Les « Pôles-Réseaux-Territoires » : une autre lecture du Grand Paris

23 janvier 2015Christian Devillers et Marie Evo

L’équipe Devillers et Associés s’est attachée à comprendre ce que pouvait être le « Grand Paris des habitants », complément indispensable à la « métropole compétitive ». À la recherche de « bassins de vie», ils ont mis au point un nouvel objet géographique, le « pôle-réseau-territoire », pour mieux appréhender la complexité territoriale.

 

Une métropole est un espace continu et les diverses tentatives pour la découper en espaces juxtaposés paraissent arbitraires. Pourtant, le « local » existe vraiment et il peut être décrit de façon rigoureuse par ce que nous avons appelé des « pôles-réseaux-territoires » (PRT) : des pôles reliés entre eux par des flux de déplacements, qui mettent en évidence des territoires définis comme espaces parcourus. Cet « objet géographique » raconte tout autant la territorialité que les inter-territorialités, le local que le métropolitain et autorise une lecture de la complexité de la métropole car il n’a, par essence, pas de limite. Sa nature réticulaire permet les superpositions.

Un Francilien est en situation de co-territorialité. Il est à la fois un habitant de la métropole et celui du territoire qu’il pratique le plus, son bassin de vie1. La part du local et celle du métropolitain sont variables pour chaque habitant et pour chaque bassin de vie. On la décrit par la notion d’autonomie.

Cinq types de « pôles-réseaux-territoires » pour décrire l’Île-de-France

À partir de la base des déplacements domicile-travail de l’Insee (2008), nous avons trouvé cinq types de PRT en Île-de-France. L’analyse et la représentation graphique des déplacements pour d’autres motifs que le travail (achats, loisirs, éducation, sociabilité, etc.) tels qu’ils apparaissent dans l’enquête globale Transport (EGT 2010)2, confirme massivement les résultats obtenus à partir des déplacements domicile-travail, qui sont en moyenne plus longs et plus structurants.

Un Francilien est en situation de co-territorialité.
Il est à la fois un habitant de la métropole
et celui du territoire qu’il pratique le plus

Les « zones intenses » : des territoires relativement autonomes

Les « zones intenses » correspondent à des communes qui échangent « intensément » des actifs entre elles. Nous en avons trouvé vingt dans toute l’Île-de-France. Ces territoires ont été obtenus par agrégation successive de communes voisines aux principaux pôles d’emploi de la région, jusqu’à maximiser le taux d’emploi sur place3 (l’autonomie) du territoire ainsi constitué. À chaque itération est agrégée la commune qui échange le plus d’actifs avec le périmètre précédent. Ces territoires recouvrent l’ensemble de l’unité urbaine4 de l’Insee.

Ils agrègent souvent plusieurs pôles d’emploi. C’est le cas de Versailles et de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, des communes d’Antony et Massy aux Ulis. D’autres, comme Marne-la-Vallée, se trouvent, à l’inverse, désagrégés. Certains ont profité des lignes de transport, qui constituent leur colonne vertébrale (le RER C et les lignes transiliennes pour Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines, le RER B pour Antony-Massy-Les Ulis), d’autres les ont vécues comme un obstacle (l’A1 divise les zones intenses de Sarcelles et d’Aulnay-sous-Bois). Leur construction est étroitement liée aux grandes décisions d’aménagement. En particulier, on distingue les villes préfectures (Créteil, Bobigny), les villes nouvelles (Cergy, Évry, Sénart et Saint-Quentin-en-Yvelines) et les villes historiques (Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Mantes). Enfin, une confrontation avec la géographie explique que d’autres rapprochements n’aient pas eu lieu (Saint-Quentin et Antony-Massy-Les Ulis sont séparés par la Vallée de Chevreuse, Noisy-le-Grand et Aulnay-sous-Bois sont séparés par les buttes de l’Est parisien).

L’« autonomie » de ces zones intenses varie entre 23 % et 53 %, et augmente avec la richesse, le nombre d’activités et d’équipements du territoire, ainsi qu’avec son éloignement à Paris. L’étude des déplacements pour les autres motifs, à partir de l’EGT, montre que cette autonomie est beaucoup plus forte si l’on prend en compte tous les déplacements. L’analyse de chacun de ces territoires, de leurs réservoirs de main-d’œuvre et de leurs aires d’emploi, montre une dépendance très locale et une interdépendance variée. À l’ouest, les échanges avec Paris sont équilibrés, voire symétriques. Dans la banlieue nord, l’est et le sud-est, les échanges sont beaucoup plus déséquilibrés en faveur de Paris.

Au centre, le « soleil » formé par Paris, La Défense et Saint-Denis

La même méthode agrégative, appliquée aux pôles d’emploi des arrondissements parisiens conduit à une délimitation d’un « centre parisien » (en orange sur la carte). Le taux d’emploi sur place y est très important (80 %). Le périmètre obtenu correspond à Paris, quelques communes limitrophes (Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Montreuil), une Défense élargie à Colombes, Nanterre, Rueil-Malmaison, Suresnes et Levallois-Perret, et un pôle autour de Saint-Denis avec Clichy, Saint-Ouen, Aubervilliers et Pantin.

Autour, des « étoiles » fortement attractives

Les « étoiles » sont des communes qui attirent un nombre important d’actifs à plus de 10 km (en jaune sur la carte) : Aulnay-sous-Bois, Cergy, Créteil, Évry, Gennevilliers, Guyancourt, Ivry, les Ulis, Massy, Melun, Noisy-le-Grand, Orly, Poissy, Rungis, Vélizy-Villacoublay, Versailles, Roissy. Beaucoup de ces pôles appartiennent aussi à des « zones intenses », mais pas tous.

