Révéler l’espace urbain

Extrait du cahier BOUGER ! Le sport rythme la ville

01 septembre 2020ContactLina Hawi

Utilisé pour relier les territoires, découvrir de nouveaux lieux, révéler les temps cachés de la ville ou encore donner une seconde vie à certains bâtiments, le sport devient un outil au service de l’aménagement des territoires. Faire du sport partout permet d’ouvrir de nouvelles perspectives d’usages et de pratiques du territoire autrement.

Faire du sport partout, sans contrainte de lieu ou de temps, ouvre le champ des possibles et renforce le fait que le sport soit devenu un élément du registre de la culture urbaine. Liant entre les différentes fonctions et les espaces, il contribue même à une forme de retour au cœur de la ville de certains quartiers délaissés. En complément de l’offre en équipements sportifs nécessaires pour la pratique en club, du loisir à la compétition, il existe une multitude de lieux non normés pour pratiquer le sport et répondre à des attentes différentes. Le sport investit la ville dans toutes ses dimensions, des dents creuses urbaines en passant par les toitures ou encore les anciens entrepôts. Il s’adapte à la place disponible et son potentiel est large. Au-delà du seul contexte urbain, la pratique sportive, intégrée comme élément de programmation dans un projet d’aménagement global, est un outil au service de la transformation des territoires. Elle permet d’investir et de pratiquer les territoires autrement, de redonner un usage au lieu, de transformer son image ou de favoriser son appropriation par les habitants. Différents exemples témoignent de la manière dont elle peut être actrice dans la reconquête des espaces et des temps de la ville.

Reconquérir les lieux

La pratique sportive, notamment auto-organisée, s’est révélée être, dès la fin des années 1990, une source d’inspiration pour des projets de redynamisation urbaine, de reconquête de lieux oubliés. Ce fut notamment le cas à Bordeaux, avec le projet de réaménagement des quais rive gauche de la Garonne. Dans le cadre du premier projet urbain de la ville, lancé en 1995 par le maire fraîchement élu Alain Juppé, l’aménagement des quais de la Garonne devient, avec la création du réseau de tramway, l’opération phare de la transformation de la ville. Le projet du paysagiste Michel Corajoud, lauréat du concours lancé fin 1999, vise à reconquérir cette large friche industrielle, anciennement occupée par l’activité portuaire, qui constituait une véritable coupure urbaine entre la ville et son fleuve. Les aménagements proposés mettent en valeur le patrimoine architectural du XVIIIe siècle et créent un vaste parcours urbain, avec de larges espaces pour les cyclistes et les piétons. Ils laissent la place à de nouveaux usages, dont une partie importante est dédiée aux loisirs urbains et aux activités sportives : terrains de basket-ball, frontons, aires de sable, terrains de football, espaces de glisse... Aujourd’hui, ces activités se diffusent depuis les bords de la Garonne vers le reste de la ville, où des séances de gymnastique, fitness et autres sont proposées. L’exemple de Bordeaux a fait beaucoup d’émules. Le sport est utilisé dans de nombreux projets de réappropriation de bord de fleuve, tel qu’à Lyon (loisirs urbains sur les berges du Rhône), à Nantes avec les aménagements réalisés en bord de Loire par l’agence de paysagiste BASE sur les berges du Faubourg (un skatepark, du street workout, du baby-foot, du ping-pong), ou encore Paris.

