Quelle place pour l'Île-de-France dans le réseau transeuropéen de transport ?

Note rapide Mobilité, n° 971

17 janvier 2023ContactAntoine Beyer

Nœud de transport majeur dans l'Union européenne, l'Île-de-France reste pourtant peu concernée par le financement du réseau transeuropéen  de transport (RTE-T). L'éloignement des frontières et le bon niveau des infrastructures existantes expliquent ce paradoxe. Aujourd'hui, toutefois, les priorités européennes de mobilité, qu'elles soient sociales ou environnementales, placent l'accessibilité des métropoles au cœur des approches.Cette évolution conduit alors à réévaluer le relatif retrait francilien. La révision en cours de la directive sur le réseau transeuropéen de transport est l'occasion de revenir sur les objectifs régionaux liés au RTE-T et d'évaluer les opportunités, notamment financières, qu'offre cette nouvelle orientation.

L’Île-de-France est traversée par deux des neuf couloirs principaux de circulation européens de transport : le corridor Atlantique, qui relie la péninsule ibérique à la frontière franco-allemande, et le corridor mer du Nord-Méditerranée, un axe méridien entre le Benelux et le Bas-Rhône. Ces corridors multimodaux doivent répondre aux exigences d’équipement et d’interopérabilité pour assurer le transport de biens et de personnes à longue distance, en vue d’un achèvement du réseau central d’ici 2030. Si les financements européens restent presque exclusivement orientés vers des grands projets transfrontaliers, les « nœuds urbains », c’est-à-dire les interfaces métropolitaines articulant systèmes de transport de longue distance et transport local (les grandes gares et les aéroports, par exemple), commencent à être considérés comme des pièces critiques de l’efficacité globale de l’offre de mobilité, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

 

Les caractéristiques du RTE-T en 2021

 
Réseau global
Réseau central
dont réalisés en 2021
Rail (km)
119 078
64 572
32 800
Route (km)
108 597
47 318
33 700
Voies navigables (km)
15 451
15 451
14 000
Ports maritimes ou fluviaux (nombre)
551
272
-
Aéroports (nombre)
317
82
-
Nœuds urbains (nombre)
424
337
-
Terminaux rail-route (nombre)
251
126
-

(Données Commission européenne)

 

LE RTE-T, UNE AMBITION EUROPÉENNE D’INTERCONNEXION

Le Réseau transeuropéen de transport regroupe l’ensemble des infrastructures de transport qui présentent un intérêt communautaire. Il comporte à la fois des éléments linéaires (routes et voies ferrées ou navigables) et des terminaux (aéroports, gares et ports maritimes ou fluviaux). Le RTE-T concourt à la réalisation de deux objectifs fondateurs de l’Union européenne (UE) : la libre circulation des biens et des personnes, ainsi que la réalisation du marché unique. Il s’inscrit en continuité avec d’autres dimensions des politiques de transport et leurs équipements associés : l’information et sa gestion, ainsi que l’impératif de décarbonation et de résilience au changement climatique. Dans le cadre du RTE-T, les orientations communautaires déterminent les aménagements à réaliser pour chaque mode de transport et pour chaque tronçon. Afin d’accélérer la mise en œuvre du RTE-T, l’UE en assure le cofinancement, qui a connu un renforcement sensible depuis son lancement en 1993. Le budget effectivement ouvert aux demandes franciliennes s’entend hors Fonds de cohésion et s’inscrit dans une enveloppe de l’ordre de 11,4 milliards d’euros sur les 25,8 millions d’euros du programme. Les financements RTE-T peuvent couvrir jusqu’à 30 % des travaux et 50 % des études. À côté du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE), qui est l’instrument de financement direct, d’autres moyens européens sont ouverts, accroissant significativement les capacités financières mobilisables : InvestEU, fonds structurels et d’investissement européens, facilité pour la reprise et la résilience, Horizon Europe, Interreg, ainsi que les prêts bonifiés de la Banque européenne d’investissement (BEI). Le solde, qui doit être assuré au préalable, relève des acteurs nationaux. En parallèle, d’autres instruments de financement (prêt, dette, garantie ou autre) peuvent être sollicités auprès d’un partenaire opérationnel (implementing partner), à savoir la BEI ou les banques nationales de promotion, comme la Caisse des dépôts et consignations, qui auront signé un accord de coopération avec la Commission européenne.

