L’impact urbain des Jeux de Paris 2024 : comment mener la démarche évaluative après l’événement ?

Note rapide Planification, n° 1010

10 juin 2024ContactAgnès Parnaix

Cet été, les Jeux olympiques et paralympiques vont mettre la France, l’Île-de-France et Paris au « centre du monde ». Viendra ensuite le temps de l’héritage, non moins riche de promesses. Avec le soutien de la Région Île-de-France et de l’État, L’Institut Paris Region évaluera les transformations urbaines à l'œuvre pour les territoires concernés ainsi que leur cortège d’effets à court, moyen et long termes pour les habitants.

Dans quelques semaines auront lieu les Jeux d’été de Paris 2024, un événement qui ne s’était pas tenu en France depuis 1924. C’est même une première en ce qui concerne les Jeux paralympiques. Dès les Jeux de Barcelone (1992), les candidats tirent argument de l’effet de levier urbain de l’événement, mais c’est seulement à partir de ceux de Londres (2012) que l’héritage urbain devient officiellement l’un des critères de sélection de la ville hôte par le Comité international olympique (CIO). L’héritage (« Legacy », en anglais) – urbain, notamment –, et la durabilité sont promus en réponse aux coûts d’organisation croissants et à la désaffection grandissante des villes et des populations vis-à-vis de l’accueil de méga-événements. La notion d’« héritage urbain » comporte à cet égard plusieurs dimensions : accélération du développement et du renouvellement urbain, développement et réhabilitation des équipements publics (sportifs, notamment), amélioration structurelle de l’offre de transports, développement de liaisons urbaines, de logements ou d’espaces verts…

LA CANDIDATURE DE PARIS 2024 BÂTIE AUTOUR DE L’HÉRITAGE

La candidature de Paris 2024 est néanmoins la première à s’inscrire, dès l’origine, dans le nouvel agenda 2020 du CIO visant à concevoir des Jeux qui « s’harmonisent parfaitement avec les plans et les priorités à long terme des futurs hôtes ». Sélectionné en 2017, le dossier de candidature de Paris 2024 affiche clairement une volonté partagée de léguer un héritage durable. Cela se traduit en particulier par le choix du territoire qui concentre le plus d’investissements pour les Jeux, la Seine-Saint-Denis, département qui cumule des fractures urbaines ainsi que des difficultés socio-économiques et environnementales. Cette décision s’inscrit explicitement dans le processus engagé depuis les années 1990 pour la régénération urbaine, économique et sociale de ce territoire, prioritaire dans l’action publique et les schémas d’aménagement successifs de la région Île-de-France. Même si l’essentiel des ouvrages pérennes des Jeux de Paris 2024 se situe au nord de la métropole, plus particulièrement sur les territoires des établissements publics territoriaux (EPT) Plaine Commune et Paris Terres d’Envol, l’évaluation de l’impact urbain des Jeux prendra en compte la région Île-de-France dans son ensemble : ouvrages et aménagements à Colombes, Vaires-sur-Marne, Saint-Quentin-en-Yvelines et colline d’Élancourt (voir carte), transformation d’espaces publics qui pourraient être pérennes à Paris, etc.

 

 

La candidature de Paris fait aussi le pari de Jeux sobres et « compacts », avec de nombreuses épreuves prévues dans un rayon de 10 km autour du village des athlètes. Elle affiche un objectif de réduction de moitié des émissions carbone par rapport aux précédentes éditions et de compensation intégrale de son impact carbone. Par ailleurs, les organisateurs ont pris le parti, pour 95 % des sites de compétition, de réinvestir des équipements sportifs et culturels déjà existants ou de bâtir des structures temporaires le temps des Jeux. Ils entendent ainsi éviter la construction d’« éléphants blancs », des réalisations prestigieuses et coûteuses qui, faute de répondre à des besoins réels, finissent par être abandonnées, à l’instar de certains ouvrages des Jeux d’Athènes, de Turin ou de Rio.

