Diversité des points de vue d'acteurs sur le ZAN

Production d'étudiants de l'EUP

10 septembre 2020École d'urbanisme de Paris

Apparu en 2018, l'objectif ZAN, pour zéro artificialisation nette, oblige à repenser la façon dont nous concevons l’aménagement des territoires. Cette démarche qui vise à stabiliser le niveau d'artificialisation des sols suscite de vives réactions, quand bien même les modalités de sa mise en œuvre ne sont pas encore connues.
Dans le cadre des réflexions menées pour structurer la démarche francilienne vers l'objectif ZAN, L'Institut Paris Region a mandaté les étudiants du Master 2 « Environnements urbains : stratégies, projets, services » de l'École d'urbanisme de Paris (EUP), afin d’enrichir son approche.
Un des enjeux de la commande est de mieux connaître, via une enquête par entretien, les positionnements et perceptions de différents types d’acteurs franciliens de l'aménagement vis-à-vis du concept de ZAN et de sa mise en œuvre. En effet, si la nécessité de tendre vers une plus grande sobriété foncière semble faire consensus, nombreuses sont les divergences quant à la manière de mettre en œuvre cet objectif. Après avoir interrogé une vingtaine d’acteurs appartenant à quatre sphères différentes (enseignants/chercheurs, bureaux d’études/agences, élus et aménageurs), les étudiants ont analysé et confronté leurs points de vue, qu'ils restituent dans la présente note.

Une volonté de réduire l'étalement urbain confrontée à plusieurs limites

Des difficultés à poser le cadre de l’artificialisation et du ZAN

Amenés à se prononcer sur la légitimité de l'objectif ZAN, près de 9 enquêtés sur 10 s’accordent pour reconnaître la responsabilité de l'étalement urbain dans l'érosion de la biodiversité. D’une personne à l’autre, la responsabilité de l'artificialisation des terres peut néanmoins être relativisée, notamment au regard d'autres activités humaines. Ainsi quelques-uns (urbanistes et économistes) font remarquer qu’il est encore plus urgent de se focaliser sur les pratiques destructives liées au modèle agricole conventionnel (utilisation d'engrais chimiques et pesticides, travail intensif du sol).

Une des principales difficultés de mise en œuvre du  ZAN concerne la définition de sa notion centrale, « l'artificialisation ». Pour plus de la moitié des personnes interrogées, tant qu’il n’y aura pas de définition fonctionnelle du terme « artificialisation », l’objectif ZAN ne pourra être opérationnel. Ce terme est en effet difficile à utiliser puisque les catégories d'espaces considérés comme « artificialisés » varient d'une personne à l'autre, et que le sens donné à ce que l'on peut entendre par « espace artificialisé » n’est pas le même. Certains estiment que les espaces agricoles conventionnels appartiennent à cette catégorie, d'autres non, les mêmes divergences se retrouvent pour les espaces verts urbains ou les jardins privés.

La question de l'échelle optimale pour appréhender le phénomène de l'artificialisation a aussi été abordée. Faut-il privilégier les échelles administratives (région, département) ou, à l’instar des Agences de l'Eau, choisir des échelles fondées sur le fonctionnement écologique des territoires ? Si aucune échelle ne semble évidente et ne s’impose pour coordonner la mise en place de l'objectif ZAN, certains des acteurs interrogés se sont inquiétés de la « verticalité » d'un ZAN national, craignant une mesure déconnectée de la réalité des territoires. Ils souhaitent une mise en œuvre reposant majoritairement sur des compétences locales.

La création de nouveaux outils n’est pas perçue comme nécessaire

Questionnées sur les outils à mobiliser pour encadrer l'application du ZAN, les personnes interrogées sont catégoriques : il n’est pas nécessaire de créer de nouveaux outils. Tous pensent que nous sommes suffisamment armés, même si les dispositifs actuels (documents d'urbanisme, taxes, aides de l'État) doivent être transformés. Plusieurs font observer que le débat sur la diminution du rythme d'artificialisation n'est pas nouveau et qu’une tendance à la réduction a pu être observée ces dernières années. Mais face aux objectifs ambitieux du ZAN, ces avancées ne sont plus suffisantes. Pour inciter à une réduction encore plus forte, des modifications ont été proposées mais elles divergent d’une personne à l’autre. Quelques-uns recommandent une application plus rigoureuse des documents d’urbanisme. D’autres s'inquiètent d'une trop forte rigidité entraînée par la multiplication des dérogations, celle-ci serait à terme défavorable pour atteindre les objectifs du ZAN. Urbanistes et écologues se sont également exprimés sur la question de la temporalité de ces outils : face à un objectif ZAN qui se veut durable, les documents d'urbanisme devront être rendus pérennes et moins vulnérables aux alternances politiques.

