La demande de colocation croît d'année en année. Un choix contraint pour les étudiants et les jeunes actifs notamment, avant qu'ils ne puissent intégrer le parc locatif classique. En pleine effervescence, ce secteur se structure et se professionnnalise autour d'un marché de niche, avec un large éventail d'acteurs et d'offres : sites d'annonces généralistes, agences immobilières en ligne, plates-formes dédiées, conseils en investissement, aménageurs et exploitants de colocations, promoteurs immobiliers. Depuis la pandémie de Covid-19, le recours au travail à distance, la double résidentialisation possible et la mobilité récurrente de certains actifs, ont fait apparaître de nouveaux besoins et usages qui réactualisent encore l'idée de partage du logement et conduisent les opérateurs à imaginer des solutions adaptées.
Des logements devenus inaccessibles
Sous l'effet combiné de l'augmentation des prix immobiliers et du développement des locations touristiques, l'offre de petits logements est devenue financièrement inaccessible, notamment en cœur d'agglomération. Ainsi à Paris, le loyer moyen est de 1 065 € pour un logement d'une surface de 30 m2 (charges comprises)1. Dans les secteurs attractifs et centraux, l'usage commercial des petits logements à destination des voyageurs de passage s'est fortement développé, réduisant une offre traditionnellement destinée aux jeunes ménages : 80 000 locations saisonnières sont identifiées à Paris en 2019, dont 29 % louées à l'année, c'est-à-dire plus de 120 jours2. Il faut également ajouter une pénurie de petits logements dans le parc social : 8,5 % de studios seulement3. À cette conjoncture immobilière se greffent les effets de la précarité sociale et de beaucoup d'emplois, accentuant les difficultés d'accès au logement des personnes concernées. Dans un tel contexte, la colocation apparaît comme une stratégie pour réduire les taux d'effort : 42 % des colocataires signifient ne pas avoir les moyens d'habiter seuls4. Du côté des propriétaires bailleurs, le cumul des loyers offre une meilleure rentabilité que la location standard. Aussi, la forte demande en colocation contribue-t-elle à l'augmentation de ses loyers en France : 7 % en 2018 par rapport au premier trimestre 20175. Des loyers qui continent d'augmenter chaque année : 3,5 % en 2021 par rapport à 20206.
Une demande de colocation en forte hausse
Si la colocation existe en France depuis une trentaine d'années, elle se développe surtout depuis dix ans, avec une demande qui explose depuis 2015 : à Paris, le secteur représente 7 à 8 % des nouvelles locations selon Meilleurplacement.com7. Appartager.com évoque une augmentation de la demande de 19,6 % pour l'année 20158. Née au cœur des métropoles, sur des marchés immobiliers tendus, la colocation se développe aujourd'hui dans les capitales régionales et les villes moyennes : à Nantes et à Rennes, par exemple, la demande a explosé de 80 % en un an9. Si la rhétorique marketing promeut la convivialité et un « nouvel art de vivre », d'autres y voient toujours un marché de paupérisation : en effet, à loyer égal, le choix d'un logement indépendant prévaut généralement, c'était du moins le cas avant la pandémie. En tout état de cause, la colocation est en plein essor et suscite l'intérêt de nombreux acteurs. Un marché immobilier de niche se structure autour de cette offre loctive, avec de nouveaux opérateurs qui viennent répondre aux attentes et participer à son développement.
Une offre qui se diffuse, un secteur qui se professionnalise
Signe notable pour apprécier le développement de la colocation : un site d'annonces généraliste comme leboncoin.fr a jouté un onglet « Colocation » dans sa rubrique « Immobilier ». La colocation s'est développée en dehors du secteur traditionnel des agences immobilières. Les sites immobiliers leaders, tels Seloger.com et Pap.fr, ne l'excluent pas pour autant, car elle constitue une des formes de la location. D'autres agences digitales ont un positionnement mixte, location et colocation, avec une identification plus ou moins explicite de l'offre colocative grâce à un onglet dédié : Locservice.fr, Flatlooker.com, Lodgis.com, TheColivers. Une agence spécialisée se démarque à Paris, Paris-Colocations, qui accompagne colocataires, propriétaires et, depuis peu, les investisseurs.
Un intérêt croissant des investisseurs, des acteurs immobiliers qui se spécialisent
De nouveaux acteurs se lancent sur ce segment immobilier pour répondre aujourd'hui à un intérêt marqué des investisseurs : dans le parc ancien, des conseils en investissement et défiscalisation, décorateurs-entrepreneurs, gestionnaires de biens de colocation, les accompagnent. Car la colocation suscite quelques rêves d'investissement juteux, comme en témoigne un post sur le blog Esprit-riche.com : « Comment j'ai transformé un vieil appartement des années soixante-dix en machine à cash. » Dans un premier temps, c'est la vacance des grands logements en cœur de ville, difficiles et moins rentables à louer, parfois compliqués à vendre, qui a incité les propriétaires à se tourner vers la colocation. Pour les nouveaux acquéreurs, c'est la rentabilité du bien associée au régime fiscal de loueur en meublé non professionnel (LMNP) qui les a séduits10. Cette stratégie fiscale rentable est au cœur de l'investissement en colocation : les loyers perçus sont en effet déclarés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), et non dans celle des revenus fonciers qui concerne la location nue. Le régime LMNP permet de déduire un maximum de charges et d'amortissements, assurant une franchise d'impôts sur cette part de revenus et sur du long terme.
Des sociétés de conseil se sont ainsi spécialisées dans la colocation pour répondre à cette appétence des investisseurs. Une clientèle en majorité composée de particuliers qui font l'acquisition d'un ou plusieurs biens pour y installer des colocations, dans le but de réaliser un placement de diversification patrimoniale. Ils en assurent rarement la gestion et font appel le plus souvent à ces sociétés qui proposent des services « packagés » : conseil en investissement et défiscalisation, recherche des biens, aménagement des espaces et gestion locative. Selon Nicolas Baussant, cofondatuer de Coloc & Vie, spécialisée dans l'administration et la gestion de biens pour la colocation, cette pratique constitue un marché d'avenir si l'on garde le sens des realités. Grisés par les perspectives prometteuses, les propriétaires ont tendance à suroptimiser leurs biens. « Leur erreur est de réaliser leur plan d'investissement sur tableur Excel. Ils viennent ensuite vers nous : J'ai besoin d'un loyer de base de 650 €. Les loyers sont gonflés pour cadrer avec des plans d'investissement. Des publicités annoncent même des rentabilités à 10-15 %. C'est impossible ! Nous avons un discours de modération et sommes obligés de faire beaucoup de pédagogie. » Et de rappeler les règles à respecter : une colocation bien située et des loyers raisonnables. « Le loyer moyen de la colocation en province est de 400/500 € charges comprises. À Paris : 600 € charges comprises », précise encore Nicolas Baussant. Sur ce point, les discours et les pratiques diffèrent. Si ColocTrankil opte pour la stratégie du « loyer plafond », inférieur de 20 % à celui d'un studio proposé dans la même ville, afin de concurrencer la location traditionnelle (cf. l'interview de Linda Mouliom de ColocTrankil), d'autres, au contraire, boostent leur rentabilité en rehaussant les loyers de leur colocation de 15 à 20 %. Sur ce segment, la forte demande joue en faveur des propriétaires : Appartager.com fait état d'une augmentation des loyers de la colocation de l'ordre de 7 % en France, entre 2017 et 201811.
