Excédent naturel : l'exception francilienne confirmée en 2020

Les Franciliens - Territoires et modes de vie   Sommaire

08 avril 2021Philippe Louchart

Avec environ 80 000 naissances de plus que de décès en 2020, l’excédent naturel francilien fait de plus en plus figure d’exception en Europe comme en France. Son niveau reste élevé, en dépit  de la baisse de la fécondité et des naissances, mais aussi de la pandémie de Covid-19 qui a particulièrement frappé l’Île-de-France.

En 2020, l’Île-de-France compte près de 172 000 naissances pour un peu plus de 92 000 décès. Ce dynamisme des naissances permet à la France de maintenir son solde naturel(*voir définition en fin d'article) positif : +73 000 pour la France et l’outre-mer, et +49 000 pour la France métropolitaine selon nos dernières estimations. Cette situation se distingue en Europe, où la plupart des pays observent plus de décès que de naissances. Aucune région, voire aucun pays de l’Union européenne (UE), ne devraient afficher en 2020 un excédent naturel* supérieur à celui de l’Île-de-France. En revanche, le déficit naturel s’étend à un nombre croissant de départements français et, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les décès l’emportent sur les naissances en 2020 en province, prise dans sa globalité.

Chiffres clés

80 000

naissances de plus que de décès en Île-de-France en 2020 (49 000 en France métropolitaine)

-11 000

baisse du nombre de naissances en ÎIe-de-France entre 2014 et 2020 

+ 20 000

hausse du nombre de décès en Île-de-France entre 2014 et 2020 

Île-de-France : le solde naturel le plus élevé de l’Union européenne

Au sein de l’UE, depuis 2012, les décès l’emportent chaque année un peu plus sur les naissances. En 2019, avant même l’apparition de la pandémie de Covid-19, l’UE dans son périmètre actuel (hors Royaume-Uni) perdait près d’un demi-million d’habitants du fait de son déficit naturel négatif. Nul doute que ce déficit sera encore plus important en 2020.

Seuls les apports migratoires nets (1,34 million d’entrées de plus que de sorties*) ont évité le déclin de sa population en 2019. À cette date, la France (y compris ses départements d’outre-mer) a le solde naturel le plus élevé (+140 000) devant celui du Royaume-Uni (+100 000). Au seuil du continent européen, seule la Turquie enregistre un solde naturel plus élevé (+748 000). En 2019, la population turque augmente davantage que celle de l’ensemble de l’Union européenne (+1,13 million contre +0,88). 
L’excédent naturel francilien dépasse aujourd’hui celui de n’importe quel pays de l’UE. Il est aussi le plus élevé de toutes les régions métropolitaines* de l’UE. Seule la région de Londres affichait en 2018 une croissance naturelle proche de celle de l’Île-de-France (cf. graphique).

Globalement, les régions métropolitaines du nord-ouest et du nord de l’Europe présentent des excédents naturels, alors que les régions métropolitaines du sud, du centre et de l’est de l’Europe se caractérisent par des déficits naturels.

Selon Eurostat [1], les régions métropolitaines constituées autour des plus grandes villes européennes, au-delà des seules capitales nationales, affichent des dynamismes naturels très variés. La quasi-totalité des grandes régions métropolitaines italiennes (Turin, Milan, Florence, Bologne, Bari, Brescia, Bergame, Catane) et allemandes (région de la Ruhr, Dresde, Leipzig, Hanovre, Brême, Düsseldorf, Mannheim-Ludwigshafen, Nuremberg, Cologne, Hambourg) comptent en 2018 plus de décès que de naissances. À l’inverse, hormis Nice, les régions métropolitaines françaises (Lyon, Lille-Dunkerque-Valenciennes, Toulouse, Marseille, Nantes, Grenoble, Bordeaux, Rennes, Strasbourg, Montpellier) affichent plus de naissances que de décès. 

La singularité du solde naturel francilien confirmée en période de pandémie

En France, l’excédent naturel francilien, de par son ampleur, fait de plus en plus figure d’exception dans un pays où le déficit naturel tend à devenir la règle. En 2006, 74 départements de France métropolitaine comptaient plus de naissances que de décès. Ils ne sont plus que 40 en 2019 et, selon nos estimations, ne devraient pas dépasser la trentaine en 2020. L’apparition d’un déficit naturel dans un nombre croissant de départements tient avant tout à la faiblesse de l’excédent naturel juste avant l’évolution en ciseau des naissances et des décès. Les départements dont l’excédent naturel s’est mué en déficit entre 2014 et 2020 comptaient à peine plus de naissances que de décès à l’origine (+1 100 en moyenne). Ils en comptent aujourd’hui à peine moins (-750 en moyenne en 2020). 