Pour près d'un tiers des acteurs, certains outils sont contre-productifs. Une partie des juristes, urbanistes ou écologues interviewés font remarquer qu’en France la fiscalité encourage l'étalement urbain, l’attribution de financements reposant sur des critères décrits comme « croissantistes » ou « développementistes ». D'autres, économistes ou élus, défendent au contraire ces extensions qui permettraient aux territoires d'assurer leur développement, voire même leur survie. Selon eux, la concurrence entre communes les pousserait à artificialiser et s'étaler toujours plus, dans l’objectif de faire venir de nouvelles populations et de renforcer leur attractivité. D’autant plus que la décroissance des territoires serait mal acceptée en France et pourrait être associée à une forme de traumatisme. La question du lien entre attractivité et étalement urbain a fait débat : l’étalement urbain est-il synonyme d’attractivité ? Un territoire qui s’étale attire-t-il de nouveaux habitants ?

Une remise en cause des besoins actuels en matière de foncier

Les acteurs rencontrés se sont aussi exprimés sur les raisons justifiant l'étalement urbain. Ce dernier n'étant pas uniformément réparti sur l'ensemble du pays, les enquêtés ont distingué plusieurs dynamiques d'extension. L'une d'entre elles correspond à l'extension de territoires dont la population ou le nombre de ménages n'augmente pas. C'est à travers l'analyse de cette catégorie que la mesure de l'utilité sociétale d'un projet d'aménagement a pu être questionnée, notamment par des sociologues, écologues, juristes ou économistes. Pour illustrer ce constat, le modèle pavillonnaire a été interrogé : répond-il systématiquement à une demande citoyenne ? Plus d’un quart des enquêtés n'en sont pas sûrs. Une sociologue analyse l'urbanisme d'aujourd'hui comme étant fondé sur une politique de l'offre, déconnectée des véritables besoins des territoires.

Quelles pistes concrètes pour tendre vers le ZAN ?

Densifier : un modèle d'aménagement alternatif à interroger

Dans les cas où les besoins existent, les modes d'aménagement alternatifs ont été discutés. Pour 18 des 21 personnes rencontrées, la densification est un levier essentiel pour réduire notre rythme d'artificialisation et tendre vers le ZAN. Cependant, une très grande majorité des acteurs interrogés, bien que favorables à la densification, a émis des réserves quant aux conditions de sa mise en œuvre. Les limites de ce mode d'aménagement ont déjà été identifiées : il existe des seuils à ne pas dépasser et il faut densifier intelligemment et de manière adaptée. La densification est alors une solution « sous conditions », l’objectif étant de chercher à préserver les espaces ouverts et la biodiversité urbaine, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de la qualité de vie en ville. Les personnes interrogées ont été unanimes sur ce point.

De plus, même si la réhabilitation des bâtiments existants peut être présentée comme une solution évidente pour atteindre l’objectif ZAN, ce type d'opération est pour l'instant considéré comme « à perte » par les aménageurs. Il reste plus rentable de construire du neuf que de réinvestir l’existant. Si à travers le ZAN, l’ambition est de révolutionner nos façons de concevoir la ville, nous devons nous en donner les moyens, en réinterrogeant les modèles économiques de production urbaine.

En l’état, la compensation ne sera pas la solution au ZAN

Parallèlement à la réduction du rythme d'artificialisation, le ZAN pose un autre défi : pour chaque nouveau m² artificialisé, il faut réussir à désartificialiser une surface équivalente et tendre vers le solde zéro espace artificialisé. Les enquêtés ont été interrogés sur les dispositifs à mobiliser pour atteindre cet objectif, par exemple l'étude d'impact environnemental avec le respect de la séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser). La majorité des acteurs interrogés affirme que, dans l'état actuel, ces outils sont insuffisants, même s’ils reconnaissent qu’ils sont intéressants. Les études d'impact sont par exemple considérées comme réalisées à minima, négligeant la biodiversité ordinaire (de par l'absence de contentieux) et cantonnées à un nombre limité de projets. D'autres considèrent que, par manque de moyens humains, financiers et techniques, ces dispositifs sont difficilement perfectibles. Pour l'application de la séquence ERC, plusieurs ont regretté que les dimensions "Éviter" et "Réduire" soient négligées par rapport à la dimension "Compenser".

