Fanny Le Brech, présidente d’ESSpace, lieu de vie sociale et d’initiatives

19 mai 2022ContactCarine Camors

Fanny Le Brech, 28 ans, est présidente d’ESSpace dans le 13e arrondissement de Paris, depuis 2018. Engagée dans le syndicalisme étudiant pendant ses premières années d’études, elle s’engage dans le coopérativisme et le développement de tiers lieux coopératifs à dimension sociale et solidaire. Facilitatrice de dynamiques collectives, exploratrice des tiers lieux et des communs, elle croit au pouvoir d’agir des citoyens au travers d'activités économiques.   

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Quand et comment a commencé l’aventure du lieu ?

Tout a commencé en 2011, au moment de mon entrée à l’université de Rennes 2 en licence Art du spectacle. J’ai rencontré le syndicalisme étudiant dans lequel je me suis engagée pendant trois ans. Une de ses missions était alors la gestion de « coops » étudiantes au sein des campus universitaires. Ce sont des espaces où l’on trouve de la restauration, des équipements mutualisés (imprimantes, etc.). On m’a proposé en 2014 de rejoindre la coopérative Solidarité étudiante, une société coopérative d'intérêt collectif (Scic) située à Paris, dans laquelle je me suis fortement engagée pendant trois ans, en parallèle à mes études en Master 2 Projet culturel et artistique international à l’université Paris 8. Ce projet de coopérative étudiante est né de la volonté de créer des espaces et des projets qui répondent aux besoins des étudiants autour de l’entrepreneuriat dans l’économie sociale et solidaire (ESS). C’est ainsi qu’a émergé le projet de création d’un lieu de vie sociale et d’initiatives : ESSpace. J’ai rapidement rejoint l’équipe projet à l’ouverture du lieu en 2017, dont j’assure la présidence depuis 2018.  

Quel regard portez-vous sur le développement des espaces de travail partagés sur votre territoire ? Observez-vous un intérêt grandissant pour ce type d'espace ?

Le 13e arrondissement est un espace très hétérogène, où se côtoient des grands lieux plutôt fermés et centrés sur la privatisation d’espaces et la location de bureaux, et des structures de petite taille qui se développent sur le modèle « coopératif », plus ouvert à la diversité des projets et des publics. Depuis la crise Covid, on observe un engouement, qui s’est accéléré avec la généralisation du télétravail et le besoin accru de sociabilité : les gens s’interrogent sur leur espace de travail, pas toujours adapté ou équipé pour télétravailler à domicile et leur besoin de retrouver des espaces où faire collectif. Au-delà du 13e arrondissement, l’évolution est très forte. Elle s’est intensifiée non seulement avec la crise mais aussi avec la politique gouvernementale lancée en 2018 sur les tiers lieux dans Paris et dans la région en général. 

Quels liens le lieu entretient-il avec son territoire ?

Situé entre deux « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV), l’ancrage d’ESSpace s’est fait très progressivement. Au départ, on n’a pas choisi ce lieu. Il nous a été proposé par la ville de Paris qui nous l’a mis à disposition gracieusement pendant trois ans, puis loué. On a mené un travail d’identification des acteurs du territoire avant notre emménagement, mais c’est en étant sur place et en action qu'on a pu construire des liens et acquérir une certaine légitimité aux yeux des autres acteurs. La dynamique de territoire s’est donc faite progressivement, et s’est construite au fil des années. Au bout de quatre années d’ouverture, on a initié un réseau d’arrondissement des acteurs de l’ESS, baptisé La Tresse, avec notamment la Macif, une association de street art, une coopérative alimentaire et une diversité de structures, allant de la personne individuelle à la grande entreprise. Cette dynamique s’incarne dans des projets, comme le Hackathon que nous avons mené début avril avec des associations membres sur l’enjeu de la mobilisation des jeunes dans leurs structures et projets. Cet événement a permis de réunir de nombreux membres et a compté sur l’aide et ls éclairages de volontaires en service civique de Concordia et Unis-Cité.