DES PROCÉDURES BIEN ENCADRÉES

Sont éligibles les projets inscrits dans le réseau central du RTE-T ou à une distance maximale de 10 km de ce dernier. Le financement concerne les études et les travaux pour une réalisation nouvelle ou pour la modernisation de l’infrastructure, mais il exclut l’entretien. Sont en revanche concernés les équipements innovants associés (gestion de trafic et transition énergétique). Les demandes peuvent être formulées par toutes les entités légales établies dans un État membre, qu’elles soient publiques ou privées, dans la mesure où elles sont validées par l’administration nationale compétente. En France, le soutien au montage des dossiers est assuré par la Mission de l’Europe et de l’international du ministère de la Transition écologique et solidaire. Une fois déposé, le classement des projets est établi par des experts indépendants et entériné par le Comité de coordination du MIE. Cinea, l’agence exécutive européenne, prépare et suit la conformité des plans techniques et financiers. Les engagements financiers sont tributaires de la réalisation effective des travaux. Les fonds réservés non utilisés sont réalloués, selon la règle du « use-it-or-lose-it ».

VERS LA PROMOTION DES NŒUDS URBAINS

Le règlement RTE-T a fait l’objet d’une proposition de révision en décembre 2021 pour tenir compte du nouveau cadre pluriannuel (2021-2027) et des objectifs du Pacte Vert (enjeux climatiques et biodiversité pour 30 % des dépenses), ainsi que des dimensions militaires et énergétiques. L’ajustement géographique des corridors prend acte du Brexit et renforce la densité du maillage (réseau central étendu), en y intégrant un nombre accru de ports et de nœuds urbains, de même qu’est renforcée l’approche servicielle des infrastructures (5G, stationnement sécurisé des poids lourds, homogénéisation du gabarit des trains pour l’ensemble du réseau avec le P400…). À côté des États, les collectivités territoriales sont reconnues comme des interlocuteurs de la Commission européenne, précisément pour les « nœuds urbains », que la nouvelle réglementation fait passer de 84 à 424. La notion de « nœuds urbains » apparaît pour la première fois en 2013, comme dispositif optimisant la connexion entre les infrastructures européennes de longue portée et les réseaux locaux des principales aires urbaines traversées. Pour la période 2021-2027, collectivités locales et Régions souhaiteraient que les nœuds urbains pèsent 20 % du budget du MIE au lieu de 1 % actuellement, eu égard à leur importance pour les mobilités quotidiennes (80 % des déplacements des Européens) et à leur potentiel d’innovation et de décarbonation, deux priorités de la politique communautaire. La Cour des comptes européenne a, de son côté, salué la plus grande réactivité des porteurs de projets locaux en termes de délais de réalisation et de respect des enveloppes financières. La Commission et le Conseil européens peuvent-ils pour autant accéder à ces demandes au détriment des grands chantiers ? Si cela se faisait, ce serait vraisemblablement dans de plus faibles proportions qu’attendu. Mais c’est précisément l’accroissement de cette enveloppe financière orientée vers les pôles métropolitains qui intéresse directement l’Île-de-France. En l’absence d’engagement de grands travaux, le bilan de la période 2014-2020 peut paraître assez maigre pour l’Île-de-France, avec un total de 167,4 millions d’euros. Il met en avant d’une part, l’importance du financement des études (39 % des montants) et une forte dominante du transport urbain. Déjà bien équipée, la région ne représente que 5 % des montants perçus par la France avec 11 des 156 projets nationaux subventionnés, sachant par ailleurs que tous les projets ne sont pas territorialisés, comme le soutien aux systèmes de gestion de trafic (les systèmes ERTMS et Sesar, par exemple). Par contraste, sur la période 2014-2020, l’Île-de-France, à elle seule, a bénéficié de 32 % des 214 millions d’euros alloués aux nœuds urbains, notamment dans le cadre du Grand Paris Express pour le financement partiel de la liaison Orly-Versailles.

DES FINANCEMENTS EUROPÉENS LIMITÉS

Le RTE-T est déjà très largement réalisé en Île-de-France. Dans les projets, il y a : le financement acquis pour la période 2021-2027 de 40 % des travaux sur les écluses de Méricourt, dans les Yvelines (pour un chantier de 92,3 millions d’euros) ; le bouclage routier de la Francilienne, qui est éligible mais n’est pas engagé ; la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) et l’interconnexion TGV Massy-Valenton, qui ont été fortement remaniées. D’autres grands travaux d’infrastructure concernent la région, même s’ils se localisent au-delà de ses limites administratives. Ainsi, l’itinéraire ferroviaire normand à dominante fret Serqueux-Gisors, ouvert en mars 2021, a bénéficié d’un financement européen de 66 millions d’euros sur les 246 millions d’euros engagés. La réalisation du Canal Seine-Nord Europe est soutenue à hauteur de 2 milliards d’euros d’apport européen, soit 50 % du montant des études et 40 % des travaux. Au sud, la mise à grand gabarit de la Seine amont, entre Nogent-sur-Seine, dans l’Aube, et Bray-sur-Seine, en Seine-et-Marne, pourrait aussi faire l’objet d’une demande de financement.

