Aurélien Denaes est cofondateur de Casaco. Impliqué dans le développement de la culture entrepreneuriale et coopérative, il s’engage dans le développement des tiers lieux, espaces de travail collaboratif, de lien social et d’innovation.
Il a accompagné plus de 15 porteurs de projet de tiers lieu dans leur démarche de création et a participé activement au lancement du collectif des tiers lieux en Île-de-France dont il est administrateur.
Aurélien Denaes, vous faites partie de ces pionniers fondateurs de tiers lieux. Quand et comment a commencé l'aventure Casaco ?
L'aventure a commencé il y a maintenant cinq ans avec trois personnes complémentaires : deux accompagnateurs entrepreneuriaux et de structures de l'économie sociale et solidaire cherchant à renouveler leurs pratiques et un dirigeant de coopérative cherchant un espace de travail proche de chez lui.
Nous avions expérimenté le coworking sur Paris et cela nous avait enthousiasmés par l'énergie et le sentiment de liberté que nous avions ressentis, loin des pesanteurs institutionnelles que nous pouvions vivre au quotidien dans nos métiers ou environnement de travail.
Cela nous a transcendé pour rassembler un collectif d'entrepreneurs, indépendants, artisans, citoyens engagés puis trouver un espace, aller chercher des financements et démarrer une aventure forte en émotions.
Comment définiriez-vous Casaco ? Quel est actuellement votre modèle économique ?
Après cinq ans de test d'activité, de lien avec des chercheurs et d'évaluation, nous ne savons pas encore définir vraiment ce qu'est Casaco ! Et c'est bien cela qui est intéressant, rester un lieu « infini » (concept défendu au Pavillon français lors de la Biennale de Venise 2017), évolutif dans le temps et dans l'espace. Chaque partie prenante, membre, travailleur de la structure, habitant de la ville, élu, contributeur, peut avoir sa propre vision de ce qu'est Casaco, ce qui facilite l'appropriation et la possibilité de co-construction. La difficulté est juste pour nous d'amener les personnes à venir vivre leur première expérience. Et comme nous ne pouvons pas vraiment expliquer tout ce qu'est Casaco, nous avons forcément des difficultés à communiquer en externe.
Alors au-delà du « qui sommes-nous ? », nous nous sommes penchés avec des chercheurs sur la question « quels sont les apports concrets d'une telle dynamique » ? Et nous en avons identifié quatre sur lesquels nous nous basons : fonctionnel (j'ai besoin d'un espace de travail ou d'outils), social (j'ai besoin d'interactions), émotionnel (je veux vivre des bons moments avec d'autres personnes) et politique (je veux co-construire un commun*).
Au niveau financier, c'est en effet un jeu d'équilibriste entre la contribution financière des membres (adhésion, redevance, parts sociales), les services à des personnes externes et le financement public (subventions de démarrage, dispositif d'accompagnement de demandeurs d'emploi...). Notre structuration en société coopérative d'intérêt collectif à responsabilité limitée (SCIC SARL) permet cependant d'avoir une flexibilité au niveau décisionnel, le soutien des parties prenantes dont les travailleurs de la structure et un financement complémentaire avec les parts sociales de nos membres mais aussi de collectivités territoriales : la mairie de Malakoff vient de décider d'ailleurs d'entrer au capital à hauteur de 12 000 €.
Quelle vision portez-vous sur le développement rapide et récent des tiers lieux ces dernières années ?
C'est une excellente nouvelle que le sujet des tiers lieux soit devenu si présent dans toutes les bouches. Cela prouve qu'il manquait bien un espace social intermédiaire entre le domicile et le travail et que les citoyens avaient ce besoin de co-construire et d'habiter de nouveaux espaces de socialité. Cela étant, il faut se méfier de tout concept « tarte à la crème » ressorti en boucle dans toute politique publique. Nous l'avons déjà vécu avec le coworking. Les acteurs de l'immobilier, ceux qui cherchent plus la rentabilité de l'espace qu'une construction citoyenne et collective, se les approprient très rapidement et les vident de leur sens. Quand on sait que certains hôtels disent faire du tiers lieu, alors qu'il s'agit de lobby avec trois tables, deux pouffes et du Wi-Fi, on peut désespérer de voir ces termes constamment dévoyés.
Un tiers lieu est bien un espace de socialité, d'apprentissage, de mutualisation, convivial, ouvert à divers publics, à l'échange et la rencontre, permettant différents usages. Pour anticiper la trop grande récupération du terme, nous utilisons de plus en plus la notion d'« espace coopératif » qui sont donc les tiers lieux co-construits avec différents acteurs, dont les usagers et les acteurs du territoire, et ayant pour véritable objectif la coopération entre usagers, acteurs d'un territoire ou d'une filière. Cela peut aller jusqu'au statut coopératif en coopérative d'intérêt collectif (SCIC) pour être cohérent de bout en bout.
Comment les pouvoirs publics (région, département, communes) peuvent-ils vous accompagner ?
Dans un contexte de forts ressentiments liés à l'éloignement des centres de décision, de suppression de services de proximité mais aussi d'isolement croissant des travailleurs, ces espaces de proximité semblent être l'un des meilleurs moyens de re - « faire société » en promouvant la coopération de proximité.
Les collectivités ont un rôle à jouer dans le soutien à ces initiatives locales qui ont besoin d'espace, de financement d'amorçage et de communication. L'appel à projets de la région Île-de-France est par exemple un des moyens de pousser les initiatives locales et de faire se rencontrer les porteurs de projet (ce qui avait été notre cas en 2014 pour Casaco).
Concernant le soutien local, il me semble important de pousser les collectivités à rentrer au capital d'espaces coopératifs en SCIC pour les structurer financièrement, sans ambition de les contrôler mais de leur faciliter la vie. En effet, la puissance publique, garante de l'intérêt général, reconnaît de plus en plus qu'à ses côtés émergent des « intérêts collectifs », ancrés dans le local, le durable, le social et l'écologique. Par leur statut coopératif, leur organisation démocratique et leur éloignement des principes du seul profit, les espaces coopératifs en SCIC posent de manière centrale le sujet des communs*. L'entrée au capital entraîne ainsi un changement de regard, de posture : la collectivité n'est plus un « guichet » ou un « portefeuille » qui alimente des projets, mais s'engage dans la durée comme partie prenante des actions développées. L'enjeu du pilotage partagé est bien de s'éloigner à la fois de la privatisation et de la délégation de services, pour aller vers une coopération avec des acteurs multiples dans une gouvernance collective.
* Les communs sont des ressources, gérées collectivement par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource. Des logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie à l’énergie renouvelable, en passant par les connaissances et les sciences ouvertes ou les AMAPs et les épiceries coopératives, les « communs » se développent dans des domaines variés.
À noter : la définition des communs est un chantier à part entière toujours en cours, à l’image de leur diversité.