Une évolution vers le coliving : le logement conçu comme une offre hôtelière
Le coliving cible un public de CSP+ en mobilité cherchant à se loger pour quelques semaines ou quelques mois dans le cadre d'une mission en free-lance, CDD, pour une formation, ou lors d'un retour d'expatriation, etc. Les formalités d'accès à ce type de résidence sont un peu plus simplifiées : une réservation en ligne, des justificatifs, tels le CDI et le garant, qui ne sont plus exigés. Cependant, les dossiers, revenus et profils des candidats « colivers » sont très étudiés. L'attrait du coliving réside dans la jouissance d'une chambre équipée d'une salle de bains, une offre de services intégrée au contrat de location, et l'idée de communauté et d'espaces partagés qui facilite la rencontre entre les résidents nouvellement arrivés dans la ville. La colocation franchit ainsi une nouvelle étape avec ce « prêt-à-habiter » marqué par une conception très rationnelle de l'espace, notamment dans ces nouvelles résidences urbaines où chaque mètre carré est destiné à un usage. Le coliving se caractérise aussi par son hybridation, qui en fait un objet urbain parfois peu aisé à qualifier du point de vue de la réglementation en urbanisme et de la destination de construction : hébergement, espaces partagés, coworking, salle de sport, bar, restaurant et lieux événementiels pouvant recevoir du public, etc., généralement classés en catégorie « commerce et activité de service », avec une sous-destination « hôtels ». On retrouve cette hybridation dans le régime juridique de certains contrats, difficiles à déchiffrer, mêlant dispositions relatives aux résidences de tourisme, contrat commercial sui generis soumis au régime du code civil, et exigences d'un bail de location de logement classique. Des ambiguïtés qui sont relevées par l'avocat Stéphane Illouz12, suggérant un cadre juridique spécifique qui serait à élaborer.
Deux formes, ou plutôt deux formats du coliving sont observés :
- la « colocation haut de gamme », générée en première couronne francilienne, métropoles régionales ou villes moyennes, installée dans de grands appartements ou maisons reconfigurés pour y accueillir une dizaine de résidents, avec chambres parfois équipées d'une salle de bains privative, espaces partagés et offre de services minimale incluse dans le forfait (ménage dans les parties communes, Internet, Wi-Fi), sur le concept de La Casa, Colonies, Colodge, etc ;
- le coliving protéiforme à grande échelle, en centre-ville métropolitain ou pôles d'activité franciliens, dans de grands volumes réhabilités ou construits pour y accueillir une centaine de résidents, voire plus, bénéficiant d'une offre globale : accueil hôtelier, logements indépendants ou en colocation, espaces de coworking, lieux de vie qui répondent à de multiples usages (restaurant, bar, événementiel, salle de sport), accessibles également aux habitants du quartier, sur le concept de The Babel Community à Marseille, des résidences Sharies ou du futur projet de Bouygues Immobilier à Bordeaux.
Sur le premier modèle de colocation haut de gamme/coliving, la société lyonnaise Colodge témoigne d’une analyse et d’une anticipation de l’évolution de l’investissement immobilier, encore bousculé dernièrement par la crise sanitaire, notamment au sein du parc tertiaire. Selon Colodge, ce nouveau format de colocation/coliving, avec ses espaces reconfigurés et ses services, est en passe de devenir un « produit d’investissement innovant ». Certains de ces opérateurs investissent les grands volumes du parc ancien, en offrant des prestations « packagées » et des espaces décorés au goût du jour, au sein de territoires où l’immobilier est peu coûteux. C’est le cas notamment dans certaines communes des Hauts-de-France, département où l’expérience de la colocation est plus ancrée du fait de l’influence géographique de l’Angleterre et du Benelux, pays dans lesquels elle est établie de longue date. La métropole lilloise, qui rassemble près de 95 communes telles Roubaix, Lambersart, Lomme, Tourcoing, à la fois pôle universitaire et économique, à mi-chemin entre Londres et Bruxelles, est particulièrement ciblée par les aménageurs de colocations, qui viennent répondre à une forte demande de la part des jeunes actifs et des étudiants. Ces implantations participent également de la redynamisation de certains centres-ville. Colodge investit ainsi ces territoires qui offrent d’intéressantes opportunités immobilières, comme cet hôtel particulier à Roubaix, en cours d’aménagement pour y établir une colocation avec ambiance maison d’hôte. Ces surfaces généreuses permettent d’accueillir entre cinq et 12 locataires, sur le modèle anglo-saxon des grandes colocations, décuplant la rentabilité du bien. Outre des espaces communs très spacieux, des « équipements attractifs » (salle de billard, de gym, salon home cinéma, etc.), l’accent est mis sur la jouissance d’un « espace individuel et autonome » (chambre avec salle de bains privative). Le respect de l’intimité, bien que circonscrite à la chambre et aux sanitaires, devient alors une caractéristique de la prestation « haut de gamme », en réglant un des problèmes cruciaux de la colocation : le partage de la salle de bains. La société lilloise Colocatère, aujourd’hui implantée dans toute la France, est spécialisée dans le conseil en immobilier de colocation sous statut LMNP. Elle acquiert de gros volumes pour le compte de ses clients, qu’elle transforme pour l’usage colocatif et dont elle assure l’exploitation. Ces colocations permettent d’investir certains biens délaissés, comme les maisons de ville traditionnelles en briques rouges, ou des hôtels particuliers, à l’instar de l’ancienne demeure du consul des Pays-Bas, à Lille, transformée en coliving et aujourd’hui propriété de la société exploitante My Name is Bernard.
