Lecture francilienne de la loi de finances 2025 (1/2)

Chronique de la fiscalité locale n° 16   Sommaire

13 mars 2025ContactValentin Sauques

La loi de finances 2025 (LF 2025) est parue au journal officiel le 14 février 2025, dernière étape d’un long et inédit processus marqué notamment par la censure du gouvernement Barnier fin 2024, la poursuite des travaux parlementaires en janvier et son adoption par la procédure de l’article 49-3 de la Constitution. La version finale, après censure de certains articles par le Conseil Constitutionnel, confirme les principales dispositions concernant les collectivités locales et leurs groupements, notamment celles visant à engager des efforts budgétaires pour réduire le déficit des administrations publiques. 

Le gouvernement indique que les mesures d’économies concernant les administrations publiques locales s’élèveraient à 2,1 Mds d’euros, soit un montant assez éloigné des estimations formulées par les associations de collectivités qui les chiffrent à plus de 5 Mds d’euros. Pour cette première chronique consacrée à la LF2025, L’Institut Paris Region propose de revenir spécifiquement sur les deux principales mesures à l’origine de ces 2,1 Mds et d’en analyser les impacts potentiels sur les finances locales franciliennes, en attendant d’en mesurer ultérieurement les effets réels. Une seconde chronique abordera les autres dispositions, notamment celles ayant trait aux dotations versées par l’État aux collectivités. 

    Le « DILICO » : un nouvel instrument de mise en réserve des ressources des collectivités

    Une des nouvelles dispositions instituées par la Loi de Finances est le « Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales » (DILICO). Celui-ci consiste en une mise en réserve d’un milliard d’euros de ressources fiscales pour :

    • le bloc communal à hauteur de 500 M€ répartis à égalité entre les communes et établissements public de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) ;
    • les départements (220 M€) ;
    • les régions (280 M€). 

    Les collectivités et groupements concernés par ce dispositif sont ceux dont l’indice (voir encadré sur les composantes de l’indice) dépasse un certain seuil. Cet indice évalue, selon différents indicateurs, soit leurs ressources potentielles (pour les communes, les EPCI et les régions), soit leur niveau de fragilité sociale (pour les départements). Les montants mis en réserve, plafonnés à 2 % des recettes de fonctionnement, pourraient être partiellement restitués les trois années suivantes, au prorata du montant prélevé et « dans la limite du produit de la contribution pour l’année en cours » (article 186). Quelque 10 % des montants mis en réserve viendraient abonder les fonds de péréquation ad hoc :

    • pour le bloc local : le fonds national de péréquation des ressources communes et intercommunales ;
    • pour les départements : fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux ; 
    • pour les régions : le fonds de solidarité régionale. 

    L'indice synthétique des ressources et des charges

    L’indice intègre :

    • pour les communes : le potentiel financier et les revenus imposables ;
    • pour les EPCI à fiscalité propre : le potentiel fiscal et les revenus imposables ;
    • pour les départements : le taux de pauvreté, les revenus, la part de bénéficiaires du RSA, de l’allocation personnalisée pour l’autonomie et de la prestation de compensation du handicap ;
    • pour les régions : les produits des ressources provenant de la TVA (fraction liée à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, la taxe sur les certificats d’immatriculation et les recettes provenant de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau.

    Le prélèvement déterminé pour chaque collectivité ou groupement prendra en compte l’écart relatif entre l’indice mesuré pour une structure et une base de référence nationale calculée à partir de l’indice moyen ou médian observé.

    Il existe encore quelques incertitudes - collectivités et groupements définitivement concernés, montants mis en réserve et restitués ultérieurement, maintien dans le temps de ce dispositif – lesquelles devraient être levées en partie au cours du printemps avec les notifications adressées par l’État aux collectivités pour l’année 2025. Pour autant, une analyse du dispositif, croisée avec les caractéristiques des collectivités franciliennes, permet de dégager quelques tendances sur les structures concernées, voire les montants en jeu. 

    Les communes franciliennes en première ligne

    Compte tenu de leurs caractéristiques, les communes de notre région devraient être plus fortement mises à contribution au titre du DILICO. Plusieurs mécanismes devraient en effet y contribuer. Les indicateurs utilisés pour identifier les communes concernées sont tout d’abord supérieurs dans la région par rapport aux moyennes françaises :

    • +37 % pour le potentiel financier par habitant (source DGCL, fichier dotation 2024) ;
    • +29 % pour les revenus par habitant (source DGCL, fichier dotation 2024).

    En se basant sur les données de 2024 utilisées par les services ministériels pour établir les montants des dotations versées aux communes et en appliquant les règles de calculs de l’indice spécifiées dans la LF2025, l’Institut estime qu’environ un tiers des communes franciliennes pourraient présenter un indice synthétique des ressources supérieur à 1,1, soit le seuil d’éligibilité à ce dispositif, contre 5 % sur le reste du territoire. 

    Les montants mis en réserve pour l’Île-de-France pourraient par ailleurs être significatifs en raison de deux mécanismes intervenant dans ce DILICO :

    • l’écart relatif entre les indices communaux franciliens et l’indice moyen : plus celui-ci est élevé, plus la contribution y est importante, a fortiori pour des communes peuplées. Or, la proportion des communes franciliennes situées bien au-delà de cet indice devrait être nettement supérieure à ce qui est observé sur le reste du territoire (cf. graphique ci-dessus) ;
    • le plafond de ressources fiscales mis en réserve, fixé à 2 % des recettes de fonctionnement : pour les communes d’Île-de-France, ce plafond devrait être sensiblement plus élevé du fait de l’importance de leurs recettes (écart d’environ 39 % sur les recettes par habitant entre les communes de la région concernées par le DILICO et celles du reste du territoire).

