Le lycée francilien, terrain d'expérimentation spatiale et pédagogique

Note rapide Société-Habitat, n° 962

10 novembre 2022ContactIsabelle Barazza, Corinne de Berny Riche

La Région Île-de-France assure la gestion d'un parc de 474 lycées publics et occupe de fait un rôle de maître d'ouvrage majeur, notamment à travers la mise en œuvre de son plan d'urgence pour les lycées 2017-2027. Tout en se mobilisant sur les opérations de construction, restructuration, extension et rénovation de ce parc, la Région engage une réflexion qui porte sur l'évolution de l'environnement scolaire et des modèles de transmission des savoirs.

Lycée innovant », « lycée du futur », « lycée 4.0 »… la littérature consacrée au lycée du XXIe siècle annonce nombre de révolutions qui s’inscrivent dans la longue histoire de la transformation de l’espace scolaire. Particulièrement depuis une décennie, le lycée connaît des bouleversements qui ont des répercussions aussi bien sur la mise en œuvre pédagogique que sur l’organisation de ses espaces – bâtis et extérieurs – et sur ses équipements. La réforme du baccalauréat et ses incidences pédagogiques, les nouveaux usages numériques, la mise en conformité des équipements publics avec la réglementation environnementale, ainsi que les attentes du monde économique en matière de formation, associées aux enjeux de l’intégration professionnelle des jeunes, offrent ainsi une occasion sans précédent d’accélérer la mue du lycée. Cet espace se conçoit aujourd’hui comme un écosystème multifonctionnel ouvert sur la cité et accueillant des publics diversifiés, renouvelant ainsi l’ensemble du projet éducatif dans ses composantes spatiale et environnementale, sociétale, pédagogique et cognitive.

LA PROGRAMMATION DES LYCÉES : UNE ÉVOLUTION DES USAGES ET DES ESPACES

Lieu d’acquisition des connaissances, d’expression pédagogique, de socialisation et d’ouverture sur le monde, le lycée occupe une place particulière dans la conception architecturale, du fait de la nature de son public et des enjeux éducatifs. Il est aujourd’hui repensé, et les opérations de rénovation, restructuration et construction doivent s’adapter à la typologie variée des bâtis (lycées parisiens patrimoniaux, lycées issus de la période de forte production 1960-1970, etc.) comme à l’hétérogénéité de leur environnement (zones urbaines, périurbaines, rurales…).

Adaptabilité et réversibilité des espaces

Plusieurs composantes des lycées font l’objet d’un nouveau regard pour améliorer l’adéquation entre l’espace, le projet éducatif et les interactions entre les personnes (élèves, professeurs, personnels administratifs et techniques, ou intervenants extérieurs). La conception architecturale vise à réduire les éléments fixes, bâti et mobilier. La salle de classe se caractérise ainsi par un espace évolutif pouvant accueillir une classe ou un demi-groupe d’élèves. Dans les opérations de second œuvre également, une attention particulière est portée sur l’implantation de certains dispositifs (la ventilation, par exemple) afin de créer une structure de bâti évolutive et facilement restructurable en cas de besoin. Traditionnellement lieu de transit desservant des salles de classe, le couloir est aujourd’hui aménagé avec des espaces de détente et de socialisation offrant aux élèves une assise pour réviser sur le pouce, se rencontrer ou discuter. Le hall, souvent impersonnel, est restructuré dans son ambiance afin de devenir un espace d’accueil et d’information pour les parents, et un lieu de convivialité. Si la « cantine » est un terrain plus contraint pour des raisons d’hygiène, des aménagements peuvent être réalisés au cas par cas afin de valoriser ce grand espace et d’y intégrer d’autres usages (salle de projection, de réunion, de conférence, etc.). La diversification des usages de ces espaces a une incidence sur leur dimensionnement : elle implique de la « surface en plus » (+20 %) et une hausse du budget équipement, le mobilier mobile étant plus coûteux.