Depuis peu, les promoteurs se diversifient en lançant des projets d’envergure adaptés à la colocation, arguant d’une évolution de leur activité qui doit leur permettre de répondre à « l’évolution des modes de vie ». Bouygues Immobilier se restructure en ce sens avec la création de sa filiale dédiée à l’exploitation de résidences de coliving, sur un principe de contrat de prestations hôtelières. Il ouvrira sa première résidence de 140 logements en coliving dans un immeuble de bureaux entièrement réhabilité dans le quartier des Chartrons à Bordeaux. Vinci fait de même avec sa filiale d’exploitation Bikube, Quartus lance Livinghomes, Artea sa marque de coliving Coloft, etc. Un investisseur public comme la Caisse des dépôts, via la Banque des territoires, a formalisé un partenariat avec The Babel Community pour développer également ce type de résidences, intéressé par le concept de l’opérateur marseillais, qui a montré son efficacité : conjugaison d’offre de logement, d’espaces de sociabilité et d’événementiel, ouvert sur le quartier et participant à son animation (cf. l’interview de Cécile Michel de la Banque des territoires).
Les zones immobilières tendues comme Paris et l’Île-de-France, les métropoles régionales, sont les territoires identifiés pour y développer l’offre de coliving, présentée comme un facteur d’attractivité territoriale. Par ailleurs, la montée en puissance du télétravail entraînant une certaine rationalisation immobilière, les grands opérateurs du coliving étudient en particulier les possibilités de réhabilitation du parc tertiaire, dont la centralité répond à la stratégie d’implantation de leur offre. Ces « produits urbains » sont assez favorablement accueillis par les collectivités qui y voient la possibilité d’héberger des jeunes actifs, sans autre besoin d’équipements publics.
Une intégration timide du format colocation dans la construction
L’évolution de la colocation en « produit immobilier investisseur » entraîne une transformation dans la conception de « l’habiter ». Dans le parc neuf, il n’est plus seulement question de logement et de locataires, mais également de « solutions », de « services », de « clé en main », notions indissociables désormais de cette forme d’habitat pour des raisons d’optimisation fiscale. La colocation « produit géré » offre des espaces plus ou moins partagés et des prestations parahôtelières qui rappellent celles des résidences services. Le nouveau colocataire, principalement un jeune actif, parfois un étudiant, « n’a plus qu’à poser ses valises » dans un espace entièrement équipé. Les logements conçus pour la colocation font ainsi une entrée timide dans les opérations des promoteurs constructeurs. Toujours intégrés dans des projets mixtes, jamais en construction dédiée, ils sont commercialisés avec une stratégie d’investissements ad hoc : investissement en loi Pinel pour la construction neuve destinée à la location/colocation nue, déclarée comme habitation principale, avec un engagement minimal de six ans ; investissement dans le cadre du régime loueur en meublé non professionnel (LMNP) pour la colocation meublée. Les grands investisseurs acquièrent des opérations complètes, souvent mixtes, comprenant par exemple des appartements classiques avec commerces en pied d’immeubles, parfois des modules « maisons de ville », dans lesquelles peuvent être intégrés des appartements conçus pour la colocation. Toutefois, cette forme d’habitat en « colocation » n’est pas particulièrement ciblée dans leur stratégie d’investissement.
Les promoteurs constructeurs sont encore en quête de la bonne équation pour produire ce type de logement : répondre aux attentes sociétales, proposer un coût d’acquisition et une rentabilité attractifs pour l’investisseur, avec un loyer abordable pour le locataire. Un équilibre parfois difficile à trouver : le groupe Nexity, après avoir fermé sa filiale plate-forme Weroom dédiée à la colocation, n’a pas non plus développé ses programmes My Coloc’ présentés comme « nouveau concept d’habitat pour vivre en colocation ». Il s’oriente aujourd’hui vers le coliving.
Parmi les opérateurs qui intègrent la colocation, on peut citer le groupe Pichet dans le secteur de la résidence étudiante avec, par exemple, la livraison à Paris-Saclay de 240 logements étudiants privés, dont 30 % sont en colocation.
Le promoteur nantais ADI a lancé la marque et le programme @coloc : des appartements meublés dédiés à la colocation pour jeunes actifs, et intégrés dans des programmes mixtes en secteur tendu (cf. l’interview de Patrick Fontaine, président d’ADI). Cette offre s’apparente à celle d’une « résidence services » (conciergerie téléphonique, ménage et nettoyage du linge) avec bail commercial géré par un tiers exploitant. Commercialement, ADI s’oriente vers les family offices pour la vente d’opérations complètes, qui incluent des logements en colocation, à des investisseurs fortunés.
La colocation fait aujourd’hui partie de la gamme de concepts développée par le promoteur immobilier bordelais Aqprim. Esprit Coloc’ propose ainsi des appartements T3 et T4 comportant une pièce « réversible » pour faire place à une éventuelle colocation, logements qui peuvent intéresser plusieurs publics : des étudiants, des jeunes actifs et même des seniors. Les investisseurs sur ce type de programme sont des particuliers qui achètent pour la défiscalisation en loi Pinel. Les appartements sont loués ensuite en logements classiques, dans le respect du plafond de loyer de la zone d’implantation. Chaque colocataire constituera un foyer fiscal propre et devra répondre aux conditions de ressources définies par la loi Pinel.
Pour Laurent Mathiolon, le fondateur d’Aqprim, la colocation n’est plus si marginale dans les programmes : « Nous l’intégrons petit à petit. Dans notre opération PÜR à Talence, sur 124 logements, 5/6 sont en colocation. Pour nos réalisations à Bordeaux et Perpignan, c’est la même proportion. Généralement, la conception du neuf est très stéréotypée et nous essayons de mélanger dans une même opération plusieurs types d’habitat qui permettent la mixité des clientèles. Nous recherchons la variété des propositions et des publics et attirons une clientèle que l’on ne trouve pas ailleurs. » Aqprim se positionne ainsi sur une approche plus sociologique de l’habitat en proposant un logement évolutif qui s’adapte à la transformation du groupe familial : le programme Moove permet d’agrandir l’espace et de gagner une pièce en duplex ; Modu’lab propose des pièces multifonctions pour les familles recomposées ; 2=1 permet de séparer ou de fusionner deux logements.
Les collectivités seraient également en demande de ces logements conçus pour la colocation : « Quels que soient les territoires dans lesquels nous intervenons, les problématiques sont les mêmes : loger les étudiants, les jeunes actifs, les personnes âgées. Il faut donc créer des espaces de vivre-ensemble réunissant ces publics. Nos études et nos réalisations sont en phase avec les attentes sociétales de nos clients utilisateurs, qu’ils soient acquéreurs ou investisseurs, et avec celles des collectivités », précise Laurent Mathiolon. Un des freins au développement de la colocation pourrait être la « gestion de la rotation » : « Elle demande beaucoup de logistique, puisque les occupants restent un an environ. La rotation est donc très forte et requiert des équipes de gestion adaptées. La sous-traitance par un gestionnaire qualifié est nécessaire », souligne encore le promoteur.
