Municipales 2020 : la « nouvelle » carte politique de l’Île-de-France
Chronique du paysage politique francilien n° 6 Sommaire
La démocratie locale ne sort sûrement pas renforcée de la séquence des élections municipales et intercommunales de 2020. Un tel niveau d’abstention traduit-il des circonstances exceptionnelles ou une réelle montée des doutes sur les politiques de proximité et leurs effets sur les modes de vie ? En tout état de cause, en Île-de-France les équilibres politiques territoriaux semblent sortir confortés de cette séquence. Une bonne raison de décrire les caractéristiques de l’échiquier sur lequel vont jouer les acteurs des politiques locales d’aménagement et de développement pour les six prochaines années.
C’est une évidence, l’élément le plus marquant de ce scrutin restera le niveau de l’abstention. Elle atteint 62,4 % en Île-de-France au soir du 28 juin, soit presque 20 points de plus que lors du second tour des municipales précédentes (43,7 %) ! Le « boycott » de ce second round est encore plus marqué qu’au niveau national (+ 4 points) même si l’augmentation entre les deux tours y est moins forte (+1,8 point en Île-de-France contre +3,1 points dans la France entière).
Si l’on ne retient pour la comparaison que les taux des 239 communes dont les électeurs ont été appelés aux urnes pour les deux tours, la croissance de l’abstention de l’un à l’autre s’établit à 1,2 point. Les communes concernées par le second tour avaient un peu plus voté que les autres au premier et ont pourtant connu une hausse significative de l’abstention au second.
À l’échelle départementale, on parvient tout de même à trouver des territoires où la participation a connu une recrudescence : en Essonne, Seine-Saint-Denis et Val-d’Oise, elle est en augmentation d’un peu plus de 1 point entre les deux tours. Dans les deux derniers départements nommés, cette « mobilisation » s’observe malgré des valeurs absolues parmi les plus élevées d’Île-de-France.
En effet, au niveau communal, les taux d’abstention supérieurs à la moyenne régionale s’observent plutôt dans le cœur d’agglomération et notamment au nord de l’unité urbaine centrale. À Paris, les taux les plus élevés se trouvent à la fois dans les arrondissements les plus favorisés et les plus populaires. C’est pour l’essentiel en grande couronne que l’on trouve les participations supérieures à la moitié du corps électoral.
Les enjeux politiques du second tour ne semblent pas avoir fait basculer la dynamique en faveur de la participation dans les communes concernées. Dans les 49 communes qui ont changé de couleur politique suite au second tour, certes l’abstention a été légèrement plus faible que la moyenne régionale avec un peu moins de 60 %. Pour autant, dans aucune de ces communes, la participation n’est parvenue à atteindre les 50 % des inscrits. Dans des communes emblématiques de basculements politiques, l’abstention est plutôt en recul mais dépasse toujours la moyenne régionale : 63,7 % à Aubervilliers et Bondy, 65,5 % à Bezons, 66 % à Corbeil-Essonnes, 67,5 % à Saint-Denis.
Renouvellement limité des maires, continuité de la carte politique locale
L’Île-de-France compte 716 communes de plus de 1 000 habitants, auxquelles il faut ajouter la Ville de Paris, collectivité à statut particulier dotée des attributions à la fois d’une commune et d’un département. Au terme des deux tours des municipales 2020, près des deux tiers de ces communes (457 en comptant Paris et sans prendre en considération ses arrondissements) vont voir leurs maires sortants rempiler pour un nouveau mandat de six ans.
Cela signifie que seulement 263 communes franciliennes de plus de 1 000 habitants ont déjà changé ou sont en train de changer de premier magistrat. Bien que l’on doive encore attendre les données définitives du Répertoire national des élus pour les 1 268 communes de la région, tout porte à croire que ces élections si particulières débouchent sur un renouvellement très limité.
Surtout, pour 202 de ces communes où le maire devrait changer, les données de « nuançage » (cf. encadré en fin de chronique) n’indiquent pas d’évolution de tendance politique de la « nouvelle » majorité municipale. Soit parce que, dans des cas minoritaires, la liste était véritablement considérée comme « sans étiquette » ou même « inclassable ». Soit parce qu’une part significative des communes se situe dans la strate comprise entre 1 000 et 3 500 habitants et ne fait pas l’objet de l’attribution d’une nuance politique au moment des candidatures. Soit parce que, dans de très nombreux cas, le changement de maire s’est opéré au sein de la même tendance politique.