UNE PRÉPARATION DE L’ÉVALUATION AVEC GOUVERNANCE REPRÉSENTATIVE DES PARTIES PRENANTES

Dès la phase de préparation de l’évaluation, une grande attention a été portée à l’analyse de l’ensemble des acteurs impliqués sur le plan urbain et aux modalités de leur association durant l’étude. La légitimité d’une évaluation tient en effet pour beaucoup à la diversité des « parties » qui contribuent à son élaboration. Un schéma, le « sociogramme », a été construit afin de traduire de façon compréhensible et partagée la chaîne des acteurs impliqués dans la production de l’héritage urbain. La gouvernance de l’évaluation, le protocole et la communication liée à l’étude en découlent, afin d’assurer une bonne représentativité de chaque catégorie d’acteurs et de garantir in fine la qualité des résultats.

 

 

Ce schéma, à actualiser en fonction des transformations à venir de l’écosystème, distingue en particulier les concepteurs du projet, les bénéficiaires directs ou indirects, ainsi que toute la sphère des responsables intermédiaires associés à sa concrétisation.
La phase préparatoire de l’évaluation a été resserrée autour d’un comité de pilotage formé de représentants de l’État (Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques, ministère de la Transition écologique – Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages-DHUP, DRIEAT, Unité départementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports-UDEAT 93) et enrichie notamment par la participation de « décideurs », (collectivités territoriales, groupements, etc.). Cette étape achevée, la gouvernance de l’étude sera élargie. Ce comité de pilotage étendu valide chaque étape de l’étude. Il comprend des représentants de tous les « décideurs ». Un comité des parties prenantes d’une cinquantaine de membres émanant de toutes les catégories d’acteurs du « sociogramme » sera constitué. Garant de l’expression d’une variété de points de vue, ce comité participe aux grandes phases de l’évaluation, donne son avis sur les orientations proposées, émet des suggestions et apporte sa contribution lors des temps de recueil d’informations.

DE FORTES ATTENTES EN MATIÈRE D’HÉRITAGE URBAIN

Durant la phase de préparation de l’évaluation, les attentes des porteurs de la candidature en matière d’héritage urbain ont d’abord été décryptées en partant d’une analyse documentaire approfondie (dossier de candidature, plans d’accompagnement et plans « héritages » des institutions concernées, etc.). Elles ont ensuite été schématisées et hiérarchisées dans un « arbre des objectifs » (voir ci-dessous). Les acteurs interrogés au cours de cette étape se sont accordés sans difficulté sur cette représentation, qu’ils ont ajustée à la marge.
Ainsi, la triple finalité du projet en matière d’héritage urbain est reconnue de tous : construire la ville innovante de demain, développer de manière équilibrée et solidaire l’Île-de-France et améliorer le cadre de vie. Pour y parvenir, une large panoplie d’objectifs stratégiques et opérationnels a été imaginée.

 


Parmi ceux-ci figurent la construction ou la rénovation d’équipements sportifs, la livraison de nouveaux quartiers mixtes, la résorption de coupures urbaines ou encore la généralisation de normes écologiques exigeantes et d’impératifs d’accessibilité universelle.
« L’arbre des objectifs » exprime les valeurs recherchées, qui seront, au cours du processus d’observation ultérieur, confrontées aux actions menées et à leurs résultats effectifs. En clair, les objectifs seront rapprochés d’un état des lieux ex post (c’est-à-dire après les faits), qu’il conviendra d’établir. Cette méthodologie constitue l’un des fondements des démarches évaluatives. Elle se distingue de celle des études d’impact, qui portent sur l’incidence ex ante (c’est-à-dire attendue) d’un projet sur une situation de départ (T0, voir ci-dessus).
Après ce partage autour du sens de l’action, les porteurs de projet ont été interrogés sur les points qu’ils souhaitaient approfondir par l’évaluation. Pour ces acteurs fortement engagés dans le projet, les résultats favorables de celui-ci vont de soi. La formulation réflexive d’un questionnement évaluatif n’est pas aisée. Aussi, leur proposons-nous simplement de requestionner a posteriori, sur la base des faits, certaines de leurs anticipations, largement positives.

