Le « Bassin » de vie n'existe pas dans le Grand Londres

11 décembre 2014Sebastian Loew

Du comté de Londres au Greater London, le centre historique est resté un attracteur fort, mais c’est aussi au niveau des boroughs que s’organise une grande partie de la vie quotidienne et que se construisent les identités. Espaces ou territoires se superposent et s’entrecroisent et le concept même de bassin de vie est intraduisible en anglais.

En 1934, l’architecte et urbaniste Steen Eiler Rasmussen écrivait que « London became a greater and still greater accumulation of towns, an immense colony of dwellings where people still live in their own home in small communities with local government just as they had done in the Middle Ages1 ». De fait, le Grand Londres n’existe que depuis 1965. Son prédécesseur, le comté de Londres, depuis 1889.

XIXe siècle : création du comté de Londres par fusion de villes et de villages voisins

Londres est un amalgame de villages ou paroisses qui sont restés indépendants pendant longtemps. Dès le Moyen Âge, deux villes distinctes la City (ou Londres) et Westminster, situées le long de la Tamise, ont eu chacune leurs fonctions spécifiques : d’une part la City financière (le Londres romain) qui malgré un territoire minuscule a une influence mondiale et préserve une structure de gouvernance quasi médiévale. D’autre part, Westminster qui a toujours été le siège du gouvernement national.
Petit à petit, les différents villages entourant ces deux villes principales ont fusionné les uns avec les autres, tout en gardant leurs gouvernances et leur identité. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle – suite aux épidémies et à l’essor de l’hygiénisme – qu’une gouvernance va émerger avec la création du comté de Londres (LCC), divisé en vingt-huit Metropolitan boroughs qui correspondaient, plus ou moins, aux périmètres historiques et gardaient des compétences locales. Le LCC était surtout responsable des grands équipements et services régionaux, y compris l’urbanisme, le logement, la santé publique et l’éducation.
D’autres administrations, comme la police, les transports, les eaux, la planification régionale couvraient des territoires différents et plus étendus que celui du LCC. Pendant l’entredeux- guerres, il y a eu plusieurs propositions d’étendre le périmètre du LCC pour couvrir un territoire qui correspondrait mieux à la réalité économique et au marché du travail. Cependant, Patrick Abercrombie, responsable du premier plan de Londres, avait illustré sur une carte les quartiers tels qu’ils étaient perçus.

1963 : création du Greater London Council

Finalement, en 1963, une loi a permis la création du Greater London Council (GLC), établi en 1965. Celui-ci a absorbé les territoires de comtés environnants (tout le Middlesex et une partie de l’Essex, du Hertfordshire, du Kent et du Surrey). Les boroughs ont été également reconstitués, en partie par la fusion de deux ou trois Metropolitan boroughs, et le GLC en comprend trentetrois. Après une courte période, la population s’est bien adaptée à ces nouvelles structures. Les compétences ont continué à être partagées entre pouvoir local et régional, nécessitant la collaboration des deux niveaux mais causant souvent des tensions.

1986 : abolition du GLC

Pour des raisons politiques, le GLC a été aboli en 1986, laissant les trente-trois boroughs indépendants les uns des autres. L’État a pris en charge certaines compétences du GLC, les transports par exemple, et les boroughs ont essayé de collaborer pour certains services. En même temps, par différentes mesures, y compris la limitation des responsabilités concernant le logement social et la diminution des budgets, l’État a réduit la puissance des collectivités locales.

1999 : le Greater London Authority

En 1999, une nouvelle administration régionale a été créée couvrant le même territoire, le Greater London Authority (GLA) dont la forme est unique en Grande-Bretagne : le pouvoir est partagé entre un maire élu au suffrage universel et une assemblée de 25 membres – également élue, mais séparément. Ils ne sont pas responsables l’un envers l’autre et le rôle de l’assemblée est limité à examiner les décisions du maire et son budget. La division entre compétences locales et stratégiques est de nouveau présente. Le GLA, et le maire en particulier, ont des compétences limitées2 concernant surtout la planification stratégique, le développement économique et les transports, tandis que les boroughs sont concernés par le jour à jour de l’urbanisme. Le territoire administré par le GLA correspond assez bien à la zone urbanisée et est encerclé par la ceinture verte (green belt), établie après la guerre pour limiter son expansion. Cependant, aidée par l’amélioration des transports et par la hausse des prix du foncier dans la capitale, l’urbanisation a, depuis quelques années, sauté par-dessus la ceinture verte. L’Office for National Statistics définit le territoire urbain de Londres comme ayant une population de 9,8 millions d’habitants et comprenant des parties des comtés environnants le long des voies d’accès. Cependant, la « commuter belt » – la zone dans laquelle les habitants font le déplacement pendulaire quotidien pour travailler dans Londres – est probablement plus représentative du bassin de vie métropolitain ; elle n’a pas de périmètre fixe et on estime sa population à un peu moins de 14 millions d’habitants. En tout cas l’aire métropolitaine est maintenant bien plus étendue que le Grand Londres et a, selon la définition, une population qui va de 12 à 14 millions d’habitants.

