Julien Perrin, fondateur des Serres de Beaudreville

02 février 2023ContactCarine Camors

Julien, 37 ans, apiculteur et professeur agrégé de biologie, est fondateur du tiers-lieu agriculturel Les Serres de Beaudreville, à Gometz-la-Ville (Essonne). Après des études de biologie, il se passionne pour l’apiculture et décide de racheter 6 000 m2 de serres en friche pour en faire un espace dédié aux porteurs de projets agricoles. Engagé dans la transition alimentaire, il souhaite contribuer au monde de demain et apporter sa vision inspirante.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Quand et comment a commencé l’aventure du lieu ?

À l’origine, je viens d’une famille de producteurs laitiers et j’ai toujours voulu être agriculteur. Après avoir étudié au lycée agricole de Saint-Germain-en-Laye, je me suis orienté vers la faculté de biologie de Jussieu. Passionné par la biologie, et en particulier par l’opéron lactose (régulation des gènes), j’ai enchaîné les concours et les diplômes jusqu’à obtenir l’agrégation de biologie. Je suis donc professeur agrégé de biologie. J’ai commencé à enseigner mais le système rigide de l’Éducation nationale m’a découragé. En parallèle, pour financer mes études, je travaillais dans un parc d'accrobranche le week-end. Un jour, mon patron de l’époque m’a offert une ruche en cadeau. Je me suis pris de passion pour cette nouvelle activité et j’ai décidé d’en faire mon métier. J’ai donc créé mon entreprise d’apiculture Api Happy en 2009, à 25 ans. Plusieurs années ont passé, mon exploitation s’est fortement développée et j’ai eu besoin d’agrandir mon local pour accompagner cette croissance. J’ai eu l’occasion de racheter Les Serres de Beaudreville à la Safer en 2020. Et plus qu’un espace de travail, j’ai eu envie d’en faire un tiers-lieu, ouvert à une communauté d’entrepreneurs  engagés dans la transition alimentaire, qui comme moi avaient envie de « changer le monde », en maintenant les surfaces agricoles, en faisant évoluer les pratiques de consommation, en entreprenant dans l’agriculture. Voilà comment a commencé cette belle aventure !

Quel regard portez-vous sur le développement des espaces de travail partagés, notamment agricoles, sur votre territoire ? Observez-vous un intérêt grandissant pour ce type d'espace ?

Le défi alimentaire qui va s’imposer à nous dans les prochaines années a généré une prise de conscience et une envie d’entreprendre dans le monde agricole. Dans un contexte d’urbanisation galopante et de raréfaction des terres, le tiers-lieu agricole ou nourricier suscite beaucoup d’intérêt. Je reçois énormément de sollicitations de porteurs de projets qui cherchent un espace pour tester et expérimenter, d’agriculteurs qui veulent s’installer ou de bénévoles qui veulent s’impliquer. Cette forte attente crée une dynamique stimulante. Au-delà d’un simple espace de travail, les agriculteurs qui viennent chez nous recherchent du sens, un réseau, une communauté, qui leur permettront de développer leur activité, leur réseau et de tisser des liens avec les autres entrepreneurs. Le travail agricole est parfois difficile, mais recréer une communauté autour de valeurs communes de partage, d’échange et d’humanité permet de surmonter de nombreuses difficultés. Nous sommes de plus en plus nombreux en Île-de-France, avec des modèles et des fonctionnements tous très différents. Nous avons rencontré Les Champs des Possibles, couveuse et coopérative d’activités agricoles et alimentaires, qui nous a beaucoup aidé dans notre phase de démarrage en termes de structuration.

Comment les pouvoirs publics (Région, Département, Communes) vous accompagnent-ils ?

Un des succès du lieu réside dans son ancrage fort au territoire, avant même son ouverture. Le fait de disposer d’un important maillage territorial de personnes impliquées dans notre projet est une des raisons principales de notre réussite. Je pense notamment au Conseil départemental de l’Essonne, qui nous a énormément soutenus et cru en notre projet dès le départ. Et particulièrement son président, Guy Crosnier, en charge de la ruralité, de l’agriculture et de l’alimentation. La communauté de communes du Pays de Limours et le PNR de la Haute Vallée de Chevreuse nous ont aidé dans les demandes de financements et de subventions ; la mairie de Gometz, dans le dossier de mise aux normes ERP. De même, nous travaillons avec la Préfecture de l’Essonne, ou encore l’agence Essonne Développement, l'accélérateur territorial du département, qui nous a permis de nous connecter avec l’écosystème local. Ce réseau de proximité a facilité la mise en place de notre tiers-lieu d’un point de vue technique, financier mais aussi humain. Cette forte connexion avec le territoire essonnien nous a grandement aidés tout au long de notre projet et continue d’ailleurs d’accompagner notre développement. Ces réseaux et cet ancrage territorial nous ont également permis de faire des rencontres, comme avec Visière solidaire, collectif de makers bénévoles, qui ont produit des visières pendant la crise sanitaire de la Covid-19. Ensemble, nous développons de nouveaux projets autour de l’agriculture et de la fabrication numérique dans leur fablab. De plus, nous sommes très proches des habitants de Gometz-la-Ville. De nombreux adhérents sont des habitants : ce sont les « membres de soutien ». Ils viennent régulièrement prêter main forte lors de chantiers participatifs.

