Descendants d’immigrés en Île-de-France : une mobilité sociale plus favorable qu’en province

Note rapide Société-Habitat, n° 979

20 avril 2023ContactFrançois Michelot, Nadia Boussad (INSEE Île-de-France), Lauren Berthelot (INSEE Île-de-France)

Avec un niveau de diplôme en progression, les descendants d’immigrés résidant en Île-de-France occupent des emplois plus qualifiés que les immigrés, sans toutefois se situer au niveau de la population sans ascendance migratoire directe, qui bénéficie d’un accès à l’emploi et de conditions d’emploi plus favorables. Leur situation est, en revanche, globalement meilleure que celle des descendants d’immigrés de province. Cela s’explique en partie par des opportunités plus grandes en matière de formation et d’emploi.

Depuis un siècle, l’Île-de-France est un territoire de brassage de populations d’origines diverses. Elle constitue l’un des principaux points d’entrée des immigrés (lire Définitions) récemment arrivés en France. C’est aussi la région française qui compte le plus grand nombre d’immigrés. Sur dix immigrés vivant en France métropolitaine en 2019, quatre résident en Île-de- France, alors que la région n’accueille que 18 % de la population nationale. La population active immigrée de la région représente 1,25 million de personnes, qui occupent des emplois souvent peu qualifiés, avec des conditions de travail plutôt difficiles. Leur niveau d’études est globalement moins élevé que celui des actifs non immigrés.

UNE FORTE PRÉSENCE DE DESCENDANTS D’IMMIGRÉS EN ÎLE-DE-FRANCE

À l’image des immigrés, les descendants d’immigrés (lire Définitions) sont eux aussi surreprésentés en Île-de-France : 1,36 million de Franciliens âgés de 18 à 59 ans sont nés en France et ont au moins un parent immigré. La région capitale concentre à elle seule plus du tiers des descendants d’immigrés habitant en France. Ils y représentent 20 % de la population totale du même âge, une proportion deux fois plus importante qu’en province. La sédimentation de vagues migratoires successives aboutit à un profil régional singulier de la population immigrée et de sa descendance, tant du point de vue des origines que de l’âge. Arrivés le plus récemment, les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie sont, en proportion, plus présents en Île-de- France qu’en province. En 2019, en Île-de-France, la moitié des descendants d’immigrés âgés de 18 à 59 ans ont au moins un de leurs deux parents originaire d’Afrique, principalement du Maghreb. Cette caractéristique diffère de ce qui est observé en province, où l’Europe figure comme premier continent d’origine des parents. Les personnes nées de deux parents immigrés sont également surreprésentées en Île-de-France : deux tiers des descendants d’immigrés, contre la moitié en province. Les descendants d’immigrés forment une population plus jeune que celle des immigrés et que celle sans ascendance migratoire directe (voir graphique ci-dessous). Également observé en province, ce constat est plus marqué en Île-de-France, où quatre descendants d’immigrés sur dix sont âgés de 18 à 29 ans.

 

 

DES DESCENDANTS D’IMMIGRÉS PLUS DIPLÔMÉS EN ÎLE-DE-FRANCE

Le niveau de diplôme des descendants d’immigrés est significativement plus élevé que celui des immigrés, mais sans atteindre celui de la population sans ascendance migratoire directe. Ce constat tient notamment à l’offre de formation dans l’enseignement supérieur particulièrement importante en Île-de-France. Ayant, pour la majorité d’entre eux, connu le système éducatif français, les descendants d’immigrés franciliens sont rarement non diplômés : 8 % sont dans cette situation, une part à peine supérieure à celle observée pour la population sans ascendance migratoire directe et trois fois moindre que pour les immigrés (voir graphique ci-dessous). En Île-de-France, la part de personnes possédant un diplôme de niveau supérieur au baccalauréat est inférieure de 13 points chez les descendants d’immigrés comparativement à la population sans ascendance migratoire directe (45 %, contre 58 %). Les descendants d’immigrés franciliens accèdent toutefois nettement plus souvent aux diplômes de l’enseignement supérieur que leurs homologues de province. Le contexte francilien y contribue puisque l’espérance d’obtenir le baccalauréat est structurellement plus importante en Île-de-France que dans les autres régions.

 

 

UN ACCÈS PLUS DIFFICILE À L’EMPLOI

En Île-de-France, les taux d’activité (lire Définitions) des descendants d’immigrés sont nettement inférieurs à ceux observés dans la population sans ascendance migratoire directe. Cela s’explique en partie par la jeunesse de la population des descendants d’immigrés et par la surreprésentation des étudiants parmi eux (un sur six). Pour les immigrés, le plus faible niveau du taux d’activité s’explique davantage par la proportion importante de femmes (et d’hommes) au foyer. Pour les seuls adultes âgés de 25 à 59 ans, les taux d’activité des descendants d’immigrés se situent entre ceux des immigrés et ceux de la population sans ascendance migratoire directe (voir graphique ci-dessous). Les taux de chômage des descendants d’immigrés (12 %) et des immigrés (13 %) sont plus élevés que celui de la population sans ascendance migratoire directe (8 %). En la matière, la situation est quasi similaire en province (+1 point pour chacune des trois catégories). En Île-de-France comme en province, près de huit descendants d’immigrés sur dix occupent un emploi alors que la population sans ascendance migratoire directe présente des taux d’emploi plus élevés (88 % en Île-de-France et 83 % en province). Ces différences sont notamment imputables aux écarts de taux d’emploi entre hommes et femmes (8 points), écarts qui sont nettement plus élevés parmi les immigrés (20 points) et moindres au sein de la population sans ascendance migratoire directe (4 points).