Des « communes interstitielles » en première couronne

D’autres communes (en noir sur la carte) sont à l’interstice entre des zones intenses ou entre une zone intense et le soleil central, Pari. On distingue des groupes plus ou moins denses, avec, pour certains, une existence politique (Vallée scientifique de la Bièvre, Est Ensemble) et des communes plus isolées. Elles ne rentrent pas dans un système intense d’échanges, mais interagissent avec leurs voisines, formant de proche en proche un réseau, qui explique en partie qu’elles se reconnaissent un destin commun.

En dehors de l’unité urbaine, des « centres de seconde couronne »

Il s’agit de Meaux, Rambouillet, Fontainebleau, Étampes, Coulommiers, Provins, Montereau-Fault-Yonne, Nemours, Dourdan, Brie-Comte-Robert (en vert sur la carte). Ces « centres » polarisent les communes alentour.

Quatre types de bassins de vie

Se dégage ainsi, à partir de la géographie des flux, mais aussi de la géographie politique (les intercommunalités existantes, les CDT…), une représentation de l’Île-de-France à plusieurs niveaux, qui rend compte des superpositions, imbrications et emboîtements inhérents au fonctionnement des métropoles et donne à lire plusieurs types de « bassins de vie », en suivant une radiale à partir de Paris.

Le premier correspond au centre, Paris (2 210 000 habitants), et la « Défense élargie » (390 000 habitants).

Le second concerne, à l’intérieur des limites actuelles de la métropole du Grand Paris, des territoires déjà organisés en grandes intercommunalités (Plaine Commune, Grand Paris Seine Ouest, Est Ensemble) ou en association (Vallée scientifique de la Bièvre). Mais aussi d’autres « zones intenses » d’échanges intercommunaux : Créteil, Noisy-le-Grand, Aulnay-sous-Bois, qui sont aujourd’hui mal structurés par de «petites intercommunalités » ou CDT sans rapport avec la réalité du bassin de vie. Ces territoires ont majoritairement plus de 300 000 habitants.

Le troisième type de bassin de vie se rencontre à l’extérieur de la métropole du Grand Paris, mais dans l’unité urbaine. On identifie très clairement les « zones intenses » qui sont des cœurs de bassin de vie. Ils attirent des actifs venant de grands « réservoirs d’actifs » qui s’étendent souvent au-delà des limites de la Région. Il n’y a pas de limite précise entre bassins, plutôt des zones de recouvrement, les habitants d’une commune pouvant être pour partie attirés par une zone intense, pour partie par une autre, et parfois plus encore par Paris.

Le quatrième type correspond aux « centres de seconde couronne » et à leur aire d’influence. Ils sont imbriqués dans les bassins de vie du troisième type.

Le « local métropolitain » peut éclairer le débat sur la refonte des territoires

L’étude montre que, au sein de la métropole, la dimension locale existe beaucoup plus fortement qu’on ne le pense habituellement quand on privilégie l’efficacité économique. Les Franciliens habitent, travaillent, consomment, sortent… en majorité à l’intérieur de bassins de vie de 50 000 à 500 000 habitants. Pour le reste, ils vont à Paris, et relativement peu dans d’autres bassins de vie.

L’échelon territorial intermédiaire entre la commune et la métropole ne doit pas reposer sur une fiction politique, mais sur la réalité des pratiques des habitants. C’est une condition nécessaire à la démocratie et à la dynamique du territoire, qui repose sur la mobilisation de ses acteurs. On se déplace en majorité dans son bassin de vie, mais le réseau des transports publics a, jusqu’à maintenant, privilégié les déplacements de longue distance et vers Paris. Il reste à doter les bassins de vie de transports publics lourds (tram, bus à haut niveau de service), comme on en trouve dans les métropoles régionales de taille comparable. Nous montrons que ces bassins n’ont pas de ville-centre mais plusieurs centralités qu’il s’agit d’organiser en réseaux de proximités pour apporter à tous les Franciliens les avantages dont jouissent aujourd’hui les Parisiens. Enfin, la plupart des métropoles régionales montrent leur efficacité en matière de développement économique, de construction de logements, de lutte contre l’exclusion et de développement durable.

Le « Grand Paris des habitants » n’est pas en contradiction avec la « métropole compétitive ». Il est, au contraire, la condition de son efficacité.

Recherche effectuée au sein de l'Atelier international du Grand Paris5 avec la collaboration d'Alain Bourdin et Burçu Ozdirlik (Ifu), Rachl Mullon, Jeanne Olléon et Julie Thouvenin (Devillers et Associés).

1. La définition du terme de bassin de vie ne fait pas consensus. L’Insee l’utilise pour décrire les espaces non fortement peuplés, et le définit comme « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants ». D’autres considèrent que le bassin de vie est l’espace délimité par l’aire d’influence d’une ville. Ou encore une maille territoriale, à l’autonomie plus ou moins marquée, où s’organise la vie quotidienne des habitants. C’est cette dernière définition qui nous semble la plus intéressante pour tenter de décrire ce qui se p>>><asse à l’intérieur d’une métropole.
2. L’EGT est une enquête réalisée par le Stif et la DRIEA, sur 18 000 ménages. Seules les données de déplacement pendant la semaine ont été exploitées dans notre étude, celles sur le week-end étant trop peu nombreuses.
3. Taux d’emploi sur place : proportion d’actifs qui résident et travaillent à l’intérieur du territoire.
4. L’unité urbaine est une définition de l’Insee. Elle est obtenue à partir d’une analyse morphologique du tissu urbain, et représente la zone dense d’une agglomération.
5. L’étude a fait l’objet d’une publication en trois tomes, qui sont en ligne sur www.lesbassinsdeviedugrandparis.fr

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