De nouvelles opportunités pour les gares rurales en Île-de-France

En bout de ligne mais pas en bout de course

31 décembre 2022Stéfan Bove

Depuis leur émergence au XIXe siècle, les gares ont toujours joué un rôle significatif dans la structuration des territoires. Ce sont des objets vivants et symboliques qui reflètent autant un ancrage local qu’un lien entre les territoires. En Ile-de-France, elles ont connu des évolutions successives en faisant apparaitre différentes morphologies urbaines : la gare triage pour l’organisation du réseau, la gare silo pour les marchandises, la gare rattrapée par l’urbanisation des lotissements, les gares RER de villes nouvelles. Elles sont devenues des lieux particulièrement stratégiques et constituent un maillage puissant, devenu au fil de l’histoire le deuxième réseau ferré le plus dense du monde après celui de Londres (en nombre de gares pour 1 000 km² de surface urbanisée).

Les modes ferrés régionaux auxquels on peut ajouter le métro et tramway occupent la part la plus importante dans la mobilité (ils représentent environ 70 % des déplacements en transports collectifs seuls ou combinés à d’autres modes). C’est ce qui explique que l’Île-de-France est une région où les transports ferrés jouent un véritable rôle structurant pour la desserte du territoire, dans toutes ses composantes, des espaces les plus denses aux plus ruraux. Contrairement à l’imaginaire collectif, les gares de la couronne rurale restent très polarisantes car elles agglomèrent encore largement dans un rayon de 2 km les populations et les emplois, même à 50 km de Paris.

LES GARES RURALES CONSTITUENT DES LIEUX EMBLÉMATIQUES ET STRATÉGIQUES À PLUSIEURS TITRES

D’abord parce qu’elles exercent trois grands rôles dans une région très polarisée : celui de « porte vers la ville », pour les personnes habitant les communes rurales plus ou moins éloignées de la gare et qui se rendent quotidiennement en ville pour travailler ou étudier ; celui de « porte vers la campagne », pour les personnes habitant principalement le coeur de l’agglomération parisienne et souhaitant se rendre, non pas quotidiennement mais plus occasionnellement, « à la campagne », pour se détendre, se ressourcer, se dépayser ; enfin celui de « pôle d’animation » de l’espace rural, qui pose la question de l’articulation entre les gares rurales et les centres de villes petites et moyennes, des bourgs et villages.

Des frictions potentielles peuvent exister entre « porte ouverte sur la ville » et « porte ouverte sur la campagne », par exemple pour les randonneurs du dimanche qui, en sortant de la gare à leur arrivée, commencent par traverser en plein soleil un immense parc de stationnement vide, ou constatent que le café de la gare où ils auraient aimé prendre une collation en attendant le train du retour est fermé le week-end ; entre « porte ouverte sur la ville » et « pôle d’animation de l’espace rural », par exemple pour le gérant d’une supérette proche de la gare dont le parc de stationnement est régulièrement monopolisé, dès l’ouverture du matin, par les usagers de la gare toute proche, ou à l’inverse par le chauffeur de car qui est fréquemment gêné, dans son accès à la gare, par les camions de livraison des cafés-restaurants ou commerces du centre-ville ; entre « porte ouverte sur la campagne » et « pôle d’animation de l’espace rural », par exemple quand le développement d’une centralité urbaine aux abords de la gare se traduit par des extensions urbaines (zones commerciales, zones d’activités…) qui rendent plus long et moins agréable le cheminement entre la gare et les espaces ruraux les plus proches.

LIMITER CES FRICTIONS POTENTIELLES, ENTRE RÔLES ET, MIEUX ENCORE, LES TRANSFORMER EN SYNERGIES, CONSTITUE UN DES PRINCIPAUX ENJEUX POUR L'AMÉNAGEMENT DES GARES RURALES, DE LEURS ABORDS ET DE LEUR BASSIN