Le centre de Londres : force centrifuge pour l’emploi

La force centrifuge du centre de Londres exercée sur l’emploi est extrêmement puissante : plus d’un million de personnes font le voyage quotidien vers le centre, la plus grande concentration d’emplois étant dans la City et Westminster, et les boroughs environnants. Parmi ces « commuters » (pendulaires), un nombre important réside au-delà de la ceinture verte. En dehors du centre, seul l’aéroport de Heathrow attire un nombre important de travailleurs, autant du Grand Londres que de l’aire métropolitaine. D’autre part à l’intérieur du Grand Londres, les déplacements domicile-travail vers l’extérieur du borough de résidence sont majoritaires (environ 75 %).

Ce grand bassin d’emploi n’est pas un « bassin de vie »

Cependant, ce grand bassin d’emploi ne correspond pas forcément aux habitudes des habitants concernant d’autres activités. Même si, encore une fois, le centre de Londres est le plus grand pôle commercial du pays, les commerces sont distribués à travers la capitale, et chaque borough a au moins une « grand-rue » avec au minimum, tous les services de proximité, et plus dans certains cas ; elles sont aussi une source d’emplois. En plus, quelques pôles plus importants, et sous la forme de grands centres commerciaux, attirent des populations venant de loin ; au moins deux d’entre eux sont à l’extérieur du Grand Londres et ont un rayonnement qui chevauche les limites de la métropole. Par conséquent, les déplacements domicile-commerces ne correspondent pas nécessairement aux pendulaires pour le travail, et varient selon le genre de courses.
De même pour les loisirs, le centre de Londres est le pôle le plus important avec une grande densité de théâtres, musés, clubs, restaurants, etc., mais il en existe d’autres à travers la capitale. Comme pour les commerces – qu’ils remplacent souvent – des restaurants se trouvent dans toutes les grandes rues des boroughs.

La vie quotidienne s’organise aussi au niveau des boroughs

La gouvernance de Londres à deux niveaux est reflétée par son urbanisme : chaque borough a son conseil municipal élu et son plan d’urbanisme préparé par ses propres techniciens. Ces plans correspondent à une politique et à des objectifs spécifiques pour chaque borough, mais doivent aussi entrer dans le cadre de la stratégie du maire. Ils ne sont pas réglementaires, mais sont la base de négociations avec les aménageurs privés (developpers). Les collectivités n’ont ni les moyens ni la force politique pour avoir un vrai projet de ville ou un urbanisme opérationnel. Par conséquent, pendant les négociations autour des permis de construire, les techniciens cherchent à obtenir le plus possible des developpers. D’autre part, le maire de Londres prépare un plan stratégique pour le Grand Londres, également non réglementaire, et a un droit de regard sur les projets « stratégiques ». Alors, ses techniciens participent aux négociations ou même se substituent aux boroughs pour ce faire. D’autre part, pour mettre en oeuvre sa stratégie, le maire, dont l’influence politique est de poids, doit également négocier avec les boroughs.

La loi d’urbanisme actuelle exige qu’en préparant leurs plans, les collectivités consultent et coopèrent avec leurs voisins (Localism Act 2011) : la duty to cooperate s’applique aux boroughs entre eux, mais ceux en périphérie doivent également consulter les districts hors de la capitale, par exemple concernant les projections de déficit de logements et la capacité d’y remédier.

Tous les boroughs tiennent à leur indépendance et à leur identité et ne sont pas de couleurs politiques uniformes. Cependant, ils sont très dépendants les uns des autres et dépendent également du maire pour, entre autres, les transports. Tandis que les boroughs centraux – qui correspondent plus ou moins au périmètre du comté d’avant 1965 – font assez clairement partie d’un ensemble, les boroughs périphériques ont une identité plus forte.

Le borough : vecteur d’identité

Ceci mène à la façon dont les habitants perçoivent leur identité territoriale. Les résidents de boroughs périphériques vont, très probablement, s’identifier à ceux-ci. Par exemple, les habitants de Richmond y scolarisent leurs enfants et y font leurs courses. Même s’ils travaillent probablement dans le centre de Londres, ils se diront venant de Richmond plutôt que de Londres. Par contre, les habitants des boroughs centraux se diront tout simplement Londoniens et en même temps s’identifieront à leur quartier, Soho, Hampstead, Chelsea, Marylebone qui sont bien plus petits et ne correspondent pas à des structures administratives. En ce sens, la carte d’Abercrombie citée plus haut est encore valable.

Le concept de « bassin de vie » n’existe pas en anglais

Le ou les bassins de vie du Grand Londres sont donc difficiles à définir. Il y a plusieurs catégories de bassins de vie qui se superposent et s’entrecroisent. D’un côté, les villages historiques conservent encore leur identité. De l’autre, la métropole a une force centrifuge qui déborde ses limites administratives. Les territoires de la commuter belt (bassin d’emploi) sont vastes, mais ne correspondent pas à ceux d’autres activités – éducation, loisirs, commerce – qui sont également variés. La population n’est probablement pas consciente d’un bassin de vie – concept qui n’existe d’ailleurs pas en anglais – unique ou identitaire, et gravite vers différents pôles, selon les aménités qu’ils offrent. 

Sebastian Loew est consultant en planification et design urbain, Grande-Bretagne.

1. « Londres devint de plus en plus un assemblage de villes, une énorme colonie de logements où les habitants continuent de vivre dans leurs maisons, dans de petites collectivités gouvernées comme elles l’étaient au Moyen Âge » dans Rasmussen S.E., « London, the Unique City », 1934. 
2. Cependant, le maire a réussi, petit à petit, à étendre ses compétences et son budget.

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