Au bout du compte, nous ne sommes parvenus à recenser que 61 communes pour lesquelles on peut considérer que les élections 2020 ont amené à un changement de tendance politique de la majorité du conseil municipal.
Entre rééquilibrage limité et tendances à confirmer
En observant plus finement les mouvements entre familles politiques, on constate que la gauche perd 17 communes, réparties dans l’ensemble de l’Île-de-France (sauf dans le 92 où elle en détenait très peu), au profit de la droite (14) ou du centre (3). Sont concernés des pôles de grande couronne comme Nangis, Saint-Arnoult-en-Yvelines, Dourdan ou encore Magny-en-Vexin. Un léger rééquilibrage s’opère en Essonne avec, certes, des défaites à Morsang-sur-Orge et Morangis mais aussi la reconquête de villes perdues en 2014 comme Athis-Mons ou Chilly-Mazarin.
Le mouvement de recul du Parti communiste de banlieue semble se poursuivre avec la bascule de 9 nouveaux bastions, en particulier Aubervilliers, Champigny-sur-Marne, Choisy-le-Roi, Valenton et Villeneuve-Saint-Georges, ainsi que la Verrière (78) en grande couronne. 3 changements – Saint-Denis, Villetaneuse et Bezons – se font au profit de la gauche modérée. Le mouvement de balancier joue néanmoins dans le sens inverse dans 2 communes de Seine-Saint-Denis, Bobigny et Noisy-le-Sec, au détriment de la droite.
Au regard des scores réalisés, il se confirme bien que la « vague verte » n’a pas touché la périphérie parisienne, mais les candidats écologistes parviennent tout de même à emporter 5 nouvelles communes, deux dans le val d’Orge et trois dans les boucles aval de la Seine. À chaque fois ce sont des majorités sortantes de droite qui en font les frais.
En effet, la droite abandonne en tout 41 communes. En réalité, seule un peu plus de la moitié (22) ont évolué vers une majorité municipale de gauche. Ces mouvements se rencontrent surtout en grande couronne, avec la perte symbolique de la commune nouvelle de Moret en Seine-et-Marne, d’où est issu le président du conseil départemental, ou encore dans le nord Essonne et le nord-ouest de Marne-la-Vallée. Quelques villes marquantes basculent : Corbeil-Essonnes et Beaumont-sur-Oise sur les pourtours de l’agglomération, Châtillon, Colombes, Saint-Ouen et Villejuif en petite couronne. Mais 19 « transferts » depuis la droite bénéficient finalement à des majorités municipales recensées comme appartenant au centre. Ce phénomène semble concerner plus spécifiquement les Yvelines, même s’il se rencontre également dans certains secteurs du Val-d’Oise et de la Seine-et-Marne. Ces mouvements recouvrent manifestement des réalités variées : dans certains cas une véritable alternance en opposition avec une majorité sortante de droite, dans d’autres un changement de maire mais appartenant à la majorité sortante qui a fait évoluer son étiquette (comme à Coulommiers par exemple).
Pour finir, cette revue du spectre politique, le Rassemblement national perd son unique commune francilienne à Mantes-la-Ville.
À l’arrivée, sur les 717 communes de plus de 1 000 habitants, 105 sont désormais étiquetées de gauche. 223 recensent une majorité municipale de droite. 47 sont rattachées au centre dont 5 d’entre elles expressément étiquetées LREM. Les municipalités où le leadership se revendique de l’écologie sont au nombre de 8.
Du point de vue régional, les 337 communes relevant d’une tendance « divers » ou « sans étiquette » semblent finalement majoritaires. Mais en réalité 128 maires de ces territoires, qui ont été réélus en 2020, se voyaient bien attribuer précédemment (en 2014 selon l’ancien dispositif de « nuançage » – cf. encadré ci-dessous), une étiquette de droite (107) ou de gauche (21). En ajoutant ces « faux sans étiquette », on peut donc considérer que, parmi les maires des communes de plus de 1 000 habitants en Île-de-France, on conserve une large majorité d’édiles de droite – environ 430 – contre environ 130 pour la gauche.
Une stabilité encore accrue par la gouvernance intercommunale ?
