Vers une région et des territoires smart

20 novembre 2017Fouad Awada

Une multitude d’initiatives publiques et privées bouleversent les territoires d’Île-de-France. Pour autant, la capacité des collectivités franciliennes de prendre en main leur destin « smart » reste inégale. La Région doit être le chef d’orchestre qui met en cohérence ces mutations afin de faire émerger collectivement une région intelligente.

L’Île-de-France a la chance d’accueillir un emploi du numérique sur deux en France. Forte de 150 000 sociétés et plus de 500 000 emplois, elle est aujourd’hui le moteur numérique de notre pays. Derrière ces chiffres, c’est une foule considérable d’initiatives et d’attentes poussées par les entreprises, salariés, « early adopters » ou anonymes qui concourent, chacun à sa manière, à la transformation numérique de notre région et de la France.
Ce foisonnement fait partie d’une œuvre collective mondiale qui engendre de nouveaux modes de produire, de travailler, de consommer, de se déplacer. Cette dynamique est à l’origine du développement de plates-formes telles Amazon ou Uber, manifestations accomplies de l’économie biface, qui sera peut-être supplantée un jour par les blockchains. Elle a produit les formes les plus accomplies de l’optimisation logistique qui ont décuplé les capacités de stockage et de manutention au mètre carré. Elle fait naître l’usine du futur, l’impression 3D, le travail nomade, les tiers-lieux, le télétravail, les flex offices. Elle est à l’origine d’applications en tous genres qui nous assistent au quotidien sur nos smartphones. Elle permettra sans doute l’avènement de la voiture autonome.
Nombre d’innovations qui naissent de ce foisonnement de recherches et expérimentations se propagent dans la société sous forme de nouveaux services et comportements, sans recours à des intermédiations institutionnelles, par une diffusion horizontale dite « citoyenne ».
D’autres sont appropriées par des acteurs économiques qui les développent pour en faire des produits et des services offerts sur le marché.

Des collectivités territoriales qui s'engagent

Les collectivités locales, pour leur part, découvrent les multiples opportunités que ces progrès leur ouvrent pour mettre en œuvre leurs politiques de développement. L’idée de Smart City se construit sur ces opportunités : les améliorations apportées aux services rendus à la population et aux usagers sont fondées sur toutes les possibilités offertes par le numérique.
Tous les niveaux de collectivités peuvent être potentiellement intéressés par le concept : commune, intercommunalité, département ou région. La Région Île-de-France s’est emparée du sujet en centrant ses efforts, jusqu’ici, principalement sur la mobilité, du fait de sa compétence sur le secteur et de l’importance des déplacements à la fois pour la vie quotidienne des Franciliens et pour l’économie, autre domaine de compétence majeur de la Région. C’est dans ce cadre qu’Île-de-France Mobilités œuvre à la mise au point d’une offre d’accès global à la mobilité – tous modes – pour les Franciliens, tant il est vrai que les progrès du numérique favorisent l’intermodalité généralisée.

La Région en appui aux territoires

La prise en main, par les communes, de leur destin numérique reste très inégale selon leur capacité d’investissement et leur attractivité pour les porteurs d’initiatives. Les quartiers centraux sont les mieux pourvus, à la fois populaires et avant-gardistes. Les banlieues mal desservies et au faible potentiel fiscal sont handicapées. Le périurbain et le rural encore plus. Le risque est réel de voir les avant-gardes du cœur de métropole prendre de l’avance, alors que des territoires et des acteurs moins préparés au changement décrochent. De fait, la notion de fracture numérique se vérifie sur le terrain. Elle se mesure aux revenus des habitants, à leur niveau d’équipement numérique et leur accès au haut débit. Elle se mesure aussi aux capacités financières des communes.

La Région aura à apporter son soutien à la cohérence globale des initiatives communales et intercommunales, tout en développant les services numériques à sa propre échelle.

Ces inégalités avérées et potentielles justifient pleinement des démarches englobantes, notamment au niveau régional, surtout lorsque la région correspond à une unité territoriale indivisible comme en Île-de-France. Cette démarche est requise, non pas tant pour coordonner ou fixer des règles ou des standards, mais pour accompagner l’effort des communes, favoriser la connectivité, permettre un échange plus large des bonnes pratiques, booster la libération des données à tous les niveaux, réduire la fracture numérique sociale et générationnelle, former aux nouveaux métiers, assurer les meilleures conditions d’accueil des innovations et des innovateurs, veiller à la convergence entre le numérique et l’impératif énergétique.