LE SPORT S’IMMISCE DANS LA VILLE À TOUS LES NIVEAUX

Pratiquer la ville en 3D

D’autres projets de reconquêtes de friches utilisent le sport comme levier, moins dans l’objectif de vitrine et d’attractivité que dans celui de redonner une vie au lieu, tout en répondant à des besoins locaux. Dans les sites industriels abandonnés, le sport est un moyen de redécouvrir l’espace, parfois même un patrimoine architectural délaissé, ce dernier offrant des potentialités spatiales (grands volumes, espaces flexibles, structures apparentes, etc.) prisées par certaines activités initialement d’extérieur. Les exemples ne manquent pas dans l’agglomération parisienne. Nous pouvons citer la société Arkose, qui a ouvert son premier blocpark (salle dédiée à l’escalade de bloc) fin 2013 dans un ancien entrepôt de Montreuil, et dont le concept foisonne dans de nombreuses villes ou encore Sand Fabrik à Pantin, qui réhabilite un espace industriel pour proposer des activités sportives sur sable aux portes de Paris. Redonner un sens à ces anciens bâtiments, parfois partie intégrante du patrimoine commun, c’est aussi pouvoir les utiliser pour bâtir des terrains de sport à moindre coût. Ainsi, le projet N10-Eiras à Coimbra, au Portugal. La conversion des usages des nefs d’un ancien entrepôt industriel, réalisée par l’agence d’architecture Comoco, a permis d’accueillir deux terrains de foot-à-5 sur gazon synthétique dans un quartier défavorisé et sous-équipé à moindre investissement. Le sport s’immisce également dans tous les niveaux de la ville. D’abord dans ses interstices, épousant les contours urbains, comme les terrains de foot dans les favelas, dont la forme varie en fonction des bâtiments environnants. Ou encore en occupant des dents creuses urbaines, pour animer les quartiers, créer de la convivialité ou répondre à un besoin d’espaces et de lieux de rencontres. C’est le cas du terrain de basket-ball rue Duperré à Paris. Émanant d’une demande citoyenne, ce terrain, aménagé sur un parking, dans une zone très dense de la capitale, est devenu un lieu de sociabilité, renforçant à la fois participant, par les interventions artistiques sollicitées pour ses différentes rénovations, à son attractivité. Dans la même idée, nous pouvons évoquer le Royal Melbourne Institute of Technology (RMIT) A’Beckett Urban Square, à Melbourne. Sur une parcelle sous-occupée de 2 800 m² au cœur de la ville, faisant office de parking et devant accueillir un projet de développement futur, la RMIT University a aménagé un terrain de loisirs provisoire en libre accès. Sont implantés des terrains multisports avec des gradins, des tables de ping-pong, un parking à vélos, mais également un lieu de détente avec des tables de barbecue, des bacs plantés… Des artistes et designers ont également été mobilisés sur le site. Cet aménagement a connu un succès immédiat, du fait notamment d’un manque de tels espaces de loisirs urbains dans la ville. Il a également permis de créer de nouveaux liens entre l’université, la ville et les habitants. Les toitures des bâtiments sont aussi occupées dans les villes où le manque d’espaces se fait sentir, par exemple à Tokyo, pour le futsal, avec le Parc Adidas Futsal, ou le golf et le baseball, installés sur le toit du magasin Yodobashi-Akiba. Les toits d’immeubles de bureaux peuvent également être utilisés pour apporter des espaces de détentes comme dans le cas de Google, qui a implanté, au sommet de son immeuble de Toronto, un mini-golf, un terrain de basket et une salle de sport. D’autres lieux insolites pour faire du sport se développent, poussés par la nécessité d’optimiser la moindre surface disponible, obligeant à pratiquer la ville autrement. Parmi eux, les sous-sols inoccupés. Avec la diminution de la place de la voiture en ville se pose notamment la question de l’usage des espaces de parking en sous-sol. Avec la nécessité grandissante, pour une métropole dense, de trouver de l’espace pour les équipements, les parkings sont un gisement à explorer. La Ville de Paris compte reconquérir ces espaces inutilisés, à l’image de celui de la rue du Maroc (19e arrondissement), qui sera transformé en salle de boxe et en dojo. Ainsi, pendant que le sport invente de nouveaux usages physiques de la ville, les pratiquants créent leur propre dialogue avec les lieux investis. Il reste encore un terrain à explorer, dont les activités sportives se saisissent progressivement, c’est celui des temps de la ville.

