L'impact de la crise sanitaire sur les Franciliens les plus modestes

Note rapide Société-Habitat, n° 950

29 juillet 2022ContactFrançois Michelot

À travers les prestations qu'elles versent sous conditions de ressources, les Caisses d'allocations familiales (CAF) disposent d'une vision précise de la situation sociale de leurs allocataires. Les données qu'elles recueillent permettent de saisir finement les effets de la crise de la Covid-19 sur les populations les plus modestes, à savoir l'affaiblissement de leur niveau de vie en 2020. Cet affaiblissement s'est traduit par l'afflux d'allocataires vers le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité, en conséquence de la baisse des revenus d'activité.

La fin du premier trimestre 2020 a vu l’irruption de la Covid-19, qui a provoqué un ralentissement brutal de l’activité économique, fragilisant la situation sociale de nombreux Franciliens. Les CAF ont ainsi été témoins des difficultés des ménages liées à la dégradation soudaine de l’activité économique, qui se sont traduites par des évolutions des entrées et des sorties de dispositifs comme le RSA ou la prime d’activité, particulièrement dépendants de la situation de l’emploi. Pour amortir ce choc, en 2020, les CAF franciliennes ont versé des prestations à 69 000 foyers allocataires de plus qu’un an plus tôt, portant leur nombre à 2 502 000 (soit 6,3 millions de personnes), avec des répercussions particulièrement visibles sur les populations couvertes par le RSA (+60 000 personnes) et la prime d’activité (+35 000). Si les liens entre la situation du marché de l’emploi et l’évolution des bénéficiaires des prestations sociales sont évidents, en rendre compte exige de comprendre le décalage temporel entre ces deux paramètres. L’attribution du RSA et de la prime d’activité repose en effet sur des déclarations trimestrielles prenant en compte les ressources perçues au cours des trois mois précédant la demande : les premiers effets du confinement commencé en mars 2020 s’observent à partir de la période allant de fin mars à fin juin 2020.

UNE DÉGRADATION GLOBALE DE LA SITUATION SOCIALE DES ALLOCATAIRES EN 2020

Pour identifier la précarité des populations qu’elles soutiennent, les CAF s’appuient sur trois indicateurs : le nombre de foyers à « bas revenus », situés sous le seuil de pauvreté (calculé selon la composition de chaque ménage, en fonction du revenu disponible par unité de consommation) ; le nombre de foyers en situation de « fragilité économique », c’est-à-dire les foyers qui, sans les prestations des CAF, relèveraient des ménages à « bas revenus » ; le nombre de foyers allocataires dont les revenus dépendent majoritairement des prestations des CAF. Quel que soit l’indicateur retenu, tous traduisent une précarisation des allocataires franciliens lors des neuf premiers mois de la crise sanitaire de la Covid-19, de mars à décembre 2020.
En 2020, le nombre d’allocataires les plus vulnérables économiquement, dont au moins la moitié des revenus provient de prestations sociales, a augmenté plus vite que le nombre des autres allocataires. De mars à décembre 2020, le nombre d’allocataires dépendant à 50 % ou plus des prestations s’est considérablement accru (+17,2 %), à un rythme deux fois supérieur à celui de 2019 (8,7 %), principalement en raison de la hausse du nombre d’allocataires dépendant à 75 % et plus des prestations. La progression du nombre d’allocataires à « bas revenus », qui a plus que doublé, passant de +4,6 % en 2019 à +10,3 % en 2020, illustre également la dégradation de la situation sociale des allocataires pendant cette période. Le nombre d’allocataires en situation de « fragilité économique » s’est accru en 2020 au même rythme qu’en 2019 (+9,5 % par an environ).
La précarisation des allocataires n’est pas seulement liée à une dégradation économique des foyers déjà allocataires avant la crise sanitaire. Sous l’effet de la crise, les CAF franciliennes ont, en effet, été confrontées à des arrivées particulièrement nombreuses de nouveaux allocataires à partir du mois de juillet 2020. En 2020, elles ont ainsi intégré 306 000 nouveaux foyers allocataires. Des nouveaux arrivants certes moins nombreux qu’en 2019 (342 000), année marquée par la réforme élargissant l’accès à la prime d’activité, mais nettement plus nombreux qu’en 2018 (274 000). Dans le même temps, 249 000 foyers allocataires sont sortis des dispositifs d’aide sociale en 2020, contre 232 000 en 2019. L’afflux de nouveaux allocataires est lié aux impacts de la crise sanitaire sur le marché de l’emploi. Ce phénomène a été accentué par l’arrêt progressif, à l’automne 2020, des mesures d’urgence prises au printemps 2020 par la branche « Famille » (voir encadré p. 5), et a perduré au premier semestre 2021 avec 10 000 arrivées de
nouveaux allocataires supplémentaires par rapport au premier semestre 2020. 