 

 

DES CONDITIONS D’EMPLOI PLUS SOUVENT ATYPIQUES POUR LES FEMMES ET LES MOINS DIPLÔMÉS

Globalement, les personnes en emploi sont très majoritairement salariées. Mais des différences existent selon le statut migratoire. Ainsi, 80 % des descendants d’immigrés sont salariés, une part identique à celle des immigrés mais inférieure à celle de la population sans ascendance migratoire directe (84 %). En effet, les descendants d’immigrés sont, comme les immigrés, moins présents parmi les salariés du secteur public. Ils exercent en revanche davantage des activités sous le statut d’indépendant. Le travail à temps partiel est un peu plus fréquent chez les immigrés que chez les descendants d’immigrés ou parmi la population sans ascendance migratoire directe. Mais les différences apparaissent surtout entre hommes et femmes : les descendantes d’immigrés sont deux fois plus nombreuses que leurs homologues masculins à occuper un emploi à temps partiel et, au sein de la population immigrée, les femmes à temps partiel le sont trois fois plus. Le travail le dimanche ou de nuit concerne à parts égales immigrés, descendants d’immigrés et population sans ascendance migratoire directe. Un actif sur cinq travaille le dimanche et 11 % des actifs travaillent de nuit. Concernant davantage les emplois les moins qualifiés, le travail de nuit est moins répandu en Île-de-France qu’en province. En Île-de- France, la moitié des travailleurs de nuit immigrés ou descendants d’immigrés ont un diplôme inférieur ou égal au bac, contre un travailleur de nuit sur trois de la population sans ascendance migratoire directe.

DES DESCENDANTS D’IMMIGRÉS PLUS QUALIFIÉS MAIS MOINS SOUVENT CADRES

Les descendants d’immigrés franciliens exercent nettement moins souvent un métier de cadre ou une profession libérale que la population sans ascendance migratoire directe : ces professions concernent seulement deux descendants d’immigrés sur dix, une part équivalente à celle observée chez les immigrés. Ce constat tient notamment aux écarts de niveaux de diplômes. Par ailleurs, si les descendants d’immigrés accèdent aux professions intermédiaires dans les mêmes proportions que la population sans ascendance migratoire directe (voir graphique ci-dessous), ils occupent néanmoins plus souvent des postes d’employés non qualifiés. De manière générale, les descendants d’immigrés sont moins présents que les immigrés parmi les employés non qualifiés, et surreprésentés parmi les employés qualifiés (administratif, banques, assurances…). Ce constat est à relier au contexte de tertiarisation de l’économie, et donc au recul de la part des ouvriers dans la population active : les descendants d’immigrés en Île-de-France occupent rarement des emplois de ce type (10 % exercent en tant qu’ouvriers, contre plus de 20 % pour les immigrés).

 

 

UNE PLUS GRANDE MOBILITÉ SOCIALE EN ÎLE-DE-FRANCE QU’EN PROVINCE

En 2019, en Île-de-France, 37 % des descendants d’immigrés occupent un emploi de cadre ou de profession intermédiaire alors que ce n’était pas le cas de leurs parents (voir graphique ci-dessous). Ainsi mesurée, la mobilité sociale ascendante (lire Définitions) apparaît, en Île-de-France, plus fréquente qu’en province (25 %). À l’échelle de l’ensemble de la population, la mobilité sociale ascendante (lire Définitions) est aussi fréquente en 2019 qu’en 2009. En Île-de-France comme en province, 20 % des cadres et professions intermédiaires de moins de 50 ans occupent ces emplois alors que ce n’était pas le cas de leurs parents. Ainsi, les descendants d’immigrés ont connu une mobilité sociale ascendante plus importante que le reste de la population, et ce, d’autant plus qu’ils résident en Île-de-France. La mobilité sociale ascendante est encore plus marquée parmi les personnes dont les deux parents étaient immigrés. En outre, en dix ans, la part des cadres et professions intermédiaires parmi les descendants d’immigrés a significativement augmenté : elle est passée de 25 % à 34 % en province et de 38 % à 48 % en Îlede- France. Elle reste néanmoins inférieure à celle observée parmi la population sans ascendance migratoire directe, parmi laquelle la progression durant ces dix années a été encore plus forte.

