Déploiement de la fibre optique en Île-de-France : une réussite incontestable mais des défis persistants
En Île-de-France, le déploiement de la fibre optique constitue l’un des plus grands succès de l’aménagement numérique en France. Couverture généralisée et réduction des inégalités territoriales : le très haut débit s’est imposé comme un standard. Toutefois, pour que la promesse soit pleinement tenue, deux défis restent à relever : assurer la complétude en raccordant les derniers locaux et garantir la qualité des réseaux dans la durée.
Le plan France Très haut débit (PFTHD), lancé en 2013, visait à doter l’ensemble du territoire national d’un accès au très haut débit dans un délai de dix ans. En 2020, le gouvernement a réorienté cette stratégie en faisant de la fibre optique le vecteur principal du déploiement, avec pour objectif une couverture généralisée à l’horizon 2025. Ce choix marquait une étape décisive : il ne s’agissait plus seulement d’améliorer les performances du réseau, mais bien de bâtir une nouvelle infrastructure numérique nationale, pérenne et universelle. Région pionnière, l’Île-de-France s’était engagée très tôt dans cette dynamique. Quelques années avant le plan national, elle intégrait dans son Schéma directeur de 2008 l’objectif d’une couverture intégrale en fibre optique, ambition confirmée par les plans stratégiques régionaux successifs. Cette orientation s’est accompagnée d’une volonté affirmée de positionner la région comme leader européen en matière de connectivité.
L’ÎLE-DE-FRANCE, CHAMPIONNE EUROPÉENNE
En 2025, le bilan est largement positif. Avec un taux moyen de locaux raccordables de 96 %, l’Île-de- France se distingue comme la région la plus fibrée d’Europe occidentale. À titre de comparaison, Amsterdam atteint environ 80 %, Londres vise les 85 %, avec cependant de fortes disparités territoriales, quand Francfort accuse un retard significatif (moins de 50 %). Ce succès est d’autant plus remarquable qu’il s’est accompagné d’une réduction sensible des inégalités territoriales. Alors que, dix ans plus tôt, la fracture numérique entre les zones très denses, concentrant les investissements privés et les territoires de grande couronne, jugés peu rentables, semblait difficile à résorber, le PFTHD a permis une homogénéisation des niveaux de couverture à l’échelle régionale.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport d’avril 20251, « le plan France Très haut débit a permis un déploiement rapide de la fibre grâce à la mobilisation des opérateurs privés et des fonds publics ».
La genèse du PFTHD diffère sensiblement des modèles classiques de planification à la française. Dès le départ, les pouvoirs publics ont fait le choix de privilégier l’initiative privée. Cela s’est traduit par la définition et la délimitation des zones très denses, où la concurrence entre opérateurs s’exerce librement via le déploiement d’infrastructures distinctes. Pour les zones moins denses, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé afin d’identifier les opérateurs volontaires pour y déployer leur réseau. En Île-de- France, Orange et SFR se sont ainsi réparti les territoires sur ces zones dites « zones d’initiative privée » ou encore « zones AMII » (zones d’appel à manifestation d’intention d’investissement), chaque opérateur étant responsable du déploiement dans sa zone, avec l’obligation d’ouvrir son réseau aux autres. Les territoires non couverts par l’initiative privée ont ensuite été classés en zones d’initiative publique (ZIP), principalement situées en grande couronne, le déploiement dans ces zones reposant sur un cofinancement entre l’État, la Région et les Départements.
Ce modèle hybride a nécessité un long processus d’arbitrage avec la Commission européenne, notamment pour valider la légalité des aides publiques. C’est précisément la priorité accordée à l’initiative privée qui a permis d’obtenir cette validation, en garantissant le respect des règles de concurrence.
VERS LES 100 % : LA COMPLÉTUDE, NOUVEL ENJEU
Alors que les taux de couverture, toutes zones confondues, se rapprochent des 100 %, la question de la complétude, c’est-à-dire de l’achèvement des raccordements, prend une importance croissante. En Île-de-France, environ 4 % des locaux restent à raccorder, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), soit près de 290 000 logements et locaux d’activité, toutes zones confondues. Les chiffres montrent une relative homogénéité des taux de couverture actuels, allant de 97 % pour Paris à 94 % pour la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis. Mais, paradoxalement, les plus raccordés ne seront pas forcément les premiers à atteindre la complétude, car, en la matière, tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. La partition originelle en trois zones distinctes se traduit par des contraintes différentes.