Quel a été l’impact de la crise de la Covid-19 sur votre activité ?

Chez ApiHappy, on a continué à travailler pendant le confinement. Nous n’avons pas eu de conséquences sur la survie des ruchers. Même s’il nous était impossible de vendre le miel, nous avons apprécié cette période où les routes étaient désertes. Cela nous a permis de nous déplacer dans les différents lieux où nous avons installé nos 2 000 ruches : dans les bois dans le nord de Paris jusqu'à Bourges, à Chantilly, dans la forêt de tilleuls, à Torfou dans les champs de tournesols. En revanche, la crise énergétique, nous la subissons de plein fouet aujourd’hui. Nous avons une surface importante à chauffer, même si nous ne chauffons pas l’ensemble des serres. Et là, EDF nous demande de payer 10 000 à 15 000 euros d’électricité par mois : dix fois plus que ce qu’on payait jusqu’ici ! Si nous ne trouvons pas de solutions d’ici le mois de juin, nous risquons la fermeture ! On a six mois pour trouver une solution. Comment produire notre propre énergie ? Installer des panneaux solaires ? Mettre en place des méthaniseurs pour gérer nos déchets ? La plupart des fermes agricoles autour de nous sont obligées de fermer leur exploitation ou de réduire leur cheptel. Les conséquences vont se faire sentir à long terme. Il y a un gros risque d’éclatement de notre société. Dans ce contexte, la force pour s’en sortir vient du réseau humain : on est tous connectés et on trouve des solutions ensemble. On n’attend pas tout des pouvoirs publics. On n’a plus le temps.

Si c’était à refaire, que referiez-vous ou ne referiez-vous pas ?

Nous avons mis un peu de temps avant de trouver nos « valeurs », mais c’était une période nécessaire pour construire l’identité de notre lieu. Il repose sur trois valeurs autour desquelles s’organisent notre communauté et nos activités :

  • le travail est essentiel à nos yeux. Nous sommes un lieu de travail, de production, de création, d’entrepreneuriat, au service de l’alimentation durable, pas uniquement un lieu de réflexion ;
  • l’entraide, la connexion aux autres, la proximité avec l’humain et les produits. On privilégie les circuits courts et le réemploi. On agit localement, mais on est très connectés et ouverts au monde ;
  • l’innovation, c'est le moteur de nos actions. Nous préparons le monde de demain, et essayons de nous adapter en permanence.

Ce que j’ai trouvé difficile, c’est la position d’entrepreneur dans le milieu agricole. C’est stimulant d'innover, d'essayer de créer, mais il y aura toujours quelqu’un pour juger ou critiquer ton projet. Pour moi, ça a été une réelle souffrance. Mais l’envie d’entreprendre, d’innover et de contribuer à changer le monde me stimule. Si c’était à refaire, j’écarterais dès le départ les personnes qui ne partagent pas nos valeurs. Notre lieu a pu attirer des personnes qui étaient excessivement en rupture, dans des modèles très alternatifs, avec des discours dans lesquels nous ne nous reconnaissions pas (complotistes et conspirationnistes, notamment).

Quels sont vos projets pour 2023 ?

Nous finalisons les travaux de mise aux normes ERP, et pourrons bientôt accueillir tous les citoyens. C'était vraiment une volonté dès le début du projet, et nous pouvons enfin envisager la programmation événementielle. Nous souhaitons mettre en place des systèmes de vente alternatifs afin de rapprocher les producteurs et les consommateurs, à travers notamment des marchés ou des ventes directes aux entreprises en leur proposant des paniers de produits locaux. En 2023, l’enjeu à court terme est notre autonomie énergétique. Nous avons besoin d’aides et de compétences techniques autour de ces questions. Il va falloir innover de manière ultra rapide : nous n’avons pas d'autre choix !

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