Le local métropolitain

28 janvier 2015Béatrice Mariolle et Antoine Brès

Aujourd’hui, l’espace habité (ou archipel pratiqué ?) par chaque individu s’organise du local au régional. Comment, alors, concilier proximité et lointain ? Comment vivre chez soi en métropole ? La solution que nous avons esquissée se situe dans un local renforcé, mis en réseau avec le métropolitain, le national, l’européen...

 

Les métropoles ont grandi dans de telles proportions qu’on parle maintenant de « ville-réseau », à l’image d’un espace en mouvement et non plus de « ville-territoire », espace de la continuité. Désormais, la notion de centralité se décline au pluriel au cœur d’un réseau de systèmes urbains regroupant un ensemble de pôles interconnectés. La mobilité est à la source de ces transformations de l’espace concret et des relations complexes que chacun peut tisser. Cela signifie que l’on habite un quartier, mais qu’on vit en relation avec le lointain et que chaque individu ou groupe d’individus dessinent leur propre géographie territoriale tout au long de leur parcours personnel, de leur éducation, de leurs systèmes propres de relations et de liens. Même au cours d’une journée, l’appartenance à un domaine spatial évolue. Les concepts de centre et de périphérie en sont bouleversés.

Chaque individu dessine
sa propre géographie territoriale
tout au long de sa vie,
de sa journée…

Dans ces conditions du vivre métropolitain, la question de l’identification de « bassins de vie » est complexe, puisqu’il s’agit, à la fois, de considérer le lieu d’habitat et l’espace réticulaire du quotidien. C’est toute la notion de projet urbain et de périmètre de projet qui sont remis en question. La solution que nous avons esquissée, dans le cadre de l’Atelier international du Grand Paris, se situe dans un local renforcé et mis en réseau avec le métropolitain, le national, l’européen…

La proximité en Île-de-France

Comme le démontre l’enquête globale Transport 2010, la proximité se développe au gré des mobilités actives, avec 65 % de l’ensemble des déplacements franciliens (majoritairement les déplacements pour les études, les achats et l’accompagnement) inférieurs à 3 km. Seuls 14 % des déplacements effectués en Île-de-France ont une portée supérieure à 10 km et concernent, essentiellement, les déplacements domicile-travail, qui ne représentent qu’une part limitée du nombre de déplacements. Les déplacements pour motifs d’achat, de loisirs ou pour affaires personnelles sont en très nette augmentation. Cette enquête fait également apparaître que seulement 36 % des déplacements pour achats s’effectuent aujourd’hui en voiture et 55 % en marchant.

Les grappes de proximité

Nous avons tenté de développer deux représentations complémentaires de ce vivre métropolitain : celle des « grappes de proximité », basée sur les relations potentielles domicile-services et celle des « systèmes relationnels », fondée sur les mobilités liées au travail et aux études.
L’exploration des territoires de la proximité et du quotidien s’est appuyée, dans un premier temps, sur un travail de construction spatiale des relations entre domicile et services, établies sur des distances et non des usages, à partir des catégories de services de l’Insee (proximités, intermédiaires, supérieurs, rares) et des agrégats habités (et non des communes). Ainsi, en repérant la boulangerie la plus proche de chez soi, on sait que, même si on n’y achète pas son pain, sa disponibilité à proximité est effective. Cette démarche nous permet d’évaluer des usages possibles dans un certain registre de proximité spatiale. À l’échelle de l’Île-de-France, une figure apparaît sous forme d’arborescence plus ou moins polarisée, affranchie de toute limite communale, départementale ou régionale, et permettant de dessiner des périmètres que nous avons appelés grappes de proximité.
Les « grappes mineures » définissent des périmètres au sein desquels les usagers ont potentiellement accès à des services de la gamme de proximité (poste, coiffeur, médecin généraliste, infirmier, pharmacie, boulangerie, boucherie...) et intermédiaire (dentiste, masseur-kinésithérapeute, pompier, gendarmerie, collège, notaire, librairie-papeterie, droguerie-quincaillerie, banque, supermarché, magasins de vêtements...). Les « grappes majeures » sont constituées d’une ou plusieurs grappes mineures, disposent d’une connexion au réseau ferré de transports en commun (RER, Transilien…), et offrent l’accès à des services supérieurs : hôpital, lycée, cinéma...

Cette méthode est opératoire jusqu’au stade où l’imbrication et la proximité des services de différents niveaux hiérarchiques ne permettent plus de les dissocier spatialement. C’est ce qui se produit au niveau des espaces agglomérés, aux abords de Paris.
Cette étude a mis en évidence une relative proximité entre domicile et services en grande couronne : avec une distance moyenne à un pôle de services de proximité en « subagglomération » (au-delà de l’agglomération) de 3,9 km et de 6,7 km pour un pôle de services intermédiaires, et avec 44 % des communes pouvant être considérées comme un pôle de proximité et 19 % comme un pôle de service intermédiaire.