Dans les zones d’initiative publique, les délégations de service public mises en place ont intégré dès l’origine un objectif de couverture intégrale2. Le Département de Seine-et-Marne, qui visait initialement 99 % de couverture, a adopté, en 2023, un amendement fixant désormais un objectif de 100 %. Il convient également de mentionner que les réseaux d’initiative publique (RIP), antérieurs au PFTHD, comme ceux portés par le Sipperec (notamment Europ’Essonne pour le FttH), fonctionnent également sous le régime de la délégation de service public avec un objectif de complétude.
Dans les zones intermédiaires, dites « AMII », l’État a mis en place un mécanisme de contractualisation de la complétude via les conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD), signées avec les Régions et les Départements. Toutefois, le suivi de ces engagements reste inégal, et les pénalités prévues en cas de non-respect semblent ne pas être systématiquement appliquées. Dans la pratique, les opérateurs conservent une grande latitude, ce qui peut entraîner des disparités locales : retard de déploiements, voire incertitudes sur la réalité de l’achèvement.
Enfin, dans les zones très denses, l’État a misé sur l’attractivité naturelle du marché pour assurer le déploiement, sans imposer d’obligation de complétude. Celle-ci demeure un objectif mais n’est pas contractualisée et, a minima, la question des délais semble se poser. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, Vanves a été l’une des premières communes à atteindre les 100 % de couverture, avec fermeture du réseau cuivre, tandis que Vaucresson, désormais proche des 97 %, est longtemps restée l’une des communes les moins fibrées d’Île-de-France.
Fiables à l’échelle régionale ou départementale, ces pourcentages doivent toutefois être considérés avec plus de prudence au niveau local. Ils reposent sur des bases de données distinctes : les recensements de l’Insee, réalisés à un instant donné (en l’occurrence, 2018), et les données transmises par les opérateurs, fondées sur l’existant technique. Les écarts peuvent être significatifs, notamment dans les territoires où la dynamique de construction est forte, ce qui rend la marge d’erreur plus importante.
DES INTERROGATIONS SUR LA COMPLÉTUDE ET LA SUPPRESSION DU RÉSEAU CUIVRE
La fibre optique est désormais l’infrastructure de référence pour l’ensemble des services numériques, y compris la téléphonie. Dans cette logique, l’Arcep a autorisé la fermeture complète du réseau cuivre historique à l’horizon 2030. Propriété de l’opérateur Orange depuis la privatisation de France Télécom, il a longtemps permis l’accès à la téléphonie analogique ainsi qu’à Internet via les technologies xDSL (ADSL, SDSL et VDSL). En 2025, il représente encore environ 10 % des accès à Internet en France3.
L’opérateur historique justifie cette décision par le caractère désormais redondant de cette infrastructure, dont la maintenance est devenue coûteuse. La fibre optique, en plus d’être plus performante et de garantir une meilleure qualité de service, consomme environ quatre fois moins d’énergie que le cuivre. Elle est également peu sensible à la charge, avec une faible augmentation de la consommation énergétique même en cas de forte hausse du trafic.
Après une phase expérimentale, la fermeture du réseau cuivre est entrée en phase opérationnelle en janvier 2025. La fermeture commerciale nationale des offres sur cuivre est prévue pour le 31 janvier 2026, tandis que la fermeture technique s’étalera jusqu’en 2030 selon un calendrier progressif en sept lots. Le premier lot, comprenant 162 communes, a été fermé le 31 janvier 2025. Le deuxième, prévu pour le 27 janvier 2026, concerne 829 communes. Les lots suivants s’échelonneront jusqu’en novembre 2030, avec des volumes de plus en plus importants. Cette fermeture est encadrée par l’Arcep, qui impose des conditions préalables, notamment la disponibilité effective d’une offre fibre dans les zones concernées. Toutefois, cette transition soulève plusieurs interrogations, dont la réalité de la complétude. Si quelques rares communes comme Le Mesnil-Saint-Denis (Yvelines) ont déjà mené à bien la fermeture du cuivre, d’autres, concernées par les premiers lots, ont exprimé des réserves. Nombre de collectivités, dont Paris pour certains arrondissements, ou des intercommunalités, comme Coeur d’Essonne, ont demandé un report de la suppression jusqu’à la date limite de 2030. Car les perspectives restent incertaines. En zone très dense, où aucune obligation contractuelle n’existe, et en zone AMII, malgré des engagements théoriques (raccordement complet dans les cinq ans suivant l’installation du point de mutualisation), les opérateurs tardent à finaliser les derniers déploiements. Cette situation est particulièrement marquée dans certaines communes couvertes par des opérateurs privés, où les retards sont plus fréquents.
