Le périurbain est mort, vive les campagnes urbaines !

Chronique du périurbain francilien n° 6

21 juin 2017Contact

Assises de la ruralité dans les Yvelines en 2016,  nouveaux contrats ruraux lancés par la région cette même année : assurément, la question « rurale » constitue une préoccupation des pouvoirs publics en Île-de-France. Pas de dispositifs spécifiques en revanche pour les territoires périurbains qui semblent avoir disparu de l’agenda politique. Ils ne sont pourtant pas oubliés mais systématiquement subsumés à travers la catégorie « ruralité » ou celle plus englobante encore de « campagnes urbaines » dont la force est de suggérer que rural et urbain forment un même écosystème.

Le poids des mots 

Revenons sur cette évolution lexicale pour désigner les espaces au-delà de l’urbain dense. Si les territoires périurbains avaient une définition arrêtée, à savoir celle de l’Insee s’appuyant sur les mobilités domicile-travail, l’appellation n’a jamais vraiment été adoptée par les habitants eux-mêmes. Le périurbain est restée, avant tout, une catégorie analytique et institutionnelle … et cette absence d’appropriation le condamnait d’avance. Rares sont en effet ceux qui se revendiquent périurbains si ce n’est pour contrer des discours stigmatisants, comme l’avait fait l’anthropologue Eric Chauvier en réponse à un numéro de Télérama sur la mocheté des « zones périurbaines ». La condition périurbaine est une manière de se définir par défaut, ni de la ville, ni de la campagne... Il n'y a jamais eu d’identité périurbaine parce que son vocable fait référence à ce qu’il n’est pas, au débordement de la ville, à une forme transitoire d’urbain, d’intermédiarité. De manière significative, là où l’Insee considère que l’espace situé au-delà de l’agglomération parisienne est dans sa quasi intégralité du périurbain, seuls les habitants des villes nouvelles et des franges de l’agglomération parisienne se qualifient comme tels. A contrario, force est de constater que le rural stimule un imaginaire positif qui favorise le sentiment d’appartenance.

De la difficulté à concilier appartenance et réalités spatiales

Mais « la ruralité » en tant que catégorie tend à occulter les spécificités du périurbain, dans ses morphologies, ses pratiques sociales mais aussi ses dynamiques d’évolution. Prenons les nouveaux contrats ruraux de la Région Ile-de-France, la définition du périmètre de la politique contractuelle retenue est très large puisqu’elle va au-delà même de ce que recouvre le périurbain au sens de l’Insee. La catégorie spatiale « rurale » englobe donc ici le périurbain et même des espaces « urbains »  puisqu’elle inclut des communes qui font partie de l’agglomération parisienne.

Cet exemple, mais on aurait pu en prendre dans bien d’autres champs de politiques publiques, montre la difficulté pour les institutions de distinguer les espaces périurbains et les espaces ruraux lorsqu’il s’agit de construire des outils opérationnels d’action. Car, les deux types d’espaces se confondent sur bien des points  - leur faible densité, leurs modes de vie, la part prépondérante de territoire non-bâti, une gouvernance territoriale fragmentée - et leurs différences relèvent moins de caractéristiques propres que de gradations dans le dynamisme économique, la pression foncière, le rôle du paysage…

Les « campagnes urbaines » … pour penser l’interdépendance urbain-rural

Pour réconcilier ces deux types d’espace, l’urbaniste François Bonnet propose, dans son rapport sur les « territoires ruraux et périurbains », d’utiliser l’expression « campagnes urbaines ». Celle-ci, reconnait-il, « est scientifiquement tout aussi contestable, car elle correspond en réalité à une grande diversité de situations, mais  elle a le mérite de mieux exprimer cette réalité complexe avec des mots du langage courants dont l’association à une connotation positive. » Titre d’un ouvrage du paysagiste Pierre Donadieu de 1998 - réintroduit en 2013, dans le débat public par la Fnau qui en avait fait l’objet de la 34e rencontre des agences d’urbanisme d’Amiens - l’usage de cet oxymore invite à une nouvelle manière d’appréhender le rapport entre le rural et l’urbain. « Il ne s'agit pas simplement, explique Pierre Donadieu, de flâner aux limites des villes et du monde rural, mais de reconsidérer les relations entre la ville et la campagne, entre la culture urbaine et le monde agricole. (…). ».

Construire l’écosystème métropolitain

Dépasser la traditionnelle opposition entre le rural et l’urbain pour construire des systèmes métropolitains qui articulent les richesses, les atouts, les solidarités et les difficultés de ces deux types d’espace selon une logique d’interdépendance et de développement réciproque, est précisément l’objet des Contrats de coopération métropolitaine. Ils constituent le second volet des Pactes signés entre l’État et les 15 nouvelles métropoles issues des lois Maptam et NOTRe pour penser le lien entre celles-ci et leurs territoires environnants. L’ objectif de cette politique publique est de sortir de visions hiérarchisées - espaces urbains dominants versus espaces ruraux dominés - et de s’assurer que le développement du cœur des métropoles ne se fasse pas au détriment des territoires perçus comme périphériques mais en lien avec ceux-ci.

Le choix des mots a un sens. Parler des « campagnes urbaines », c’est mettre en récit une vision écosystémique de la métropole qui construit son développement en lien avec ces territoires et non en opposition à ceux-ci. C’est défendre une conception politique qui fait de la qualité paysagère un enjeu central de la qualité de vie métropolitaine et donne toute sa place aux territoires de l’entre-deux dans la ville-métropole. Ils ne sont plus considérés comme périphériques mais comme une partie singulière de l’espace métropolitain.

Tanguy Le Goff

Politiste, docteur en science politique, son expertise porte sur les transformations des systèmes politico-administratifs locaux, la prospective institutionnelle et la gouvernance territoriale. Auteur notamment d'une étude sur le rôle des départements de grande couronne en matière d’aménagement, il a aussi contribué au Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation.

Lucile Mettetal

Géographe et diplômée de l’Institut d’urbanisme de Paris, ses travaux récents ont porté sur l’analyse des espaces périurbains, qu’il s’agisse des fragilités liées à la question énergétique, de l’évolution des comportements ou encore des pratiques émergentes ou innovantes en matière d’habitat.

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