D’autre part, l’observation des gares plus péri-urbaines ou rurales est souvent absente du débat aménagement-transport sur les mobilités franciliennes alors même qu’elles peuvent jouer un rôle non négligeable dans les dynamiques urbaines locales. Elles renvoient à la fois à une notion de connexion avec le coeur de métropole et avec d’autres territoires voisins mais aussi à la notion de proximité, de cadre de vie, de quotidien. Ces gares rurales, bien que plus excentrées, souvent en bout de ligne, seront pour la plupart connectées aux lignes de rocades du Grand Paris Express, et bénéficieront aussi de l’amplification de « l’effet réseau ». Dès lors, quelle contribution peut-on attendre des gares et de leurs abords dans la structuration territoriale des polarités de grande couronne et à l’échelle du Grand Paris ? Comment renforcer les différents rôles des gares rurales tant pour les habitants plutôt ruraux du territoire (animation, centralité, accessibilité) que pour les urbains en quête d’excursions et de loisirs, et parvenir à mieux les articuler entre eux chaque fois qu’ils sont pertinents ? Quelles politiques publiques mettre en place autour des gares dans les territoires ruraux franciliens, pour quels effets attendus ?

En croisant une approche multi critères, l’étude permet d’identifier 153 gares rurales en Ile-de-France. Une gare est rurale si elle est une gare (ou un arrêt) ferroviaire de voyageurs en activité, comprenant ou non un bâtiment-voyageur, qui présente au moins l’une des trois caractéristiques suivantes :

  • elle est située dans une commune rurale, au sens INSEE 2020,
  • elle est située dans un environnement majoritairement rural (au moins 50% d’espaces ruraux dans un rayon de 2km autour de la gare au MOS+ 2017),
  • elle est fréquentée par au moins 250 personnes entrantes en gare par jour qui résident dans une commune rurale (au-delà de l’objet « gare rurale », c’est plus largement la « population rurale » qui fréquente la gare pour ses déplacements qui est prise en compte).

Cet ensemble permet de faire émerger une typologie de quatre « familles » distinguant les gares de polarités, les gares intermédiaires, les gares locales et les gares de frange francilienne. Leur configuration géographique particulière, leur position au sein du réseau régional et leur position par rapport aux tissus urbains qu’elles desservent viennent nuancer l’approche spatiale.

Un benchmark de dispositifs et d’outils existants, des fonds européens aux actions de l’Etat (Action coeur de ville, Petites villes de demain), des collectivités locales (dispositifs régionaux) aux opérateurs (Place de la Gare SNCF Gares et Connexion), permet de prendre la mesure des projets d’investissement ou d’ingénierie locale en faveur des gares rurales au niveau national et francilien.

L’étude met en avant la complémentarité entre trois échelles d’intervention (celle des infrastructures de la gare, celle des abords de la gare, celle du bassin de rabattement) et une série de pistes d’actions à traiter aux trois échelles pour dépasser les freins à la mise en oeuvre des projets : traitement de l’espace public par l’urbanisme tactique, urbanisme transitoire dans les bâtiments voyageurs ou à proximité en réinvestissant le patrimoine ferroviaire, anticipations sur le foncier avec une nouvelle approche pour rationaliser les emprises dédiées à la voiture individuelle, et en conditionner l’usage. D’autres pistes d’actions pour renforcer l’attractivité des gares rurales et réduire la dépendance à la voiture individuelle sont développées, notamment l’accès à la gare par les modes actifs qui reste une fonctionnalité majeure à assurer en complément d’une action sur la fréquence et le cadencement des lignes peu fréquentées, des réflexions à mener sur le conventionnement et le financement des projets, ainsi que la synchronisation des rythmes de vie avec les transports collectifs.

À l’heure d’une tension accrue sur les prix de l’énergie dans un contexte d’incertitude géostratégique, en tenant compte des objectifs à atteindre pour être au rendez-vous de la stratégie nationale bas carbone, cette étude permet de redéfinir l’intérêt que l’ensemble des acteurs de l’aménagement et des mobilités devrait porter aux plus petites gares, les gares rurales. Car si toutes ne répondent pas aux mêmes problématiques, du fait de leur typologie, toutes permettent d’améliorer un certain nombre d’enjeux d’aménagement : une plus grande fluidité des parcours, la sécurité du rabattement, l’accessibilité à la gare ou la diffusion vers la ville ou la campagne, l’animation locale. Préfigurer les futurs usages d’un bâtiment voyageur réinvesti ou des emprises foncières autour de la gare, c’est recréer davantage de lien social et d’échanges entre habitants tout en valorisant le patrimoine historique local.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires | Aménagement | Périurbain | Mobilité et transports | Équipements et infrastructures

Études apparentées