 

 

À DIPLÔME ÉGAL, UN MOINDRE RENDEMENT SUR LA CATÉGORIE D’EMPLOI OCCUPÉ

Globalement, les descendants d’immigrés ont un niveau d’éducation supérieur à celui de leurs parents. Pour autant, à âge et niveau de diplôme identiques, les descendants d’immigrés n’occupent pas les mêmes postes que la population sans ascendance migratoire directe. En Île-de-France, dans la population sans ascendance migratoire directe, 61 % des détenteurs du baccalauréat exercent un métier de cadre ou de profession intermédiaire. Cela n’est le cas que de 40 % des descendants d’immigrés franciliens. Les différences sont toutefois moindres pour les actifs les plus diplômés (niveau bac+3 ou plus). La moindre adéquation entre diplôme et qualification de l’emploi est encore plus marquée pour les immigrés, avec une situation toutefois plus favorable en Île-de-France qu’en province. Pour les descendants d’immigrés, cette inadéquation pourrait s’expliquer en partie par le type de diplôme et par une certaine forme d’autocensure ou de discrimination à l’embauche. Dans l’enquête TeO, les descendants d’immigrés expriment un peu plus souvent que la population sans ascendance migratoire directe un « sentiment de déclassement », considérant que leur emploi actuel n’est pas à la hauteur de leur niveau de compétences. La détention d’un diplôme de l’enseignement supérieur reste cependant le principal levier de mobilité sociale ascendante.■

 

L’ENQUÊTE TRAJECTOIRES ET ORIGINES 2 (TEO2)

Coproduite par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Insee, l’enquête Trajectoires et Origines 2 (TeO2), collectée en 2019-2020, est une réédition de l’enquête TeO1 (2008-2009). Elle reprend les grands principes de la première édition : 60 % des questions sont identiques et la stratégie d’échantillonnage est similaire. Le champ de TeO2 est celui des individus âgés de 18 à 59 ans vivant en logement ordinaire (hors résidences pour étudiants, personnes âgées, personnes handicapées…) en France métropolitaine. L’enquête a été effectuée auprès d’environ 27 200 personnes (dont 7 300 en Île-de-France), avec l’objectif de réaliser des analyses fines sur les principaux groupes de population qui ont une expérience directe ou indirecte de la migration vers la France métropolitaine. Les immigrés et les natifs d’outre-mer, ainsi que leurs enfants nés en France métropolitaine, ont donc été surreprésentés. L’échantillon comprend par ailleurs des individus représentatifs du reste de la population. L’échantillonnage de TeO1 n’ayant pas permis de couvrir les descendants d’immigrés âgés de 50 à 59 ans, les comparaisons menées dans ce travail ne portent que sur ceux âgés de 18 à 49 ans. Le questionnaire de TeO2 renseigne sur l’histoire migratoire des répondants et/ou de leurs parents, et décrit leurs parcours scolaires et professionnels, leur histoire familiale, leur vie de couple, leurs enfants, leurs conditions de logement, leur santé, ainsi que la transmission des langues et de la religion. De façon transversale, il examine l’accès des individus aux ressources de la vie sociale (école, travail, logement, services, soins, etc.) ainsi que les discriminations pouvant y faire obstacle.

 

DÉFINITIONS

L’enquête TeO utilise des définitions et des concepts un peu différents de ceux utilisés habituellement par l’Insee.
Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Un individu continue à être immigré même s’il acquiert la nationalité française. Les personnes nées françaises à l’étranger et vivant en France ne sont pas immigrées. Toutefois, dans TeO, pour tenir compte notamment des spécificités des anciennes colonies, les personnes françaises par réintégration sont classées parmi les immigrées.
Un descendant d’immigrés (de deuxième génération) est une personne née en France métropolitaine ayant au moins un parent immigré. Dans TeO, les parents nés français dans une ancienne colonie qui auraient perdu leur nationalité française à l’indépendance sont reclassés comme immigrés.
La population sans ascendance migratoire directe est l’ensemble des personnes n’étant ni immigrées, ni descendantes d’immigrés. Les natifs d’outre-mer sont ici considérés comme partie intégrante de la population sans ascendance migratoire directe.
Le taux d’activité est le rapport entre le nombre d’actifs (personnes en emploi et chômeurs) et l’ensemble de la population correspondante.
Le taux d’emploi est le rapport entre le nombre de personnes en emploi et le nombre total de personnes.
La mobilité sociale correspond à des situations où une personne relève d’un groupe socioprofessionnel différent de ses parents auquel elle est comparée. Dans cette étude, on considère que la mobilité est « ascendante » si la personne interrogée occupe un poste de cadre ou une profession intermédiaire alors que ses parents n’appartiennent pas à ces groupes socioprofessionnels. Inversement, la mobilité est « descendante » lorsque la personne interrogée n’occupe pas un poste de cadre ou une profession intermédiaire alors que ses parents appartiennent à ces groupes socioprofessionnels.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Société et habitat | Démographie | Disparités | Éducation et formation