L’explosion récente de la demande de colocation a donné naissance à une pluralité d’opérateurs spécialisés qui ne cessent d’en transformer la pratique, la font monter en gamme en lui conférant de nouvelles caractéristiques formelles et servicielles. Si la colocation est aujourd’hui très bien installée dans le paysage immobilier, l’offre reste très contrastée : de la chambrette au confort rudimentaire dans un appartement lambda trouvée sur les plates-formes dédiées, à la colocation gérée et installée dans des espaces conçus spécifiquement et agrémentés de services, jusqu’à sa dernière émanation : le coliving, qui conjugue le principe colocatif avec coworking, services et espaces conviviaux. Cette montée en gamme de la colocation s’accompagne de l’augmentation de ses loyers et d’un basculement de cible vers les CSP+. Une production de « logement service » qui fait réagir l’architecte Nassim Moussi, évoquant un nouveau « modèle hygiéniste » et la transformation de la notion d’habiter : « Il reste fort à parier que l’on ne vendra plus de m², mais un abonnement comme si on louait un service d’habitat » .
S’il est encore prématuré de mesurer tout l’impact de la pandémie sur cette niche immobilière, les professionnels ont déjà observé certains phénomènes métropolitains, les engageant dans une nouvelle recherche de solutions de partage du logement. L’organisation du (télé)travail a eu à plusieurs titres une incidence sur le logement, en particulier pour héberger aujourd’hui les « actifs en mobilité récurrente », comme les définit la plate-forme WeekAway, partis vivre dans une autre région et ayant besoin d’être hébergés quelques jours par semaine à proximité de leur lieu de travail ou de formation. Une première réflexion est menée en ce sens par le cabinet d’architectes Majma, l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idhéal), et le Lab’Cheuvreux, conseil notarial et juridique, appuyée sur les données de l’Obsoco/Forum des vies mobiles : Part-time Parisiens14. Une nouvelle forme de « colocation » voit le jour, fondée sur un temps d’occupation partagé et alterné du logement à la semaine. Une optimisation des espaces centrés sur les usages qui intéressent aujourd’hui de nombreux professionnels. Outre l’offre présentée par un bailleur particulier, une multitude de propositions peuvent répondre à cette nouvelle demande : optimisation du bâti existant, résidences dédiées par reconversion du parc tertiaire, construction neuve. Des acteurs tels FlexLiving, le gestionnaire de « pied-à-terre flexibles », ou la plate-forme WeekAway, qui met en relation actifs, propriétaires et entreprises pour un hébergement encadré par un « bail spécifique à la location de longue durée à temps partiel » (bail code civil type résidence secondaire), ont déjà investi ce créneau.
1. Source Locservice.fr. Au 1er janvier 2021, l’Olap mentionne un loyer mensuel moyen hors charges de 1 191 € pour un logement de 50 m2 à Paris.
2. Données Airdna collectées à partir des annonces sur les plates-formes Airbnb et Abritel-HomeAway, spécialisées dans les locations saisonnières, après opération de dédoublonnement.
3. Guillouet Jean-Jacques, Pauquet Philippe, Le logement des jeunes dans le parc francilien, IAU îdF, décembre 2017.
4. Le baromètre de la colocation, Appartager.com, 1er trimestre 2017.
5. Le baromètre de la colocation, Appartager.com, 2018 et 2021.
6. Observatoire 2021 de la colocation, Les chiffres du marché de la colocation en France, LocService.fr.
7. « La coloc, nouveau mode de vie et opportunité d’investissement », Meilleurplacement.com, 5 novembre 2018.
8. « Colocation : 19,6 % d’augmentation de la demande en 1 an à Paris ! », Appartager.com, 19 août 2015.
9. Litzler Jean-Bernard, « Victime de son succès, la colocation est de plus en plus chère », immobilier.lefigaro.fr, 20 janvier 2016.
10. À condition que les recettes locatives soient inférieures à 23 000 euros/an et représentent moins de 50 % des revenus globaux du ménage. Au-delà, c’est le régime de loueur en meublé professionnel, ou LMP, qui s’applique.
11. Le baromètre de la colocation 2018, Appartager.com.
12. « Les modalités juridiques à prévoir pour le coliving », dans Le Moniteur, 28 novembre 2019 : https://www.lemoniteur.fr/article/les-modalites-juridiques-a-prevoir-pour-le-coliving.2065189
13. Moussi Nassim, « Entre-soi et cooptation : le coliving, face cachée de la propriété marketée ? », Le Vent se lève, 2 avril 2020.
14. Part-time Parisiens : https://www.faireparis.com/fr/projets/faire-2020/part-time-parisiens-1861.html Forum des vies mobiles : https://forumviesmobiles.org/recherches/15450/le-teletravail-permet-il-de-quitter-lile-de-france
Les principaux opérateurs
Conseil en investissement et défiscalisation dans le cadre du statut LMNP, prospection immobilière, aménagement des espaces et exploitation :
- Colocatère : « Créateur de projets immobiliers à forte valeur ajoutée. Première société française spécialisée dans l’investissement locatif dédié à la colocation haut de gamme, nous proposons un produit unique d’investissement, clé en main et sur mesure ».
- ColocTrankil : « Spécialiste de la colocation de standing à Paris et en Île-de-France. Propriétaires, investisseurs, boostez votre rentabilité avec la colocation ».
- Coloc&Vie : « Vivre ensemble. Le premier E-colocsystème de solutions immobilières ».
- Colodge : « Colodge, spécialiste de la colocation haut de gamme en France, achète et réhabilite des biens immobiliers afin de les adapter à la colocation ».
- FlatnYou : « Concepteur, gestionnaire et opérateur d’espaces de colocation/coliving. Implantée en Île-de-France et à Lyon, l’entreprise propose des logements adaptés aux nouveaux usages et digitalise les interactions entre locataires et gestionnaires ».
- Chez-Nestor : « Colocation prête à vivre. Votre espace de coliving pour une nouvelle expérience ».
- My room : « Coloving et colocations meublées clé en main avec conciergerie ».
interview
ColocTrankil fait de la colocation une nouvelle niche d’investissement immobilier
Entretien avec Linda Mouliom, fondatrice de ColocTrankil
ColocTrankil est une start-up de conseil en investissement immobilier et gestion de patrimoine spécialisée dans la colocation, avec une formule clé en main. Fondée en 2014 par Linda Mouliom, de formation scientifique, et bénéficiant d’une longue expérience de colocataire, la société s’est positionnée sur la colocation milieu de gamme. Elle a mis en place une stratégie territoriale de recherche des biens axée sur le prix de l’immobilier et une typologie de logement, qui doit conserver sa réversibilité colocation/location traditionnelle.
