Collectivités franciliennes : quelles perspectives budgétaires 2022 après deux années de crise sanitaire ?

Chronique de la fiscalité locale n° 9   Sommaire

17 mars 2022Valentin Sauques

Après avoir abordé dans une précédente chronique la Loi de Finances 2022, L’Institut Paris Region propose d’analyser les perspectives budgétaires qui attendent les collectivités franciliennes et leurs regroupements en 2022. Ces derniers ont jusqu’au 15 avril 2022 pour voter leur budget. Après deux années fortement marquées par la crise sanitaire et les craintes que suscite la situation géopolitique actuelle, quelles perspectives budgétaires attendre pour cette année ? 

Les comptes définitifs 2021 des collectivités ne sont pas encore connus au moment de la rédaction de cette chronique, la date limite du vote des comptes administratifs étant fixée à fin juin. En reprenant les chiffres 2020 des collectivités franciliennes et les perspectives 2021 dressées en février dernier par le gouvernement et relayées dans la presse spécialisée, il est toutefois possible d’établir une photographie partielle de la situation des collectivités franciliennes.  

Dépenses et recettes : les indicateurs de la santé budgétaire des collectivités

Les collectivités locales ont subi de plein fouet la crise sanitaire. Pour en mesurer l’impact, il est intéressant de s’attarder sur un indicateur couramment utilisé en finances locales : l’épargne brute, qui correspond à la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement. Cette épargne contribue à financer les dépenses d’investissement et à rembourser le capital des emprunts en cours. Pour le bloc communal (communes et intercommunalités), les départements et la Région, cette épargne avait baissé de plus de 24 % en 2020 par rapport à 2019 (6,55 Mds d’euros en 2019 contre 4,96 Mds en 2020, source : OFGL). Cette tendance masque cependant des situations contrastées entre les différents échelons territoriaux, reflétant la diversité des compétences exercées, des dépenses associées et des types de recettes perçues.
Concernant les recettes de fonctionnement, à l’exception des intercommunalités, qui ont les ont vues progresser (+5 %), tous les autres échelons ont subi des baisses marquées : les communes (-4 % en moyenne et  -8 % sur Paris), départements (-2 %) et la Région (-8 %). Pour ce qui concerne les communes, cette tendance globale masque toutefois des différences notables (cf. carte ci-dessous).

La baisse des recettes de fonctionnement observée sur Paris (-536 M€) a été supérieure à celle de toutes les autres communes de la région (-404M€). Du côté des dépenses de fonctionnement, les communes ont également subi de légères baisses (-2 % hors Paris) en lien notamment avec des services qui n’ont pas été assurés pendant les périodes de confinement. Les intercommunalités ont, quant à elles, maintenu le rythme de croissance des dépenses : ces structures financent notamment des compétences qui ont continué de fonctionner sur l’année (ex : collecte et traitement des déchets). De leur côté, les départements ont vu leur dépenses nettement augmenter en lien avec leur compétence sociale (+385 M€). 

Enfin, les dépenses d’investissement ont subi des évolutions très erratiques : avec une diminution de 15 %, la crise sanitaire a amplifié le phénomène connu des cycles électoraux pour le bloc communal (moins de dépenses engagées les années d’élection). A contrario, la Région a accru les efforts en la matière (+362 M€).

Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des Comptes publics, a présenté en février 2022 aux associations d’élus les tendances 2021 en matière de finances locales pour l’ensemble des échelons territoriaux. Les chiffres qui ont été présentés montrent un retour à la normale par rapport à la situation de 2019, avec des indicateurs à la hausse, que ce soit sur les dépenses et recettes de fonctionnement ou encore l’épargne brute. Les dépenses d’investissement ne seraient toutefois pas revenues à leur niveau d’avant crise. Il convient d’indiquer que cette tendance nationale masque des disparités territoriales. La ville de Paris n’a par exemple pas retrouvé sa fréquentation touristique avec en conséquence des niveaux de taxes de séjour toujours inférieures à la situation d’avant crise. 

