisponible à la faune et à la flore. Des chevreuils et sangliers flânent, et traversent des routes habituellement infranchissables.
En ville, des scènes spectaculaires d’animaux d’habitude farouches et évitant à tout prix de croiser les êtres humains se multiplient, relayées par une armée de spectateurs équipés pour filmer et sensibles au moindre mouvement, prêts à s’émerveiller de toute scène jugée insolite parce que trop rarement observée. Des ressources habituellement inaccessibles permettent donc l’accès aux espaces physiques et sonores par relâchement de la pression due à nos activités.
Quid des espèces qui vivent en ville ?
En contrepartie, en ville, beaucoup d’espèces vivent en commensales de l’homme, bénéficiant de l’immense quantité de déchets que nous laissons ça et là. Comment se nourrissent les pigeons et moineaux domestiques habitués des zones les plus fréquentées et des gares ? Que consomment les rats surmulots qui profitent des nuits parisiennes pour débarrasser les trottoirs de nos déchets ? On sait que leur consommation annuelle de 90 kg de déchets par individu rend service à la communauté, d’autant plus qu’on estime à plus de deux millions leur population intra-muros. Des égoutiers interrogés ont aussi indiqué que l’activité de ces rongeurs assure un entretien indispensable aux voies souterraines d’évacuation des villes. Contrairement aux oiseaux capables d’aller chercher des ressources plus loin jusque dans les campagnes, la capacité de déplacement de ces petits mammifères est contrainte par leur mode de locomotion. Un possible impact ? De la spéculation à ce stade, mais peut-être une occasion inespérée de constater quantitativement leur contribution à nos activités. Concernant les plantes, l’effet de la diminution, d’une part, de la gestion et, d’autre part, de la circulation pédestre et routière prend des allures spectaculaires ! Le printemps s’épanouit chez les végétaux ! Les trottoirs verdissent par touches. Peut-être une occasion pour favoriser encore plus l’acceptation en cours de pieds d’arbres et d’interstices non désherbés, dont on sait qu’ils génèrent encore des plaintes auprès des services municipaux urbains. Dans les campagnes, c’est presque business as usual pour les activités agricoles, avec épandages et labours de printemps. L'absence du dioxyde d'azote émis par le trafic dans l'atmosphère n'a fait que mieux ressortir, dans les mesures d’Airparif, les traces d'ammoniac et de particules fines issues de ces activités, surtout entre le 15 et le 20 mars, puis les 27 et 28 mars.
En milieu rural, l’effet de la baisse des déplacements motorisés
La circulation a chuté drastiquement aussi dans les milieux ruraux : autant de collisions évitées entre populations de vertébrés et automobilistes, et de déplacements facilités pour les hérissons et autres mammifères sans doute les grands gagnants de cette courte accalmie. Chez les amphibiens, très touchés lors de leurs migrations de reproduction, le confinement a démarré un peu après le pic des déplacements en plaine, et on peut sérieusement douter d’un bénéfice sur la survie des adultes. Si cette situation perdure, les jeunes pourraient en profiter, alors que chez les espèces habituées aux grands déplacements comme les crapauds communs (ou épineux), la stratégie de reproduction est de produire des centaines de jeunes, dont très peu atteindront l'âge adulte. Dans ce cas, il est peu probable que les écrasements par circulation routière soient la première cause de mortalité.
Pour les invertébrés et particulièrement les plantes, c’est la grande inconnue. Un reportage particulièrement sombre indique qu’à la faveur du confinement et donc de l’arrêt des surveillances, les pollutions intentionnelles des cours d’eau, par déversements, se multiplient dans l’ouest du pays. L’arrêt des fauches d’entretien conduira, peut-être, à l’augmentation des ressources en pollen et en nectar. Les pollinisateurs, et parmi eux les papillons, pourraient en bénéficier. Mais il s’agit de projections encore très incertaines.
Un difficile bilan objectif
Pour établir un bilan global précis et objectif, des outils déjà anciens sont à disposition pour que chacun puisse contribuer au recueil de données standardisées à grande échelle. Il s’agit des divers programmes de sciences participatives dont les analyses permettront, toutes choses égales par ailleurs, de mettre en évidence les effets de ce confinement sur le vivant. Ces initiatives permettent de mettre en évidence les dynamiques et les mécanismes régissant les espèces les plus abondantes. Une de leurs particularités, compte tenu de leur échelle et de la masse des données récoltées, est de décrire l’état des lieux mais aussi de faire émerger des phénomènes insoupçonnés. Puisque nous ne consacrons plus de temps à nous déplacer et à sortir chaque jour, c’est l’occasion de transformer ce nouveau regard sur la nature en contribution à ces projets de sciences participatives. Plusieurs sites tentent de stimuler la participation et l’apport de nos regards. Une opportunité unique à ne pas rater, d’autant plus intéressante qu’elle a lieu au printemps et que, nous dit-on, « la nature reprend ses droits ». Cette formule tout faite qui revient en boucle peut être vue comme un révélateur d’une prise de conscience, une reconnaissance quasi explicite du fait que ces activités privent la nature d’une partie de « ses droits ». En d’autres termes, une occasion de plus pour reconnaître qu’une crise de la biodiversité en cours. Et en conséquence, une opportunité pour tenter d’imaginer comment enrayer cette crise.
Comme souvent, notre regard sur la nature nous en apprend plus sur nous-mêmes que sur elle. Un regard de béotien, un émerveillement, ou du moins un étonnement à l’arrivée du printemps, mais surtout une prise de conscience de l’intensité des manifestations du vivant et de nos impacts indirects : voilà ce qu’on pourrait conclure de cette tentative d’état des lieux sur le confinement et la biodiversité. Nous en savions peu, le spectacle nous échappant habituellement. Mais là, nous avons une occasion unique de créer des liens d’empathie avec les autres membres de la grande communauté du vivant.
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