Outre les réelles difficultés techniques, la cause de ces retards est essentiellement financière, car la complétude représente un coût significatif pour les opérateurs : le dernier pour cent du réseau peut représenter jusqu’à 10 % de l’investissement total. De fait, les derniers chiffres de l’Arcep semblent indiquer un fort ralentissement des déploiements engagés par les opérateurs privés.
Enfin, aux interrogations sur la réalité de la complétude viennent s’ajouter les inquiétudes sur la qualité du réseau, dont la partie terminale subit les conséquences d’un mode de raccordement particulier, dit « mode STOC » (« sous-traitance opérateur commercial »).
LES EFFETS INDÉSIRABLES DU MODE STOC
Le mode STOC, bien que méconnu du grand public, constitue l’un des piliers du plan France Très haut débit. Il repose sur une distinction entre deux types d’acteurs : l’opérateur d’infrastructure (OI), responsable du réseau physique, et l’opérateur commercial (OC), qui fournit le service à l’usager. Cette séparation permet notamment à un abonné de changer d’opérateur commercial sans avoir à modifier son raccordement physique au réseau.
Dans le cadre du PFTHD, le raccordement final de l’usager est confié à l’opérateur commercial, selon le principe du mode STOC. Ce choix, porté par l’État, a permis un déploiement rapide et massif de la fibre, mais il ne fait pas l’unanimité. En effet, ce modèle présente plusieurs limites structurelles. L’opérateur d’infrastructure n’ayant pas la responsabilité de bout en bout du réseau, les interventions en cas de panne ou de dysfonctionnement peuvent se heurter à des renvois de responsabilité entre acteurs.
À cette difficulté s’ajoute un problème de qualité dans la mise en oeuvre du mode STOC. Les pratiques de sous-traitance en cascade, les pressions exercées sur les techniciens et le manque de qualification du personnel sont régulièrement pointés du doigt. Ces dérives ont des conséquences concrètes sur l’état des infrastructures, quel que soit le zonage (ZTD, AMII ou ZIP). Elles peuvent rester invisibles jusqu’à ce qu’un seuil critique soit atteint, entraînant une dégradation progressive des performances du réseau. Dans certains cas, les effets sont immédiats, comme lors de débranchements sauvages pratiqués par des techniciens peu formés, faute de prises disponibles dans des armoires de raccordement déjà saturées ou mal entretenues. Si ces pratiques affectent l’intégrité des réseaux et dégradent la qualité de service, elles nuisent également à l’image de la fibre optique, au point de freiner la migration vers cette technologie dans certaines zones pourtant déjà déployées. Ce phénomène est particulièrement sensible en Île-de-France, où le taux de migration vers la fibre reste inférieur à la moyenne nationale, notamment en raison de la bonne qualité de l’ADSL sur le réseau cuivre et des retours négatifs sur les difficultés de raccordement et la continuité du service. À titre d’exemple, le taux de commercialisation sur le RIP de Seine-et-Marne est de 74 %.
Tous les réseaux sont potentiellement concernés. Des audits menés par certaines collectivités semblent indiquer que près de 70 % des réseaux publics seraient affectés par des malfaçons liées au mode STOC. Les collectivités locales, et en particulier les mairies, se retrouvent en première ligne face à ces problèmes, mais restent largement impuissantes, ne pouvant que tenter de faire pression sur les opérateurs, souvent sans effet, en raison du flou des responsabilités. Face aux dysfonctionnements liés au mode STOC, plusieurs mesures ont été annoncées par les opérateurs commerciaux afin d’améliorer la qualité des interventions. Parmi celles-ci figurent la limitation du nombre de rangs de sous-traitance, la prise de photos avant et après raccordement, ou encore le recours à des outils d’intelligence artificielle pour détecter les anomalies. Si ces dispositifs témoignent d’une volonté d’amélioration, leur efficacité reste sujette à débat et mérite d’être nuancée. Par ailleurs, ces mesures ne concernent que les opérations de raccordement initial, sans s’appliquer aux interventions en cas de panne ou de dégradation du service.