Comment s’effectue la recherche de biens pour des investisseurs dans la colocation ?
Nous travaillons sur des mandats de recherche après avoir étudié le cahier des charges de nos clients, généralement de petits investisseurs de la colocation. Nous déterminons avec eux une enveloppe financière moyenne. ColocTrankil a établi des standards de qualité et une typologie de biens immobiliers pouvant se prêter à ces installations. Ils se caractérisent par des ratios qui nous permettent éventuellement d’assurer par la suite la gestion de ces biens : ratio de 25 m2 par personne, ratio de salles d’eau, cuisine aménagée, etc. Nous comptons par exemple une salle d’eau pour trois personnes maximum et non pas pour 10 ! Si ces standards sont acceptés par le client, nous signons alors le mandat, en validant la cohérence de sa recherche. Nous recherchons le bien correspondant à ses critères, et aux nôtres, et sommes rémunérés au résultat, souvent au moment de la signature chez le notaire. L’autre partie de notre activité est le conseil en aménagement. Nous proposons toujours un scénario en amont de l’acquisition sur l’enveloppe travaux, et un scénario sur la valeur locative du bien, le niveau de charges, etc., selon la ville choisie. Si le client accepte de continuer avec nous sur l’aménagement, nous faisons appel à nos partenaires pour les travaux de rafraîchissement et l’aménagement mobilier avec le home staging. Jamais de gros travaux de fond, comme la réfection complète de l’électricité ou de la plomberie. Pour ce type de réhabilitation, le client fait appel à une entreprise de BTP. Enfin, nous assurons également la gestion locative des biens.
Depuis 2016 environ, il semble que la colocation suscite le grand intérêt des investisseurs. Le confirmez-vous ?
La colocation existe depuis au moins dix-quinze ans mais, effectivement, nous assistons à un véritable boom. À l’origine, il s’agissait d’optimiser les grands appartements en centre-ville, pour lesquels il y a de la vacance. Les grands logements ont toujours eu, et encore aujourd’hui, un problème de marché, tant en termes de surface que de coût. Une maison ou un appartement de 200 m2 sont difficilement louables. Les familles ont déserté les centres-ville, et les loyers espérés par les propriétaires sont dissuasifs, d’autant qu’il faut justifier un salaire équivalent à au moins trois fois le montant du loyer. Or des niveaux de revenus mensuels de 6 000 à 7 500 €, par exemple, permettent évidemment de se tourner vers l’acquisition. Le point de départ du phénomène de la colocation se trouve ici : que faire de ces grands logements « inlouables » ? La location à la chambre est venue apporter la réponse.
La colocation a-t-elle créé un nouveau « produit immobilier » ?
Oui, elle a généré une nouvelle appétence et est devenue un « produit » immobilier. Deux phénomènes immobiliers coexistent : depuis ces cinq dernières années, les petites et moyennes surfaces sont devenues très rares car quasi exclusivement mobilisées par la location saisonnière de type Airbnb. De fait, elles ne sont plus disponibles pour les investisseurs acquéreurs. À l’opposé, les grandes surfaces présentent le même problème qu’à la location : elles ont du mal à se vendre. Pourtant, dans certains territoires, elles peuvent être intéressantes, car il existe un prix au mètre carré plus attractif que celui des petites surfaces. La location à la chambre offre l’équivalent d’un loyer de studio, opération très intéressante sur un plan financier. On assiste alors à un basculement de situation. La demande de colocation était forte, mais non couverte, les propriétaires restant très frileux par crainte des loyers impayés, des fiestas étudiantes qui dégradaient les biens, etc. Avec la forte demande, le marché commence à trouver sa place et à se réguler. Toutefois, son mécanisme est différent. Il y a quelques années, les colocataires constituaient un groupe et recherchaient un bien adéquat. Aujourd’hui, la mise en colocation affinitaire (cooptation étudiante, projet collectif, etc.) n’est plus vraiment en vigueur. Les investisseurs qui se positionnent sur ce marché le font sans détour dans une logique de pur rendement. Aussi, avec une offre émanant de ces propriétaires, et un bien souvent géré par un prestataire, le groupe se constitue au fil de l’eau et les colocataires ne se choisissent pas.
Quels sont les « territoires » de la colocation ?
La clé de cet investissement, ce sont les territoires où l’immobilier est très peu cher. Souvent, les investisseurs abordent le sujet sous l’angle de la rentabilité, et nous les recadrons sur la question immobilière, dont va dépendre la rentabilité du bien. Contrairement à la location traditionnelle, il existe un « loyer plafond » de la colocation car les motivations sont majoritairement économiques. Viennent seulement à la suite les notions de partage, de lutte contre l’isolement et, enfin, la flexibilité, pour les personnes en situation de mobilité, pour leur travail, stage d’étude, etc.
La colocation sort donc de la ville-centre et investit la banlieue ?
Oui, Paris n’est pas un terrain propice pour des raisons de rentabilité liée au coût de l’immobilier. La colocation y est le fait de propriétaires occupants qui louent une de leur chambre, ou encore de sous-location, pour des compléments de revenus. Mais il n’y a pas ou peu de grands espaces strictement reconfigurés pour ce type d’usage. Un autre point, rarement évoqué, est la gestion du risque (carence locative, impayés, etc.). Mathématiquement, c’est intéressant, car en colocation, les risques sont divisés et viennent en fraction de l’assiette collectée.
Comment se construit une stratégie d’investissement ?
Il en existe trois : axée sur la rentabilité du bien ; équilibrée rentabilité/qualité patrimoniale ; axée qualité patrimoniale. Cette dernière sort de notre schéma car elle s’oriente sur des villes où l’immobilier reste coûteux, avec une rentabilité qui sera forcément dégradée. Aujourd’hui, les deux tiers de la clientèle visant la rentabilité, nous les orientons donc vers des villes où le foncier coûte entre 2 500 et 4 500 € /m2 maximum, car nous savons qu’en région parisienne, il ne faut pas dépasser un loyer à la chambre de 550 € mensuels, charges comprises. Bien sûr, il y a de petits ajustements selon les communes, avec un loyer qui peut varier de 450 à 550 € mensuels, parfois 600 €. Mais le loyer moyen reste de 500-550 €. En amont, au moment de la stratégie d’investissement et du pricing, nous calculons un loyer colocatif inférieur de 20 % à celui d’un studio dans la même ville. Car le locataire qui a le choix entre la colocation ou la location traditionnelle choisira le studio à loyer égal. Il est donc nécessaire de créer un produit concurrentiel de la location traditionnelle. Établir ce critère de « loyer plafond » est indispensable aussi pour déterminer le prix d’achat du bien. Ensuite, comme pour tout autre investissement immobilier, les colocations doivent être intégrées ou proches des grands pôles d’activité ou des sites d’études, et être bien desservies par les transports en commun. En Île-de-France, une trentaine de villes réunit l’ensemble de ces critères et suscitent de la demande.