Outre l’ensemble des départements de l’Île-de-France, et la moitié de ses départements limitrophes (Oise, Marne, Loiret et Eure-et-Loir), la plupart des départements où le solde naturel reste positif sont le siège d’une métropole régionale : la Gironde avec Bordeaux, la Loire-Atlantique avec Nantes, l’Ille-et-Vilaine avec Rennes, le Maine-et-Loire avec Angers, la Seine-Maritime avec Rouen, le Nord avec Lille, le Bas-Rhin avec Strasbourg, le Doubs avec Besançon, le Rhône avec Lyon, les Bouches-du-Rhône avec Marseille, l’Hérault avec Montpellier et la Haute-Garonne avec Toulouse. Les autres  sont situés le long du sillon rhodanien (Vaucluse, Drôme, Isère) auxquels s’ajoutent l’Ain et la Haute-Savoie, à proximité immédiate de la Suisse et de la métropole genevoise. 

 

Les deux-tiers des départements français comptent plus de décès que de naissances en 2020. Leur nombre a triplé en une quinzaine d’années, passant de 22 à 67 entre 2006 et 2020

 

En dépit de la hausse des décès due à la pandémie de Covid-19, et de la baisse des naissances liée à une moindre fécondité, l’excédent naturel francilien demeure très élevé en 2020 (+80 000 selon nos estimations), alors qu’il est devenu négatif pour l’ensemble de la province (-32 000). À l’échelle nationale, la pandémie de Covid-19 est un révélateur et un accélérateur des dynamiques en cours depuis une dizaine d’années, liées au vieillissement des générations du baby-boom. 

En 2020, l’excédent naturel reste conséquent en Île-de-France tandis que dans le reste de l’Hexagone, les décès l’emportent sur les naissances, pour la première fois depuis 1946.

En France et en Île-de-France : mortalité en hausse, fécondité en baisse

Si l’excédent naturel se réduit en Île-de-France, et se mue souvent ailleurs en déficit, c’est la conséquence d’une hausse des décès, combinée à une baisse de la fécondité et des naissances.

En 2020, la France aurait dû enregistrer de l’ordre de 5 000 décès de plus qu’en 2019 si l’espérance de vie avait continué de progresser au même rythme que les années précédentes, et non avec 53 000 décès de plus du fait de la pandémie. 

La hausse du nombre de décès entre 2019 et 2020 correspond approximativement à celle qui était attendue entre 2019 et 2030 du fait de l’avancée en âge des « boomers ». Elle est aussi de même ampleur que celle observée entre 2014 et 2019, où le nombre de décès avait déjà progressé de 10 % en France. Cette hausse atteint désormais 19 % entre 2014 et 2020, voire 28 % en Île-de-France, la pandémie de Covid-19 ayant davantage touché les grands centres urbains.

Pourtant, en dépit d’une hausse bien plus forte du nombre de décès en Île-de-France (+20 000 entre 2014 et 2020, +107 000 en France), l’excédent naturel francilien reste très élevé, pour au moins deux raisons. L’une est structurelle et renvoie à la jeunesse relative de la population francilienne, entretenue par les migrations, qu’elles soient nationales ou internationales. Les départs récurrents de familles, mais surtout de retraités vers la province, limitent d’autant la population âgée et, par conséquent, les décès. À l’inverse, les arrivées permanentes de jeunes adultes dynamisent la natalité. L’autre raison tient surtout à une fécondité aujourd’hui parmi les plus élevées de France et d’Europe, ce qui amplifie d’autant la natalité.

La jeunesse de la population francilienne, entretenue par les migrations nationales ou internationales, limite le nombre de décès et dope les naissances comme l’excédent naturel en Île-de-France.

Parallèlement, le nombre des naissances diminue sans discontinuer depuis 2014 (-11 000 en Île-de-France et -79 000 en France entre 2014 et 2020). La fécondité, tant en Île-de-France qu’en France, est orientée à la baisse et reste pourtant parmi les plus élevées de l’UE. La pandémie de Covid-19 semble avoir contribué à prolonger une tendance qui tendait à marquer le pas. La réduction des naissances, moins marquée en Île-de-France (-6 % entre 2014 et 2020) qu’ailleurs en France (-11 %), apparaît aussi très variable d’un département francilien à l’autre. Les naissances ont peu diminué dans le Val-d’Oise (-0,5 %), en Essonne (-3 %) et en Seine-Saint-Denis (-4 %). Leur baisse est similaire à la moyenne régionale dans trois autres départements (Val-de-Marne, Seine-et-Marne et Yvelines), mais la dépasse à Paris (-8 %) et dans les Hauts-de-Seine (-11 %, comme ailleurs en France).