Mutualisation des espaces : entre ouverture sur la cité et exigence de sécurité

Une autre caractéristique des nouveaux lycées réside dans le partage de ces espaces entre divers usagers, internes à la communauté scolaire ou externes (associations, entreprises, habitants du quartier…). Des réflexions sont en cours sur la destination des bâtiments en dehors des temps d’étude, avec une nouvelle amplitude d’ouverture : le week-end, pour des élèves qui ne bénéficient pas de bonnes conditions afin d’étudier chez eux, ou pendant les vacances scolaires, pour un partage des lieux avec des associations, des fablabs, des acteurs économiques, etc. La dichotomie entre espace fermé et sécurisé/espace public et partagé a des conséquences en matière de programmation et de gestion de la structure scolaire. La salle polyvalente et certains équipements sportifs se prêtent le mieux à cette mise en relation du lycée avec la cité. Dans les nouvelles programmations, le lycée est configuré pour qu’un public extérieur accède à ces espaces depuis le parvis, sans transiter par les bâtiments scolaires. Ils deviennent ainsi des équipements publics à part entière en dehors des heures d’ouverture du lycée, y compris pendant les vacances scolaires (à la discrétion du proviseur). Le gymnase du lycée Pauline-Roland, à Chevilly-Larue (94), est ainsi géré par la commune. Le réaménagement d’un lycée peut aussi participer à la création d’une nouvelle polarité urbaine intégrant un site patrimonial alentour, comme cela est envisagé pour le campus de Coulommiers, à proximité d’une commanderie des templiers du XIIe siècle. Le CDI sera conçu non plus comme un simple « dépôt de livres », mais comme un lieu réversible : centre de ressources, de conférences et d’expositions, salles de travail en groupe ou avec élèves et professeurs, etc. Ce nouveau fonctionnement peut exiger davantage de ressources humaines. Certaines réhabilitations prévoient un traitement paysager qui offre un partage des espaces verts, comme au lycée Paul-Valéry, à Paris (12e) : une partie du petit parc paysager sera accessible au public en dehors des horaires scolaires grâce à un système de portillons qui s’ouvriront sur le boulevard Soult.

UNE ACCÉLÉRATION DU DÉVELOPPEMENT NUMÉRIQUE

La stratégie numérique francilienne marque également une nouvelle étape dans le déploiement des politiques éducatives. La création d’un socle technique permet de fournir les services pédagogiques numériques à l’échelle régionale grâce au PC portable pour accéder aux ressources « à n’importe quelle heure et de n’importe quel lieu ». Le numérique n’est plus circonscrit à des salles dédiées, hormis pour certaines filières techniques. Ainsi, depuis 2016, la stratégie du lycée régional 100 % numérique a conduit à la rénovation intégrale de l’infrastructure Internet et des serveurs afin d’assurer la connexion à très haut débit et le wi-fi dans l’ensemble des établissements, parallèlement au développement du parc informatique, qui compte 400 000 postes individuels à ce jour. Partie centrale de ce socle technique, l’espace numérique de travail (ENT), mis en place en 2017, constitue le portail d’entrée de la scolarité pour chaque élève. Sur la plate-forme monlycee.net, le réseau social éducatif financé par la Région, les utilisateurs ont également accès à des services de webconférence, avec une capacité d’accueil de plus de 8 000 utilisateurs en simultané. Ce développement informatique repose sur une mixité des usages : en complément des ordinateurs, des tablettes numériques ont été distribuées pour une utilisation plus pratique dans les ateliers des filières professionnelles. Dans ce contexte, la Région redouble d’attention afin d’éviter tout dysfonctionnement technique alors que les connexions sur l’ENT peuvent atteindre des pics de 2 à 4 millions certains jours. Mis en place à l’occasion de la réforme du baccalauréat, le manuel scolaire numérique peut être complété par de multiples ressources en ligne facilitant l’autonomie dans les apprentissages (Edumalin, SchoolMouv, etc.), l’accompagnement éducatif et culturel (Educ’Arte, Maskott, etc.), ou d’autres encore, axées sur des points précis du programme scolaire : la plate-forme régionale Qioz, destinée au grand public pour l’apprentissage des langues étrangères, permet aussi aux professeurs de suivre les progrès de leurs élèves inscrits sur le portail. Toutefois, des choix pédagogiques, comme la conservation de manuels d’exercices « papier » dans certaines filières, sont respectés. Ce développement numérique ne se réduit pas à la seule appropriation technique de la part des utilisateurs. Ces nouveaux usages ont modifié la communication globale au sein de la classe. Ils favorisent une manière d’enseigner plus dynamique et confèrent une nouvelle posture pédagogique à l’enseignant. La transmission du savoir s’opère dans une interaction étroite avec les élèves, et entre les élèves eux-mêmes, encourageant la participation et l’apprentissage coopératif. Si le tableau blanc classique est conservé dans la classe, le grand écran tactile offre, par exemple, la possibilité d’afficher l’écran d’ordinateur de l’enseignant ou d’un élève pour une visualisation collective, mais aussi de projeter des vidéos et des travaux élaborés en groupe.