Comment les pouvoirs publics (Région, département, communes) peuvent-ils vous accompagner?

Tout dépend de la collectivité à laquelle on s’adresse. Au niveau municipal, on a noué au fil des années des relations avec la mairie de Paris et la mairie du 13e arrondissement, à qui on a prouvé notre légitimité pour développer des projets.
Au niveau de la Région, on a besoin de faire évoluer la relation pour aller vers une logique de coconstruction au projet. Au-delà du soutien financier, on attend de la Région et des pouvoirs publics en général, qu’ils soient nos partenaires. Pour l’instant, nos liens restent assez superficiels : on relaie l’appel à projets « tiers lieux », on participe au jury, on partage les enjeux et les perspectives identifiés sur le territoire, mais sans déclencher l’étape suivante du projet commun. On aimerait leur faire comprendre la diversité des tiers lieux, leur richesse, les externalités positives qu’ils créent, à l’interface de nombreuses problématiques : le télétravail, le lien social, la transition écologique, la mobilité, la culture, l’éducation, le tourisme… Ce sont des lieux protéiformes, pluridisciplinaires, hybrides, aux compétences variées, qui mériteraient d’être davantage pris en considération par la Région, comme cela se fait, par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, où la Coopérative Tiers-Lieu(x) travaille depuis maintenant dix ans avec la Région pour faire connaître, légitimer, valoriser ces lieux sur leur territoire. Ils ont réussi à nouer un vrai partenariat, et cela fait rêver beaucoup de monde !

Si c’était à refaire, que feriez-vous ou ne referiez-vous pas ? 

Je réalise que monter un projet, tisser des partenariats qui fonctionnent, s’ancrer sur un territoire… tout cela prend du temps. C’est un apprentissage, il faut prendre le temps et ne pas être trop impatient de tout faire trop vite. 
Les tiers lieux sont des espaces où la compétence doit être liée à l’appétence pour le projet global. Ils permettent de faire des projets intéressants, de constituer de belles équipes, et de se faire plaisir. Car au-delà des projets purement professionnels, ce sont également des projets de plaisir !
Les erreurs que l’on fait font partie de l’apprentissage. On apprend plus de ses erreurs que de ses réussites. Pour moi, le pire moment a eu lieu au cours du premier semestre 2019, au moment de notre changement de modèle : on était tous très fatigués, on avait du mal à coconstruire, à faire ensemble, c’était compliqué… Il a fallu renouveler la direction pour reprendre un nouveau souffle. Puis la crise sanitaire liée au Covid est apparue et a fragilisé l’espace. Ces périodes de confinement et de moindre activité nous ont alors permis de nous poser, de nous donner du temps pour réfléchir, de prendre de la hauteur par rapport à ce qu'on vivait, d’élargir nos horizons, de créer des liens avec d’autres lieux qui vivaient la même chose… Le réseau A+ c’est mieux, en connectant et en fédérant les lieux pendant cette pandémie, a été un soutien et une écoute essentiels pour moi. Si c’était à refaire, je referais donc la même chose ! Dans tout changement, il y a du positif.

Quels sont vos projets pour 2022 ?

En 2021, j’ai réalisé avec Aurélien Denaes un tour des communs à vélo de cinq mois en France. Nous sommes allés à la rencontre de près de 75 acteurs sur les territoires : des tiers lieux, des coopératives d’activité et d’emploi (CAE), des espaces-tests agricoles, de l’habitat partagé… Nous avons produit beaucoup de contenus : audio, vidéo, photo, textuel. 
Nous avons déjà publié un article dans la revue du réseau RGCS (Research Group Collaborative Spaces) sur la démarche de « recherche-voyage ». L’objectif est de synthétiser ces informations pour produire, d’ici septembre 2022, une exposition revenant sur nos rencontres, découvertes et étonnements.

Monographie