Existe-t-il des profils de colocataires qui sont recherchés plus que d’autres ?
Certains investisseurs préfèrent les étudiants, d’autres les jeunes actifs, etc. Selon les villes proposées, nous leur signalons les profils potentiels. Cergy (95) et Évry (91) sont des pôles très étudiants, avec un immobilier peu cher et une forte demande. Drancy (93), plutôt jeunes actifs, souvent employés à Roissy, sur des métiers intermédiaires, comme agent de maîtrise, etc. Sur le pôle Bezons (95), proche de la Défense, la colocation est investie par une population active de cadres.
La colocation demande un réaménagement de l’espace domestique, mais les architectes semblent peu consultés… Comment se conçoit cet espace partagé ?
La colocation est encore un marché de niche, avec des coûts spécifiques. Des programmes résidentiels dans le neuf dédiés à la colocation ont été lancés, mais n’ont pas fonctionné. Le loyer plafond de la colocation implique des coûts de construction qui doivent être très étudiés. Sur du traditionnel haut de gamme, il est possible de réaliser de lourds investissements parce qu’il existe un marché derrière. En ce qui concerne la colocation, c’est toujours le « bon plan économique » qui prévaut. Un espace haut de gamme conçu spécifiquement, mais hors de prix, ne peut trouver son public. Il faut maîtriser ces paramètres avant d’investir. Aussi des honoraires d’architecte ne peuvent être intégrés dans la stratégie colocative. D’autant que les biens proposés sur le marché ne requièrent généralement pas de lourdes transformations. C’est même notre école. Nous déconseillons à nos clients des biens trop vétustes pour limiter les coûts d’aménagement, et ciblons principalement ceux à « rafraîchir ». Il faut également toujours penser le logement comme pouvant être loué en colocation ET en location traditionnelle. En cas de revente, il doit toucher l’ensemble du marché, pas seulement celui des investisseurs. Cette stratégie concerne notamment les « petits » investisseurs, qui ont réalisé une ou deux acquisitions. Il en existe bien sûr d’autres, qui, dans leur panier d’acquisitions, ont des produits diversifiés leur permettant de procéder facilement à des reventes s’il y a besoin de dégager de la trésorerie. D’autres encore visent strictement le produit haut de gamme, achètent de gros volumes, 200 m2 et plus, pour y installer des espaces de vie très spacieux, des salles de bains privatives, etc. Les gros volumes permettent en effet, à foncier égal, une économie de 35 % environ à l’acquisition, sur le principe de la décote à partir de 130 m2, comme il en existe une pour les rez-de-chaussée, etc. Mais un aménagement spécifique peut rendre la revente très compliquée selon la ville d’implantation. Aujourd’hui, la colocation moyenne est une surface de 100 m2, comprenant une pièce à vivre, une cuisine, trois ou quatre chambres, deux salles de bains/salles d’eau. Le logement peut donc facilement basculer de la colocation à la location traditionnelle pour une famille. Garder cette polyvalence nous semble être la stratégie la plus judicieuse pour nos clients.
interview
La Banque des Territoires investit dans le coliving au côté de The Babel Community
Entretien avec Cécile Michel, responsable d’investissement, direction de l’investissement, Banque des Territoires
En plein essor, le coliving intéresse aujourd’hui les investisseurs institutionnels. La Banque des Territoires a ainsi conclu un partenariat avec The Babel Community pour développer des résidences en Île-de-France notamment, sur le principe du tout-en-un : hébergement, coworking, services, événementiel. La Banque des Territoires cherche ainsi à répondre aux enjeux d’hébergement des jeunes actifs, tout en contribuant au développement de l’emploi pour la gestion des résidences.
Qu’entend-on par coliving à la Banque des Territoires ?
Le but est d’héberger dans nos résidences des étudiants, des jeunes actifs, des familles qui viennent s’occuper d’un membre de leur famille malade, des consultants, des jeunes entreprises qui souhaitent s’implanter et tester un territoire, etc. Ces résidences proposent un fonctionnement hôtelier, nécessitant du personnel d’accueil et de gestion. Nous avons une mission d’intérêt général et nous nous positionnons aussi sur la préservation et la création d’emploi, que le « vrai » projet de coliving vient satisfaire. Ce que nous appelons le « vrai » coliving, c’est le projet développé par The Babel Community, qui regroupe en un même lieu quatre activités principales : hébergement, coworking, services (bar, restauration, salle de sport, etc.) et événementiel. Ce concept, qui a par ailleurs fait ses preuves durant la crise pandémique, vient également répondre à notre mission d’accompagnement du développement local, à travers des activités touristiques et économiques. Il se démarque des nombreuses propositions que nous recevons de la part d’exploitants porteurs de projets ou de promoteurs, concernant des maisons à réhabiliter en banlieue parisienne, petits immeubles à transformer, etc. Le plus souvent, il s’agit d’immeubles de rapport que l’on cherche à transformer en Airbnb ou en colocation, avec des arguments du type : il y a du digital partout, on peut tout commander à partir d’une appli, etc. Généralement, derrière ces projets, il y a de l’emploi low cost, très mal encadré socialement. Dans cette configuration, il n’existe aucun recrutement, si ce n’est une société pour le ménage. Le poste de réception sera remplacé par une simple boîte à clés. Pour le petit déjeuner, un partenariat peut être envisagé avec le boulanger du coin pour une livraison de pain ou de viennoiseries. Mais il n’y aura aucun personnel pour la restauration au déjeuner ou au dîner. Côté travail/télétravail : les chambres sont équipées d’un bureau, mais pas d’espace de coworking partagé ou de salle de réunion par exemple. Il existe donc une différence notable entre l’ancienne formule de colocation, qui s’est un peu modernisée en offrant des espaces décorés à la dernière mode, un service de ménage, le Wi-Fi, et le développement d’un projet comme nous l’envisageons.
Comment fonctionne le partenariat entre la Banque des Territoires et The Babel Community ?