UN LYCÉE DÉMONSTRATEUR DE LA TRANSFORMATION ÉCOLOGIQUE

La Région Île-de-France a élaboré deux documents-cadres qui énumèrent les critères et les obligations de l’aménagement durable. Le programme technique et environnemental formule des prescriptions techniques concernant la gestion de chantier à impact optimisé (réemploi des matériaux, déconstruction sélective, etc.), le bâti, les équipements, les réseaux, les aménagements intérieurs et extérieurs ; et d’autre part des prescriptions environnementales relatives à la préservation de la biodiversité, à la maîtrise de l’énergie, au mode constructif, à la qualité de l’air et à l’acoustique, qui seront adaptées à chaque site et ouvrage existant. Ce programme est complété par des indicateurs environnementaux actualisés annuellement, permettant d’atteindre les objectifs fixés par la nouvelle réglementation environnementale (RE20202) et de développer une politique environnementale homogène à l’échelle du territoire.

Sobriété énergétique et bioclimatisme

Cette partie du programme fait l’objet d’une actualisation pour intégrer la RE2020, qui encadre la performance énergétique des bâtiments neufs (énergie positive et faible empreinte carbone sur l’ensemble de leur cycle de vie) et s’applique aux bâtiments scolaires depuis le 1er juillet 2022. L’objectif E3C1 du label Énergie Carbone E+C- est toutefois déjà atteint pour les constructions scolaires depuis 2017. Il s’agit de produire un lycée sobre grâce à une conception bioclimatique des bâtiments, qui définit leur orientation, leur équipement en protections solaires, les ratios de surfaces vitrées, l’isolation des façades et la mise en place de toitures végétalisées (82 000 m2 livrés et 68 000 m2 à l’étude). Ces aménagements permettent de limiter les besoins en chauffage durant l’hiver et d’apporter le rafraîchissement nécessaire pour le confort d’été. L’utilisation de matériaux biosourcés est requise à hauteur de 18 kg/m2 minimum, seuil augmenté à 40 %/m2 sur 20 % des opérations de construction qui ont signé le pacte Fibois. Enfin, l’enjeu est de réduire la consommation d’énergies non renouvelables. Selon la configuration du site, et lorsque celui-ci n’est pas raccordé au réseau de chauffage urbain, plusieurs systèmes d’énergies renouvelables peuvent être mis en place, avec l’objectif de tendre vers le niveau E3 du label E+C- : chaufferies biomasse (avec filière bois à proximité) ou géothermie, éoliennes urbaines, panneaux photovoltaïques, cogénération, cheminée solaire…

L’engagement pour des chantiers verts

L’une des dernières évolutions environnementales concerne le réemploi des déchets de chantiers. Aussi, depuis 2020, la Région s’est adjoint les compétences de deux assistances à maîtrise d’ouvrage (AMO) spécialisées dans l’économie circulaire pour mettre en oeuvre l’objectif zéro déchet valorisable enfoui : tout ce qui peut être réutilisé ne doit plus « partir à la benne », mais en filière spécifique. Sur d’autres projets, une démarche de déconstruction sélective est opérée : le béton démoli peut être concassé pour faire office de fond de forme ou de matériau de voirie et réseaux divers (VRD) sur le même chantier. Cette gestion écologique des chantiers suit les objectifs fixés par la Charte chantier vert préconisant que 80 % des terres excavées soient réutilisées sur le site afin de ne pas contribuer à la circulation des terres, avec une balance déblai/remblai proche de zéro.

Désimperméabilisation et verdissement des espaces extérieurs

Alors que les bâtiments sont assez compacts et n’occupent que le quart de la surface des lycées en moyenne, la principale cause de l’artificialisation des sites réside dans les surfaces dédiées aux cours de récréation et aux parkings. Aujourd’hui, la démarche sur les espaces extérieurs vise à éviter les enrobés et à les remplacer par des revêtements perméables : un « technosol » a, par exemple, été réalisé au lycée Paul-Valéry, créé à partir des terres inertes issues du chantier mélangées à un compost de déchets verts pour produire un substrat fertile. La cour de récréation concentre beaucoup d’attentes, notamment la redéfinition des espaces verts pour y développer de nouveaux usages : installation de tables de pique-nique pour déjeuner, création de potagers encadrés par des professeurs pour mettre en pratique les cours de sciences de la vie et de la terre (SVT)…

Une pédagogie environnementale à développer pour tous les usagers

Le lycée, inscrit aujourd’hui dans une démarche HQE, participe à l’éducation écologique de l’ensemble de ses utilisateurs. Il devient en premier lieu un espace éducatif qui favorise l’éclosion d’une sensibilité écologique des élèves, et les engage dans une prise de conscience et des démarches vertueuses. De nouvelles fonctions et compétences doivent aussi être acquises. Constructeur et mainteneur assurent désormais des sessions de formation auprès des enseignants afin qu’ils s’approprient les données recueillies par les capteurs disposés sur les sites, et auprès des agents d’entretien. Au lycée Pauline-Roland, ces derniers apprennent les techniques spécifiques de la maintenance des systèmes de gestion écologique, comme l’entretien d’une toiture végétalisée.

