Covid-19 en Île-de-France : les leçons d'une crise sanitaire inédite

Interview d'Isabelle Grémy

19 mars 2020ContactIsabelle Grémy

Isabelle Grémy est directrice de l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France (ORS), département de L’Institut Paris Region. Elle est diplômée de l’école de santé publique de Harvard, avec un master en sciences, en épidémiologie et un doctorat en santé publique. Elle a également un master en santé publique, obtenu à Mexico. Riche d’une expérience internationale, elle a notamment conduit différentes missions professionnelles aux États-Unis, en Amérique latine et en Afrique. Spécialisée en santé publique, elle est l’auteure de nombreuses contributions sur des sujets tels que les cancers, le VIH sida, les drogues. Elle a co-coordonné l’édition 2017 du rapport de la DREES/Santé publique France "L’état de santé de la population en France".

Qu’est-ce que cette crise révèle des forces et des faiblesses du système de santé francilien ?

Il faut d’abord souligner que, malgré les restructurations en cours du système de santé, cette crise montre qu’il reste globalement performant. Que ce soit sur le plan du maillage territorial, des performances techniques des hôpitaux et de la compétence des personnels.
Il faut aussi saluer le très gros effort de communication et de transparence qui est fait depuis le début de la crise et qui est totalement inédit.
Les agences régionales de santé ont fait preuve d’une grande réactivité en organisant et adaptant le système de santé à l’évolution de l’épidémie. De même, le monde de la recherche se mobilise fortement pour trouver une riposte à ce virus.
Enfin, la cohésion des professionnels de santé est remarquable. Il y a une grande solidarité de tous : soignants, administratifs et au-delà, avec notamment l’implication de l’Éducation nationale auprès des enfants dont les parents sont sur le pont. On assiste à une mobilisation générale de tous ceux qui sont impliqués de près ou de loin. Il y a le sentiment partagé qu’il faut faire bloc contre l’ennemi commun. Car il ne faut pas se le cacher : nous sommes dans un état de médecine de catastrophe.

Toutefois, cette crise intervient à un moment où notre système de santé, qui traverse une restructuration globale pour le tourner vers une médecine davantage ambulatoire, est très fragile. Beaucoup d’hôpitaux sont en difficulté, et cela ne va pas aider, bien sûr.

Je pense aussi qu’il y a eu une sous-estimation initiale de la gravité de la maladie. Je revois certains débats sur les plateaux télévisés au tout début de l’épidémie où les intervenants n’avaient clairement pas pris la mesure de ce qui était déjà en train de se passer. Sans doute, beaucoup avaient en tête au départ, l’épidémie de H1N1 de 2009 à laquelle, avec le recul, on a reproché aux autorités d’avoir sur-réagi. Or, ce que nous vivons n’a rien à voir. Le H1N1 était une épidémie généralisée mais de faible gravité, sauf pour les enfants, et surtout, nous avions un vaccin. Du coup, on n’a pas jugé bon de constituer, dès le début, des stocks massifs d’équipements de protection, et notamment les fameux masques FFP2.
Face au coronavirus, comme le président l’a dit, nous sommes en guerre.

Quelles leçons pouvons-nous déjà tirer ?

Il faut d’ores et déjà préparer l’après. Les personnels de santé sont exsangues, et lorsque la crise sera passée, il faudra bien prendre en charge toutes les interventions, traitements et opérations qui ont dû être repoussés.
Il faut aussi créer, dès maintenant, des groupes de travail pour évaluer dans tous les domaines (logistique, organisation des stocks, adaptation du système de soins, etc.), la manière dont cette pandémie est prise en charge, y compris dans les domaines les moins évidents comme les conséquences du confinement sur la scolarité des enfants ou la santé mentale des populations... C’est maintenant qu’il faut commencer à le faire pour être sûrs de ne pas passer à côté de quelque chose. C’est capital si nous voulons être prêts la prochaine fois. Les épidémies de H1N1 et coronavirus, si différentes, nous montrent qu’il faudra envisager des réponses graduées - quantitativement, qualitativement - et variables en fonction de chaque épidémie.
Cette crise va aussi certainement bouleverser la médecine de ville, dans son organisation et son articulation avec la médecine hospitalière. On peut s’attendre, dans cette période de crise, au développement conséquent de la téléconsultation. Elle va permettre un suivi des malades chroniques et des personnes âgées, des populations à risque, sujettes à des formes graves de coronavirus. Ce que nous apprenons aujourd’hui de ces bouleversements aura de multiples transpositions dans des temps de « paix sanitaire » pour améliorer la prise en charge des personnes. À nous de capitaliser, malgré le désarroi de la situation, sur cette expérience inédite. On peut également espérer une amélioration de la prise en charge, mieux coordonnée, plus rapide et plus pertinente des patients, grâce aux outils numériques. Car s’il est une chose que le Covid-19 nous montre, c’est le rôle essentiel de la médecine de ville pour assurer la prise en charge des malades les moins atteints et soulager ainsi la médecine hospitalière.
Enfin, on le voit bien, chaque jour de confinement qui passe interroge nos modes de vie. On voit des solidarités nouvelles se mettre en place, des liens familiaux qui se resserrent, des systèmes d’entraide qui se créent : il y a des raisons d’être optimistes.

Vous avez travaillé sur les conséquences sanitaires de la crise financière de 2008. Quelles ont été les principales répercussions sur la santé ?

Tout ce soutien social, cette solidarité entre les gens, sont bénéfiques pour la santé. Et je ne parle pas des conséquences directes du confinement sur les niveaux de pollution, la chute prévisible des accidents de la circulation ou la diminution des rejets de gaz à effet de serre.

Au-delà des conséquences dramatiques de l’épidémie elle-même, c’est la mise à l’arrêt de l’économie qui risque d’avoir des répercussions importantes pour la vie des gens, et donc pour leur santé. Après la crise financière de 2008 et la récession qui a suivi, on avait assisté à une hausse des problèmes de santé mentale et, notamment, des dépressions, des suicides et parfois même des cas de maltraitance d’enfants. Car il ne faut pas oublier que les enfants sont en première ligne : plus fragiles psychologiquement, plus sensibles, ce sont eux qui pâtissent le plus des difficultés de leurs parents. Il faut donc être très vigilants. Certes, plus le filet de protection sociale est important, plus le choc est amorti. Mais ce filet ne dure pas éternellement.

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