Laurence Besançon, fondatrice du Quai des possibles, tiers-lieu dédié à l’économie sociale, solidaire et responsable

01 décembre 2022ContactCarine Camors

Laurence Besançon a fondé le Quai des possibles, situé dans l’ancienne gare Grande-Ceinture, à Saint-Germain-en-Laye, en 2018. Après 20 ans dans le marketing et la communication, elle s’oriente vers l’entrepreneuriat à impact. Actrice du changement, elle souhaite offrir un lieu propice au développement professionnel et à l’épanouissement personnel à toute personne qui porte une initiative à impact positif pour la société.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Quand et comment a commencé l’aventure du lieu ?

J’ai passé 26 ans en grande entreprise, dans des fonctions de marketing international. J'accompagnais des entreprises, comme Nestlé, dans le déploiement de leurs activités à l’international. J’ai beaucoup aimé faire ce job d’accompagnement au développement économique. En revanche, je ne trouvais pas beaucoup de sens à vendre toujours plus de KitKat dans le monde… Dans le contexte de transition écologique que nous vivions, j’ai eu besoin de rompre avec le modèle capitaliste imposé par la mondialisation, et de m’engager dans des projets plus vertueux, sociaux et solidaires. J'ai commencé à travailler bénévolement pour une entreprise sociale, 1001 Fontaines, montée par des anciens partenaires d’Accenture pour permettre l’accès à l’eau potable dans les pays d’Asie du sud-est. Allier philanthropie et entrepreneuriat à impact a été très réjouissant, et je me suis intéressée à ces nouveaux modèles.

En 2016, j’ai quitté l’entreprise pour laquelle je travaillais et, six mois après, j’ai rencontré le maire de Saint-Germain-en-Laye. Je lui ai parlé de mon envie de monter un projet autour de l’engagement pour la solidarité, l’environnement, l’entrepreneuriat social au service des habitants, en écoutant les besoins du territoire. Mon idée l’a enthousiasmé. Il m’a fait confiance et m’a donné les clés de l’ancienne gare Grande-Ceinture, au cœur de l’écoquartier en construction, afin que je puisse tester mon projet d’accompagnement de projets à impact social, sociétal et environnemental, avec les habitants du territoire. Après plusieurs étapes de co-construction, d’ateliers participatifs, de réunions de concertation, pendant un an, le Quai des possibles a ouvert en 2018.

Quel regard portez-vous sur le développement des espaces de travail partagés sur votre territoire ? Observez-vous un intérêt grandissant pour ce type d'espaces ?

On sent un intérêt grandissant au sujet des espaces de travail partagé, mais la réalité à Saint-Germain-en-Laye est toute autre. Il y a peu de tiers-lieux autour de nous, et deux d’entre eux viennent de fermer. Quand j’ai voulu lancer mon activité, en 2016, le maire avait commandité une étude afin d’évaluer le potentiel de la ville, et les conclusions montraient que les modèles économiques purement coworking étaient très compliqués. Il fallait un lieu à moins de 5 minutes du RER et sur au moins 1 000 m² pour faire tourner un modèle coworking classique. On parle aussi beaucoup du potentiel de télétravailleurs dans les espaces de coworking, mais les télétravailleurs, avec la crise de la Covid-19, ont pris l’habitude de télétravailler. Il y a peu de demande. Ce type de profil est encore assez rare à Saint-Germain-en-Laye. Le modèle économique est très instable : qui va payer pour venir télétravailleur dans un espace de coworking ? Le salarié, l’employeur, l’Etat ?

Nous sommes davantage sur des profils d’entrepreneurs : des gens qui ont envie de créer une entreprise à impact et qui en sont au tout début de leur réflexion sur la création de leur entreprise et recherchent un lieu, un accompagnement personnalisé, et l’accès à un réseau.

Quels liens le lieu entretient-il avec son territoire ? Quel ancrage avez-vous sur ce territoire ?

Nous sommes labellisés « Fabrique de territoire » depuis 2018, et à ce titre nous recevons de nombreuses demandes d’accompagnement de la part des maires et des communautés d’agglomérations qui veulent créer leur propre structure. Nous avons créé un parcours d’accompagnement à la création de tiers-lieux, pour huit personnes par an pendant six mois.

Nous travaillons beaucoup avec la Ville dans sa compétence « action sociale », avec des formations « numériques » pour améliorer l'employabilité des actifs en les aidant à utiliser des logiciels et des applications. Nous avons mis en place des formations gratuites deux fois par semaine avec les demandeurs d’emploi, en lien avec Pôle Emploi. Le Conseil général des Yvelines nous soutient également et a financé notre espace public numérique. Depuis un an, nous avons lancé un nouveau programme pour les travailleurs indépendants bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) en immersion dans « La Ruche » pendant un mois. L’idée est de les challenger sur leur projet de création, accompagnés par un coach, afin de voir s’ils sont prêts pour l’entrepreneuriat.