La proximité s’accompagne
d’un rapport à des lointains
plus ou moins distants

L’identification et la figuration de ces grappes offrent une représentation inédite du fonctionnement quotidien du territoire métropolitain en partant de la plus petite échelle de relation et en faisant émerger des systèmes locaux de proximité, microhiérarchisés, qui transgressent les limites institutionnelles et invalident la perception fragmentée et discontinue que l’on a de ces territoires.

C’est sur la base de ces grappes de proximité et sur leur potentiel d’accueil de nouveaux habitants que nous nous sommes attachés à élaborer des propositions de réagencement des territoires d’urbanisation dispersée, autour du développement des mobilités alternatives au tout automobile (marche à pied, vélo, VAE…).
En regard du paysage et de la géographie, chaque grappe construit les contours d’un territoire de la proximité, du système local des chemins et des sols parcourables. Il s’agit donc d’un véritable territoire de projet, celui d’un quotidien potentiel.

Le sol à hauteur d’homme

Cette proximité potentielle, telle qu’elle a émergé, s’accompagne d’un rapport à des lointains plus ou moins distants, les relations domicile-services étant bien entendu insuffisantes pour définir le quotidien. Leur extension aux déplacements pour le travail, les loisirs, les études… est nécessaire, et nous l’avons mesurée en considérant les grappes de proximité comme point de départ. Alors que les relations domicile-services étaient fondées sur la proximité potentielle et non sur l’usage observé, les relations domicile-travail et domicile-université s’appuient sur les données Insee 2008 (à l’individu et non agrégées).
Même si on peut constater qu’une part importante, voire majoritaire dans certains cas, des déplacements pour le travail s’effectuent au sein même de la grappe de proximité, la représentation cartographique qui en résulte donne à voir une figure possible des systèmes relationnels de la subagglomération parisienne. Les liens dessinés à partir des mobilités sélectionnées forment une figure de synapses orientées selon les flux, qui donne à lire des systèmes territoriaux très contrastés : des centralités mononucléaires, c’est-à-dire des lieux qui constituent des points de convergences fortes accueillant des flux équilibrés sur 360 degrés, ou asymétriques et orientées et, d’autre part, des centralités réticulaires, des lieux qui entretiennent des liens privilégiés entre eux, formant ainsi des systèmes relationnels.

Ces constellations représentent autant de fragments d’un espace complexe et instable. Loin des territoires de la continuité : des microcentralités sont mises en relation avec le territoire entier, alors que d’autres risquent d’être laissées pour compte. Car le risque, comme le dit Pierre Veltz, c’est un monde à deux vitesses, alors que « … les liens à grande distance et le temps court des événements mondiaux sont aussi structurants que les liens de proximité et le temps long des enracinements locaux. Que devient l’équité dans un monde où les pôles riches et puissants n’ont plus besoin de leurs périphéries appauvries et débranchées ? » [Veltz, 2012].
La mise en évidence de systèmes territoriaux a permis d’identifier les pôles du Grand Paris, hors la grappe de Paris. L’ensemble du territoire francilien se présente sous forme d’une organisation polynucléaire plus ou moins isotrope dans laquelle le local est mis en tension avec le métropolitain, voire le national, non pas selon des aires continues mais, au contraire, en système relationnel.

Les territoires du Grand Paris

La métropole francilienne continue d’être identifiée à la ville capitale à défaut d’autres représentations fortes. Paris a transmis au monde entier une image mentale puissante, celle de la ville constituée, planifiée, maîtrisée. Cette force, encore très présente dans l’imaginaire urbain français, reste ancrée sur une dualité et une organisation hiérarchique entre centre et périphérie. La solution d’un local renforcé mis en réseau avec le métropolitain dans un système d’échanges solidaires interpelle notre manière d’urbaniser, de planifier. Comme le souligne Nadine Cattan, « … concevoir le Grand Paris comme un système urbain signifie appréhender cet espace métropolitain par la figure de l’archipel qui exprime pleinement la dimension réticulée des territoires et des grandes métropoles. Mais cette image effraie, car elle interpelle notre capacité de gestion de territoires discontinus. Nous ne savons pas, en effet, donner sens à des villes en dehors de leur zonage et de leurs limites. Les pesanteurs sont symboliques issues d’une métaphysique de la sédentarité qui empêche de prendre pleinement en compte le mouvement dans nos savoir-penser les territoires. Elles sont conceptuelles, car on ne sait pas associer le réseau et le territoire dans un même schéma de pensée. Les difficultés sont également, et surtout, institutionnelles car les acteurs des territoires fondent leur gouvernance sur des territoires bien délimités là où les enveloppes budgétaires sont affectées. Nous sommes entrés dans une phase de transition et de mutation des fonctionnements territoriaux » [Cattan, 2013].


Béatrice Mariolle et Antoine Brès, architectes du Grand Paris.

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