Nous avons investi dans les sociétés porteuses des murs de la résidence de coliving et Babel en assure également l’exploitation sous forme de bail commercial. Les espaces d’hébergement sont ensuite sous-loués par ses soins aux clients, des appartements de type studio ou deux pièces, et des chambres en colocation, pour une durée minimale d’un mois renouvelable. Lorsque nous créons une société de projets, caractérisée par un investissement à long terme, comme ici avec Babel, c’est dans la perspective d’accélérer l’émergence de ce type de projets à fort potentiel, ayant un impact en termes de développement économique, de création d’entreprises et d’emploi pour un territoire. Aussi, avec le coliving, nous parlons d’un projet touristique. Il ne s’agit pas d’une résidence de tourisme, ni d’une hôtellerie classique, où les personnes peuvent partir au bout de trois jours, mais d’un espace hybride, offrant à la fois l’hébergement, le cadre de travail et les services.
Quel intérêt présente ce type de résidence pour les territoires ?
Il y a un intérêt réel pour les collectivités qui est de loger les jeunes actifs en particulier. Mais aussi un intérêt en termes d’emploi : la restauration dans ce type de structure n’est pas ouverte seulement aux résidents, mais aussi aux clients extérieurs. Vous passez dans la rue et pouvez venir y déjeuner. Il y a une ouverture indispensable sur le quartier. Dans le premier projet de Babel à Marseille, que nous n’avons pas financé car nous ne les connaissions pas encore, leur site de coliving est devenu un véritable spot rue de la République, en plein cœur de la ville. Non seulement un lieu de restauration classique, mais également un espace événementiel. Eux-mêmes en furent très surpris. Cela prouve que ces lieux possèdent de forts atouts d’attractivité, bien au-delà du simple coup de fourchette.
Quelle est la stratégie territoriale de la Banque des Territoires pour développer cette offre d’hébergement ? Quel impact pour l’Île-de-France ?
Nous étudions de nouveaux projets avec Babel. Ce peut être des secteurs éloignés de Paris, mais très bien reliés à la capitale et disposant d’une très forte dynamique économique. Ce type de projet n’est pas mis en œuvre pour attirer une population, mais pour répondre à un besoin déjà existant : une zone très étudiante, où une offre existe déjà, mais insuffisante ou peu qualitative ; un secteur qui fait l’objet d’un aménagement urbain avec une véritable politique de logement, mais avec de la mixité résidentielle, car une population de passage doit pouvoir bénéficier d’une vie économique, et le tout-résidentiel ne lui conviendrait pas. Babel, avec un pied d’immeuble attractif, peut permettre à des commerces de s’implanter ; des zones hyper dynamiques sur le plan économique pour pouvoir héberger les jeunes actifs.
Quels sont les publics ciblés ?
La cible principale est le jeune actif. Les étudiants peuvent également être séduits. Il faut quand même qu’ils soient accompagnés par leurs parents, car les loyers sont plus élevés. Un peu plus que celui d’un studio classique, mais en dessous d’une résidence de tourisme.
Quel type de bâti vous intéresse ?
Nous étudions aussi bien des projets de réhabilitation que de construction, avec un minimum de 5 000 m2 pour englober économiquement les quatre activités spécifiques. Par exemple, des salles sont louées à des professeur(e)s de yoga, qui viennent faire vivre le lieu. Des espaces de vidéos, de théâtre sont également prévus. L’espace de coliving est intégré à la vie de quartier. En général, les résidences développées avec The Babel Community relèvent des établissements recevant du public (ERP).
Comment ces résidences de coliving ont-elles traversé la crise sanitaire ?
Il existe aujourd’hui un aspect sociologique à prendre en compte. Par exemple, les résidences de Babel ont été très résilientes durant la pandémie. L’hébergement et le coworking se sont maintenus, même si la restauration a dû fermer, contrairement aux résidences étudiantes qui se sont vidées en partie. Le coliving a bien résisté car il constituait l’hébergement principal des résidents. Il y a peut-être aussi un aspect psychologique lié à l’indépendance prise par les jeunes actifs, qui reviennent plus difficilement chez leurs parents. Nous étudions particulièrement un autre phénomène : celui de l’exode urbain. Nous avons le sentiment que certaines classes sociales, qui peuvent se le permettre, quittent les villes depuis l’essor du télétravail, ou du moins y vivent moins longtemps durant la semaine. Le coliving pourrait s’adapter encore et offrir un hébergement transitoire pour ces travailleurs nomades. Babel réfléchit à l’intégration d’espaces qui peuvent répondre à ces toutes nouvelles attentes. Par exemple, sur un fonctionnement en nuitées. Ce qui implique de revoir la gestion sanitaire, avec une équipe de ménage présente quotidiennement. Nous devons revisiter le modèle initial et être inventif. Une chose me semble particulièrement importante : pour répondre à ces mutations de plus en plus soudaines, à ces renouvellements des modes de vie, il nous faut interroger TRÈS rapidement la nouvelle génération. Les écarts générationnels se réduisent en effet de plus en plus. Nous ne parlons plus de périodes de dix-quinze ans, mais plutôt de cinq à huit ans. Il faut déjà aller interroger les 18-25 ans, bientôt sur le marché du travail, pour étudier la manière dont ils se projettent dans leur vie adulte et professionnelle. Ils sont déjà très éloignés des quarantenaires, voire même des trentenaires, n’ont plus du tout les mêmes aspirations. Leur rapport à l’environnement, l’espace et le temps est totalement modifié. Il faut se dépêcher d’écouter cette jeune génération, notamment lorsqu’il est question de la création des lieux de vie.
interview
Le promoteur nantais ADI intègre la colocation dans ses programmes
Entretien avec Patrick Fontaine, président du groupe Aethica et d’ADI
Filiale du groupe Aethica, ADI est une société de promotion immobilière fondée il y a vingt ans par Patrick Fontaine. Implantée à Nantes, et à Rennes sous la marque Probimmo, ADI est présente sur tous les segments immobiliers : logement collectif, individuel groupé, aménagement de lotissements, secteur tertiaire, et produits gérés, notamment des appartements en colocation. Avec @coloc, à la fois concept, marque et société de gestion colocative, ADI développe depuis 2015 des programmes mixtes intégrant la colocation à destination d’un public de jeunes actifs.
La colocation va-t-elle se diffuser en dehors du parc ancien ?