La croissance de la population française se réduit, mais moins que ne l’indiquent les chiffres officiels

L’affaiblissement du solde naturel contribue à réduire la dynamique démographique des territoires. Parmi les 49 départements où les décès l’emportent sur les naissances entre 2014 et 2020, un peu moins de la moitié voient aussi leur population diminuer (22 sur 49), faute d’un excédent migratoire pouvant contrecarrer leur déficit naturel. Mais dans la majorité des départements, comme à  l’échelle nationale, la population continue de croître en dépit d’un solde naturel en forte baisse. En France, hors Mayotte, l’excédent naturel cumulé est passé de 1,9 à 1,1 million de naissances de plus que de décès entre les périodes 2007-2014 et 2014-2021. La population croît ainsi plus lentement qu’auparavant (+2,3 millions entre 2007 et 2014 puis +1,2 million d’habitants entre 2014 et 2021, hors Mayotte), mais pas aussi lentement, en réalité, que ne l’indiquent les chiffres officiels de population légale publiés par l’Insee.

Selon l’Insee, la croissance de la population française, telle qu’elle ressort de la comparaison des recensements successifs, est sous-estimée de près d’un demi-million de personnes entre 2014 et 2021. Cette différence est liée à un changement dans le questionnaire de recensement introduit en 2018 (cf. encadré « Évolution réelle de la population »). La croissance réelle de la population française, à questionnaire inchangé, atteint 1,7 million d’habitants et non 1,2 million comme l’indique la comparaison des recensements. Par rapport à la période antérieure (+2,3 millions d’habitants entre 2007 et 2014), le ralentissement reste patent, mais s’avère pratiquement deux fois moins prononcé, avec une croissance réduite en réalité de -0,6 million d'habitants entre les deux périodes, et non de -1,1 million.

En Île-de-France, cette évolution du questionnaire conduit à une sous-estimation d’environ 85 000 habitants entre 2015 et 2021. Pour la seule année 2020, la croissance réelle de la population francilienne, à questionnaire inchangé, est évaluée à +52 000, alors que sa croissance mesurée directement à partir des recensements est estimée à +35 000. Le taux de variation de la population francilienne, à questionnaire inchangé, reste à peu près stable aux alentours de 0,5 % par an depuis 2016, soit le même niveau que depuis une trentaine d’années. En revanche, il diminue ailleurs en France, passant de +0,5 % par an entre 2006 et 2016 à +0,3 % par an entre 2016 et 2021.

La refonte du questionnaire du recensement opérée en 2018 intervient donc dans un contexte où le solde naturel décroît fortement et de façon très différenciée selon les territoires. Elle rend plus difficile la simple mesure, et plus encore l’analyse des dynamiques démographiques en cours, en surestimant fortement le ralentissement de la croissance de la population. Le nombre de départements où la population diminue entre 2014 et 2021 l’illustre puisqu’il passe de 42 à 34 quand on raisonne à questionnaire inchangé. C’est dans ce contexte que l’Insee a prévu de réaliser cette année un nouvel exercice de projection démographique dont le point de départ sera la population en France au 1er janvier 2021. Les difficultés méthodologiques occasionnées par la refonte de ce questionnaire et les incertitudes générées par la pandémie en cours, sur l’évolution aussi bien de la fécondité, de la mortalité que des migrations internationales, feront de ces projections un exercice délicat. La déclinaison spatiale de ces projections constituera un enjeu majeur pour chaque territoire, en particulier pour l’Île-de-France dont la dynamique démographique reste hors norme en France. Aux côtés d’experts et d’institutions, L’Institut contribuera à ce travail prospectif et à sa déclinaison spatiale, dans la mesure de ses connaissances des singularités propres au territoire francilien.

Philippe Louchart

Démographe et économiste, Philippe a été formé à Science Po, l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à la Johns-Hopkins University. Fin connaisseur de la géographie humaine de l’Île-de-France, il travaille à L’Institut depuis 1983. Il a coordonné le premier Atlas des Franciliens et participé à toutes ses actualisations ultérieures. Ses travaux de projections démographiques alimentent aujourd’hui les modèles de déplacements d’Île-de-France Mobilités ou de la Driea. En charge des cadrages socio-économiques de nombreux schémas directeurs, en France comme à l’étranger, Philippe a aussi copiloté de nombreux travaux de prospective en amont de leurs révisions. Auteur de plusieurs livres et de plus d’une centaine d’études ou d’articles, Philippe enseigne la démographie locale en master 2 à l’Université de Paris 1 et siège à la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population au CNIS.

Quelle est l’évolution réelle de la population de chaque territoire depuis 2015 ?