LES MIE, UNE FENÊTRE DE FINANCEMENT POUR LES PROJETS FRANCILIENS

Dans le cadre de la réalisation du Grand Paris Express, la Société du Grand Paris, qui en assure la maîtrise d’ouvrage, a pu bénéficier des fonds européens pour des études. Les lignes 14 Sud, 17 et 18 relèvent pleinement de la logique des nœuds urbains, en assurant la desserte des aéroports internationaux et des gares TGV. D’autres étapes du projet, associées à la mise en travaux, pourraient être éligibles pour la période 2021-2027, comme le CDG Express. Un territoire à fort enjeu est la zone de la confluence Seine-Oise, où la capacité limitée du tronçon ferroviaire Conflans-Argenteuil contraint l’accès fret à la grande ceinture de la ligne Serqueux-Gisors et des installations portuaires d’aval (Limay, Port Seine-Métropole Ouest-PSMO, Gennevilliers). Inscrit dans le corridor Atlantique, le chantier Eole n’a pas bénéficié de subsides européens. Les aides européennes concernent aussi l’équipement de stationnements sécurisés pour l’accueil des poids lourds, qui font défaut sur le RTE-T francilien, ainsi que pour le développement des stations multi-énergies, voire des systèmes innovants de gestion des trafics. Pourrait aussi y être intéressé le développement à l’étude lancé par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) des grands chantiers de transport combiné en Île-de-France. Il faut bien sûr rappeler que les infrastructures concernées par le RTE-T relèvent largement du réseau structurant, et donc d’une planification portée par l’État. La France est attendue sur des projets d’ampleur (la liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin et le Canal Seine-Nord Europe), aussi les réalisations franciliennes peuvent-elles paraître secondaires. Les moyens financiers réduits, les prescriptions accrues en termes d’environnement et les inévitables controverses autour de nouveaux équipements en zone dense sont autant de facteurs d’incertitude, peu compatibles avec les calendriers et les procédures communautaires. Mais il n’est pas à exclure que, progressivement, le RTE-T finisse par passer d’une simple prise en compte et d’une opportunité financière à une relation de comptabilité, voire de conformité, ce qui obligerait à sa réalisation. Cela laisse-t-il une option d’intervention pour l’institution régionale ? Le portage des dossiers relève des maîtres d’ouvrage, au premier rang desquels les grands gestionnaires d’infrastructures, et doit être validé par l’État. La Région pourrait néanmoins s’affirmer comme maître d’œuvre (via, par exemple, l’autorité organisatrice des transports Île-de-France Mobilités) et bénéficier directement des aides financières pour les études ou les travaux. Ses services peuvent aussi accompagner les grands gestionnaires dans le montage des dossiers. Ce savoir-faire administratif et politique, via notamment son bureau à Bruxelles, permet alors d’apporter des éléments utiles ou simplement d’informer les porteurs de chantiers éligibles.

VERS UN FINANCEMENT ACCRU DES TRANSPORTS URBAINS DURABLES

Loin des frontières et relativement bien équipée, l’Île-de-France n’est a priori pas une région phare pour les financements du RTE-T. Aujourd’hui déjà, la quasi-totalité du réseau francilien répond aux caractéristiques techniques requises par la Commission européenne pour les réseaux – central (2030) et global (2050). Les investissements dans de grandes infrastructures ne s’effectuent pas sur son territoire, même s’ils lui sont directement bénéfiques, comme le Canal Seine-Nord Europe ou la voie ferrée Serqueux-Gisors. Toutefois, la réorientation possible des politiques des RTE-T au profit des interfaces métropolitaines et de la distribution des énergies alternatives pour les transports permet d’élargir les types de demandes régionales. Aussi la révision du règlement RTE-T en cours doit-elle être suivie avec attention. Reste la question des arbitrages européens pour une manne financière qui est fortement contrainte par les grands projets déjà engagés, les nouvelles priorités énergétiques de l’UE pour aujourd’hui et pour demain, ainsi que l’aide à apporter à l’Ukraine. Son partage ne bénéficiera pas spontanément aux régions les plus riches et les mieux dotées. L’Île-de- France peut, en revanche, faire prévaloir un incomparable effet de levier que lui confèrent son poids économique et sa capacité d’innovation dans les interfaces métropolitaines des systèmes de mobilité durable. Toutefois, même si l’enveloppe accordée aux aires métropolitaines est accrue, le nombre de nœuds urbains éligibles, qui passera de 84 à 424, en réduira mécaniquement la portée. Il convient enfin de rappeler que l’intérêt de la labellisation RTE-T réside donc moins dans les subventions directes que dans les facilités financières mobilisables dans un cadre européen (fonds de garantie, prêts bonifiés, relais auprès des partenaires financiers accrédités par l’UE…). Pour accélérer la transition énergétique et l’interconnexion des systèmes de transport, les gestionnaires d’infrastructures et les opérateurs de transport devraient être bien informés de l’ensemble de la palette des moyens européens directs et indirects mis à leur disposition.■

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Déplacements | Équipements et infrastructures | Transport de marchandises et logistique | Transports publics