Investir le temps

L’évolution et l’impact grandissant de la pratique sportive obligent les acteurs de la fabrique urbaine à prendre en compte la dimension temporelle dans l’aménagement. En pensant les lieux de façon modulaire, suivant les heures de la journée ou les jours de la semaine, on peut à la fois limiter la consommation d’espaces et favoriser l’intensité urbaine. Ainsi, assurer un éclairage pour permettre les pratiques sportives nocturnes ou prévoir des équipements sportifs rétractables peut permettre de donner une seconde vie à des lieux parfois monofonctionnels. À cela s’ajoutent les réflexions sur la saisonnalité, qui permettent de repenser l’usage des équipements sportifs extérieurs par l’aménagement de structures amovibles, légères, ou par des espaces semi-ouverts. Les interventions temporaires, avec des formes inédites d’occupation de l’espace, s’appuyant sur des dispositifs légers, généralement peu coûteux et réversibles, peuvent être utilisées pour dynamiser des espaces publics sous-utilisés ou créer des animations saisonnières, comme les patinoires, qui foisonnent dans les espaces publics en hiver. Elles sont également un outil au service de l’aménagement des espaces, permettant par leur caractère expérimental et réversible de tester des usages, de les pérenniser s’ils remportent un succès ou d’en améliorer le fonctionnement si besoin est. Cette fabrique « légère » de la ville permet en outre d’anticiper de possibles conflits d’usages. Que cela soit à petite ou à grande échelle, des actions permettant l’usage différencié des espaces suivant les temps de la ville se multiplient. Ainsi, par exemple la ville de Mexico, à l’image de la Ciclovia de la ville de Bogota, ferme son réseau de voiries à la circulation automobile tous les dimanches de 8 h à 14 h. Le temps de quelques heures, l’espace de la ville est investi par des milliers de cyclistes, joggeurs, skateurs ou marcheurs, et s’accompagne également d’autres activités, comme du hula-hoop, des ateliers de réparation de vélos, des cours de yoga ou encore de salsa. En termes d’aménagements spatiotemporels, nous pouvons également évoquer les Play Streets, la fermeture temporaire d’une rue, pour favoriser la réappropriation de l’espace public par les riverains grâce à des animations et des activités de jeux et de loisirs. Ces occupations visent prioritairement à développer les lieux de proximité de la pratique ludo-sportive, tout en agissant sur la qualité du cadre de vie. C’est l’objet de l’appel à projet national « Rues aux enfants, rues pour tous », qui en est à sa troisième édition1.

Un levier pour les projets d’aménagement

La pratique sportive, dont une part est itinérante (course, vélo, roller…), peut aussi être un outil d’aménagement et d’urbanisme, et un vecteur de mobilisation des acteurs. Mise au service d’un grand territoire, elle peut contribuer à une stratégie globale de développement. Dans le cas de la Vallée de la Seine, le projet de véloroute « La Seine à vélo » constitue un maillon d’une chaîne plus large, prenant en compte la valorisation du paysage, l’amélioration des mobilités ou encore le développement du tourisme fluvial. Ce projet fait émerger l’opportunité de penser les continuités écologiques et la renaturation des berges à l’échelle inter-régionale sur les 430 km de son linéaire. Il est également un vecteur de découverte du patrimoine, et un levier de développement éco-touristique. La pratique sportive, notamment lorsqu’elle est auto-organisée, ne s’arrête pas aux frontières administratives. En cela, l’exploitation des données issues des applications mobiles et le big data offrent de nouvelles possibilités pour les collectivités. Bien que la plupart de ces applications soient développées par des entreprises privées, les collectivités peuvent s’en inspirer pour créer des projets collaboratifs avec les citoyens afin d’accéder à des données en temps réel sur l’environnement bâti et guider l’aménagement urbain. Entre retour d’expérience, flexibilité, expertise d’usage et nouvelles technologies, la pratique sportive est un gisement encore largement inexploré pour l’aménagement urbain.

Lina Hawi, architecte urbaniste, L’Institut Paris Region

1. Appel à projet national lancé par le collectif composé de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ), le Cafézoïde, Rue de l’Avenir et Vivacités Île-de-France, en collaboration avec des groupes d’appui dans certaines régions.

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