Avec l’agglomération, nous travaillons sur le volet « développement économique » et des programmes d’accompagnement à la création d’entreprises à impact, notamment dans le domaine du recyclage et de la valorisation des déchets. Nous avons des actions communes tous les ans, lors de la « semaine européenne de la réduction des déchets ».

Quel a été l’impact de la crise de la Covid-19 sur votre activité ?

L’impact a été assez violent : on a perdu 60 000 euros, malgré les aides dont nous avons pu bénéficier (prêts, chômage partiel, reports de charges, etc.). Nous avons pris dans nos réserves pour financer la crise, mais la situation est compliquée aujourd’hui. Nous avons une trésorerie raccourcie. Au-delà de l’aspect financier, nous observons également une baisse de fréquentation du lieu et une mobilisation moindre pour les questions sociales et environnementales, ainsi que pour l’engagement citoyen. Avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique, les gens sortent moins et participent moins à notre programmation (ateliers, débats, fresques du climat, etc.).

Ces deux années post-Covid ont été difficiles. On a du mal à repartir. Les gens ont souffert. Les jeunes, en particulier, ont été très touchés et déprimés durant cette période. Ils sont de plus en plus nombreux, notamment au sein de mon équipe, à être touchés par l’« éco-anxiété » liée au changement climatique (catastrophes naturelles de grande ampleur, élimination d’écosystèmes et d’espèces végétales et animales, pollution de masse mondiale, déforestation, etc.).

Nous avons souffert de la crise Covid-19. Nous sommes en train de relancer la dynamique autour de l’engagement citoyen, avec des formats participatifs et contributifs, très ouverts, pour que chacun puisse s’exprimer. Soyons le monde que l’on souhaite voir émerger.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous accompagner ?

Tout d’abord, financièrement : nous sommes des structures engagées qui œuvrons pour accompagner les citoyens à vivre mieux, à créer leurs projets qui sont utiles localement ou territorialement, et en ce sens nous remplissons certaines missions de service public. Le financement 100 % privé n’est pas adapté à notre modèle. Nous bénéficions de l’aide « Fabrique de territoire » (50 000 euros par an), mais chaque mois nous devons payer 30 000 euros de loyers et salaires.

En deuxième lieu, je dirais qu’au-delà du financement nous attendons une implication plus importante des collectivités dans les actions que nous menons. Nous défrichons beaucoup de sujets, essayons d’amener de nouvelles idées et de nouvelles solutions en dialoguant avec les citoyens sur les grands enjeux de leur territoire. Elles s’en inspirent mais nous souhaiterions une collaboration plus étroite, une co-construction territoriale avec la Ville, notamment.

Si c’était à refaire, que feriez-vous ou ne referiez-vous pas ?

Je pense justement que cette relation avec les collectivités aurait pu être renforcée depuis notre création. Ecrire une feuille de route ensemble, s’engager dans des missions communes, les accompagner dans la concertation, les démarches participatives, la co-construction avec les habitants… On aurait pu coopérer davantage avec des objectifs mieux définis.

Ce que je referais à l’identique, en revanche, c’est la construction de notre équipe ! Sur les quatre dernières années, sept personnes ont été salariées au Quai des possibles, et il y a en plus les alternants, les services civiques et les bénévoles. Nous avons construit au fil du temps une ambiance de travail, une atmosphère, un plaisir d’être ensemble qui fonctionne bien, avec à la clé une gouvernance horizontale et la mobilisation de l’intelligence collective dans la plupart de nos projets.

Quels sont vos projets pour 2023 ?

Nous lançons un programme de reconversion à impact : un parcours sur dix mois en groupe, où des personnes en quête de sens dans leur travail vont être accompagnées et formées afin de créer leur entreprise à impact à La Ruche.

Par ailleurs, nous observons une demande grandissante de la part des entreprises dans la mise en place de séminaires engagés qui les aident à transformer leur modèle ou à accompagner leurs salariés dans la transition, en faisant, par exemple, des fresques du climat ou des ateliers d’intelligence collective.

Et enfin, nous avons un programme « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Il s’agit de se transformer soi, pour pouvoir transformer les autres et agir sur la planète : développement personnel, bien-être, gestion de l’énergie, etc. On parle d’« académie de la résilience » pour pouvoir absorber les chocs auxquels on est confronté et changer sa façon d’être au monde, mais aussi de consommer, d’habiter, de se déplacer, etc.

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