 


Il en résulte une gamme de trois questions fondamentales : les projets urbains atteindront-ils les objectifs visés au moment de leur conception (critère d’efficacité) ? Quels sont, de façon plus générale, leurs impacts directs et indirects, voulus ou inattendus, à court et long termes ? Répondront-ils in fine aux besoins de la population en termes d’héritage urbain (critère d’utilité) ? Notons que la notion d’« impact » retenue ici s’écarte en partie de la conception de l’héritage du CIO, notamment parce qu’elle ne se limite pas à l’étude des effets bénéfiques.
Certains points font l’objet d’une attention toute particulière. L’accessibilité des territoires, marqués à différentes échelles par de profondes fractures, est-elle améliorée après les Jeux ? Quel est l’impact en termes d’équipements scolaires et sportifs, d’aménagements paysagers et de rattrapage des carences du nord métropolitain ? Le cadre et la qualité de vie des habitants sont-ils améliorés, y compris sur le plan environnemental (espaces verts et accès à la nature) ? Quels sont les effets en termes de mixité sociale et de réduction des inégalités spatiales ?
Une dynamique est-elle créée autour des « objets » issus des Jeux ? Peut-on parler d’accélération des transformations ? De nouvelles polarités émergent-elles ? Les territoires concernés sont-ils plus attractifs ? La population s’approprie-t-elle les transformations urbaines ? De nouveaux usages de la ville, plus active et plus inclusive, s’installent-ils ?

PÉRIMÈTRES D’IMPACT URBAIN EN ÎLE-DE-FRANCE

Les acteurs engagés dans la préparation de l’évaluation se sont accordés dès son lancement sur l’utilité de définir et de dénombrer les infrastructures issues des Jeux. Il leur est apparu légitime d’inclure de prime abord dans cette liste les ouvrages relevant du champ d’action de la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO). Pour eux, les missions de cet établissement public – qui assure la maîtrise d’ouvrage ou la « supervision » d’infrastructures réalisées par d’autres maîtres d’ouvrage et collecte les fonds publics pour financer leur réalisation – consistent précisément à produire l’héritage urbain. Ces réalisations, désignées sous le terme d’« objets principaux », sont classées dans l’étude par catégories thématiques (équipements sportifs, autres équipements, espaces publics, etc.), afin d’objectiver a priori leur fonction « héritage » principale.
Néanmoins, d’autres infrastructures contribuent à la fabrique de l’impact urbain, comme les entretiens préparatoires auprès des acteurs le soulignent sans ambiguïté. Ces ouvrages sont appelés « objets induits ». Une première liste sera établie sur la base d’une enquête auprès d’acteurs de l’aménagement francilien. Celle-ci sera revisitée par le comité des parties prenantes, après en avoir fixé les critères de définition. On peut penser, par exemple, aux prolongements des aménagements dédiés aux Jeux (berges de Seine, pistes cyclables…), à la ZAC Saulnier qui accueille le centre aquatique olympique, etc. À l’issue de ce processus, le panorama des « objets principaux », enrichi d’« objets induits », sera rendu public sous forme d’une carte en ligne et d’une publication (2025).
L’évaluation s’attachera alors à « mesurer » l’incidence de ces ouvrages sur la satisfaction des besoins collectifs, du point de vue des usagers (habitants, salariés, touristes, etc.) et d’autres acteurs concernés (État, collectivités territoriales, exploitants d’équipements, etc.). Ce travail permettra d’identifier le(s) périmètre(s) d’impact des Jeux de Paris 2024, témoignant peut-être d’effets cumulés et systémiques sur certains territoires.