Il est difficile d’anticiper les évolutions des équilibres politiques au sein des assemblées intercommunales, en premier lieu car les EPCI répondent encore souvent à une logique de gouvernance relativement consensuelle ou, au moins, détachée des strictes appartenances partisanes. Cela s’avère encore plus complexe en grande couronne où les nuances politiques peuvent être moins affirmées. Dans les EPT de petite couronne, la désignation des représentants ne se fait qu’au troisième tour, au sein des conseils municipaux, processus en cours.
On reviendra dans une prochaine chronique sur les évolutions des exécutifs intercommunaux franciliens, avec probablement un œil plus attentif pour Plaine Commune, Est Ensemble et Grand-Orly Seine Bièvre. Mais il est d’ores et déjà possible de faire le point sur la nouvelle composition territoriale et politique du conseil de la MGP.
Lors de son premier mandat, la MGP comptait 209 conseillers métropolitains, qui avaient été désignés lors de sa création en 2016 par les conseils municipaux. Comme évoqué dans nos précédentes chroniques, ils ont cette fois été désignés selon le droit commun de l’élection des conseillers intercommunaux au moyen d’un fléchage au sein des listes communales (et des arrondissements de Paris). La MGP comptait 86 élus de gauche (en y intégrant les écologistes). La droite disposait d’une confortable majorité avec 123 sièges (dont 25 pour l’UDI).
Lors de la mandature qui s’ouvre, le nombre total de sièges est descendu à 208. La légère érosion des municipalités de droite en petite couronne se retrouve dans la composition du conseil métropolitain, avec 113 sièges occupés par des élus expressément étiquetés à droite ou à l’UDI. La gauche ne progresse pas pour autant, désormais concentrée sur son bastion parisien et des territoires bien identifiés de la proche banlieue. Elle rassemble 85 sièges, dont 4 occupés par des représentants de communes à majorité écologistes qui seront rejoints dans un groupe constitué également des verts élus sur des listes d’union de la gauche (comme à Paris notamment). En fin de compte, la différence se retrouve avec 9 élus étiquetés au centre… mais qui, au regard des communes concernées, devraient avoir leur place dans un groupe plus large de centre-droit.
Il existe, en première approche, un statu quo des rapports de force politiques au sein de la MGP. Pour autant, l’actualité, de la première réunion du conseil métropolitain et du renouvellement de Patrick Ollier à sa présidence, montre que les clivages s’opèrent moins entre tendances partisanes que, notamment au sein de la majorité, entre tenants et opposants de l’intégration métropolitaine à l’échelle de la petite couronne.
Avertissement sur l’analyse des résultats
Approcher à l’échelle régionale la question de l’évolution des majorités municipales est complexe. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, le mode de scrutin qui autorise le panachage et les candidatures individuelles (cf. chronique n° 3) ne facilite pas a priori l’identification de majorités. D’autant que la politisation de l’élection dans les plus petites communes est très relative. Même pour établir l’identité des nouveaux maires, il semble préférable d’attendre la réunion des conseils municipaux et la compilation des noms des nouveaux édiles dans une nouvelle édition du Répertoire national des élus. Cette publication du ministère de l’Intérieur, dont les données sont fiables, permet de procéder à une comparaison globale entre les situations avant et après les deux tours de scrutin.
Pour les communes de plus de 1 000 habitants, l’analyse à chaud est plus facile. Le mode de scrutin repose sur des listes, dont le premier nom est en général celui de la personne appelée à enfiler l’écharpe de maire en cas de victoire. Même s’il peut arriver – comme l’a montré en Île-de-France l’exemple de Vitry-sur-Seine – que les élus de la majorité municipale ne choisissent finalement pas leur ex-tête de liste comme premier magistrat, dans la quasi-totalité des cas la liste arrivée en tête permet d’anticiper, dès le soir du second tour, l’identité du maire pour la mandature qui s’ouvre.
La question de la tendance politique est également à traiter avec prudence. Les préfets, au moment des candidatures, attribuent une « nuance politique » aux différentes listes. Cette attribution discrétionnaire par les services de l’État doit être appréciée au regard des spécificités des configurations locales. Surtout, avant l’élection de 2020, ce « nuançage » concernait les listes de toutes les communes de plus de 1 000 habitants. Depuis une circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 3 février 2020, adoptée suite à une importante polémique sur les arrière-pensées politiciennes du changement de dispositif, les nuances ne sont attribuées que dans les communes de plus de 3 500 habitants. Cela limite la capacité à suivre dans le temps l’évolution des tendances politiques des majorités municipales de nombreuses (petites) communes, notamment en Île-de-France.
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