Recettes fiscales 2022 : entre progression et incertitude

Pour connaitre les perspectives des collectivités et des groupements de communes, il convient préalablement de bien appréhender le panier de leurs principales ressources fiscales. Celui-ci est rappelé dans l’encadré ci-contre.
Avec les réformes engagées depuis plusieurs années, les impôts et taxes perçues peuvent être schématiquement subdivisés en 4 grandes familles :

  • la fiscalité assise sur le foncier, perçue essentiellement par les communes (taxe foncière) et les EPCI (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) ;
  • la fiscalité sur les activités économiques présentes sur le territoire : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, cotisation foncière des entreprises, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, taxe sur les surfaces commerciales, taxes sur les bureaux… ;
  • les taxes prélevées au niveau national dont une partie est restituée localement (TVA, taxe intérieure sur la consommation de produit énergétique, taxe sur la consommation finale d’électricité, taxe sur les conventions d’assurances) ;
  • les droits de mutation à titre onéreux (« frais de notaires ») perçus par les communes, départements et la Région (taxe additionnelle).

Les principales ressources fiscales des collectivités et de leurs regroupements

Communes : taxe foncière sur les propriétés bâties, droits de mutation à titre onéreux (DMTO), autres taxes locales (taxe de séjour, taxe sur les pylônes, publicité extérieure)

Établissements publics de coopération intercommunale : cotisation foncière des entreprises (CFE), cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), taxe d’enlèvement des ordures ménagères, fraction de TVA

Départements : CVAE, DMTO, fraction d’impôts nationaux (TVA, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, taxe sur les conventions d’assurances)

Région : fraction d’impôts nationaux (TVA, taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, taxes sur les véhicules), taxes issues des activités économiques (taxes sur les bureaux et les surfaces de stationnement, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux).
 

Étudier les perspectives de croissance des ressources pour les collectivités revient donc à analyser les dynamiques prévues pour ces quatre grandes catégories.

Pour ce qui concerne les taxes adossées au foncier, les perspectives sont plutôt positives pour 2022. Depuis la Loi de Finances 2018, les valeurs locatives, base de taxation des impôts assis sur le foncier bâti, évoluent en fonction de l’indice des prix à la consommation. Avec une inflation de 3,4 % à la fin de l’année 2021, les impôts fonciers sur le bâti devraient progresser d’autant, et ce, sans compter sur l’éventuel levier des taux à disposition des communes (taxe foncière) ou des EPCI (taxe d’enlèvement des ordures ménagères, cotisation foncière des entreprises (CFE)). En procédant à une simple extrapolation, la croissance en volume des bases foncières contribuerait à augmenter les recettes réelles de fonctionnement d’environ 1,3 % (+250 à +300M€) parmi les communes franciliennes par rapport à la dernière année précédant la crise sanitaire (2019).

Les évolutions d’impôts attendues sur la fiscalité économique sont beaucoup plus contrastées. Si les EPCI devraient bénéficier d’une croissance de la CFE du fait de l’évolution des bases foncières, une baisse notable de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) devrait être observée. En fin d’année dernière, les services de la DGFIP (direction générale des finances publiques) anticipaient une baisse de 4 à 5 % par rapport à 2021, avec des évolutions extrêmement contrastées selon les EPCI. Les premières projections communiquées, relayées par Intercommunalités de France en novembre 2021, révélaient que plus de 80 % des EPCI franciliens pourraient connaître des baisses de CVAE : une dizaine subirait des baisses supérieures à 10 %. Les recettes définitivement perçues au titre de la CVAE seront connues ce mois de mars 2022 par les intercommunalités. Cette baisse s’ajoutera par ailleurs à une autre qui, elle, concernera tous les groupements à fiscalité propre : la dotation de compensation de la part salaires versée par l’État (voir chronique précédente). Il conviendra d’analyser dans quelle mesure les baisses de fiscalité économique subies par les EPCI pourraient faire l’objet d’une baisse des attributions de compensation qu’elles versent aux communes (disposition facilitée depuis la loi de Finances 2022). Enfin, il convient de noter que, à court terme, la taxe sur les bureaux – taxe spécifique à l’Île-de-France perçue par la Région – devrait être préservée : celle-ci est payée par le propriétaire quelle que soit l’occupation des locaux.