Un certain nombre de mes confrères se positionne aujourd’hui sur la colocation. Le besoin est tel que le marché explose, comme les loyers en centre-ville… La colocation est une partie de solution. Elle engage une réflexion sur l’ergonomie de l’espace partagé, que nous avons menée avec le cabinet d’architectes BBM. Le neuf permet de traiter chaque colocataire sur un plan d’égalité : les chambres ont toutes une surface de 11 m2, disposent d’un lit, d’un bureau, d’une armoire et d’un point d’eau/lavabo. Seule leur orientation peut changer. Dans l’ancien, des tensions naissent souvent de la disparité des espaces, entre l’occupant de la chambre parentale et celui d’une plus petite chambre.
Sur quels principes, et pour répondre à quelles attentes, avez-vous lancé @coloc ?
Notre idée est de proposer des produits de colocation à loyer abordable, c’est-à-dire 20 % en dessous des prix du marché, pour de jeunes actifs. Notre loyer mensuel de 550 € TTC comprend la location de la chambre, l’accès aux espaces partagés, aux équipements et aux services (Internet, Wi-Fi, conciergerie en ligne 24 h/24, ménage, nettoyage du linge), les charges classiques et l’assurance. Chez les concurrents, avec ces prestations, c’est plutôt un loyer de 650 €. Nos colocations sont intégrées dans des ensembles immobiliers assez importants en secteur tendu, avec emplacements de choix (commerces, transports, etc.). Une équation qui rend les comptes d’exploitation très tendus, mais nous avons modélisé nos équilibres économiques avec un ratio de logements en colocation au sein d’un programme immobilier. Notre public est composé à parts égales d’hommes et de femmes de 25 à 35 ans, les quarantenaires étant exceptionnels. Ce sont principalement de jeunes « CSP+ » qui arrivent dans la région pour un premier emploi et recherchent un point de chute pour se familiariser avec la ville. Après un temps d’occupation d’une année, ils se tournent vers le parc locatif classique. Nous accompagnons aussi leur parcours en mobilité, très important pour les jeunes actifs, qui nous demandent si nous proposons la même formule sur Rennes. Notre offre clé en main avec loyer abordable nous démarque de nos confrères qui investissent la colocation haut de gamme. En termes de gestion, nous avons cassé la solidarité pour donner plus de souplesse à la colocation : chaque colocataire signe donc un bail indépendant.
Quels sont vos partis pris en matière d’aménagement de l’espace ?
Entre les deux points de friction de la colocation que sont le partage de la salle de bains et celui du frigo, nous avons opté pour le frigo : quatre petits réfrigérateurs et quatre placards privatifs ont été installés pour que chacun y entrepose ses denrées. Dans l’entrée également, chacun dispose d’un placard individuel, qui sert de point de dépôt pour le service du linge.
Compte tenu des coûts de réalisation d’une telle offre et de votre positionnement en matière de loyer, comment arrivez-vous à satisfaire les exigences de rentabilité des investisseurs ?
Les colocations haut de gamme proposent des salles de bains privatives. C’est très bien, mais cela surcharge l’investissement car il faut ajouter 10 à 15 m2 par appartement… Pour offrir des prix serrés, nous travaillons sur des multiples pairs, par exemple quatre chambres sur 90-92 m2, avec une salle de douche et un WC pour deux chambres. Mais nous avons installé un point d’eau dans chacune d’elles : je me maquille, je me rase dans ma partie privative, je partage la salle de douche et les toilettes.
Qui sont les investisseurs de la colocation ?
Ce sont des bailleurs privés qui bénéficient du statut de loueur en meublé non professionnel (LMNP) et font gérer leur bien par @coloc, la société que j’ai créée avec le cabinet Lefeuvre, qui apporte son savoir-faire en matière de gestion immobilière. Il nous faut toutefois des investisseurs individuels en capacité… Même avec des prix « plafonnés », si je veux servir une rentabilité de 3,8 %, les logements que je vends peuvent difficilement dépasser 3 500 €/m2 TTC. Avec possibilité ou non de prendre un parking, nous parvenons quand même à un ticket entre 270 000 € et 300 000 € HT. Nous touchons donc l’investisseur haut de gamme. Aussi pour diffuser ce produit géré sous bail commercial, nous nous orientons aujourd’hui vers les family offices, ou des investisseurs qui achètent en bloc, comme pour notre opération de Cesson-Sévigné, près de Rennes. Ces investisseurs, traditionnellement positionnés sur l’immobilier tertiaire, sont séduits par la perspective de valorisation des biens, notamment grâce à notre stratégie d’emplacement prime, même si les rendements locatifs sont moindres.
Les « services » proposés aux colocataires, s’ils facilitent leur quotidien, ont aussi des implications fiscales. Quelles sont-elles ?
Pour l’investisseur, le statut LMNP permet la récupération de TVA. Pour cela, il faut proposer trois de ces quatre services : l’accueil (accueil physique du locataire @coloc à son arrivée, mise à disposition d’une ligne directe 24h/24) ; le service du linge ; le ménage ; enfin la livraison du petit déjeuner, que nous n’avons pas jugée nécessaire. Notre combat a été de faire valider par Bercy le fait que l’on puisse être éligible à cette récupération de TVA. L’investisseur en bénéficiera, mais seulement au bout de vingt ans pour en obtenir la totalité. C’est donc un engagement de longue durée. Le premier bail commercial signé avec @coloc court sur onze ans et demi, renouvelable ensuite par période triennale. L’investisseur finance effectivement un logement hors taxe, mais TTC à l’acquisition, et déclare les loyers en bénéfice industriel et commercial (BIC), et non en revenus fonciers comme pour la location nue. C’est là tout l’avantage.
Après la livraison de quatre opérations de colocation, quels sont vos retours d’expérience ?
Nous avons connu les perturbations liées au Covid, avec un taux d’occupation de 50 %, nos jeunes actifs étant partis se confiner chez leurs parents. Notre modèle évolue effectivement. Nous avions privilégié initialement Ikea pour ses standards de mobilier, facilement remplaçable en cas de détérioration. Nous en sommes revenus et choisissons aujourd’hui un mobilier plus durable, notamment pour la literie. Les espaces évoluent aussi : avec la buanderie commune en pied d’immeuble a été installé un lieu de convivialité, « l’Espace ». Pendant que les machines à laver tournent, les colocataires peuvent se réunir, se connecter pour travailler, ou vaquer à d’autres occupations. Cet espace est amené à évoluer encore vers du coworking et du coliving. À Rennes, dans nos 13 logements en colocation, nous testons deux chambres avec salles de bains privatives, afin d’offrir plusieurs réponses et de décliner toute une gamme de prix. Enfin, pour contourner la difficulté de la première colocation lors du lancement d’une résidence, nous avons créé des coloc dating pour que les futurs colocataires puissent se rencontrer et envisager une « vie commune ». Une fois le processus lancé, la cooptation est ensuite automatique et il n’y a pas de vacance.