 

 

UN PROTOCOLE D’ÉVALUATION COMPRENANT PLUSIEURS VAGUES D’INVESTIGATIONS

Le protocole évaluatif définit les méthodes utilisées pour mener ce travail, en particulier les modalités de recueil des données qui permettront de répondre aux questions évaluatives. Les observations de terrain constituent le cœur de la méthodologie. Du fait du nombre important d’objets, une priorisation des secteurs d’investigation est proposée. Trois secteurs fortement concernés seront étudiés au premier chef : village des athlètes / centre aquatique olympique ; cluster des médias / parc sportif du Bourget ; Paris. Des investigations sont également prévues autour du stade nautique olympique d’Île-de-France, à Vaires-sur-Marne, et de la colline d’Élancourt, qui accueillent des épreuves. Toutes ces visites incluent les quartiers périphériques aux sites de façon à prendre en considération les effets des Jeux sur le tissu urbain avoisinant.
Le protocole vise à mobiliser différents regards sur les territoires concernés. Les usagers sont interrogés par le biais d’interviews flash sur tous les sites présélectionnés. Un groupe d’urbanistes est aussi appelé à parcourir ces quartiers. Pour certains des secteurs, ces parcours sont reproduits avec un groupe d’élus du territoire d’une part, et d’usagers recrutés selon des critères géographiques, sociodémographiques, d’âge et de sexe, d’autre part. Une comparaison de l’incidence des Jeux par rapport à d’autres projets qui transforment le territoire pourrait être menée à cette occasion. Des modalités opératoires complémentaires (entretiens, enquête numérique, analyse cartographique, etc.), qui impliqueront d’autres catégories d’acteurs, favoriseront la mise en perspective des résultats.
Cette panoplie évaluative, déployée en 2024-2025, pourrait être reproduite en 2029-2030, pour disposer d’un temps de recul suffisant : rétrocession (2024-2025), installation d’habitants dans les nouveaux quartiers et appropriation des lieux par ceux-ci. À cette échéance, une enquête auprès d’exploitants d’équipements serait également conduite. Ces temporalités tiennent compte des mutualisations possibles avec d’autres démarches (labellisation des écoquartiers issus des Jeux, autres études évaluatives, etc.). Ainsi, après une phase de préparation et une première étape d’évaluation en 2024-2025, une troisième tranche optionnelle dix ans après les Jeux, en 2034, permettrait le cas échéant de disposer d’un regard plus distancié sur la contribution des Jeux de Paris 2024 au développement des territoires et à la qualité de vie des populations. Les résultats de chaque phase seront publiés et valorisés sur Internet (rapport, synthèse et mise à jour de la carte en ligne). Des préconisations sont attendues afin de maximiser les effets induits des Jeux sur le plan urbain (phase 2024-2025) et de tirer des leçons dans la perspective de l’organisation d’autres grands événements, tels qu’une Exposition universelle, les Jeux d’hiver de 2030, etc.■

L’IMPACT URBAIN DES JEUX

L’étude préparée en 2023 définit les thématiques, le périmètre à investiguer, les méthodes mobilisées et les acteurs impliqués. La présente Note rapide expose les conclusions de ce travail préalable, inscrit au programme partenarial de L’Institut, avec le soutien de la Région Île-de-France et de l’État. Cette évaluation s’inscrit plus largement dans la série des évaluations de l’impact des Jeux de Paris 2024 coordonnées par le délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques.

LES INSTITUTIONS RENCONTRÉES EN PHASE DE CADRAGE

Direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (DRIEAT) Île-de- France (dont UD93), Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO), préfecture de la Région d’Île-de-France, Ville de Paris, conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP) Paris 2024, EPT* Paris Terres d’Envol, EPT Plaine Commune, conseil régional d’Île-de-France, Métropole du Grand Paris, France Nature Environnement Île-de-France, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Insee, Cerema, École d’urbanisme de Paris (Université Gustave Eiffel) et GIP** Europe des projets architecturaux et urbains (Recherche Coubertin).

* Établissement public territorial
** Groupement d’intérêt public

 

 

 

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Planification | Suivi et évaluation

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