La Région aurait alors ce double rôle, apporter son soutien à la cohérence globale des initiatives communales et intercommunales, tout en développant les services numériques à sa propre échelle, à commencer par les mobilités (exploitation, billettique, optimisation des flux, information usager, etc.), les chaînes d’approvisionnement (en lien notamment avec l’e-commerce) et les nouveaux modes de produire et de travailler (mode collaboratif, télétravail, flex office, usines du futur, etc.).

Libération des données et convergence écologique

Elle aurait, en plus, à se préoccuper – sur un plan stratégique – de deux sujets majeurs que sont la mise à disposition de la donnée et la convergence entre numérique et impératifs écologiques. Les enjeux liés à l’accès à la donnée, sa production, son analyse, sa diffusion sont en effet considérables et au cœur de toutes les thématiques des territoires intelligents.

L'action des pouvoirs publics est attendue pour faciliter la mise à disposition de la donnée, à commencer par les données publiques elles-mêmes.

Dans la plupart des services mis en place dans le cadre d’une initiative de territoire intelligent, la disponibilité de la donnée est intrinsèque à la solution numérique proposée (par exemple la détection du mouvement pour un éclairage), notamment dans l’Internet des objets. Mais les données générées pour un usage peuvent servir à de multiples autres usages et il est important que tous les autres services qui peuvent exploiter ces données puissent en bénéficier. L’action des pouvoirs publics est dès lors attendue pour faciliter cette mise à disposition, à commencer par les données publiques elles-mêmes.

La loi a dévolu, à ce titre, un rôle spécifique aux Régions, celui d’initier et d’animer une infrastructure de données géographiques (IDG) assurant le plus grand accès de tous à la donnée publique. Mais cette donnée peut être enrichie considérablement – par rapport à son état actuel, souvent statique – par des apports en continu de big data en provenance des territoires. Et il faudra accompagner cet enrichissement d’une montée en régime de la capacité d’expertise et de traitement du big data. L’Institut Paris Region, qui joue un rôle important dans la mise en place de l’IDG auprès de la Région Île-de-France, s’y emploie.
Les enjeux de la convergence entre transition numérique et transition écologique sont tout aussi considérables. Le numérique peut être une chance pour l’écologie par le potentiel qu’il représente d’une gestion de la consommation d’énergie au plus près des besoins. Cela passe par la détection des besoins et des ressources et leur mise en adéquation, et cela passera de plus en plus par une décentralisation de la ressource et une optimisation des horaires auxquels elle est sollicitée. Les exemples concrets sont multiples et conduisent à économiser l’éclairage ou le chauffage, à réduire le temps de recherche d’une place de parking, à récupérer l’énergie dégagée d’un data center, et demain à puiser dans la batterie d’une voiture électrique qu’on aurait rechargée la nuit.

Le numérique peut être une chance pour l'écologie par le potentiel qu'il représente d'une gestion de la consommation d'énergie au plus près des besoins.

Toutefois, en attendant, et au moins jusqu’en 2025-2030, il semblerait que le numérique soit plu-tôt générateur d’un surcroît de consommation d’énergie. En Île-de-France, les futurs data centers consommeraient à eux seuls l’équivalent d’une agglomération d’un million d’habitants. Le numérique accroît par ailleurs le volume des livraisons et de l’énergie qu’elles consomment, ainsi que de multiples nouveaux services qui n’existaient pas avant.
Aussi, dans cette course entre les effets énergivores à court terme et les effets de sobriété à plus long terme, une stratégie s’impose pour maximiser les seconds effets, minimiser les premiers, et préparer la suite (par exemple les effets d’intensification consécutifs à l’optimisation).

Sur ce terrain, l’action des collectivités territoriales sera déterminante, et le schéma optimal devrait être le même : des solutions au plus près de l’usager, prises à la bonne échelle, et une mise en cohérence stratégique englobante.
Sur tous ces sujets, la Région, gardienne des cohérences, devra apporter l’appui attendu par les territoires.

Un article de Fouad Awada, directeur général de L'Institut Paris Region

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