Depuis 2015, les données publiées par l’Insee pour chaque territoire permettent de calculer facilement l’évolution « apparente » de leur population issue des dénombrements des recensements successifs, mais non leur évolution réelle, qui est plus élevée. L’Insee a en effet modifié le questionnaire du recensement de la population à partir de 2018 pour améliorer la connaissance des situations de multirésidences. Il en résulte moins de doubles comptes dans la population recensée et un nombre d’habitants en France qui diminuerait, toutes choses égales par ailleurs. Les enfants en garde alternée, par exemple, sont mieux repérés et moins souvent comptés deux fois, une fois chez chacun des parents, comme cela pouvait être le cas avant l’enquête de recensement de 2018. 
De sorte que même s’il y avait autant de naissances que de décès, et si les échanges migratoires avec le reste du monde étaient équilibrés, et donc leur solde nul, la population ne resterait pas stable mais diminuerait. Cet effet sera sensible jusqu’en 2023 (2021 pour la population légale) compte tenu de la méthode de recensement qui nécessite le cumul de cinq enquêtes annuelles de recensement (EAR) pour calculer les populations légales. 
Par conséquent, les évolutions démographiques « apparentes » en France (et dans chaque territoire) depuis 2015 sont sous-estimées et il en sera ainsi jusqu’en 2023. À cet horizon, la sous-estimation de la croissance de la population depuis 2015 devrait atteindre un demi-million d’habitants en France et 90 000 habitants en Île-de-France, soit l’équivalent de près de deux ans de croissance démographique dans la région-capitale
Pour neutraliser ce biais dû au changement de questionnaire du recensement, l’Insee a introduit un ajustement à l’échelle de chaque département. Ceci permet de calculer la population de chaque région à questionnaire de recensement inchangé, et ses évolutions réelles depuis 2015. Malheureusement, l’Insee n’a pas estimé cet ajustement statistique à l’échelle communale, où seules les évolutions apparentes, qui sous-estiment donc les évolutions réelles, peuvent être calculées.
 

Méthode et définitions

Solde naturel, excédent naturel, accroissement naturel 
Le solde naturel est la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès enregistrés au cours d’une période. On parle d’accroissement naturel ou d’excédent naturel lorsque le nombre de naissances est supérieur à celui des décès. Les données 2020 restent provisoires. Elles ont été actualisées à partir des données de décès arrêtées au 15 février 2021. Les naissances 2020 par département et région ont été estimées par l’Institut Paris Région. 

Solde migratoire 
Le solde migratoire est la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties au cours de l’année. Ce concept est indépendant de la nationalité.

Régions métropolitaines 
Les régions métropolitaines sont des régions définies par la Commission européenne et utilisées habituellement par Eurostat pour des comparaisons internationales. Chacune d’elles compte une ou plusieurs régions NUTS 3 (Nomenclature des unités territoriales statistiques, 3e niveau) peuplées de 150 000 à 800 000 habitants. Chaque agglomération est représentée par au moins une région NUTS 3. Si, dans une région NUTS 3 limitrophe, plus de 50 % de la population vit également dans cette agglomération, elle est incluse dans la région métropolitaine.
 

Références

[1] Eurostat regional yearbook, 2020 edition, European Union, July 2020. cutt.ly/ncOB6b8

• Chesnel Hélène, Kaiser Ophélie, « Stabilité des naissances et hausse des décès en 2020 », Insee Flash Pays de la Loire, n°107, Insee, janvier 2021.
• Gascard Noël, Kauffmann Bertrand, Labosse Aline, « 26 % de décès supplémentaires entre début mars et mi-avril 2020 : les communes denses sont les plus touchées », Insee Focus, n°191, Insee, mai 2020.
• Insee, « Nombre de décès quotidiens. France, régions et départements », Chiffres détaillés, dernière mise à jour le 2 avril 2021. www.insee.fr/fr/statistiques/4487854
• Logeais Caroline, Loones Fabrice, « En Bourgogne-Franche-Comté, le solde naturel poursuit sa dégradation en 2019 », Insee Analyses Bourgogne-Franche-Comté, n°83, Insee, janvier 2021.
• Mom Karina, Nieto Vincent, « Le solde naturel se dégrade et la croissance démographique marque le pas », Insee Flash Grand Est, n°44, Insee, décembre 2020.
• Papon Sylvain, Beaumel Catherine, « Bilan démographique 2020. Avec la pandémie de Covid-19, nette baisse de l’espérance de vie et chute du nombre de mariages », Insee Première, n°1834, Insee, janvier 2021.
• Vallès Vincent, « Le dynamisme démographique faiblit entre 2013 et 2018, avec la dégradation du solde naturel », Insee Focus, n°221, Insee, décembre 2020.
 

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