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SERVICE DU PROJET ÉDUCATIF ET DE LA GESTION DES BÂTIMENTS

La transformation du lycée francilien se réalise également autour d’expérimentations éducatives et de nouveaux espaces pouvant les accueillir. Site pilote de la stratégie nationale des « campus des métiers et des qualifications », le projet de rénovation du lycée Paul-Valéry donnera ainsi naissance au premier campus français dédié à l’intelligence artificielle (IA). L’innovation pédagogique y est développée par des EdTech (start-up spécialisés dans les nouvelles technologies de l’éducation) soutenues par la Région, notamment la société EvidenceB. Grâce à l’IA, l’apprentissage sur le mode échec/réussite est individualisé, avec des exercices qui évaluent en permanence les compétences acquises ou non par les élèves. Une application particulièrement efficace pour l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire est aujourd’hui en cours d’expérimentation dans l’ensemble des lycées franciliens. Dès l’entrée du site, un bâtiment totem, souligné par des accroches lumineuses, signe sa vocation. Il hébergera un fablab ouvert à des publics extérieurs, créé en partenariat avec l’European Institute of Technology (Epitech), spécialisé dans les formations en expertise informatique et numérique. Implanté par la Région, ce lieu sera l’épicentre du développement de projets éducatifs innovants. L’IA n’a pas une seule application pédagogique. Elle est également mise en œuvre sur le plan architectural, fonctionnel et technique. Dès la phase chantier, l’outil Smart Impulse (solution de mesure énergétique) identifie les postes les plus consommateurs en énergie et permet d’apporter les réponses correctives. Le lycée est équipé de multiples capteurs : détecteur de présence, sonde hygrométrique, sonde CO2, système embarqué de détection de pannes, etc. Les données recueillies alimenteront à la fois le projet pédagogique environnemental et celui de la maintenance prédictive grâce aux remontées d’anomalies détectées. Ces données partagées entre le gestionnaire, les enseignants et les élèves permettront à ces derniers de concevoir des modèles évolutifs sur l’état de fonctionnement des systèmes et l’anticipation des interventions techniques.

Afin d’accélérer la modernisation de ses établissements, la Région expérimente elle-même en matière de processus constructif. L’approche lean management sera ainsi testée lors de la réhabilitation globale du lycée de Meaux (77). Avec une conception industrielle du chantier, cette gestion de projet s’appuie sur un planning interactif et collaboratif en temps réel réunissant toute la chaîne des intervenants. En phase opérationnelle, l’ensemble des tâches est programmé afin de réduire toute forme de gaspillage et d’aléa (temps, matériel, main-d’œuvre…) : une optimisation continue du temps, et donc des coûts, qui est facteur d’accélération dans la production du lycée. Par ailleurs, la réforme de la commande publique introduit une nouvelle procédure qui a également une certaine incidence sur cette production, en renouvelant la chaîne organisationnelle des projets. Le marché public global de performance (MPGP), contrairement aux marchés séparés, offre la possibilité à la maîtrise d’ouvrage régionale de sélectionner des candidats réunis en un groupement qui concentre les compétences de conception, de réalisation et de maintenance. Ce cadre contractuel lui permet d’aborder la commande de manière globale et intégrée, de fixer des objectifs de performance forts, chiffrés et mesurables en matière environnementale, complémentaires de la maîtrise du coût total de l’opération et de ses délais. Ce renforcement des responsabilités pour les trois acteurs clés – architecte, constructeur et mainteneur – garantit des résultats de performance énergétique et de durabilité des ouvrages sur le long terme (le mainteneur est lié par un contrat de dix ans). À court et moyen termes, ce mode d’élaboration tripartite du projet – les propositions travaillées simultanément sur un plan architectural, technique et fonctionnel – facilite la mise en œuvre des opérations Lycées au service d’une efficacité programmatique et environnementale.■

Nos remerciements à tous nos interlocuteurs du pôle Lycées, à sa direction des opérations, à sa direction du patrimoine et de la maintenance, et à son service des études générales et environnementales : Philippe Auzet, Laure Capron, Pascal Coroller, Julia Coutou, Marie-Cécile Demaison, Morgane Duval, Lorna Farre, Sophie Gicquel, Guillaume Nowak, Sandrine Rollin, Philippe Segonds et Aurore Tourne.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Éducation et formation | Équipements et services

Études apparentées