    S’il existe encore quelques inconnues sur les modalités de répartition du DILICO entre structures, des simulations réalisées par l’Institut indiquent que plus de 60 % des sommes mises en réserve par les communes pourraient être concentrées sur celles d’Île-de-France.

    Les effets du DILICO sur les intercommunalités franciliennes pourraient en revanche être plus mesurés. Les indicateurs franciliens entrant dans le calcul de l’indice synthétique des ressources (potentiel fiscal et revenu des habitants) sont plus élevés que la moyenne nationale parmi les EPCI franciliens. Ces derniers devraient donc être en proportion davantage concernés (cf. graphique ci-dessous).  

     

    Toutefois, en raison du fait que les intercommunalités de la région sont tendanciellement moins intégrées – moins de compétences communales y ont été transférées à l’échelle communautaire – leurs recettes de fonctionnement, déduction faite de leurs reversements aux communes, sont plus faibles. Le plafond sur lequel s’applique le DILICO (2 % des recettes de fonctionnement) devrait donc être plus bas parmi les intercommunalités franciliennes. L’Institut Paris Region estime que les montants mis en réserve parmi la douzaine d’intercommunalités concernées devraient s’élever à environ 25 M€, soit 10 % de l’enveloppe nationale imposée aux EPCI. 

    L’effort rapporté à l’habitant devrait être notoirement plus important pour trois agglomérations : Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart, Val d’Europe et Saint Quentin en Yvelines où les mises en réserve pourraient représenter plus de 15 € par habitant. La contribution sur la Métropole du Grand Paris devrait quant à elle être inférieure à un euro par habitant.

    Par manque de données disponibles, l’Institut n’a pas effectué de telles simulations pour les départements franciliens et la Région. Toutefois, tout laisse à penser que ces derniers devraient davantage être mis à contribution. Les indicateurs intervenant pour déterminer la liste des départements concernés par le DILICO sont ceux utilisés au titre du fonds de péréquation des Droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Or, en 2024, six des huit départements étaient contributeurs nets à ce fonds. De la même façon, la Région Île-de-France est le principal contributeur au fonds de solidarité régional (FSR) (19 % de l’enveloppe nationale en 2024), lequel est assis sur un indice des ressources retenu pour établir la liste des régions soumises au DILICO. Des premières estimations communiquées fin février par le gouvernement et relayées dans la presse indiquent que la Région et sept départements (hors Seine-Saint-Denis) seraient concernés pour un montant respectivement de 53 M€ et 100 M€.

    TVA : une recette qui n’évolue pas

    La taxe sur la valeur ajoutée est devenue la principale recette fiscale des collectivités et de leurs groupements. Elle est venue progressivement abonder les budgets locaux pour compenser la suppression de la DGF (pour les régions en 2018), de la taxe d’habitation (pour les départements, les EPCI et la Ville de Paris en 2021) et, enfin, de la CVAE (2021 pour la Région et 2023 pour les départements, les EPCI et certaines communes). En 2023, la TVA perçue par l’ensemble des structures franciliennes s’élevait à plus de 10,65 Md€ (source : DGFIP, balances comptables).
     

    Les montants de TVA reversés pour les collectivités et les groupements* augmentaient jusqu’ici au rythme de l’évolution annuelle de perception de cette taxe à l’échelle nationale. Cette disposition garantissait pour les collectivités une ressource dynamique, notamment en période d’inflation, comme cela a été observée en 2022 et, dans une moindre mesure, en 2023. En 2024, l’évolution des recettes de TVA a continué d’être positive avec toutefois un écart notable entre ce qui avait été anticipé dans la loi de finances (+4,8 %) et le réalisé (+1,1 %), entrainant pour les collectivités des régularisations de versement de TVA fortement orientées à la baisse en fin d’année.

    À compter de 2026, l’évolution du produit de TVA perçu par les collectivités sera toutefois déterminée à partir de celle observée au niveau national l’année précédente et non sur celle de l’année en cours. Cette mesure d’apparence technique devrait à l’avenir rendre plus prévisible cette recette dans les budgets des collectivités et intercommunalités.

    La Loi de Finances a gelé provisoirement la dynamique de la TVA versée aux collectivités pour 2025, obérant ainsi la progression de cette recette fiscale dans les budgets de fonctionnement. Celle-ci, estimée à 1,2 Md d’euros cette année, abondera le seul budget de l’État. Dans la mesure où les comptes 2024 des collectivités franciliennes ne sont pas encore connus, il n’est pas possible à ce stade d’en évaluer les impacts locaux. Toutefois, pour la seule Région Île-de-France, ce gel aurait pour conséquence de minorer les recettes de 71 M€ (source : budget 2025). 

    Dans un contexte national où toutes les strates de collectivités voient dorénavant leur épargne et leur trésorerie diminuer, l’enjeu est de savoir comment ces mesures d’économies ciblées sur les recettes vont se traduire dans les budgets locaux en termes d’investissement, de recours à l’emprunt et/ou de réduction des dépenses de fonctionnement. 

    Enfin, d’autres dispositions prévues dans la loi de finances 2025 devraient avoir des conséquences pour les collectivités franciliennes et leurs groupements : évolution des dotations versées par l’État, prolongation de l’architecture financière dans le cœur d’agglomération… Autant de mesures que nous aborderons dans notre prochaine chronique.

     

    *La TVA totale versée aux EPCI à fiscalité propre évolue sur le même rythme que la croissance des recettes fiscales au titre de cette taxe. Toutefois, son versement entre EPCI diffère selon des dynamiques locales (évolution des effectifs employés, base d’imposition sur le foncier des entreprises)

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