De son côté, l’Arcep a mis en place un observatoire de la qualité des réseaux fibre. Toutefois, celui-ci repose exclusivement sur les données transmises par les opérateurs commerciaux, ce qui limite sa portée. Les pannes de courte durée sont ainsi rarement remontées, alors qu’une succession de microcoupures peut fortement altérer la qualité de service sans apparaître dans les statistiques officielles. Certains opérateurs, en particulier Orange, ont mis en place des procédures indépendantes de contrôle visant à surveiller l’état des équipements mutualisés de raccordement. Ces initiatives semblent porter leurs fruits en termes de fiabilité, mais elles soulèvent également la question du coût, tant pour les opérateurs que pour les collectivités qui en dépendent.
Les réseaux fibre jusqu’à l’abonné sont désormais une réalité pour la majorité des Franciliens. Toutefois, des interrogations persistent quant aux délais, voire à la faisabilité même de la complétude dans certaines zones. Le réseau existant, bien qu’opérationnel, est affecté par les pratiques liées au mode STOC, qui dégradent les installations de mutualisation et altèrent la qualité du service rendu à l’usager. Avec la suppression progressive du réseau cuivre, la fibre optique devient l’unique mode d’accès physique aux services numériques. Dans ce contexte, la pertinence du mode STOC pourrait être réévaluée. Certains acteurs suggèrent de confier les interventions aux opérateurs d’infrastructure (mode OI) une fois les points de mutualisation pleinement utilisés, mais cette hypothèse ne semble pas envisagée à court terme. Il serait néanmoins opportun d’identifier plus précisément les difficultés rencontrées, en agrégeant les données à une échelle départementale, voire régionale, et en dépassant les logiques de zonage.
Enfin, si, à ce stade, la qualité globale des infrastructures n’est pas remise en cause, des disparités subsistent selon les opérateurs. Certains réseaux souffrent d’un mauvais entretien, voire d’un sous-dimensionnement des armoires de raccordement, qui peuvent compromettre la qualité de service à moyen terme. Dans ce contexte, l’éventualité de la vente des actifs de SFR constitue un enjeu majeur. La restructuration en cours chez Altice France, maison mère de SFR, ouvre la voie à une cession par lots, avec plusieurs repreneurs potentiels, dont des opérateurs français, des fonds d’investissement et des acteurs étrangers. Le profil du ou des repreneur(s) sera déterminant pour l’avenir de ces infrastructures, tant en termes de continuité de service que de capacité à investir dans leur modernisation.■
1. Cour des comptes, chambres régionales et territoriales des comptes, « Les soutiens publics en faveur du déploiement de la fibre optique », communication à la Commission des finances du Sénat, avril 2025.
2. Quelques communes, notamment dans les Yvelines, ont choisi de ne pas intégrer les ZIP. Elles se retrouvent aujourd’hui dans des zones sans statut clair, représentant plus de 10 000 prises, et ne bénéficient d’aucune obligation réglementaire de déploiement pour les opérateurs.
3. Source : « La fermeture du réseau cuivre », Arcep, mars 2025.
LOCAUX (LOGEMENTS ET LOCAUX D’ACTIVITÉ) RACCORDABLES OU RACCORDÉS : QUELLE DIFFÉRENCE ?
Local raccordable : la continuité optique existe entre les différents équipements du réseau (point de mutualisation, point de branchement optique et prise terminale optique), mais le raccordement final (jusqu’à l’intérieur du local) n’est pas encore réalisé. Le raccordement sera effectué à la demande du client dans un délai maximum de six mois.
Local raccordé : la continuité optique est établie jusqu’à la prise terminale optique (PTO), ce qui signifie que le local est effectivement connecté au réseau.
LE DÉMANTÈLEMENT DU RÉSEAU CUIVRE
D’ici 2032, près d’un million de kilomètres de câbles devront être recyclés. Cette opération titanesque va mobiliser l’ensemble de la filière française. Les enjeux sont énormes : valoriser le cuivre tout en limitant l’impact environnemental. En Île-de-France, certains des 120 récupérateurs de métaux se sont déjà équipés pour broyer les câbles et séparer les copeaux de plastique de la grenaille de cuivre transformée en matière première. Toutefois, l’étape suivante – l’obtention d’un cuivre affiné à 99,99 %, indispensable pour une utilisation industrielle – dépasse largement les capacités régionales et nationales. Une part importante de cette matière première sera donc probablement traitée hors du territoire, notamment en Allemagne et en Belgique.
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