DE NOUVEAUX ALLOCATAIRES PLUS JEUNES ET PLUS SOUVENT SANS EMPLOI

Les jeunes ont particulièrement souffert des conséquences de la crise sanitaire. La baisse significative des emplois saisonniers et des jobs étudiants, à la suite des confinements, a encore accru l’entrée massive des moins de 30 ans dans les dispositifs CAF. Leur part parmi les nouveaux allocataires a augmenté en 2020.
Le premier semestre 2021 a marqué un retour à la normale pour les jeunes de moins de 25 ans, dont le nombre a décru jusqu’à ne représenter plus qu’un nouvel allocataire sur trois. La situation ne semble toutefois pas s’être améliorée pour les 25 à 29 ans, dont la part parmi les nouveaux allocataires est restée élevée (environ 25 %).
L’arrivée des moins de 30 ans a eu pour effet d’accroître la part des nouveaux allocataires isolés, alors sans enfants à charge et vivant seuls (8 nouveaux allocataires sur 10 dans cette classe d’âge), dont la proportion a continué d’augmenter au premier semestre 2021. Inversement, la crise Covid a freiné la sortie des familles avec enfants du système des aides versées par les CAF. En effet, la baisse de la part des familles a été moins nette en 2020 qu’en 2019. Mais la fin des aides exceptionnelles déployées lors du premier confinement a conduit à une nouvelle baisse de la part des familles au premier semestre 2021.
La crise sanitaire a également fortement touché l’activité professionnelle des allocataires. Les nouveaux allocataires sont moins souvent salariés : leur proportion parmi les nouveaux allocataires a en effet diminué entre 2019 et 2020. Cette baisse reflète deux situations : celle des allocataires qui ont perdu leur emploi (devenant, de fait, inéligibles à la prime d’activité) et celle des allocataires n’ayant pas trouvé d’emploi, même faiblement rémunéré (devenant, pour certains, éligibles au RSA). Le déploiement du chômage partiel peut en partie expliquer l’arrivée modérée de nouveaux allocataires salariés dans les dispositifs CAF.
La précarisation des allocataires dans leur lien à l’emploi est confortée par d’autres données relatives aux catégories socioprofessionnelles, telles que le taux d’allocataires des indépendants ou celui des chômeurs, qui ont légèrement augmenté en 2020. De même, la part des inactifs a augmenté en continu dès le début de la crise.
Avec la reprise progressive de l’emploi, la fin des confinements et des mesures prises par la branche « Famille » (voir encadré p. 5), le premier semestre 2021 s’est caractérisé par l’augmentation du taux de nouveaux allocataires salariés (+3,6 points) et la baisse de la part de chômeurs (10,9 % en juin 2021, contre 12,8 % en décembre 2020).

DES NOUVEAUX ALLOCATAIRES PLUS PAUVRES

Les effets de la crise se sont répercutés sur le niveau de pauvreté des allocataires : en décembre 2020, 4 nouveaux allocataires sur 10 relevaient des « bas revenus ». En revanche, la part des nouveaux allocataires « fragiles » est restée relativement stable. Cette dégradation du niveau de vie des nouveaux allocataires s’observe également à travers une plus forte dépendance aux prestations. Parmi eux, la part
de ceux dépendant des prestations pour au moins 75 % de leurs revenus a ainsi nettement augmenté entre mars et décembre 2020.

UN AFFLUX CONTINU D’ALLOCATAIRES DU RSA JUSQU’AU TROISIÈME TRIMESTRE 2020

Le nombre d’allocataires du RSA (minimum social destiné aux personnes sans emploi dont les ressources sont insuffisantes) varie au gré de la conjoncture du marché du travail. Une dégradation de l’accès à l’emploi accroît mécaniquement les entrées dans le dispositif du RSA tout en limitant les possibilités d’en sortir. Au cours de ces dernières années, 2020 a été celle où l’augmentation du nombre de foyers allocataires du RSA a été la plus forte (+11,1 % entre décembre 2019 et décembre 2020). Le maintien des droits au RSA pendant le deuxième trimestre 2020 a eu pour effet de freiner significativement le nombre de sorties du dispositif, tandis que les nouvelles entrées augmentaient. Cet effet de ciseaux s’est stabilisé au cours du second semestre 2020.
Au cours du premier semestre 2020, le flux entrant dans le dispositif RSA s’est caractérisé par une augmentation progressive du nombre d’allocataires de retour dans le dispositif alors qu’ils en étaient récemment sortis. De même, l’ensemble des bénéficiaires entrant dans le dispositif RSA et bénéficiant préalablement de la prime d’activité a augmenté progressivement au cours de ce semestre. Comme lors des crises antérieures, les premières victimes sur le marché de l’emploi ont été les actifs qui venaient d’accéder à un emploi ou d’en retrouver un. Le second semestre 2020 a vu ensuite une augmentation du nombre de nouveaux entrants (allocataires non concernés par le dispositif antérieurement) : ils étaient ainsi 35 000 à la fin de l’année 2020, soit l’effectif le plus élevé depuis 2017.
L’arrêt progressif des mesures de maintien systématique des droits et l’amélioration du marché de l’emploi, fin 2020, ont eu pour effet d’augmenter le nombre de sorties du dispositif, tandis que la reprise de l’emploi diminuait le nombre de nouvelles entrées. L’augmentation significative du nombre de sorties du RSA vers le dispositif de la prime d’activité en fin d’année 2020 (+38,7 % entre septembre et décembre 2020) atteste de cette reprise économique.