La part des ressources des collectivités provenant d’une fraction de taxes nationales progresse depuis 20 ans. Avec les conséquences en chaine de la suppression de la taxe d’habitation et la baisse des impôts de production, la TVA y tient une place prépondérante pour les Régions, les départements, Paris et les EPCI. Dans l’attente des chiffres consolidés qui sortiront cet été, on estime que cette taxe abonde pour au moins 7,5 milliards d’euros les comptes de ces structures dans la région. Pour 2022, les perspectives de croissance de cette ressource devraient être positives : +5 à 6 % selon les projections du gouvernement.

Enfin, les droits de mutation, qui constituent une ressource importante pour les communes (850 M€ en 2020) et départements (1,7 Mds), devraient progresser sur 2022. Les budgets primitifs (BP) votés par les Yvelines (+27 % par rapport au précédent BP), la Seine-et-Marne (+22 %) et la Seine-Saint-Denis (+2 %) vont dans ce sens.

Quelles répercussions de l’inflation sur les budgets  2022 ?

Avec la situation internationale, les exercices budgétaires de 2022 devraient être fortement contraints par les conséquences en chaine de l’inflation observées sur certaines matières, au premier rang desquelles celles dont les prix sont directement ou indirectement corrélés avec des énergies fossiles. 
Une des premières conséquences devrait être le renchérissement des dépenses consacrées à l’énergie, l’achat de combustibles et de carburants. Celles-ci représentaient en 2020 plus de 700 M€ dans la région, soit environ 2 % des dépenses de fonctionnement constatées cette même année (périmètre : communes, EPCI, départements, région et syndicats- Source : calculs de L’Institut d’après balances comptables DGFIP). Le poids de ce poste est légèrement supérieur pour le bloc communal qui a en charge des compétences opérationnelles davantage assurées sous maitrise d’ouvrage directe : entretien de la voirie, gestion d’équipements scolaires, sportifs ou culturels. Une partie de cette dépense est toutefois préservée d’une dérive des prix à court terme - l’électricité - du fait des mesures gouvernementales visant à limiter l’augmentation du prix du kWh. De la même façon, l’évolution des cours des aliments ne sera pas sans conséquence sur les comptes des communes, départements et Région qui ont respectivement la charge de la restauration scolaire des écoles primaires, des collèges et lycées.

Une autre répercussion indirecte en perspective pour les collectivités provient des contrats passés par les prestataires de services. Le recours à l’externalisation représente en 2020, 2,3 milliards d’euros en Île-de-France (toutes collectivités et intercommunalités confondues). Sur des contrats pluriannuels, des clauses de révision sont préalablement définies par les collectivités afin que les prix facturés par les prestataires internalisent les évolutions de coûts que ces derniers ont à supporter. Au regard des évolutions observées dès 2021 et de celles attendues, la crainte est forte que les services publics externalisés nécessitant une forte consommation d’énergie connaissent une hausse significative des coûts : collecte des déchets, distribution de l’eau, gestion des eaux usés, transports. À titre d’exemple, en utilisant une formule de révision « type » utilisée par de nombreuses intercommunalités franciliennes, l’évolution du seul paramètre « prix des carburants » pourrait avoir renchéri les coûts de collecte de 3 % en 2021, soit environ plus de 15 M€. Au regard des prix constatés en ce début d’année puis au mois de mars avec le conflit en Ukraine, la crainte est forte que les prix augmentent encore davantage cette année. L’augmentation des prix pourrait par ailleurs être doublé pour les services publics administratifs (SPA) avec l’augmentation de la TVA induite (pas de possibilité de récupérer la TVA pour les SPA sur les dépenses de fonctionnement).

Enfin, il conviendra d’analyser dans quelle mesure ces tensions sur les dépenses de fonctionnement, couplées à des perspectives de hausse des taux d’intérêts, pourront limiter l’épargne des collectivités et, in fine, impacter le financement de projets d’investissements qui subissent les mêmes tensions sur les coûts et l’approvisionnement des matières.

Valentin Sauques

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