Le débat sur l'application des mesures compensatoires a suscité de vives réactions. Seront-elles la solution pour tendre vers ce solde de zéro espace artificialisé ? Les personnes interrogées se sont montrées catégoriques : la compensation ne sera pas la réponse au défi du ZAN, en tout cas pas dans son état actuel. D’une part, parce que la compensation ne doit intervenir qu’en dernier recours. Certains ont même insisté sur l'aspect contre-productif de la compensation : le risque est d’oublier le fondement de l'objectif ZAN, qui est de réduire notre rythme d'artificialisation. La discussion sur la mise en œuvre du ZAN devrait être élargie à des objectifs plus ambitieux.
D’autre part, les mesures de compensation présenteraient à l’heure actuelle de nombreuses lacunes d’ordre technique, juridique et réglementaire. Pour être opératoire, ce dispositif devrait s'appliquer en priorité sur des espaces artificialisés, plutôt que sur des milieux naturels. D'après les enquêtés, même si les opérations de désimperméabilisation-renaturation restent beaucoup plus coûteuses, à terme elles devront être réalisées à une échelle plus large pour répondre au défi ZAN. Un écologue souhaiterait, par exemple, qu’une politique volontaire de désartificialisation soit menée, en plus de la compensation. Cela permettrait d’agir plus efficacement.

Transformations sociétales : un changement de mentalité nécessaire

Les personnes interrogées ont abordé la question des transformations sociétales, qu'elles concernent nos modes de vie (avec des normes de confort futures à revoir) ou les relations entre acteurs du monde de l'aménagement. Tous s'accordent à dire que le ZAN est possible, mais que les acteurs doivent réussir à se rassembler et se concerter pour discuter des conditions de sa mise en œuvre. Pour trois d'entre eux, il est essentiel d’approfondir les liens entre écologues et urbanistes et de faire en sorte que l'écologie soit systématiquement intégrée en amont de tout projet d'aménagement.

Enfin, les étudiants ont souhaité ouvrir le débat et ont proposé aux personnes interrogées de réfléchir à un objectif encore plus ambitieux de ZAB, pour « Zéro Artificialisation Brute ». Cet objectif empêcherait, de manière radicale, toute nouvelle opération d'étalement urbain. Quelques-uns ont trouvé ce concept intéressant, mais l’ont jugé peu réaliste et à la limite de la légalité. Mettre un coup d’arrêt à toute forme d’étalement urbain semble aujourd’hui difficilement envisageable.

Conclusion : des intérêts écologiques en synergie avec les enjeux sociaux

La préservation des sols et de toutes les dynamiques de biodiversité correspond à l'ensemble des enjeux environnementaux présents dans l'objectif ZAN. Ces derniers doivent cependant être couplés aux enjeux sociaux, présents lorsque l'on aborde la mise en œuvre concrète du ZAN. Cette complémentarité s'est manifestée dans le discours de plusieurs enquêtés : la biodiversité et les sols doivent être protégés, mais cela doit s’accompagner de mesures de luttes contre les inégalités sociales.    

À l’issue de cette enquête auprès d’une palette d’acteurs franciliens, la voie d'accès au ZAN semble reposer sur deux volets : une réduction drastique du rythme d'artificialisation associée à un renforcement significatif du volet compensation-désartificialisation-renaturation, pour encadrer des mesures compensatoires vertueuses. Ces deux objectifs complémentaires demandent cependant des moyens à la hauteur de leur mise en œuvre. Même si aucune réponse évidente n'a été apportée au cours de ces entretiens, la sonnette d'alarme tirée par les scientifiques ne peut plus être négligée : il devient urgent de repenser nos manières de faire. Le ZAN doit donc être perçu comme une opportunité, celle de repenser et réorienter les moyens politiques, économiques et humains alloués pour concevoir l’aménagement de nos territoires, en y intégrant plus efficacement les enjeux environnementaux et sociaux.

 

Étudiants : Sabrina Ait Yahia, Seydina Banse, Emmanuel Cabara, Sandra Garcia, Eva Guyot, Juliette Henry, Denis Machado, Tristan Mary, Nouarra Zirouel
Encadrants EUP : Robin Chalot, Stéphane Mercier et Ana Cristina Torres
Commanditaire : L’Institut Paris Region
Coordination atelier : Thomas Cormier et Nicolas Cornet

Méthodologie

Vingt-deux entretiens semi directifs ont été réalisés par les étudiants de l’EUP d'octobre 2019 à janvier 2020. Les métiers et organismes des interviewés sont présentés dans la figure 1. L’analyse a permis de faire émerger les points de convergence et de divergences, voire de tensions, entre enquêtés.
La figure 2 synthétise les quatre grandes thématiques et les principaux enjeux abordés lors des entretiens. L'objectif de cette démarche est de mettre à plat les débats soulevés par le ZAN et d'illustrer la complexité de son application.

Figure 1 : Organismes et métiers des acteurs interviewés

Figure 2 : Analyse des entretiens - 4 thématiques déclinées en 14 enjeux

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