DES NOUVEAUX ALLOCATAIRES DU RSA PLUS JEUNES

Plus d’un tiers des nouveaux allocataires du RSA entrés dans le dispositif au cours du second semestre 2020 avaient moins de 30 ans (soit plus de 3 000 nouveaux entrants par rapport à mars 2020), et plus de 7 sur 10 n’avaient pas d’enfants à charge. Quant à leur situation économique, près de 8 sur 10 étaient à « bas revenus », qu’ils soient de retour dans le dispositif du RSA ou nouveaux allocataires du RSA.

UNE FORTE CROISSANCE DU NOMBRE D’ALLOCATAIRES DU RSA DANS LES ZONES AISÉES

Aisés ou modestes, en 2020, tous les territoires ont été confrontés à une augmentation du nombre de personnes couvertes par le RSA. En revanche, cette augmentation a été plus modérée dans les territoires
identifiés comme modestes, voire précaires, avant la crise. Ce sont les territoires habituellement moins concernés par la pauvreté (arrondissements du centre et de l’ouest de Paris, EPCI Versailles Grand Parc et Val d’Europe Agglomération…) qui ont enregistré les augmentations les plus fortes, d’autant que les effectifs sont plus petits, et donc plus sensibles aux variations.
Ainsi, si les effets de la crise sanitaire ont principalement impacté les personnes les moins ou les plus récemment insérées dans l’emploi, toutes les populations y ont été exposées, notamment les plus jeunes, quel que soit leur territoire de résidence.
À partir de juin 2020, le maintien des droits a progressivement cessé, et le retour à l’emploi s’est organisé. Entre juin et décembre 2020, la plupart des territoires ont vu leur taux de personnes couvertes par le RSA diminuer, signe d’un retour à l’emploi. En revanche, certains territoires ont connu de fortes augmentations du nombre de personnes couvertes par le RSA au cours de cette période, comme les arrondissements de l’ouest et du centre de Paris, et certains EPCI des Yvelines.

 

LA PRIME D’ACTIVITÉ A AMORTI LA PERTE DE REVENUS DES TRAVAILLEURS MODESTES

Après une forte croissance début 2019, liée à l’élargissement de ses critères d’attribution (+37,2 % au premier semestre 2019), le nombre de foyers percevant la prime d’activité a connu, au premier semestre 2020, une augmentation modérée (+3,2 %), entretenue par les baisses de revenus consécutives à la diffusion du chômage partiel. Fin 2020, 7 bénéficiaires de la prime d’activité sur 10 étaient salariés.

À la suite du premier confinement, marqué par la dégradation soudaine du marché du travail, le nombre d’allocataires de la prime d’activité s’est rétracté au troisième trimestre 2020 (-3,2 %). Le dernier trimestre 2020 a connu un retournement de tendance, avec une hausse de +2,4 % à la suite de l’amélioration du marché de l’emploi dès l’automne 2020. Si, au premier semestre 2021, les effectifs sont restés stables, les bénéficiaires de la prime d’activité sont plus précaires qu’auparavant : 32 % d’entre eux étaient des allocataires à « bas revenus » en juin 2021, contre 29,3 % six mois plus tôt.

Les effets de la crise sanitaire sur les Franciliens les plus modestes se sont manifestés par une entrée plus importante de nouveaux allocataires, notamment au second semestre 2020, avec un profil différent de ceux des années précédentes. Ainsi, les personnes isolées, jeunes, sans enfants à charge, se situant le plus souvent sous le seuil des « bas revenus » et dépendant des prestations à au moins 75 % ont représenté la majeure partie de ces nouveaux allocataires. Fin 2020, le nombre d’allocataires du RSA n’a pas retrouvé son niveau de fin 2019, malgré les premiers signes de reprise de l’emploi observés au cours du second semestre 2020. En juin 2021, le nombre d’allocataires du RSA n’a pas retrouvé son niveau de fin 2019, malgré une baisse continue (362 500, soit 19 300 de plus que fin 2019). Ces constats révèlent toute la mission sociale pour la branche « Famille » de maintenir les droits et de verser les prestations légales, afin de participer à la réduction des inégalités de revenus au sein de la population, accentuées lors d’une crise sanitaire et socio-économique.■

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